[Atelier] Douleurs abdominales difficiles

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les cadres pathogéniques des douleurs abdominales inexpliquées
  • Connaître les éléments sémio­logiques et cliniques utiles pour orienter la démarche diagnostique des douleurs abdominales inhabituelles
  • Savoir quels examens complémentaires spécifiques demander dans cette situation
  • Pouvoir décliner un algorithme de démarche diagnostique simple en cas de douleur abdominale inexpliquée

La douleur abdominale est un motif fréquent de consultation en gastro­entérologie. Dans la majorité des cas, l’interrogatoire, l’examen clinique, les bilans biologiques courants et les techniques d’imagerie (endoscopie, échographie, scanner) permettent de poser un diagnostic chez des patients consultant pour une douleur abdominale aiguë ou chronique. Parfois, aucun diagnostic ne peut être posé. Très schématiquement, plusieurs situations peuvent se rencontrer. Dans toutes ces situations, il est primordial de faire un examen clinique complet, y compris neurologique.

Douleurs abdominales aiguës sans fièvre

Douleurs d’origine métabolique

Certains désordres métaboliques peuvent se révéler par des douleurs abdominales aiguës isolées, d’autant plus que l’anomalie est d’installation rapide. Ces causes doivent être connues car pouvant mettre en jeu le pronostic vital immédiat, en l’absence de mesure corrective. Il faut réaliser systématiquement un ionogramme sanguin, un dosage de la calcémie avec mesure du calcium corrigé [Cac = Ca-0,025 (Albuminémie g/L-40)] et une glycémie.

Les principales anomalies biologiques pouvant être responsables de douleurs abdominales sont :

  • une hypokaliémie ou une hyper­calcémie, dans ce cas le risque de troubles du rythme est au premier plan, un ECG est indispensable ;
  • une acidocétose diabétique souvent révélatrice d’un diabète ;
  • une hyponatrémie isolée n’est pas responsable de douleur abdominale, elle est fréquente au cours des crises de porphyrie aiguë intermittente. Une hyponatrémie associée à une hypokaliémie et une acidose doivent faire évoquer une insuffisance surrénale aiguë. Cette étiologie est rare, sauf chez les patients recevant des corticoïdes et ayant fait un sevrage trop rapide ou associé à un stress.

Une hyponatrémie par sécrétion inappropriée d’ADH est fréquente au cours des crises de porphyrie aiguë intermittente (PAI) [1]. Il s’agit d’une cause classique, mais rare, de douleur abdominale aiguë liée à une mutation de la PBG désaminase, enzyme clé dans la synthèse de l’hème. La PAI est une maladie monogénique dominante, la prévalence du gène muté est de 1/1 000, donc assez fréquente, mais sa pénétrance est beaucoup plus faible. On estime que 75 000 patients sont symptomatiques en Europe, l’incidence des nouveaux cas est de 0,13 par million d’habitants en France. La crise se manifeste par des douleurs abdominales intenses associées à des manifestations neurologiques (paresthésie, faiblesse musculaire, paralysie) ou psychiatriques. Elle survient plus souvent chez la femme jeune en période d’activité génitale favorisée par un épisode infectieux ou une prise médicamenteuse. Le diagnostic est fait par la classique coloration des urines rouge porto après exposition prolongée à la lumière (méthode assez rare d’arriver au diagnostic au 21e siècle depuis l’utilisation des sanitaires) et plus scientifiquement par le dosage dans les urines, au moment de la crise, de l’acide delta aminolévulinique (ALA) et du porphobilinogène (PBG) qui sont très élevées (> 50 N). Le traitement repose sur des antalgiques (aspirine, morphinique), une hydratation au sérum glucosé voire le Normosang (après avis auprès du centre français des porphyries, Hôpital Louis-Mourier, 92700 Colombes).

Douleurs associées à un épanchement péritonéal

Si un épanchement liquidien est retrouvé au scanner, les causes habituelles doivent être recherchées. Dans ces rares cas, l’évolution est rapidement (quelques heures) et sponta­nément favorable avec une disparition complète de l’ascite. Il faut alors ­évoquer :

un œdème angioneurotique héréditaire ou acquis lié à un déficit en C1 inhibiteur ;

une gastroentérite à éosinophile avec atteinte séreuse, il existe ­souvent une hyperéosinophilie ­circulante.

Douleurs et purpura des membres inférieurs

Le purpura rhumatoïde peut se révéler par une atteinte digestive et des douleurs abdominales isolées. L’imagerie retrouve une atteinte inflammatoire du grêle proximal mais elle est souvent associée à un purpura dans les zones déclives facilement mis en évidence, si l’on pense à regarder les jambes du patient.

L’appendagite aiguë

Il s’agit d’une douleur aiguë très localisée, intense, pseudo-chirurgicale, liée à la nécrose d’une franche graisseuse épiploïque [2]. Le facteur déclenchant est souvent un effort de soulèvement inhabituel. Le bilan biologique est normal. Le scanner abdominal retrouve une image graisseuse hypodense avec un discret halo inflammatoire. L’évolution est rapidement favorable spontanément ou avec un traitement antalgique.

