Rééducations et troubles fonctionnels anorectaux

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les indications dans la dyschésie et dans l’incontinence anale
  • Savoir comment la prescrire
  • Connaître les résultats dans la ­dyschésie et dans l’incontinence anale et en post-partum

Introduction

Parmi l’éventail thérapeutique des troubles fonctionnels pelviens, la ­rééducation périnéale occupe une place importante, parce qu’elle est logique dans le traitement des troubles de la continence et de l’évacuation sans induire de morbidité. Elle est le plus souvent réalisée en France par des corps professionnels identifiés (kinésithérapeutes, sages-femmes) qui en assurent la promotion. On entend par rééducation tous les procédés physiques qui sont en mesure d’assurer un renforcement des capacités fonctionnelles des muscles striés du plancher pelvien et des sphincters, d’une part et de la sensibilité rectale à la distension, d’autre part. Elle regroupe des pro­cédés aussi divers que les méthodes et conseils comportementaux, les ­exercices musculaires, la stimulation électrique (ou électrostimulation), la rééducation proprioceptive et coordination des muscles du pelvis et la ­sensibilité viscérale à la distension. Trois champs de prise en charge ­thérapeutiques sont aujourd’hui bien identifiés : celui des troubles de la continence, celui des troubles de ­l’évacuation anorectale et le cas particulier de prévention ou de correction des troubles fonctionnels pelviens du post-partum. Ces trois grandes indications sont analysées à la lumière des données validées de la littérature dans une perspective de recommandation pour la pratique clinique.

Rééducation et incontinence

L’incontinence fécale n’est pas une maladie : c’est un symptôme dont l’expression clinique et les mécanismes qui en sont responsables sont très variables. Elle est définie par une perte per anale involontaire d’une ­partie du contenu intestinal (gaz, mucus, selles liquides, selles solides). Ses pertes peuvent survenir dans un contexte d’envie défécatoire non contrôlée (incontinence par impé­riosité) ou de façon insidieuse, la ­personne malade s’en rendant compte après coup (incontinence passive). Contrairement à une opinion très répandue, l’incontinence fécale n’est pas l’apanage des femmes âgées ­multipares. Les facteurs de risque d’incontinence les mieux documentés sont les traumatismes obstétricaux, la chirurgie anale et les troubles de la statique pelvienne (prolapsus rectal périnée descendant), les causes ­neurologiques centrales et péri­phériques ainsi que les troubles des ­fonctions cognitives, les handicaps moteur et les troubles du transit. Les données physiologiques (manométrie anorectale) suggèrent une diminution des pressions de repos et de contraction volontaire du canal anal, une diminution de la compliance et de la sensibilité à la distension isovolumique du rectum. Les méthodes ­thérapeutiques de première intention reposent sur la régularisation du ­transit et de la consistance des selles, l’amélioration de la qualité de ­l’évacuation rectale et les méthodes comportementales essentiellement représentées par la rééducation par méthode de biofeedback.

Données disponibles publiées

Il existe 474 publications faisant référence au biofeedback dans le traitement de l’incontinence fécale dont 22 essais contrôlés randomisés et 3 analyses systématiques de la litté­rature.

Modalités de réalisation de la rééducation dans le champ de l’incontinence fécale

Les méthodes de rééducation des troubles de la continence varient d’une étude à l’autre et d’un centre à l’autre rendant leur comparabilité délicate. De façon synthétique, les méthodes rééducatives reposent sur les contractions musculaires, le ­biofeedback, la rééducation sensitive du rectum et la stimulation électrique sphinctérienne [1]. La première méthode a pour objectif une meilleure commande contractile des muscles striés en amplitude et en durée ­associée à une meilleure coordination abdominopelvienne. La méthode de biofeedback apporte une information visuelle et auditive facilitatrice. La distension rectale par ballonnet permet de ­modifier les seuils de sensation et d’apporter une meilleure coordination en situation de réplétion rectale. Finalement, l’électrostimulation a pour objectif d’obtenir une activité contractile impliquant la musculature striée et lisse de l’appareil sphinc­térien. Cette méthode est sensée ­compenser les carences de la première méthode. En effet, l’activité contractile volontaire des exercices musculaires stimule les fibres IIa et IIb de muscles striés sphinctériens, alors que les fibres de type I sont majoritaires (75 %). Les innovations technologiques permettent aujourd’hui le recours à des méthodes de stimulation, modulant l’amplitude de stimulation et reposant sur des courants électriques de fréquence intermédiaire (MF), couplées à un biofeedback par méthode électromyographique. Cette technique de prise en charge, dite triple cible (3T pour « triple target ») permet de ­stimuler les fibres dites lentes ou toniques, les fibres rapides ainsi que leur contrôle neurologique central et ­périphérique [2].

