[Atelier] Les séquelles de la chirurgie d’exérèse du rectum

Objectifs pédagogiques

  • Au décours de cet enseignement, les participants doivent savoir reconnaître les principales séquelles de la résection rectale avec anastomose, en comprendre les mécanimes et en connaître la prise en charge

Les différentes techniques de chirurgie d’exérèse du rectum

L’exérèse du rectum est indiquée essentiellement en cas de cancer bien sûr, mais aussi dans certains cas de Maladie Inflammatoire Chronique de l’Intestin ou, plus exceptionnellement, de troubles fonctionnels majeurs comme la maladie de Hirschsprung. Dans le premier cas, il faut assurer un curage ganglionnaire en emportant le mésorectum. Dans tous les autres cas, la dissection se fait au contact de la musculeuse rectale, de manière à ne pas léser l’innervation autonome du pelvis.

La marge distale sous la tumeur doit être de 1 cm. Les techniques varient en fonction du siège de la tumeur : une tumeur du haut rectum, siégeant en pratique à plus de 10 cm de la marge anale et donc inaccessible au toucher, imposera une résection antérieure du rectum suivie d’une ana­stomose colorectale moyenne ; une tumeur du moyen rectum sera traitée par résection antérieure du rectum suivie d’une anastomose colorectale basse ; une tumeur du bas rectum relèvera d’une proctectomie totale suivie d’une anastomose colo-anale, qu’elle soit avec réservoir en J, avec anastomose latéro-terminale, avec colo­plastie transverse, ou directe ; une tumeur du très bas rectum envahissant le sphincter imposera une amputation abdominopérinéale du rectum avec confection d’une colostomie défi­nitive. Certains experts proposent d’autres techniques, pour des tumeurs du très bas rectum n’envahissant pas l’appareil sphinctérien : résection du tiers supérieur du sphincter ou résection inter sphinctérienne.

Plus le sacrifice rectal sera important, plus les troubles fonctionnels digestifs seront invalidants. Dans sa forme complète, il s’agit du «?syndrome de résection rectale?», qui associe à divers degrés : une poly-exonération, une incontinence anale, une impériosité, un fractionnement des selles et enfin une mauvaise discrimination des gaz et des selles. La réalisation d’un réservoir colique en J est proposée pour diminuer la fréquence et la gravité de ces troubles, mais parfois au prix de l’addition d’autres troubles fonctionnels comme la dyschésie et les défauts d’évacuation par stase.

À côté de ces troubles induits par le sacrifice du rectum, d’autres complica­tions postopératoires peuvent conduire à d’autres types de séquelles : il s’agit de la sténose, qu’elle soit ­simplement résumée à un petit diaphragme anastomotique facilement dilaté, ou qu’elle corresponde à une sténose longue et très scléreuse telle que celle observée parfois après irradiation et/ou après fistule anastomotique.

Enfin, il n’est pas exceptionnel de noter des douleurs anopérinéales, d’origine cicatricielle, ou par corrosion en raison de fuites de selles, ou par lésions neurologiques chirurgicales et/ou radiques.

Physiopathologie des troubles fonctionnels après proctectomie

La principale séquelle de la résection du rectum est l’incontinence anale dont la physiopathologie est multi­factorielle et sa présentation clinique variée. Elle concerne environ 1 patient sur 3[1]. Si les symptômes s’améliorent progressivement pendant la première année après la résection, ils peuvent persister au-delà et devenir invalidants[1,2]. Le risque d’incontinence est proportionnel au volume rectal réséqué[3,4]. Il est donc plus fréquent après anastomose coloanale qu’après anastomose colorectale. La radiothérapie préopératoire, lorsqu’elle est réalisée, participe à ces séquelles car elle aboutit à des lésions des nerfs pudendaux, d’autant plus facilement que la tumeur est volumineuse et bas située. L’incontinence fécale est ­favorisée par un volume tumoral important, une radiothérapie pré­opératoire, une insuffisance sphinctérienne préexistante, une anastomose colo-­rectale basse voire colo-anale, l’existence d’une fistule anastomotique, l’absence de réservoir colique et une sclérose péri-anastomotique.