Douleurs abdominales aiguës fébriles

C’est dans cette situation que l’imagerie est la plus utile et la plus performante. En absence de cause évidente, le plus souvent après qu’une cœlioscopie exploratrice ait été réalisée, trois situations doivent être envisagées :

la maladie périodique ou fièvre méditerranéenne, responsable de crises douloureuses abdominales aiguës récurrentes associées à des épisodes de fièvre chez un patient souvent jeune provenant du pourtour méditerranéen. Le scanner montre parfois un épanchement péritonéal, le bilan biologique un syndrome inflammatoire. Le risque principal est de réaliser une intervention inutile. Le diagnostic est fait en recherchant la mutation du gène de la marenostrine (chromosome 16) : 59 mutations ont été identifiées, les tests diagnostiques usuels recherchent les 5 mutations les plus fréquentes qui représentent 75 % des mutations. Un traitement d’épreuve par colchicine est parfois nécessaire ;

le syndrome hyper Ig D est responsable de douleurs abdominales fébriles récurrentes, toutes les 4-8 semaines, associées à une ­diarrhée et des douleurs articulaires. Le diagnostic est fait en dosant les Ig D, accessibles dans tous les ­laboratoires ;

le TRAPS syndrome est responsable de douleurs abdominales récurrentes associées à des épisodes de fièvre prolongée (2-3 semaines) et parfois un syndrome pseudo-appendiculaire. Le diagnostic est fait en recherchant une mutation du gène TNFRSF1A [3].

Douleurs abdominales chroniques et/ou récurrentes

Après avoir éliminé une douleur ­abdominale organique, la cause la plus fréquente des douleurs abdominales chroniques récurrentes reste le syndrome de l’intestin irritable et sa variante, le syndrome de douleur ­abdominale fonctionnelle.

Cependant, quelques diagnostics doivent être envisagés.

  • Les douleurs abdominales projetées d’origine rachidienne. Il s’agit de douleurs liées le plus souvent à une irritation d’une des branches du nerf vertébral au niveau de la charnière dorsolombaire.
  • L’atteinte de la branche antérieure du nerf vertébral déclenche une gêne ou une véritable douleur, le plus souvent unilatérale. Schématiquement, une douleur épigastrique doit faire rechercher une atteinte au niveau de la 8e vertèbre dorsale, une douleur périombilicale, une atteinte de niveau de T10, et une douleur iliaque ou sus-pubienne, une atteinte de niveau T12-L1. Ces nerfs rachidiens émergent du rachis au niveau T12-L1 et ont une branche antérieure qui innerve : les plans cutanés de la région abdominale inférieure, la face interne de la ­partie supérieure de la cuisse, les grandes lèvres ou le scrotum la ­partie inférieure des muscles grand droit de l’abdomen et transverses. La douleur est variable : son intensité peut être légère ou marquée, parfois très aiguë. Sa fréquence de survenue peut être quotidienne ou beaucoup plus épisodique. Le déclenchement mécanique de la douleur (efforts, positions) est rarement noté. L’association à un ­météorisme abdominal est possible. La douleur peut surtout survenir en même temps qu’une lombalgie qui, elle, est très fréquente, et qui traduit la souffrance du rameau postérieur du nerf rachidien. Le patient fait également rarement le lien entre sa douleur abdominale et cette ­lombalgie.
  • Le syndrome de Cyriax ou syndrome du rebord costal douloureux est dû à une subluxation de l’extrémité antérieure de la 8e, 9e ou 10e côte (« côtes flottantes ») qui aboutit à un traumatisme de l’articulation chondro-chondrale et à une compression du nerf intercostal correspondant. Il se manifeste par une douleur épigastrique intense, déclenchée par la palpation du rebord costal [4].
  • Les hernies atypiques comme la hernie de Spiegel siégeant au bord externe du grand droit, au niveau de l’ombilic ou la hernie de la ligne blanche, sont rarement évoquées. Une imagerie, de préférence une échographie de paroi, avec manœuvre faisant contracter la paroi abdominale, permet parfois de poser le diagnostic.

Références

  1. Puy H, Gouya L, Deybach JC. Porphy­rias. Lancet. 2010;375(9718):924-37.
  2. Chen JH, Wu CC, Wu PH. Epiploic appendagitis: an uncommon and easily misdiagnosed disease. J Dig Dis. 2011;12:448-52.
  3. Pettersson T, Kantonen J, Matikainen S, Repo H. Setting up TRAPS. Ann Med. 2012 in press.
  4. Scott EM, Scott BB. Painful rib ­syndrome-a review of 76 cases. Gut. 1993;34:1006-8.

Les 4 points forts

  • Certaines douleurs abdominales aiguës isolées sont le mode de révélation de désordres métaboliques pouvant mettre en jeu le pronostic vital : hypokaliémie, hypercalcémie, acidocétose, porphyries aiguës….
  • L’œdème angioneurotique et les atteintes séreuses d’une gastroentérite à éosinophiles sont deux diagnostics à évoquer en cas de douleurs ­abdominales inhabituelles avec épanchement péritonéal régressif.
  • Une maladie périodique, un syndrome d’hyper Ig D et un TRAPS syndrome doivent être évoqués devant des douleurs abdominales inhabituelles fébriles.
  • Un syndrome de la jonction dorsolombaire et des douleurs d’origine ­chondrocostale doivent être évoqués devant des douleurs inhabituelles ayant une composante positionnelle ou mécanique.