Les vraies indications de la nutrition parentérale

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les risques associés à la nutrition entérale et à la nutrition parentérale
  • Connaître les critères de choix entre nutrition entérale et nutrition parentérale
  • Préciser les indications de la nutrition parentérale périphérique
  • Identifier les indications indiscutables de la nutrition parentérale ?

Introduction

La dénutrition se définit par des apports ou des stocks énergétiques ou protéiniques insuffisants pour répondre aux besoins métaboliques de l’organisme. Un apport alimentaire inapproprié ou insuffisant fait partie des nombreux mécanismes qui conduisent à la dénutrition, de même que l’augmentation des besoins métaboliques liée à une maladie ou l’augmentation des pertes énergétiques par un tube digestif malade. Les conséquences de la dénutrition sont nombreuses : diminution des capacités fonctionnelles, de la qualité de vie des malades, mais aussi augmentation de la morbidité, retard de cicatrisation, augmentation des infections secondaires et surtout de la mortalité. La voie orale doit toujours être privilégiée ; lorsque celle-ci est insuffisante ou impossible, une nutrition artificielle (nutrition entérale ou nutrition parentérale) doit être envisagée. Quand elle est possible, la nutrition entérale (NE) doit être préférée à la nutrition parentérale (NP) dont le coût est 10 fois plus élevé que celui de la nutrition entérale à débit continu (NEDC) et les complications peuvent compromettre le pronostic vital. Le rapport risque/efficacité de la thérapeutique doit être systématiquement évalué avant la mise en oeuvre de la nutrition artificielle, tout particulièrement par voie parentérale. La mise au point de protocoles écrits, rigoureusement contrôlés et appliqués par l’équipe soignante, est le préalable permettant de traiter un patient par nutrition artificielle avec le moindre risque et la plus forte probabilité d’efficacité [1].

Contrairement à la terminologie anglo-saxonne qui intègre également la supplémentation orale sous la dénomination « entéral nutrition », nous réserverons le terme « nutrition entérale » (NE) à l’administration de solutés par sonde, en site gastrique ou jéjunal.

Critères de choix entre la NP et la NE

L’indication d’une nutrition entérale ou parentérale, est guidée par le recueil des quatre paramètres principaux que sont l’évaluation de l’état nutritionnel, le niveau des ingesta des deux dernières semaines, l’existence éventuelle d’un hypermétabolisme et celle de pertes digestives. Le choix d’une voie de nutrition parentérale est la résultante de deux questions successives : y a-t-il une indication à la nutrition artificielle ? Si oui : pour quelle raison la nutrition entérale ne peut-elle être choisie ?

La nutrition entérale, initialement développée en France par Étienne Levy au début des années 1970, s’est rapidement imposée comme une technique de renutrition majeure. Plus physiologique que la nutrition parentérale, il s’agit de la technique de choix lorsque le tube digestif est fonctionnel. Plusieurs études ont montré sa supériorité par rapport à la nutrition parentérale dans diverses situations, en réduisant le taux de complications infectieuses. Contrairement à la nutrition parentérale, elle prévient l’atrophie villositaire intestinale et potentiellement, la translocation bactérienne [2]. Par ailleurs, elle possèderait un effet bénéfique sur la stimulation du système immunitaire et sur la réponse inflammatoire systémique à une agression [3].

Les contre-indications formelles à la NE sont les suivantes : occlusion intestinale organique, vomissements répétés ou incoercibles, surface intestinale fonctionnelle insuffisante. En dehors de ces contre-indications, l’existence d’une pathologie digestive ne doit pas faire renoncer à l’utilisation de la voie entérale. Ainsi, la présence de lésions du rectum ou du côlon, ou même de l’intestin grêle ne représente pas en elle-même une contre-indication. L’occlusion fonctionnelle et la pseudo-obstruction peuvent s’amender sous traitement et devenir compatibles avec la nutrition entérale. La diarrhée ne doit pas non plus être considérée comme un échec, mais doit conduire à rechercher sa cause ou un mauvais respect des règles d’administration. Lorsqu’il existe une maldigestion, notamment en cas de gastrectomie ou d’insuffisance pancréatique, la NE reste efficace car le faible débit continu améliore les conditions de digestion et d’absorption. Enfin, si l’alimentation orale est impossible en raison d’un obstacle oesophagien ou gastrique, ou d’un trouble de la déglutition, il est possible de s’en affranchir par la mise en place d’une stomie d’alimentation.

