[Atelier] Lésions anopérineales de la maladie de Crohn : diagnostic

Objectifs

Connaître les lésions anales élémentaires de la maladie de Crohn et leur histoire naturelle

Savoir quand suspecter des lésions anales au cours de la maladie de Crohn

Quand suspecter une maladie de Crohn devant des lésions anales apparemment isolées

Quelles places pour les explorations endoscopiques et radiologiques ?

Introduction

Les lésions anopérinéales sont d’importants signes d’appel et du diagnostic de la maladie de Crohn[1]. Si les données phénotypiques de la maladie de Crohn luminale sont aujourd’hui bien documentées, celles de la maladie anale restent insuffisamment décrites. Les raisons sont certainement nombreuses qui sont liées à l’absence d’évocation des plaintes jugées honteuses par les malades, à une méconnaissance régulière de la sémiologie élémentaire proctologique par de nombreux praticiens, à la diffusion confidentielle des classifications ­anatomiques et cliniques des lésions anales et à des protocoles d’imagerie peu développés. Pour ces raisons, l’épidémiologie des lésions anales reste fragmentaire et incomplète. Les essais thérapeutiques spécifiquement dédiés à la prise en charge thérapeutique des lésions anopérinéales sont peu nombreux. Ainsi, il est apparu judicieux de développer les données élémentaires utiles à décrire et à caractériser les lésions anales.

Connaître les lésions anales élémentaires de la maladie de Crohn et leur histoire naturelle

La maladie de Crohn s’exprime, au niveau anopérinéal, par trois types de lésions : les fissurations ou ulcérations, les suppurations et les sténoses. Ces trois lésions cardinales constituent la base de la classification anatomique descriptive utilisée en pratique courante (classification UFS ou classi­fication de Cardiff)[2]. D’autres ­manifestations indirectes (œdèmes, marisques) ou plus rares (pyodermagangrenosum, syndrome de Sweet) sont également décrites. Les ulcérations sont habituellement multiples, reposent sur un tissu inflammatoire, ont des berges décollées et œdémateuses isolées ou associées à des marisques. Elles peuvent se développer dans le canal anal mais elles intéressent souvent sa portion sus pectinéale et ont une extension à la fois en hauteur et en profondeur en regard du sphincter anal interne. Elles ont parfois une diffusion périnéale, interfessière scrotale ou vulvaire[3]. Les suppurations peuvent se manifester par des abcès sous tension et/ou des fistules productives ; les trajets sont souvent multiples, complexes dans leur distribution (fistules doubles, trajet en fer à cheval) et dans leur extension (intramurale ou dans l’espace pelvirectal supérieur). Les sténoses peuvent être courtes comme des diaphragmes fibreux mais elles peuvent être longues et inflammatoires. Elles touchent le plus habituellement le bas rectum et la partie haute du canal anal. Les ulcérations sont isolées dans moins d’un tiers des cas et les sténoses moins d’une fois sur dix : des phénomènes suppuratifs sont donc fréquents et doivent faire l’objet d’une recherche et d’une identification attentive. Les suppurations anales concernent environ un malade sur cinq et les lésions non suppuratives près d’un malade sur trois après dix ans d’évolution d’une maladie luminale initialement isolée. Les ulcérations témoignent plus habituellement d’une maladie de Crohn active non contrôlée avec une bonne corrélation avec les indices d’activité de la maladie luminale[1]. En revanche, l’expression phénotypique des lésions anopérinéales et celle de la maladie luminale sont mal corrélées ; finalement, l’atteinte rectale est fréquente chez les malades ayant des lésions anales. Les lésions anales représentent des facteurs de moins bon pronostic chez les malades ayant une maladie de Crohn : le risque de voir la maladie se compliquer au cours du suivi est multiplié par deux par rapport aux malades n’ayant pas de lésion anale. La chirurgie proctologique représente plus de la moitié des indications chirurgicales pour traitement de la maladie de Crohn.