Efficacité symptomatique

Chez l’adulte sans maladie neurologique

Dans le champ de la prise en charge de l’incontinence fécale de l’adulte et après la mise en application du ­programme thérapeutique, un malade sur deux tire un bénéfice sympto­matique. La fréquence des épisodes d’incontinence par impériosité et ­d’incontinence passive, la proportion d’accident d’incontinence pour les selles solides, le volume des accidents d’incontinence et la proportion de malades portant des garnitures ­diminuent de façon significative. Ces résultats se maintiennent un an après la fin de la prise en charge théra­peutique [3]. On dispose d’une ­métaanalyse des essais randomisés publiés avant 2006 qui soulignent l’hétérogénéité des études, des modes de prise en charge et des moyens d’évaluation. En dépit d’une amélioration symptomatique globale ­comparable dans les essais randomisés et les essais ouverts, le bénéfice propre des méthodes de rééducation, les unes par rapport aux autres, est mince ou inexistant. De fait, les auteurs ne peuvent recommander une méthode par rapport à l’autre dans la prise en charge rééducative de l’incontinence [4].

Un vaste essai contrôlé randomisé ­londonien a comparé l’efficacité de quatre méthodes de prise en charge de l’incontinence fécale chez 171 malades (12 hommes, 159 femmes, âge médian : 56 ans, ext : 26-85 ans) : conseils simples (entretien et conseils pendant 45 à 60 minutes reconduit jusqu’à 9 fois pendant la durée de l’étude), conseils simples associés à des ­exercices musculaires périnéaux (idem avec exercices de contraction volontaire anale quotidiens sous contrôle digital), conseils et des exercices ­musculaires contrôlés par méthode de ­biofeedback en séance externe (mesure manométrique), conseils associés à des exercices musculaires périnéaux contrôlés par méthode de biofeedback utilisant à la fois une méthode de recueil du signal manométrique lors des séances externes et une méthode de recueil du signal électromyo­graphique à la maison. Les méthodes ­rééducatives par technique de biofeedback n’apportaient pas de bénéfice supérieur à l’approche thérapeutique la plus simple. Il n’existait en effet aucune différence entre les groupes dans l’évaluation de la fréquence des épisodes d’incontinence (de 2 à 0 par semaine ; p < 0,001) et de la variation des scores médians d’incontinence (score médian 11 avant, 8 après) [3].

Un essai contrôlé multicentrique allemand (N = 158) a étudié le bénéfice symptomatique d’une rééducation optimisée, reposant sur un biofeedback électromyographique couplé à une électrostimulation de fréquence moyenne, dans le cadre d’un protocole triple cible. Par rapport aux exercices musculaires volontaires, cette méthode permettait de diminuer de façon plus franche les troubles de la continence et le gain thérapeutique était supérieur après un suivi de neuf mois. à trois mois, la moitié des malades étaient continents (versus un quart dans le groupe biofeedback électromyographique simple) [2]. Les conclusions de cet essai vont à l’encontre des résultats (négatif) d’un autre essai contrôlé de plus petit effectif (N = 54) utilisant la même méthodologie [5]. Un vaste essai contrôlé randomisé (N = 168) a ­comparé l’efficacité du biofeedback sensitif de coordination anorectale à la distension rectale à celui d’exercices musculaires simples. Dans ce travail, les biais des traitements des troubles du transit étaient contrôlés par une phase préalable de prise en charge médicamenteuse. Les scores de qualité de vie s’amélioraient de façon plus importante dans le groupe ayant un biofeedback sensitif et la proportion de malades ayant une continence ­parfaite au terme de trois mois de suivi était de 44 % (versus 22 %) [6]. Ces trois études sont remarquables pour leur qualité méthodologique mais l’étude londonienne manque clairement de puissance statistique pour affirmer l’hypothèse d’équivalence des différents modes de prise en charge [7] et l’étude allemande souffre d’une ­longueur et d’une lourdeur de prise en charge : l’efficacité thérapeutique n’est jugée à 9 mois que sur moins de 40 % des malades du groupe triple cible [8].