La position de principe en faveur de la nutrition entérale, dès lors que le tube digestif est fonctionnel, doit toutefois être nuancée dans certaines situations que nous préciserons ultérieurement.

Complications de la nutrition entérale

Les complications sont peu fréquentes, mais sont souvent à l’origine d’une réduction ou de l’arrêt des apports entéraux. Parmi ces complications, un certain nombre est lié à une mauvaise indication de la NE ou à sa conduite sans correction des cofacteurs associés. Les règles d’administration de la NE sont résumées dans le tableau (1). Les critères pour le choix de la voie d’abord sont représentés figure (1).

Complications digestives

Intolérance digestive haute : reflux gastro-oesophagien et vomissements

Plusieurs facteurs favorisent ces complications : mauvais positionnement de la sonde, débit d’infusion trop rapide lors de l’initiation de la NE, existence d’un ralentissement de la vidange gastrique, position allongée du patient. La vérification systématique du positionnement de la sonde de nutrition après la pose, l’instillation initiale à un débit faible et continu, la position demi-assise et l’utilisation des prokinétiques diminuent la fréquence de ce type de complications.

Diarrhée

Son incidence est variable selon la population étudiée et la définition utilisée (entre 2 et 70 %). L’administration de médicaments par voie entérale, la présence de substances osmolaires non absorbables, l’infusion à un débit élevé, l’atteinte de la muqueuse intestinale ou une accélération de la vidange gastrique peuvent entraîner une diarrhée [4]. Le traitement préventif repose sur le respect de bonnes pratiques concernant l’administration de la NE. Les ralentisseurs du transit intestinal ainsi que la prescription d’un régime riche en fibres alimentaires font partie intégrante de la prise en charge de ces situations. Une colite pseudo-membraneuse doit également être écartée [5].

Complications infectieuses

Pneumopathies

L’incidence de la pneumopathie chez les patients de réanimation en nutrition entérale est variable d’une étude à l’autre (5 à 60 %) car l’imputabilité directe de la NE dans la physiopathologie d’une pneumopathie est difficile à établir. Deux mécanismes sont décrits: l’inhalation massive du soluté nutritif, rare, et les inhalations occultes à répétition. Plusieurs facteurs de risque ont été identifiés : la position allongée, l’âge avancé, les troubles de la conscience, la gastroparésie associée à certaines pathologies et certains traitements (morphiniques, sédatifs, curares) [5]. Des modalités techniques permettent de prévenir cette complication : position demi-assise, infusion à faibles volumes et débits initialement, mesure du résidu gastrique chez les patients à risque. Les facteurs de risque d’inhalation sont représentés dans le tableau 2.

Atteinte oro-pharyngée

La NE par sonde naso-gastrique peut se compliquer de processus inflammatoires ou infectieux naso-pharyngés et sinusiens. L’utilisation d’une sonde de petit calibre, la bonne fixation à la peau sans pression sur la narine et l’utilisation de sondes nasogastriques pour une durée limitée, diminuent ces complications d’évolution bénigne.

Infections au point de passage cutané de la sonde

Leur incidence diminue suite à la mise en place de protocoles d’antibioprophylaxie lors de la pose des sondes de gastrostomie et de jéjunostomie.

Des abcès cloisonnés sur le trajet de la sonde ou des péritonites localisées ont été décrits. Le retrait de la sonde est souvent nécessaire. Il est associé à un traitement antibiotique systémique ainsi qu’au drainage des collections éventuelles.

Complications métaboliques

Plus rares que lors de la NP, les complications métaboliques à type d’hyperglycémie ou d’hypoglycémie, d’hyper- ou hyponatrémie, ainsi que des déficits en vitamines et en minéraux, etc., sont toutefois possibles et justifient une surveillance biologique.

