Comment annoncer une mauvaise nouvelle ?

Objectifs pédagogiques

  • Savoir les conditions psychologiques de la relation médecin patient dans l’annonce du diagnostic
  • Connaître les grands types de « systèmes de défense » psychologiques des malades et des soignants
  • Connaître la démarche réglementaire du dispositif d’annonce
  • Savoir comment l’adapter aux circonstances pour sa mise en oeuvre pratique

Le choc de l’annonce

Communiquer un diagnostic de maladie grave, annoncer la récidive d’un cancer, expliquer le bien-fondé d’un transfert en unité de soins palliatifs : l’annonce d’une mauvaise nouvelle renvoie à des situations cliniques très diverses.

Au-delà de cette diversité de situations cliniques, il convient d’explorer la dimension de choc, de malentendu, de traumatisme que comporte toute annonce d’une mauvaise nouvelle par un médecin.

La question de l’annonce est très travaillée. Guide, études, procédures, l’annonce fait l’objet de recommandations précises.

Le dispositif d’annonce est une mesure (N° 40) du Plan cancer (2003-2007), mise en place lors des états généraux des malades à la demande des patients atteints de cancer organisés par la Ligue nationale contre le cancer. Le patient doit bénéficier d’une prise en charge de qualité au moment de l’annonce de sa maladie.

Le dispositif d’annonce prévoit des temps de discussion et d’explication sur la maladie et les traitements afin d’apporter au patient une information adaptée, progressive et respectueuse ; il comprend :

  • un temps médical comprenant l’annonce du diagnostic et la proposition de traitement ;
  • un temps d’accompagnement soignant permettant au malade ainsi qu’à ses proches de compléter les informations médicales reçues, de l’informer sur ses droits et sur les associations pouvant lui venir en aide ;
  • un temps de soutien proposant l’accès à différents soins dits de support (psychologue, kinésithérapeute, prise en charge de la douleur, diététiciens, assistants sociaux) ;
  • un temps d’articulation avec la médecine de ville pour optimiser la bonne coordination entre l’établissement de soins et le médecin traitant.

Les recommandations, les précautions, les formations, les guides, sont indispensables et nécessaires. Ils améliorent les prises en charge. L’annonce de mauvaises nouvelles commence à devenir un objet de savoir recoupant le médical et le psychologique.

Il n’empêche, l’annonce porte en elle une part d’impossible. C’est un paradoxe car justement ce qui s’énonce dans l’annonce, c’est du réel, c’est un savoir médical sur l’existence et l’état d’avancement d’une maladie. Mais ce réel, pour votre patient, il est impossible. Impossible à entendre, impossible à intégrer, impossible à faire entrer dans son existence, impossible à penser. Sidérant, l’énoncé de ce réel rend toute élaboration impossible. Et vous pourtant, médecins, passez vos journées à le dire ce réel, impossible à entendre.

Comment faire entendre ce réel impossible ?

Certes, il y a souvent un temps d’attente de diagnostic, un temps d’incertitude, attente des examens complémentaires avec quelquefois des sentiments d’impatience, mais quand le diagnostic tombe, même si le patient s’y est préparé d’une certaine façon, c’est un choc, un coup de poignard, une effraction psychique. Il y a, toujours, cette dimension de traumatisme dans l’annonce. Cela ne veut pas dire que ce moment d’annonce se passe mal. Le médecin peut être clair, précis, gentil, compatissant, attentif. Le patient, lui-même, peut pressentir le diagnostic ou la rechute, exprimer ses craintes. Il n’empêche, sur un plan psychique, au moment de l’annonce, votre patient traverse de l’insoutenable. Ce que vous savez de sa maladie et ce que vous devez lui dire (même dit clairement, progressivement, même entendu et compris par le malade) et bien, cette annonce demeure impossible, parce que psychiquement il ne peut pas l’entendre.

Le patient peut en parler, mais comme sujet, il ne peut pas intégrer cette mort à l’horizon dans la maladie qui s’annonce, même s’il sait aussi qu’il existe des traitements efficaces.

On ne peut pas lui demander ça, au malade.

