[Atelier] Les erreurs thérapeutiques au cours des MICI : comment les éviter ?

Objectifs thérapeutiques

  • Connaître et respecter les contre-indications des thiopurines, des biothérapies, des 5 ASA et de la corticothérapie prolongée
  • Connaître les signes d’alarme qui doivent faire suspendre une biothérapie
  • Connaître les interactions médicamenteuses à prendre en compte chez les malades ayant une MICI
  • Quel est le meilleur moment pour débuter et arrêter un traitement
  • Quand poser l’indication opératoire chez les malades en poussée sévère ou compliquée?

La dernière décennie a connu un bouleversement dans la prise en charge des malades atteints de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Des avancées considérables ont été obtenues, que ce soit en terme diagnostique, avec l’utilisation de marqueurs biologiques tels que la calprotectine fécale et de nouvelles techniques d’imagerie (entéro-IRM, vidéo-capsule endoscopique), ou en terme de traitement, avec de nouveaux objectifs (cicatrisation endoscopique, destruction intestinale entre autres), de nouvelles molécules et de nouvelles stratégies thérapeutiques (immunosuppresseurs précoces, combinaison avec les anti-TNF). Dans le même temps, les malades atteints de MICI qui constituent une population jeune et très informée ont accru leur niveau d’exigence. Le risque d’erreur thérapeutique augmente ainsi mécaniquement avec la complexité de la prise en charge. Quelques règles simples doivent être appliquées. Parmi les écueils à éviter en pratique courante, il convient de respecter les contre-indications de chaque molécule, de ne pas traiter excessivement des formes bénignes de MICI, de penser à confier les malades au chirurgien en cas de forme réfractaire, à l’inverse de ne pas sous-traiter des formes sévères et enfin de ne pas perdre de vue les patients, surtout s’ils ont une maladie sévère ou reçoivent des immunomodulateurs au long cours.

Respecter les contre-indications de chacune des molécules :

Au-delà des précautions et contre-indications habituelles des traitements des MICI (cf. fiches thérapeutiques du GETAID disponibles sur le site www.getaid.org), une attention toute particulière doit être portée :

  • à écarter une suppuration intra-abdominale ou ano-périnéale compliquant la maladie de Crohn (MC) avant de débuter une corticothérapie ou des anti-TNF,

  • à éliminer une infection chronique latente susceptible de se réactiver à la faveur d’un traitement corticoïde ou anti-TNF ; les deux affections pouvant engager le pronostic vital sont la tuberculose et l’hépatite virale B.

Adapter le traitement à la sévérité

Au cours des MICI, un traitement médical est inadapté lorsque la balance bénéfice-risque penche plus vers les inconvénients que les avantages. Ainsi, un traitement sera inadapté quand il sera excessif – le « sur-traitement » – ou à l’inverse insuffisant – le « sous-traitement ».

Il existe deux grandes situations qui peuvent conduire à un traitement médical excessif au cours des MICI :

  • traiter des symptômes digestifs invalidants qui n’ont pas de substrat inflammatoire. Plusieurs études ont observé une prévalence élevée du syndrome de l’intestin irritable défini par les critères de Rome III chez des malades atteints de MICI en rémission endoscopique, jusqu’à 45 % dans une série française 1. Ainsi, la persistance de troubles du transit, de douleurs abdominales et d’une asthénie peut conduire à une intensification thérapeutique inappropriée. Il est donc important de réaliser un bilan morphologique exhaustif par des endoscopies et une imagerie de coupe en cas de MC du grêle avant de passer aux immunosuppresseurs ou aux anti-TNF.

  • poursuivre un traitement médical à outrance alors que l’heure de la chirurgie est venue. Les deux meilleurs exemples en sont la résection iléo-caecale en cas de la MC iléale terminale courte et compliquée de sténose ou de fistule et la colectomie en cas de rectocolite hémorragique réfractaire au traitement médical (corticoïdes, immunosuppresseurs et anti-TNF), a fortiori quand il s’agit d’une poussée sévère où la durée de l’hospitalisation préopératoire est inversement corrélée au taux de mortalité de la colectomie 2.

A l’inverse, un traitement insuffisant expose le malade à la fois aux complications de la maladie et à celles du traitement inapproprié. La meilleure illustration en est la corticothérapie prolongée chez le patient devenu cortico-dépendant qui expose le malade aux effets indésirables sans prévenir les rechutes cliniques 3. C’est pourquoi, comme l’a proposé le groupe ECCO, la définition de la cortico-dépendance est devenue moins restrictive et une seule rechute à la décroissance ou la nécessité de poursuivre une corticothérapie au-delà de trois mois suffisent 4.