Actuellement, les exercices de contraction musculaires restent recommandés chez les malades souffrant d’une incontinence fécale au même titre que les autres méthodes thérapeutiques conservatrices du fait de sa faible morbidité et de son faible coût (grade C). Les méthodes reposant sur le biofeedback sont recommandées en cas d’échec des méthodes dites conservatrices. Cette recommandation repose sur les résultats des essais non contrôlés, mais pas sur ceux des résultats contrôlés. Une méthode rééducative ne peut être privilégiée sur les autres en l’absence de niveau de preuve scientifique encore suffisant (Grade C) [9].

Chez les malades souffrant de troubles de la continence dans le cadre de maladies neurologiques

Whitehead et al. se sont intéressés au bénéfice des méthodes de rééducation par biofeedback chez 33 enfants ayant les séquelles neurologiques d’un spina bifida. La prise en charge globale intégrant les méthodes médicamenteuses rééducatives et le biofeedback permettent une amélioration des troubles de la continence de plus de 50 % chez deux tiers des enfants. En revanche, le bénéfice n’est imputable au biofeedback que chez un quart des enfants et, notamment ceux qui ont au moins deux selles par jour et un niveau lésionnel en dessous de L2 [10]. Aucun travail n’est rapporté chez l’adulte ayant un spina bifida. En 2006, ­l’analyse systématique des données scientifiques disponibles s’attachant au traitement des troubles de la continence ou de la défécation chez le malade neurologique ne retenait aucune étude concernant le biofeedback [11].

Rééducation et constipation

D’un point de vue pathogénique, la constipation fonctionnelle reconnaît deux principaux mécanismes qui sont les troubles de la progression du contenu luminal colique en rapport avec des anomalies motrices (constipation de transit) et des troubles de l’évacuation en rapport avec des ­anomalies fonctionnelles anorectales (constipation d’évacuation). La ­rééducation par méthode de biofeedback repose sur des méthodes visuelles et/ou auditives dont l’objectif prin­cipal est la compréhension puis la ­modification volontaire de troubles de la sensibilité ou de la motricité. Dans le domaine des troubles fonctionnels anorectaux, cette technique est fréquemment proposée aux malades se plaignant d’incontinence fécale ou de constipation d’évacuation.

Données disponibles publiées.

Il existe 430 publications faisant ­référence au biofeedback et à la constipation dont 31 essais contrôlés randomisés et/ou analyses systé­matiques de la littérature.

Modalités de réalisation de la rééducation

Le biofeedback est une méthode de prise en charge thérapeutique comportementale visant à un recondition­nement d’une défécation efficace. Elle repose sur des supports visuels et auditifs qui permettent de faire prendre conscience à la personne malade du trouble fonctionnel ano­rectal dont elle souffre, afin qu’elle puisse opérer elle-même des modifications volontaires visant à corriger le trouble. Si les techniques de rééducation sont décrites variablement en fonction des équipes qui les utilisent, on peut ­schématiquement reconnaître trois types de support et trois grandes méthodes de prise en charge. Les premiers sont reconnus sous le terme de biofeedback par recueil du signal sphinctérien par électromyographie, biofeedback par recueil du signal sphinctérien par manométrie et enfin par technique de stimulation rectale par ballonnet dite biofeedback sensitif. Avec la première méthode, des électrodes de contact sont positionnées au niveau des muscles du périnée ou du canal anal. L’activité motrice de ces muscles est analysée en contraction par le recueil de l’activité électromyographique transformée en signal visuel et/ou auditif. Les personnes ­rééduquées sont invitées à apprendre à relâcher ces muscles pelviens, lors d’une défécation simulée et harmoniser la qualité de la dynamique d’évacuation (contraction abdominale adaptée pour obtenir une poussée correcte). La manométrie ­utilise le recueil des pressions du canal anal qui sont le reflet indirect de ­l’activité contractile des sphincters de l’anus. Son objectif de rééducation est comparable. La méthode de biofeedback sensitif poursuit un autre objectif : celui d’améliorer les perceptions de réplétion rectale et de coordonner la synergie abdominopelvienne à ­partir de ces perceptions sensitives. Cette dernière méthode peut être ­utilisée ­isolément ou en association avec l’une des deux premières [12].