Savoir quand suspecter des lésions anales au cours de la maladie de Crohn

Contrairement à une opinion répandue, les lésions anales de la maladie de Crohn sont symptomatiques même si elles ne dominent pas l’expression symptomatique de la maladie. Le praticien doit rechercher les symptômes anaux même les plus discrets et conduire un examen clinique dans de bonnes conditions. Les symptômes cardinaux sont les suintements et écoulements, l’inconfort palpatoire, les douleurs et leur retentissement sur la sexualité : ces éléments entrent dans le score anatomoclinique de quantification des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn (Perineal Disease Activity Index)[3]. Les douleurs, le spasme sphinctérien et les réticences du malade limitent parfois la qualité de l’exploration. Il doit apporter une attention particulière aux œdèmes localisés et aux marisques inflammatoires parce qu’elles constituent la partie externe d’une ulcération canalaire creusante que seul le déplissage doux des plis radiés permettra de révéler. Les suppurations sont plus souvent palpables que visibles ; c’est pourquoi le clinicien doit s’attacher à rechercher une induration sensible ou une asymétrie palpatoire des fosses ischio anales.

Quand suspecter une maladie de Crohn devant des lésions anales apparemment isolées ?

Le diagnostic de maladie de Crohn peut être posé sur l’aspect des lésions anales lorsque celles-ci sont typiques. Les éléments sémiologiques des ulcérations est déterminante : ulcérations larges, extensives et berges œdémateuses ou décollées. La topographie lésionnelle et tout particulièrement l’extension sus pectinéale ou son caractère latéral doit faire évoquer le diagnostic. Enfin les retards de cicatrisation après une première chirurgie sont parfois les premiers signes d’une maladie qui n’a pas d’autre expression. La certitude diagnostique peut être délicate à acquérir en l’absence de signe d’atteinte luminale ou de signature histologique.

Quelles places pour les explorations endoscopiques et radiologiques ?

Le recours aux explorations complémentaires est utile dans trois situations :

  • pour étayer un diagnostic évoqué sur les seuls éléments de la sémiologie anale (ilécocoloscopie, endoscopie haute, entéroIRM et/ou échographie de première intention) ;
  • pour préciser le niveau de l’atteinte suppurative quand l’examen clinique est limité ou jugé insuffisant[4]. Trois examens de référence sont accessibles : l’IRM pour la qualité de son imagerie (notamment 3 Teslas) et son caractère non invasif, l’échographie endocavitaire parce qu’elle permet souvent une analyse assez précise des voies de diffusion de l’infection (orifice interne, sphincter et espace inter­sphinctérien) et l’exploration chirurgicale sous anesthésie générale notamment lorsqu’une diffusion intramurale de la suppuration est suspectée[5]. Ces méthodes ont une sensibilité proche et leur association améliore encore la sensibilité diagnostique. À chaque fois que cela est possible, l’IRM doit être privilégiée et des scores anatomiques peuvent être utilisés (score de Van Asche) ;
  • dans le cas particulier de sténoses longues anorectales avant dilatation ou lorsque la perspective d’une greffe néoplasique existe.

Conclusions

Les lésions anopérinéales de la maladie de Crohn sont fréquentes : elles grèvent à la fois le pronostic de la maladie de Crohn et la qualité de vie des malades. Ces lésions sont le plus souvent accessibles à un examen clinique simple, rapide et non invasif. Le recueil systématique et le suivi de telles lésions apparaissent donc pleinement justifiés.

Références

  1. Siproudhis L, Mortaji A, Mary JY, Juguet F, Bretagne JF, Gosselin M. Anal lesions: any significant prognosis in Crohn’s disease? European journal of gastroenterology & hepatology 1997; 9:239-43.
  2. Hughes LE. Clinical classification of perianal Crohn’s disease. Diseases of the colon and rectum 1992;35:928-32.
  3. Bouguen G, Siproudhis L, Bretagne JF, Bigard MA, Peyrin-Biroulet L. Nonfistulizing perianal Crohn’s disease: clinical features, epidemiology, and treatment. Inflammatory bowel diseases 2010;16:1431-42.
  4. Orsoni P, Barthet M, Portier F, Panuel M, Desjeux A, Grimaud JC. Prospective comparison of endosonography, magnetic resonance imaging and surgical findings in anorectal fistula and abscess complicating Crohn’s disease. The British journal of surgery 1999;86:360-4.
  5. Losco A, Vigano C, Conte D, Cesana BM, Basilisco G. Assessing the activity of perianal Crohn’s disease: comparison of clinical indices and computer-assisted anal ultrasound. Inflammatory bowel diseases 2009;15:742-9.