Car le psychisme résiste. Il est fait de mots, d’images, de désirs, bref c’est ce qui fait l’existence du sujet. Et pour préserver cette existence, le psychisme se défend, il se débrouille pour mettre de côté ce savoir annoncé : un réel tellement réel qu’il n’ouvre, pour le sujet, aucune possibilité, dans ce temps-là, de l’admettre. Il en est ainsi de tout propos qui vient rencontrer la subjectivité en la remettant en question.

Malentendu et relation

Toute parole s’engage par ce que l’on nomme un malentendu puisque c’est d’entendre qu’il s’agit. En effet, ce que je dis, est-ce bien ce que l’autre entend, engagé qu’il est dans un processus où l’affectif vient faire effraction dans la relation. Pour celui qui a à dire, le médecin, et pour celui qui est en position d’entendre, le malade, outre les mots prononcés ou tus, l’essentiel va reposer sur la rencontre qui va se nouer entre le médecin et le malade. Cette rencontre, cette relation repose sur un savoir réel mais pas seulement. Elle se prolonge, à partir de ce savoir réel, vers ce que les psychanalystes nomment un « supposé savoir ». Non que le médecin doive se faire « psy » au moment de l’annonce, mais il doit accepter que le malade d’une certaine façon attende plus du médecin que son savoir médical. Ce « plus » est ce que la psychanalyse nomme le transfert, transfert à la fois moteur dans l’aménagement d’une relation soignante mais aussi frein quand ce transfert n’est pas manié de façon adéquate. Nous avançons ce terme de transfert malgré le fait que la relation, dans le cadre de l’annonce, s’articule autour d’un savoir médical qui ne peut être remis en question par l’autre, puisque s’appuyant sur une réalité médicale objective. Le malade prête au médecin un savoir réel et non supposé. Le doute est impossible. Mais le malade peut aussi espérer et désirer faire entendre sa vérité de sujet, vérité qui pourrait même aller à l’encontre du savoir médical.

Une patiente en colère : « Le staff a décidé, m’a dit mon médecin, mais comment un staff peut-il décider pour moi ? Un staff n’est pas une personne, un staff ne peut pas savoir ce qui est bon pour moi, je ne suis pas un dossier, je suis une personne, le staff a décidé, mais moi je peux savoir aussi ce qui est bon pour moi… »

Dans cet exemple, la patiente et le médecin ont ce sentiment douloureux, d’une annonce de la nécessité d’arrêt de traitement, ratée. Pourquoi ratée ? Le médecin a ce sentiment douloureux de ne pas être parvenu à faire passer son message : « Nous avons longuement discuté de votre cas en staff et nous savons que poursuivre ce traitement, serait nuisible pour vous, il serait même toxique. »

La malade, quant à elle, ne se sent pas entendue dans sa dignité de sujet : à savoir : « Je prends ce traitement depuis l’arrêt de la chimiothérapie et je sens qu’il me protège. J’ai peur d’arrêter. »

Les effets de cette annonce ont eu pour conséquence un souhait de changement de médecin, ce qu’elle a fait. S’agit-il ici d’annonce ratée ? Certainement pas, mais d’une rencontre qui pourrait être qualifiée de manquée.

Ainsi, malgré toutes nos bonnes volontés, malgré la mise en place du dispositif d’annonce et des précautions dont on peut s’entourer et entourer l’autre pour éviter le choc (je vous invite à lire le document complet de la Haute Autorité de Santé (HAS) dont vous pourrez voir un résumé en fin d’article, en annexe), c’est toujours d’une agression dont il s’agit lors de cette rencontre brutale avec le réel.

En d’autres termes, le sujet est sidéré par ce qu’il entend de la bouche du médecin, cela peut aller de l’effet de surprise à la confirmation de ce qu’il redoutait mais, dans tous les cas, cette annonce est équivalente à un traumatisme (le traumatisme se caractérise ici par la rencontre d’un réel qui apporte en très peu de temps un afflux d’excitations excessif à la tolérance du sujet).

Il y a un avant l’annonce et un après. Le cours de la vie du sujet change. Il n’y a pas de retour en arrière possible.