Efficacité symptomatique

Chez l’adulte sans maladie neurologique

Dans le champ de la prise en charge de la constipation de l’adulte, c’est chez les malades ayant un anisme ou une dyssynergie abdominopelvienne que la méthode de rééducation semble la plus logique. Les données des essais ouverts montrent que cette méthode permet une efficacité chez près de 70 % des malades traités. Une analyse systématique récente de la littérature a permis de retenir 7 essais contrôlés randomisés : elle autorise quelques éléments de réponse quant à la méthode à privilégier et les résultats thérapeutiques attendus. La technique de biofeedback permet d’obtenir un niveau d’amélioration symptomatique 5 à 6 fois supérieur au traitement conventionnel de la constipation (laxatifs et conseils) chez les malades ayant une dyssynergie abdomino­pelvienne. Il est difficile de préciser quelle méthode de rééducation doit être privilégiée parce que les études sont peu nombreuses et leur comparabilité est hétérogène. On peut ­néanmoins suggérer que la plupart des essais randomisés ont utilisé les méthodes électromyographiques : celles-ci semblent 7 fois plus efficaces que les méthodes rééducatives ne reposant pas sur l’électro­myographie [13]. Un des travaux méthodologiquement les mieux menés est celui de Chiarioni et al. parce qu’il comparait les résultats de l’approche rééducative par biofeedback (EMG) à celle d’un simple traitement laxatif chez 109 patients [14]. à 6 mois, 43 des 50 malades traités par biofeedback (80 %) notaient une amélioration importante ou une disparition de leurs troubles de l’évacuation contre 12 sur 55 (22 %) dans le groupe contrôle. La méthode rééducative permettait de diminuer de façon significative les efforts de poussée, la sensation de ­blocage anal ou d’évacuation incomplète. Le recours à des lavements et des suppositoires était plus rare, de même que la prévalence de douleurs abdominales. Ce bénéfice se ­maintenait à 12 et 24 mois. Ces mêmes auteurs montraient, dans un autre travail, la rééducation par biofeedback n’était efficace que chez les constipés ayant des difficultés d’évacuation en rapport avec une dyssynergie abdomino­pelvienne. Chez les malades ayant une constipation de transit dominante, la méthode n’était pas efficace [15]. On peut conclure que la rééducation par méthode de biofeedback est efficace dans le traitement de la constipation en rapport avec une dyssynergie anorectale ou anisme.