Complications de la nutrition parentérale

Les complications de la NP sont classées en deux grandes catégories : techniques et métaboliques. Les premières sont mécaniques (secondaires aux cathéters, pompes, lignes, connecteurs) et infectieuses (secondaires au risque septique lié à la présence du cathéter veineux). Les secondes sont métaboliques ou nutritionnelles, liées aux apports intraveineux [6, 7]. Les grands principes d’administration de la NP sont résumés dans le tableau (3).

Les complications techniques

Elles sont essentiellement liées aux accès veineux centraux. Les complications immédiates, secondaires à la ponction et au cathétérisme, sont les plaies veineuses ou artérielles, le pneumothorax, la malposition du cathéter, et de multiples autres complications dont des lésions nerveuses, des blessures des canaux lymphatiques.

Les obstructions de cathéter se traduisent par l’impossibilité de perfuser un liquide à travers le cathéter et/ou de retirer du sang. Elles peuvent être secondaires à un caillot, une malposition, une torsion ou à l’obstruction de la lumière par un dépôt de lipides ou de substance minérale. Elles sont prévenues par un rinçage du cathéter en pression positive en fin de perfusion nutritive. En dehors des complications communes à tout cathétérisme veineux, les complications spécifiques des chambres implantables sont des complications cutanées en regard de la chambre : absence de cicatrisation, ulcération, nécrose cutanée en cas de perfusion sous-cutanée.

Les complications infectieuses

Elles constituent la première complication liée à la nutrition parentérale à domicile (NPAD). L’incidence des infections en NPAD est de l’ordre de 0,8 pour 1 000 journées-cathéter, selon les centres et les pays. Les sources de contamination d’un cathéter sont au nombre de 4 : la flore cutanée, l’introduction de germes lors des diverses manipulations, le sang au cours d’une bactériémie par un foyer septique à distance et, de manière exceptionnelle, les solutés de nutrition. L’application de protocoles thérapeutiques permet d’éviter le retrait systématique des cathéters en cas d’infection, dont la prise en charge dépendra de la présence de signes locaux, généraux, de l’état hémodynamique du patient et du germe en cause [5, 8].

Les thromboses veineuses

La thrombose veineuse liée au cathéter central est une complication potentiellement grave et probablement sous-estimée. Une prévalence de 20 % de thrombose a été retrouvée en cas de septicémie liée au cathéter. L’incidence de la thrombose veineuse est d’environ 0,027 cas/cathéter/an (CI 0,02-0,034) mais l’incidence réelle est plus élevée car dans de nombreux cas, elle est asymptomatique. Les anticoagulants oraux (warfarine) à faible dose pourraient réduire le risque de thrombose veineuse centrale chez les patients en NPAD de longue durée. Néanmoins, les études sont rares, portent essentiellement sur des populations avec cancers et retrouvent des résultats discordants. En NPAD de longue durée pour insuffisance intestinale bénigne, les protocoles sont multiples et très variables d’une équipe à l’autre. Des études randomisées seront utiles pour déterminer les protocoles de prévention les plus efficaces. Les signes évocateurs sont une fièvre isolée, un dysfonctionnement du cathéter, une lourdeur du membre supérieur, une douleur de l’épaule, une cyanose, un oedème de la main, une distension veineuse, ou une circulation collatérale hémi-thoracique.

Les complications métaboliques

Elles sont liées à l’apport nutritionnel parentéral. Elles peuvent être liées à l’apport glucidique (hyperglycémie, hypoglycémie), à l’apport lipidique inadapté (apport insuffisant, excès d’apport avec possible syndrome d’activation macrophagique décrit en pédiatrie), et à l’apport azoté qui, s’il est excessif notamment chez l’insuffisant hépatique, peut être responsable d’une hyperammoniémie. Les complications les plus fréquentes sont liées à l’apport hydroélectrolytique. De plus, les perfusions nutritives industrielles sont des prémélanges qui ne contiennent ni vitamines ni oligoéléments et une quantité variable, souvent insuffisante de minéraux, qui doivent être obligatoirement apportés car l’organisme est incapable d’en effectuer la synthèse. Les complications hépatobiliaires restent une complication fréquente et parfois redoutable notamment en nutrition parentérale de longue durée La stéatose est d’autant plus importante qu’un apport glucidique excessif entraîne une lipogenèse de novo. La cholestase apparaît plus tardivement. Sa pathogénie fait intervenir des modifications de la composition biliaire, avec augmentation des acides biliaires secondaires. L’évolution de la cholestase se fait vers la régression spontanée des troubles à l’arrêt de la nutrition parentérale si cela est possible. Elle peut évoluer vers des lésions de fibrose hépatique. Les facteurs de risque sont liés à l’affection digestive sous jacente (syndrome de grêle court, segment digestif exclu) et à la NP [9]. La prévention nécessite la stimulation de la cholérèse par le maintien d’une alimentation orale ou entérale, la réduction de la pullulation microbienne, le traitement des infections, l’utilisation de tous segments digestifs exclus.