Le sujet est paralysé par l’effroi, par l’horreur qui lui tombe dessus, qui l’écrase : « Les nouvelles ne sont pas bonnes ! » « Ça y est ! Je suis projetée avec violence dans cet espace-temps, où je pressens que le gouffre va s’ouvrir, m’engloutir mais que je suis encore du bon côté pendant ces quelques secondes très fragiles. Ces quelques secondes où tout va basculer, où le sol se fissure jusqu’à devenir une faille, m’obligeant à passer de l’autre côté sans espoir de retour sur la berge saine ; la peur panique s’empare de tout mon être. Ces quelques secondes que je voudrais éternelles parce que je sais déjà qu’après, plus rien ne sera pareil… »

Témoignage extrait du texte de Claude Boiron…

Ainsi cette rencontre avec le réel entraîne toujours entre les deux partenaires de la relation, le médecin et son malade, des difficultés dans ce qu’il y a à dire. Cette mauvaise nouvelle détermine par la suite la relation au malade ainsi qu’avec toute l’équipe médicale. Le médecin craint de trop en dire ou d’être dans une forme de mensonge même par omission, ou encore d’oublier une précaution. Le malade peut, quant à lui, penser qu’on ne lui dit rien ou pas tout, ou trop.

Cette consultation où l’annonce a lieu est un moment très intense, tant pour le médecin qui est dépositaire de ce savoir médical et qui doit l’annoncer, que pour le malade qui le découvre. La sortie du traumatisme causée par cette annonce ne peut se faire que par l’intermédiaire d’une demande adressée à un autre. Cette récupération de la parole par le sujet malade témoigne d’une sortie d’un état de sidération et donc d’une adaptation au temps d’après.

Ainsi au-delà de la transmission d’une réalité médicale, il s’agit avant tout de créer un cadre favorisant cette sortie du traumatisme. Car au-delà de l’information de ce savoir médical, il s’agit de bien faire la distinction entre la vérité et la réalité médicale. La réalité médicale est objectivée par la médecine et le pronostic déterminé en fonction des statistiques ; par opposition, ce savoir-là n’est pas la vérité d’un sujet. La vérité du sujet est toujours subjective et tronquée par des mécanismes psychiques, et ce tant du côté des soignants que du malade et de ses proches.

Les mécanismes de défense

Alors un certain nombre de mécanismes se mettent à fonctionner, quelquefois de façon consciente, d’autres fois à l’insu d’un sujet, il s’agit dans ce cas de processus psychiques inconscients qui se mettent en place pour préserver le sujet d’une réalité qu’il ne peut entendre.

De par leur rôle d’amortisseurs et leur fonction d’adaptation, ces processus défensifs sont indispensables au malade pour temporiser et se ménager un temps de latence essentiel pour affronter le réel et revenir à une demande, même si cette demande peut paraître insolite ou même franchement insupportable.

Quand le patient retrouve des mots pour symboliser ce réel, il peut se défendre psychiquement par le déni le plus souvent : « J’ai l’impression que le médecin parle de quelqu’un d’autre, ce n’est pas possible… »

Ces premiers mots enfin prononcés signent le début d’une reprise de l’état de choc, du retour du sujet, du début de la symbolisation, même sous la forme d’un déni massif.

Du fait même que l’on parle, le langage fait obstacle à la communication. Le sujet s’exprime par des mécanismes qui opèrent à son insu, venant perturber le bel ordonnancement voulu par la communication (lapsus, gestes ou contrôles, mouvements du visage, yeux humidifiés…).

D’autres formes de mécanismes de défense peuvent apparaître, comme :

  • Le déplacement : « Je ne supporterai pas de me retrouver chauve. »
  • La rationalisation : « Je sais ce qui a déclenché cette maladie, et je saurai la combattre. »
  • Une forme de régression : « Je vais m’en remettre à vous tous… »
  • D’agressivité : « Vous êtes tous inhumains, incompétents, menteurs, on m’avait annoncé que j’étais guéri et je rechute. »

Avoir cette connaissance de mécanismes de défense est essentielle, pour les médecins, pour supporter des attitudes parfois très difficiles de la part des malades. Il s’agit pour le médecin d’entendre la demande, c’est-à-dire la parole d’un sujet, sans y répondre formellement. Ainsi vous aiderez votre patient à cheminer vers l’acceptation de ce réel.