Chez l’enfant sans maladie neurologique

Chez les enfants qui souffrent d’encoprésie, le traitement repose habituellement sur l’association d’une prise en charge psychothérapique, de règles d’hygiène défécatoire, de laxatifs et de méthodes de rééducation de la mécanique défécatoire. Cette attitude est encore renforcée par le fait qu’au moins la moitié des enfants encoprétiques ont une contraction inappropriée du sphincter anal externe lors des défécations. Trois essais contrôlés randomisés ont testé l’efficacité des méthodes de rééducation en essayant de quantifier ce qu’elles apportaient de plus qu’une prise en charge médicamenteuse simple [16-18]. La méthodologie était rigoureuse (randomisation) et comparable dans les trois essais ; le nombre de jeunes patients évalués était important (N = 129, N = 192, N = 68) et le suivi variait pour le critère de jugement principal entre 6 mois et 4,5 ans. Une étude n’a évalué le bénéfice de la rééducation que chez les enfants ayant une contraction inadaptée sphinctérienne lors de la défécation (anisme) [18]. Pour chacun des trois essais, le ­bénéfice apporté par les techniques de rééducation n’est pas significatif, que le critère analysé soit la proportion d’enfants asymptomatiques à 6 mois, la proportion d’enfants n’ayant plus recours aux laxatifs, ceux ayant une persistance de suintements, la proportion des enfants qui gardent un anisme manométrique, ou encore ceux qui ont une physiologie défécatoire normale. Après un an de suivi, une rémission symptomatique acceptable définie par au moins 3 selles par semaine et moins de deux accidents d’incontinence par mois est observée chez la moitié des enfants, qu’il y ait eu une prise en charge par biofeedback ou non [17].

De façon plus polémique, une méta­analyse issue de 9 essais contrôlés évaluant l’efficacité des thérapeutiques comportementales et/ou ­cognitives dans la prise en charge des troubles fonctionnels anorectaux de l’enfant suggère un effet significativement délétère de telles procédures par rapport aux thérapeutiques conventionnelles : la persistance de symptômes résiduels était observée dans une proportion supérieure quand la rééducation par biofeedback était associée au traitement conventionnel (Odds Ratio 1,34 IC 95 % 0,92-1,94). Dans l’attente de nouvelles données, la littérature scientifique actuelle invite à ne plus recommander (et peut-être à se méfier) de la rééducation ­instrumentale de type biofeedback dans la prise en charge de l’enco­présie [19].

Chez les malades souffrant de troubles du transit en rapport avec une lésion médullaire

Parmi les 24 enfants ayant un spina bifida occulta et traités par méthode de biofeedback et électrostimulation pour constipation ou encoprésie, 19 ont vu leurs symptômes s’améliorer dans une étude de cas [20]. Parmi les douze enfants traités pour des troubles de l’évacuation et de la continence dans le cadre d’un myéloméningocèle, huit ont fait l’objet d’une prise en charge par biofeedback et trois se sont ­améliorés. Trois des quatre enfants du groupe contrôle déclaraient également une amélioration dans cette étude prospective comparative de faible effectif. Aucun des paramètres de la manométrie anorectale n’a été modifié par la prise en charge [21].

En 2006, l’analyse systématique des données scientifiques disponibles ­s’attachant au traitement des troubles de la continence ou de la défécation chez le malade neurologique ne ­retenait aucune étude concernant le biofeedback [11].

Dans un travail rétrospectif qui s’est attaché à quantifier le bénéfice de la rééducation par biofeedback chez 14 adultes ayant des lésions médullaires sans trouble majeur de la marche, le bénéfice de la rééducation chez ces malades était faible (29 %) comparé à celui observé chez ceux ayant une atteinte radiculaire (63 %) ou chez ceux n’ayant pas de lésion neurologique (62 %) [22].

Rééducation du post-partum

La grossesse et l’accouchement induisent des contraintes périnéales importantes induisant une fragili­sation fonctionnelle et anatomique du pelvis féminin. Les troubles fonctionnels pelviens sont fréquents après accouchement par voie basse, qu’il s’agisse de phénomènes ­d’incontinence urinaire d’effort (une fois sur deux)

et/ou de d’incontinence fécale (une fois sur sept) [23]. Les troubles de la ­continence fécale concernent près d’une primipare sur dix : les facteurs de risque aujourd’hui admis sont les déchirures périnéales de degré III, l’extraction instrumentale par forceps et dans certaines études mais non toutes, le nombre d’accouchement, le poids du bébé, la durée du travail, ­certaines différences ethniques [24]. Les troubles de la continence fécale persistent dans la moitié des cas 6 ans après l’accouchement : la délivrance par forceps des primipares y paie un lourd tribut [24].