Les indications formelles de la NP

La NP par voie centrale n’est indispensable que chez peu de patients. Elle est indiquée lorsqu’une nutrition entérale est contre-indiquée ou lorsque la tolérance de celle-ci ne permet pas de couvrir complètement les besoins énergétiques et/ou hydroélectrolytiques. Schématiquement, on retient les indications suivantes : obstruction intestinale aigue ou chronique, vomissements répétés ou incoercibles, insuffisance intestinale, échec d’une NE bien conduite ou NE non optimale. L’insuffisance intestinale est définie comme l’impossibilité à maintenir une autonomie du point de vue du statut nutritionnel ou hydro-électrolytique. Les étiologies sont représentées par le syndrome de grêle court, les troubles moteurs, les maladies intestinales telles que l’entérite postradique. Le plus souvent, la NP est complémentaire de la voie orale ou entérale dont la tolérance ou le rendement d’absorption sont insuffisants pour assurer le maintien ou la correction d’une dénutrition [7, 10]. En cas de syndrome de malabsorption, le coefficient d’utilisation digestive doit alors être pris en compte dans le bilan des entrées, de façon à permettre la réduction des apports de la NP dès que cela est possible.

La NP exclusive est menée, la « main forcée », dans quelques situations : a) occlusion intestinale organique, b) vomissements répétés ou incoercibles, c) pseudo-obstruction avec intolérance alimentaire complète. L’algorithme décisionnel du type d’assistance nutritionnelle est représenté par la figure 2.

Indication de la NP sur voie veineuse périphérique

Les facteurs limitant l’utilisation de la voie périphérique en NP sont le capital veineux disponible et l’osmolarité des solutés à perfuser qui doit être inférieure à 800 mosm/l. Ces contraintes limitent l’utilisation de la voie veineuse périphérique à des NP de courte durée, généralement hypocaloriques. Il n’existe pas d’étude ayant démontré l’efficacité d’une nutrition parentérale périphérique. Néanmoins, les indications doivent être discutées au cas par cas, notamment dans l’attente de la reprise rapide d’une alimentation normale (chirurgie digestive simple) ou dans l’attente de la pleine efficacité d’une nutrition entérale débutée progressivement de manière simultanée. Ainsi, la décision de mener une NP par voie veineuse périphérique ou centrale dépend en grande partie de sa durée prévisible. Schématiquement une NP de durée égale ou inférieure à deux semaines peut être conduite par voie veineuse périphérique tandis qu’une NP d’une durée supérieure doit être réalisée par voie veineuse centrale [5]. Le choix de la nutrition doit se porter sur la moins hyperosmolaire possible (< 800 mOsm/l) avec l’ajout éventuel de 1000 UI d’héparine dans le perfusa [5, 8]. Un apport lipidique égal ou supérieur à 50 %de l’apport calorique est alors nécessaire pour réduire l’osmolarité de la solution nutritive puisque seules les émulsions lipidiques possèdent une osmolarité proche de celle du plasma. De plus, des études expérimentales animales ont montré un effet anti-thrombotique des émulsions lipidiques [5].

Quelques situations particulières

Certaines situations particulières ont fait l’objet de recommandations de la Société Européenne de Nutrition Parentérale et Entérale, l’ESPEN, en 2006 et 2009. Nous résumons ici quelques unes de ces recommandations.