Souffrance des médecins, identification et mécanismes de défense

Mais on ne reconnaît pas suffisamment l’angoisse qui étreint le médecin au moment de l’annonce. Le médecin doit annoncer une mauvaise nouvelle à un malade qu’il voit pour la première fois mais souvent aussi qu’il connaît très bien. En raison d’une trop grande proximité, d’un lien affectif qui s’est noué au fil de l’évolution de la maladie, le médecin appréhende les réactions de son patient. L’annonce est un moment délicat, redouté souvent, angoissant parfois.

Ce qui se dégage le plus dans la clinique auprès des médecins c’est le fait que ces derniers sont « victimes » d’identification au malade. Il y a souvent effet de surprise. Comme ce médecin qui me racontait : « J’ai ouvert le dossier d’une malade, je savais qu’elle était médecin, mais j’ai surtout été choqué car je suis tombé sur sa date de naissance qui, à un jour près, est la mienne. »

L’identification est un mécanisme assez particulier. Ses effets ne sont pas précis. Ils peuvent prendre un caractère d’étrangeté. Ce médecin était assez flou : « Ça ne va pas trop, je suis mal à l’aise avec les patients, j’hésite… Pourtant, franchement, la “psy” ce n’est pas mon truc, je ne suis pas du genre à trop m’écouter. D’habitude j’aime mon travail. Mais là je ne sais pas, il y a quelque chose qui cloche depuis quelque temps. »

Que nous dit ce médecin au fond ?

« La recherche de la cause de mon trouble, je ne peux y arriver seul. Il me faut l’appui d’un autre qui contribuera à m’aider à élaborer. »

Alors il faut un temps de tergiversation, de banalisation : « C’est peut-être le retour de vacances… Je suis fatigué », il faut tourner un peu autour du pot en entretien individuel et en groupe de parole pour trouver le choc initial de cette identification inconsciente qui faisait écho, comme un bruit sourd et presque inaudible qui perturbait la pratique de ce médecin. Un petit travail analytique, sans divan, dans un bout de couloir ou un bureau. Il s’agit pour ce médecin, dans l’aprèscoup, de découvrir ce qui avait été refoulé : « Cet autre malade pourrait être moi, donc je suis mortel. »

Si les médecins connaissent les mécanismes de défense des malades, ils doivent se faire à l’idée que eux aussi ont leurs mécanismes de défense pour se protéger lors de cette rencontre où ils doivent annoncer une mauvaise nouvelle.

Il y a l’identification. Il y a aussi le mensonge par omission : « Je n’ai pas encore les résultats définitifs, il nous faut attendre encore quelques résultats », différer encore un peu le moment de dire vrai. Ou la rationalisation quand le médecin utilise un jargon médical incompréhensible pour le malade, qui ne peut qu’écouter sans rien comprendre.

Il y a la fuite en avant : le médecin qui lâche toute la réalité médicale comme pour se libérer de ce fardeau trop lourd à porter et qui ne cesse de parler, pour occuper le terrain, sans laisser de place subjective au malade l’empêchant d’exprimer toute demande.

Pour le médecin aussi, une annonce peut mal se passer et devenir traumatisante. Alors on se souvient longtemps après de ce temps qui s’arrête, de la discussion qui prend un mauvais tour, de l’argument, de l’information qu’on a oubliée de dire, de la vérité qu’on a dite et qui pouvait attendre.

Je pense à ce jeune médecin, il y a une dizaine d’années, qui, emporté par l’espoir de son patient, son énergie pour guérir, a oublié de parler de la possibilité d’une rechute de la maladie. Il s’est dit : « Je fais l’impasse, ça va bien se passer. » Et le patient malheureusement rechute et se révolte : « On ne m’avait pas parlé de possibilité de rechute. » Et, porté par la colère, il dépose plainte. Il reste aujourd’hui une vraie souffrance pour ce médecin qui, depuis lors, ne passe sous silence aucun des effets secondaires nombreux des traitements qu’il prescrit.