Dans ce contexte alarmant, les obstétriciens et les sages-femmes ­prescrivent systématiquement une rééducation périnéale du post-partum afin de ­prévenir ou de corriger les troubles de la continence induits par l’accou­chement. Il s’agit d’une procédure de bon sens, traditionnellement ancrée dans les pratiques de soins et complètement prise en charge par les organismes payeurs d’assurances maladies. Pour autant, le bénéfice de telles ­procédures est remis en cause par des études récentes.

Données disponibles

Cathryn Glazener et al. se sont intéressés au bénéfice de stratégies de rééducation et d’exercices périnéaux chez les femmes qui décrivaient des troubles de la continence urinaire après accouchement [24]. Ce vaste essai contrôlé (versus pas de prise en charge) a permis une analyse du ­bénéfice de la stratégie active (5,7 et 9 mois), un et six ans après l’accouchement index de femmes souffrant au minimum d’une incontinence ­urinaire de novo (N = 747). Le bénéfice de la rééducation entreprise était significativement en faveur du groupe rééduqué, par rapport au groupe contrôle, lors du suivi à un an. Les proportions de troubles de la continence urinaire (60 % vs 69 %) et fécale (4 versus 11 %) y étaient respecti­vement moindres. En revanche, le bénéfice ne se maintenait pas au terme d’un suivi de 6 ans : les trois quarts des malades souffrant d’une incontinence urinaire restaient handicapés, et la proportion des malades souffrant d’incontinence était inchangée par rapport aux données recueillies trois mois après l’accouchement (13,9 % versus 15,7 %). Une étude prospective randomisée récente a analysé l’impact de la rééducation du périnée durant le troisième trimestre de la grossesse et le post-partum de 300 primipares [25]. Les exercices rééducatifs étaient principalement basés sur des contractions volontaires et un programme d’éducation thérapeutique. L’incidence des impériosités et celle des troubles de la continence urinaire étaient ­significativement réduits d’un tiers dans le groupe intervention par ­rapport au groupe contrôle, à la fois pendant le dernier trimestre de la grossesse et dans les six mois qui suivent l’accouchement. S’appuyant sur une méthodologie et un nombre de femmes similaires, un autre travail ne mettait pas en évidence de différence statistiquement ­significative [26]. Malheureusement, les auteurs de ces deux travaux récents ne rapportent pas le recueil des troubles fonctionnels anorectaux.

Si les techniques rééducatives sont un support fréquent de prise en charge thérapeutique des troubles fonctionnels pelviens, leur mode de réalisation et leurs évaluations restent hété­rogènes. Le bénéfice peut être statistiquement atteint sans que l’apport clinique soit très pertinent par rapport à une prise en charge plus simple. La validation des prescriptions systématiques après accouchement n’est pas scientifiquement acquise : elle mériterait en France des évaluations ­fonctionnelles et médicoéconomiques rationnelles qui font encore défaut.

Conclusions

La rééducation par méthode de ­biofeedback est classiquement très prescrite chez les malades souffrant de troubles de la continence fécale ou chez les parturientes, alors même que les données de la littérature scientifique peinent à apporter la preuve de son efficacité. à l’inverse, cette méthode a une efficacité bien démontrée dans le traitement de la consti­pation et ses indications sont précises (constipation terminale). Dans ce ­dernier champ, la dissémination de la méthode devrait être encouragée alors qu’elle reste insuffisamment pratiquée par les kinésithérapeutes.

Références

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Les 5 points forts

  1. Les méthodes de rééducation reposent sur la correction à la fois des troubles de la commande volontaire des muscles striés pelviens et ceux de la sensibilité rectale à la distension.
  2. Elles sont nombreuses et leur réalisation hétérogène : il est difficile d’en privilégier une sur les autres.
  3. Le bénéfice de la rééducation dans le traitement de l’incontinence fécale est incertain par rapport aux mesures hygiéno-diététiques et aux ­traitements médicamenteux. Néanmoins cette stratégie est recommandée.
  4. Le bénéfice de la rééducation pour  le traitement de la constipation ­d’évacuation par dyssynergie anorectale est franc : il est supérieur aux traitements laxatifs à court et à long terme.
  5. La rééducation périnéale systématique du post-partum est prescrite mais elle n’a pas de validation scientifique.