Maladies inflammatoires intestinales

La dénutrition est fréquente au cours de la maladie de Crohn, mais également au cours de la recto-colite hémorragique active et elle s’accompagne de carences en vitamines et oligo-éléments. Les mécanismes sont multifactoriels et associent anorexie, inflammation systémique, augmentation des pertes digestives et selon les cas, augmentation du catabolisme protéique, induite par la corticothérapie. Les indications d’une assistance nutritionnelle (supplémentation orale, nutrition entérale ou parentérale) au cours des maladies inflammatoires chroniques intestinales ont fait l’objet de recommandations de l’ESPEN dans la mesure où la dénutrition a un impact négatif sur l’évolution de la maladie, le taux de complications postopératoires et la mortalité, cet impact ayant été démontré principalement au cours de la maladie de Crohn [10, 11].

Le traitement de la dénutrition fait appel en première intention à une supplémentation orale qui peut permettre un apport calorique supplémentaire atteignant jusqu’à 600 Kcal par jour (grade A). Si des apports plus importants sont nécessaires, les compléments oraux sont rarement suffisants et une nutrition entérale est indiquée (grade C), administrée par sonde nasogastrique ou gastrostomie percutanée (grade B).

Au cours de la maladie de Crohn, la NE a une efficacité spécifique dans la prise en charge de la poussée [12]. Le taux de réponse varie 53 à 80 %après 3 à 6 semaines de traitement, sans différence selon la localisation de la maladie. Chez l’adulte cependant, la corticothérapie est plus efficace [13]. La NE exclusive est donc indiquée chez l’adulte pour le traitement de la poussée principalement lorsqu’un traitement par corticoïdes n’est pas réalisable, en raison d’un refus du patient ou d’une intolérance (grade A).

La NP n’étant pas supérieure à la NE au cours de la poussée de maladie de Crohn, elle ne doit pas être utilisée en première intention. Par ailleurs, la nutrition parentérale exclusive, ayant pour objectif une mise au repos du tube digestif, n’a pas montré de supériorité par rapport à la NE [10, 11]. La nutrition parentérale doit donc être réservée aux contre-indications de la nutrition entérale, définies précédemment (occlusion, complications chirurgicales) ou aux cas d’intolérance. En cas de sténose serrée ou d’état subocclusif, la NE doit cependant être menée prudemment.

La nutrition entérale n’a montré aucune efficacité en tant que traitement spécifique de la RCH en poussée (grade C).

Syndrome de grêle court

Après une résection intestinale étendue, une nutrition parentérale est le plus souvent nécessaire au cours de la phase aiguë car les pertes hydroélectrolytiques et énergétiques sont souvent majeures. À moyen et long terme, une nutrition parentérale à domicile, est indiquée lorsque les capacités d’absorption de l’intestin restant sont insuffisantes pour couvrir la totalité des besoins [10]. Le degré d’autonomie orale peut être déterminé de façon précise par l’étude métabolique de l’absorption en alimentation orale libre chez des patients présentant le plus souvent une hyperphagie compensatrice. Après une période d’adaptation, environ la moitié des patients dépendant d’une nutrition parentérale initialement peuvent être sevrés de la NP, le degré de dépendance étant lié principalement à la longueur d’intestin grêle restant, à la présence ou non du colon en continuité et à l’existence d’une hyperphagie [14]. L’évaluation de l’insuffisance intestinale chronique secondaire au syndrome de grêle court est aujourd’hui médicalement possible : chez l’adulte, trois variables – 2 cliniques et 1 biochimique – permettent de distinguer l’insuffisance intestinale transitoire de l’insuffisance intestinale permanente :

  • (a) anatomie du grêle court : le sevrage de la NPAD peut être obtenu selon la longueur postduodénale du grêle restant – à condition qu’il soit sain et parfaitement fonctionnel –, laquelle dépend des 3 types anastomotiques principaux du SCG :
  • Entérostomie terminale (type I, pas de côlon en continuité), la longueur minimale d’intestin restant est de 100-150 cm ;
  • Anastomose jéjuno-colique (type II, partie du côlon en continuité) : 60-90 cm ;
  • Anastomose jéjuno-iléale (type III, tout le côlon en continuité) : 30-50 cm.

En pratique, pour les types I, II et III, le sevrage à la NPAD est acquis et pérenne dans de bonnes conditions – digestives et nutritionnelles – pour respectivement plus de 150, 100 et 50 cm de grêle restant sain. Le prérequis de cette autonomie orale est une hyperphagie compensatrice de la malabsorption : celle-ci est observée dans environ 2/3 des cas.