C’est au fond un exemple d’annonce tronquée. Tronquée parce que le médecin, sans s’en rendre compte sur le moment, ôte de son annonce la part d’impossible à dire. Alors, grâce à cette omission, l’annonce passe bien parce que rien ne se passe, pas d’angoisse, pas de drame. Mais aucune relation ne se tisse ni ne s’amorce entre le médecin et son patient. Il y a une mise sous silence d’un réel, encore une fois difficile à élaborer et qui, comme toujours, fait retour avec violence à la première occasion dans un mode d’expression propre au sujet.

Il faut reconnaître que l’impossible est aussi affronté et vécu par les médecins. Dire sans dire, expliquer sans faire taire, laisser de l’espoir sans mentir, laisser chacun réagir à son rythme, le tout dans la maîtrise, maîtrise des savoirs, des traitements, du temps, des coûts. Et le médecin doit en même temps apprendre à ne pas tout maîtriser au moment de l’annonce et à s’engager dans une relation, dans un temps encadré mais imprévisible aussi.

Le médecin qui acquiert de l’expérience en matière d’annonce, n’acquiert pas des trucs, ni des recettes miracles. Il apprend au fil du temps à rebondir, à rire parfois de certains ratages, à accepter que le malade se rebiffe et le prenne en défaut. Il apprend à en parler aussi dans des groupes de supervision, des groupes Balint [4], des groupes de paroles [2]. Et tenter surtout de ne pas être agi par des processus défensifs intellectualisés comme ce jeune médecin par exemple qui ne parvenait plus à annoncer une mauvaise nouvelle sans tout dire de son savoir médical de peur d’être à nouveau blessé. De peur à nouveau d’un malentendu sur son désir de protection in fine interprété, en son contraire. S’éprouve souvent un sentiment d’injustice, de découragement de la part de bien des médecins, d’où la nécessité d’un espace, d’un temps pour en parler, à défaut même parfois d’une élaboration possible.

Par exemple, c’est dans un de ces espaces où une autre parole peut s’ouvrir, qu’un médecin expérimenté a confié à des collègues qu’il venait de se faire piéger par sa patiente : il entre, elle est là, ils se connaissent depuis quelques années de lutte contre un cancer qui résiste. Le médecin prend le dossier, l’ouvre, retire ses lunettes et les garde à la main.

La patiente de dire : « Mes analyses ne sont pas bonnes… »

Le médecin, tout surpris : « Mais enfin je ne vous ai rien dit ! Pourquoi vous me dites ça ? »

La patiente : « Je le sais, quand vous retirez vous lunettes, ce n’est pas bon signe. »

Il s’agit là d’une communication non verbale, un signe qui devient explication.

C’est cela la relation, c’est un médecin qui laisse à son patient la possibilité d’ouvrir un autre temps, un autre territoire. Et le patient saisit la balle au bond : « Vous avez une annonce à faire, ça vous embête, vous jouez avec vos lunettes, ça va être dur pour moi, malade en récidive, mais aussi un peu pour vous, médecin. Et votre gêne de médecin, étrangement m’aide un peu parce qu’elle me redonne une place de sujet. »

Sans dire un mot, tout est dit et entendu.

Le médecin à son insu dit quelque chose mais il ne sait pas encore qu’il le dit.

Ces exemples nous montrent combien l’inconscient, qui fait parler ou agir à travers ce que l’on nomme des mécanismes de l’inconscient, est à l’oeuvre dans la relation médecin-malade et qui n’est révélé que dans l’après-coup, dans un autre temps pour comprendre ce qui a bien pu se jouer.

C’est pourquoi il est souhaitable, pour être moins envahi par ces processus défensifs, de les reconnaître comme tels, afin de créer une relation « suffisamment bonne » avec le malade.