Par un suivi régulier

Selon des données en population publiées à l’ère des immunosuppresseurs et des anti-TNF, les avancées du traitement médical au cours des MICI semblent avoir un impact sur l’histoire naturelle des MICI en retardant ou mieux en réduisant le recours à la chirurgie 5 , 6. En contrepartie, les malades sont exposés à une immunosuppression plus précoce, plus prolongée et plus profonde que jamais. En conséquence, les risques liés à l’immunosuppression, tels que les infections opportunistes et les cancers induits (lymphomes, cancers cutanés) 7 , 8 se sont accrus. Il est à craindre que le recul de la chirurgie obtenu grâce aux progrès thérapeutiques dans les MICI n’augmente le risque d’adénocarcinome colorectal et dans une moindre mesure du grêle.

Un suivi régulier des malades est donc indispensable. Celui-ci consiste en un suivi gastro-entérologique dans le but d’évaluer les bénéfices et effets indésirables du traitement et d’assurer le dépistage du cancer colorectal chez les malades à risque. Au-delà de notre spécialité, un suivi plus général des malades atteints de MICI est également nécessaire, au minimum par le dermatologue et le gynécologue.

La prise en charge des malades atteints de MICI est devenue une spécialité à part entière dans notre discipline. La multiplicité des formes phénotypiques de MICI, des profils de malades et des options thérapeutiques, qu’elles soient médicales et/ou chirurgicales, ne permettent pas de proposer une prise en charge thérapeutique systématique. Le risque d’erreur thérapeutique est devenu majeur. Comme l’ont mis en place les cancérologues, nous pensons donc qu’une prise de décision collégiale et multidisciplinaire, faisant intervenir gastroentérologues, chirurgiens, radiologues, proctologues, pédiatres est désormais indispensable dans les MICI, notamment avant d’engager un traitement anti-TNF. L’arrivée de nouvelles biothérapies dans un avenir proche rendra incontournable ce type de démarche.

Références :

1. Piche T, Ducrotte P, Sabate JM, et al. Impact of functional bowel symptoms on quality of life and fatigue in quiescent Crohn disease and irritable bowel syndrome. Neurogastroenterol Motil 2010;22:626-e174.

2. Kaplan GG, McCarthy EP, Ayanian JZ, et al. Impact of hospital volume on postoperative morbidity and mortality following a colectomy for ulcerative colitis. Gastroenterology 2008;134:680-7.

3. Irving PM, Gearry RB, Sparrow MP, et al. Review article: appropriate use of corticosteroids in Crohn’s disease. Aliment Pharmacol Ther 2007;26:313-29.

4. Travis SP, Stange EF, Lemann M, et al. European evidence based consensus on the diagnosis and management of Crohn’s disease: current management. Gut 2006;55 Suppl 1:i16-35.

5. Ramadas AV, Gunesh S, Thomas GA, et al. Natural history of Crohn’s disease in a population-based cohort from Cardiff (1986-2003): a study of changes in medical treatment and surgical resection rates. Gut 2010;59:1200-6.

6. Peyrin-Biroulet L, Oussalah A, Williet N, et al. Impact of azathioprine and tumour necrosis factor antagonists on the need for surgery in newly diagnosed Crohn’s disease. Gut 2011;60:930-6.

7. Beaugerie L, Brousse N, Bouvier AM, et al. Lymphoproliferative disorders in patients receiving thiopurines for inflammatory bowel disease: a prospective observational cohort study. Lancet 2009;374:1617-25.

8. Peyrin-Biroulet L, Khosrotehrani K, Carrat F, et al. Increased risk for nonmelanoma skin cancers in patients who receive thiopurines for inflammatory bowel disease. Gastroenterology 2011;141:1621-28.

Les cinq points forts :

  1. Avant de prescrire une corticothérapie ou un anti-TNF, il faut éliminer une suppuration, qu’elle soit intra-abdominale ou ano-périnéale, et une infection chronique latente (tuberculose, hépatite virale B).

  2. L’intrication MICI / trouble fonctionnel intestinal est fréquente et justifie de réaliser un bilan paraclinique exhaustif avant d’intensifier le traitement.

  3. La résection chirurgicale doit être discutée à chaque étape du traitement.

  4. Poursuivre un traitement insuffisant au long cours expose les malades aux complications de la maladie et aux effets indésirables du traitement.

  5. Un suivi régulier des malades recevant des immunosuppresseurs et/ou des anti-TNF est indispensable.