  • (b) durée de nutrition parentérale : la probabilité de sevrer un patient avec SGC est habituellement observée dans un délai d’environ 2 ans après rétablissement de la continuité digestive : cette probabilité de sevrage est< à10 % passé ce délai ce qui conduit alors de facto au diagnostic d’IIC permanente [13]. Ce délai de 2 ans correspond en pratique clinique à la période d’adaptation physiologique – sous contrôle de l’hyperphagie orale et de ses médiateurs neuro-hormonaux.
  • (c) taux plasmatique de citrulline : cet acide aminé non incorporé dans les peptides ou les protéines, inférieur à 20 µmol/l est significativement associé à l’IIC permanente passé la 2e année postrésection (période dite adaptative). Ce marqueur biochimique est significativement corrélé à la longueur de grêle restant post-duodénal et à l’absorption résiduelle du grêle avec une valeur prédictive négative et positive de l’IIC permanente respectivement de 86 % et 95 %.

Pancréatite aiguë

En cas de pancréatite peu sévère, il n’est pas recommandé d’assistance nutritionnelle si l’alimentation orale peut être reprise dans un délai de 5 à 7 jours (grade B) car il n’a pas été montré d’impact positif sur l’évolution (grade A). Toutefois, si l’alimentation orale ne peut pas être reprise dans ce délai en raison de douleurs abdominales persistantes, une NE doit alors être débutée (grade C) [15].

En cas de pancréatite sévère nécrosante, la dépense énergétique et le catabolisme protéique sont accrus. Une nutrition entérale est indiquée de façon précoce (grade A), y compris en cas de complications (ascite, fistules, pseudo-kystes) et doit être préférée en première intention à la NP. Plusieurs études ont montré que les complications étaient moins nombreuses chez les patients en NE par rapport aux patients en NP, entraînant une moindre incidence de la défaillance multiviscérale, du sepsis, des interventions chirurgicales et une réduction de la durée de séjour [3, 16]. L’hypothèse est que la NE, en réduisant la production de cytokines dans le territoire splanchnique et en modulant la réponse inflammatoire en phase aiguë, entraîne une réduction du catabolisme [3]. Par ailleurs, l’utilisation de modèles animaux a montré que la NE réduisait le phénomène de translocation bactérienne, mais cela n’a pas été démontré chez l’homme [15]. Si la nutrition par sonde naso-gastrique est mal tolérée, il est possible d’utiliser une sonde placée dans le jéjunum (grade C). Celle-ci peut être placée chirurgicalement si une intervention chirurgicale a lieu. Si les besoins ne sont pas couverts par la NE du fait d’une mauvaise tolérance, un apport complémentaire peut être apporté par voie parentérale (grade A).

Patients de réanimation

On peut considérer que les patients de réanimation partagent des critères communs, même si les pathologies, leur sévérité, les anomalies métaboliques, les types de traitements et les fonctions intestinales y sont par définition hétérogènes. Ces critères communs sont : la sévérité de la pathologie nécessitant une prise en charge intensive, une réponse inflammatoire responsable d’une défaillance d’au moins un organe ou bien une pathologie aiguë nécessitant une assistance des fonctions d’organes durant le séjour en soins intensifs. D’après les recommandations de l’ESPEN : « Tout patient ne pouvant s’alimenter en totalité dans les trois jours devrait recevoir une NE » (grade C). Les données en faveur d’un bénéfice de la nutrition entérale précoce (démarrée dans les 24-48 heures après l’admission en soins intensifs) restent controversées chez les patients en soins intensifs. Les experts recommandent cependant que les patients stables hémodynamiquement et ayant un tractus gastro-intestinal fonctionnel, devraient être nourris précocement (24 h), si possible avec un niveau d’apport suffisant (grade C), sans différence significative entre une nutrition entérale en site jéjunal ou gastrique chez les patients de réanimation (C). Néanmoins, la nutrition entérale est souvent de réalisation difficile en raison des troubles du transit, de la distension abdominale et les apports nutritionnels ne sont donc pas à leur niveau optimum [17]. Dans ce cas, la nutrition entérale doit être complétée par une nutrition parentérale si les apports cibles ne sont pas atteints dans les 2 jours (grade C) [18].