Nous pouvons entendre par une relation suffisamment bonne, une relation en vérité, dépourvue de fauxsemblants, une relation qui laisse davantage place à l’éprouvé, à la singularité et donc au caractère unique de chaque rencontre. Une rencontre où le malade peut se sentir entendu, même au-delà des mots. Où l’expression des émotions est dans le domaine du possible, où le médecin est capable de faire de la place au silence, c’est écouter, et laisser se dire ce qui se dit ou ce qui ne se dit pas. C’est au fond tenter de transformer une annonce effrayante en un temps fort, une rencontre.

Annexe

1. Se poser des questions avant la rencontre avec le patient

  • Me concernant
    Les questions suivantes peuvent m’aider en tant que professionnel, lorsque je prépare ma rencontre avec le patient, à comprendre mes propres difficultés.

    • Ai-je des difficultés à dire et pourquoi ?
    • Quelles représentations, quelles expériences personnelles (positive, négative) ai-je de cette maladie et de ses conséquences ?
    • Quel rôle vais-je avoir dans la prise en charge du malade (traitement, accompagnement) et quelles en sont les limites ?
  • Concernant la maladie
    Afin de donner au patient des perspectives réalistes, je dois disposer de suffisamment d’informations sur la maladie et les options thérapeutiques qui peuvent être proposées.

    • Que sais-je de la situation clinique du patient ?
    • Que sais-je de la maladie et de son évolution naturelle (survenue de handicap, mise en place de traitements de plus en plus contraignants…) ?
    • Que sais-je des options thérapeutiques, des prises en charge possibles et de leurs conséquences ?
    • Que sais-je du rapport bénéficerisque de chacune de ces prises en charge ?
    • Quelle est la part d’incertitude du pronostic, de la variabilité de l’expression de la maladie ?
    • Que puis-je prévoir de l’évolution de ce patient ?
    • Qu’est-ce qui va changer dans la vie du patient ? Qu’est-ce qui sera probablement le plus difficile pour lui ?
    • Quelle est la filière de prise en charge (structure d’accueil), lorsque le handicap ou les difficultés surviennent ?

Une mauvaise nouvelle est « une nouvelle qui change radicalement et négativement l’idée que se fait le patient de son […] être et de son […] avenir ». Si la mauvaise nouvelle concerne le patient par la modification radicale du cours de sa vie, les difficultés du médecin chargé de l’annonce d’une telle nouvelle et de tous les professionnels intervenant auprès du patient doivent également être reconnues. Il n’y a pas une annonce mais une succession d’annonces tout au long de la prise en charge et cela implique tous les professionnels. La reconnaissance des difficultés que peuvent rencontrer les professionnels implique de passer par les trois étapes suivantes.

2. Obtenir des informations lors de la rencontre avec le patient

  • Concernant le patient
    Je dois m’efforcer d’obtenir des informations le concernant afin d’adapter l’information que je lui donne à ses besoins au moment où je le rencontre et éviter de détruire les constructions intellectuelles et psychiques qu’il a élaborées pour se protéger.

    • Ce que le patient attend de cette consultation.
    • Les personnes qu’il a déjà rencontrées, l’information qu’il a déjà reçue, ce qu’il en a compris.
    • Ce qu’il souhaite savoir, aujourd’hui.
    • Les représentations qu’il a de cette maladie et de ses conséquences.
    • Les expériences personnelles (famille, proches) qu’il a de cette maladie et de ses conséquences.
  • Concernant l’environnement du patient
    Afin de donner au patient des perspectives réalistes, je dois disposer de suffisamment d’informations sur la maladie et les options thérapeutiques qui peuvent être proposées.

    • Sa situation familiale personnelle (enfant, personne à charge, isolé ou entouré).
    • Les soutiens possibles.
    • Sa situation matérielle, professionnelle, sociale.
    • La représentation qu’a son compagnon/ ses enfants/son entourage de la maladie.
    • L’information qu’il souhaite que l’on donne à ses proches, s’il préfère qu’on l’aide à informer ses proches.
    • Les besoins ou les souhaits d’aide ou de soutien (psychologique, social) pour lui ou ses proches.

Les professionnels peuvent utiliser cette approche pour évaluer et améliorer leurs pratiques professionnelles.