Oncologie

Compte-tenu de la fréquence de la dénutrition et de la cachexie cancéreuse, une évaluation nutritionnelle doit être systématique lors du diagnostic [19]. Bien que la NP apparaisse comme une solution relativement pratique chez les patients porteurs d’un dispositif veineux implanté, les complications infectieuses de celui-ci, les complications métaboliques ainsi que l’absence de preuves dans la littérature doivent faire peser les indications par rapport à l’utilisation d’une nutrition entérale. Quelques études ont montré l’intérêt de la NP en présence d’un syndrome occlusif (carcinose péritonéales, tumeurs ovariennes), mais la NP ne doit pas être utilisée en routine au cours des chimiothérapies et des radiothérapies (grade B) [19]. Une métaanalyse publiée en 2001 a montré une augmentation des complications chez les patients en NP par rapport aux patients ne bénéficiant d’aucun support nutritionnel, sans bénéfice sur la survie. Néanmoins, les essais pris en compte pour cette métaanalyse sont tous anciens avant 1999 et ils comparaient un groupe contrôle par rapport à un groupe bénéficiant d’un support nutritionnel représenté uniquement par une nutrition parentérale alors qu’une NE aurait parfois été possible. Par ailleurs, les traitements anticancéreux ont changé ainsi que les modalités de nutrition parentérale. Le bénéfice de la NP en oncologie semble donc lié à une sélection accrue des indications [19, 20].

Si on tient compte des recommandations d’Amérique du Nord, l’assistance nutritionnelle est indiquée si le patient est en cours de traitement anticancéreux, qu’il est dénutri, et chez qui on pense qu’il n’est pas capable d’ingérer ou d’absorber des nutriments pendant un certain temps (7 à 10 jours). Cette recommandation d’ordre B élargit un peu les indications de l’assistance nutritionnelle en oncologie.

En situation palliative, une NP peut se discuter chez un patient qui a un maintien de ces performances physiques, un obstacle digestif inopérable, une survie prévisible assez prolongée et l’absence de défaillance d’organe et pour lequel on estime que le décès pourrait être lié d’abord à la dénutrition qu’à la progression de la maladie tumorale. La nutrition est chargée de symboles et la décision du support nutritionnel doit tenir compte de paramètres autres que médicaux. Le choix de débuter une NP dans cette indication implique une volonté du patient et de son entourage d’accepter une telle thérapeutique et nécessite que l’on puisse en attendre un bénéfice en termes de qualité de vie (grade C).

Conclusions

Si les progrès dans la prise en charge des malades en nutrition artificielle ont été majeurs au cours des 20 dernières années, l’expérience clinique montre encore de nombreuses erreurs commises quant à l’indication même du type d’assistance nutritionnelle et de ses modalités d’administration par méconnaissance du prescripteur et par l’absence de protocoles spécifiques de traitement. Les acteurs sont nombreux, infirmières, pharmaciens, diététiciens, prestataires de service, systèmes d’hospitalisation à domicile, mais le médecin prescripteur ne doit pas oublier qu’il est responsable de sa prescription et que la nutrition artificielle constitue une thérapeutique à part entière.

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Les 4 points forts

  1. Le recours à une assistance nutritionnelle est envisagé lorsqu’il existe une dénutrition ou que celle-ci est prévisible à court terme alors que les apports alimentaires spontanés du patient n’atteignent pas un niveau suffisant pour couvrir les besoins.
  2. La nutrition entérale doit toujours être privilégiée à la nutrition parentérale. Les contre-indications formelles à la nutrition entérale sont les suivantes : occlusion intestinale organique, vomissements répétés ou incoercibles, surface absorbante intestinale effective insuffisante.
  3. La nutrition parentérale périphérique ne peut être que de courte durée et impose un capital veineux des membres supérieurs suffisant avec une surveillance rigoureuse, des apports énergétiques modérés avec tolérance cardiovasculaire d’un apport volumique important
  4. La mise en place d’une nutrition artificielle nécessite des protocoles écrits, rigoureusement contrôlés et appliqués par l’équipe soignante, elle-même intégrée à une équipe de nutrition thérapeutique.