3. Se poser des questions en fin de rencontre avec le patient

  • Lui ai-je laissé la possibilité de poser toutes ses questions ?
  • Suis-je en mesure de savoir ce qu’il a compris ?
  • Qu’a-t-il retenu de la consultation ? Pour la prochaine consultation : que me reste-t-il à lui dire ?

Pour en savoir plus : un document plus complet est proposé par l’HAS aux professionnels (www.has-sante.fr). Il développe les points suivants :

  • Des points de repère
    • Annoncer, informer pour quoi faire ? Annoncer, ce n’est pas seulement informer, c’est donner au patient les informations dont il a besoin, tout au long du processus d’accompagnement.
    • Retentissement de l’annonce. Un effet traumatique : l’émotion est tellement forte lors de la première annonce que, la plupart du temps, le patient n’entend qu’une petite partie de ce qui est dit. Lors de la consultation où est réalisée la première annonce, tout n’est pas abordé, le patient a besoin de temps.

Comment le patient se défend : le patient va adopter une attitude qui lui permettra de faire face à une situation vécue comme trop douloureuse, tentative d’adaptation du psychisme face à l’angoisse.

  • Écueils et risques évitables
  • Le point de vue du médecin

Le professionnel peut rencontrer des difficultés pour annoncer une mauvaise nouvelle. Il peut mettre en place des mécanismes de défense pour faire face à l’angoisse de la situation de son patient.

  • En pratique

Se donner le temps, être à l’écoute, être attentif aux mots choisis et assurer un suivi de l’annonce sont essentiels à la démarche.

  • Des exemples concrets décrivant les difficultés spécifiques à l’annonce de la maladie d’Alzheimer, d’un cancer, de la maladie de Huntington, d’une maladie neuromusculaire à un enfant, de la maladie d’un parent ou d’un proche à un enfant.

En France, l’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles sont inscrites dans la politique de santé. Annoncer une mauvaise nouvelle constitue une étape majeure de la relation avec le patient et, à ce titre, peut faire l’objet d’une démarche d’évaluation/ amélioration. Cette démarche est complémentaire du dispositif d’annonce mis en oeuvre en cancérologie.

Tous les outils et programmes d’amélioration et d’évaluation des pratiques sont téléchargeables gratuitement sur www.has-sante.fr

© Haute Autorité de Santé
– EPP/AMN– Mai 2008

Références

  1. Boiron C. Témoignage d’un médecin cancérologue. Psycho Oncol 2009;3: 147-60.
  2. Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Éditions Dunod, 1995.
  3. Ruszniewski M, avec la collaboration de Rabier G. Le groupe de parole à l’hôpital. Paris : Dunod, 1999.
  4. Joseph-Jeanneney B, Bréchot J-M, Ruszniewski M. Autour du malade : la famille, le médecin et le psychologue. Éditions Odile Jacob, 2002.
  5. Balint M. Un médecin, son malade et la maladie. Paris : Payot, 1960.
  6. M’Uzan M. De l’art à la mort. Paris : Gallimard, 1977.
  7. . Manonni M. Le nommé et l’innommable. Paris : Denoël, 1991.
  8. Lebrun J-P. De la maladie médicale. Bruxelles : De Boeck-Wesmael, 1993.
  9. Hammel P. Guérir et mieux soigner : Fayard, 2008.
  10. Levy Ph. Le transit des corps : Balland, 2010.
  11. Zittoun R. La mort de l’autre : Dunod, 2007.
  12. Rieff D. Mort d’une inconsolée, les derniers jours de Susan Sontag : Climats, 2008.

Les 5 points forts

  1. L’annonce du diagnostic est un traumatisme pour le patient, créant d’abord une sidération.
  2. La qualité de la rencontre permet de créer un cadre favorisant la sortie de ce traumatisme.
  3. Le médecin sort de son seul savoir et le malade désire faire entendre sa propre vérité.
  4. Il existe des mécanismes de défense, du côté du malade qu’ils protègent, du côté du médecin, qu’il doit apprendre à reconnaître.
  5. L’annonce doit distinguer énoncé objectif et vécu subjectif : importance du non-verbal, choix des mots, être attentif à l’autre et à ses propres réactions.