À l’inverse un réservoir colique trop important, ou une sténose anastomotique conduisent à des difficultés d’exonération. Cette dyschésie est une autre séquelle de la proctectomie. Le réservoir colique est élastique et dépourvu des capacités réflexes du rectum ; ainsi, un réservoir de plus de 6 à 8 cm est source de dyschésie[5].

La polyexonération est induite par la résection de tube digestif, parfois très étendue vers le côlon, et par la perte de la fonction de réservoir que représente le rectum. Elle peut être favo­risée par une sténose qui réalise un obstacle à l’évacuation, entraîne une éventuelle pullulation, et une évacuation par fractionnement.

La douleur est elle aussi multifactorielle : cicatrice chirurgicale, radio­thérapie avec parfois véritable «?plexite radique?», présence d’une complication, iritation périanale par poly­exonération de selles liquides, etc.

Les symptômes secondaires à la proctectomie sont fréquents dans la première année qui suit la chirurgie. Ils s’améliorent progressivement pendant cette période, mais il ne faut pas s’attendre à une amélioration par la suite. Durant cette première année, il faut s’attacher à éliminer une complication comme une sténose anastomotique par formation d’un anneau fibreux plus ou moins court facile à lever, une fistule anastomotique ou une récidive tumorale. Le suivi du patient doit donc être rapproché, clinique et endoscopique.

Conduite à tenir en cas de séquelles

Au-delà de la première année et si toutes les complications chirurgicales ont été éliminées, il faut proposer un bilan complet car plusieurs traitements sont possibles.

Quel bilan en cas d’incontinence postproctectomie ?

L’absence de réservoir conduit le plus souvent à une impériosité : dès l’arrivée des selles dans le côlon remplaçant le rectum, le patient ressent un besoin impérieux d’exonérer, ce qui peut d’ailleurs se traduire par une incontinence active s’il ne peut le satisfaire. Cela se caractérise en manométrie anorectale par une microrectie avec volume maximum tolérable très bas. Le sphincter interne est parfois incompé­tent en cas d’anastomose basse, surtout s’il s’agit d’une résection intersphinctérienne qui emporte tout ou partie du sphincter interne. Le résultat est une béance anale et un tonus de repos bas en manométrie anorectale.

Le sphincter externe est souvent atteint par le biais d’une lésion des nerfs pudendaux : dans ce cas, la contraction volontaire devient insuffisante en amplitude et en durée, tant au toucher qu’en manométrie anorectale. L’examen clinique s’attache aussi à tester la sensibilité cutanée (touché-piqué) et les réflexes (clitoridosphinctérien, cutanéosphinctérien). Le toucher «?rectal?» permet de différencier une incontinence à rectum plein d’une incontinence à rectum vide.

Le traitement médical de l’incontinence fécale après proctectomie

Dans l’incontinence comme dans la dyschésie, la base du traitement médical repose sur l’obtention d’une vacuité du réservoir en jouant sur le transit et sur les lavements évacuateurs. Les selles doivent être moulées et pas trop fréquentes : il faut donc proposer un traitement régulateur avec régime sans résidu modéré et plutôt des mucilages que des PEG qui exposent au risque de selles liquides. En cas de diarrhées, les ralentisseurs du transit sont utiles. Si le transit est régulier, la consistance des selles correcte, on favorise des évacuations régulières par des suppos évacuateurs ou les lavements à l’eau dont l’utilisation doit être quotidienne.

Un traitement médical optimal, permettant des selles moulées, n’est pas toujours suffisant et on peut alors proposer des obturateurs anaux. Ces obturateurs sont peu irritants et assez bien supportés mais ils sont inefficaces en cas de selles liquides.

En cas d’hypocontinence anale (incon­ti­nence passive), les selles irritent la zone cutanée source de brûlures et prurit. Il faut s’attacher à traiter ces lésions par des règles hygiéniques : utilisation de savons surgras neutres, séchage de la peau après la toilette sans frotter, remplacer le papier toilette par des lingettes humides et en cas de lésion, il faut utiliser les lotions asséchantes et hydratantes voire des pommades cicatrisantes et anesthésiques locales et anti-inflammatoires (biafine, aloplastine, mytosil, titanoréine à la lidocaïne, etc). Les lésions dermatologiques sont d’autant plus fréquentes que l’épiderme est fragilisé par la radiothérapie préopératoire.

Que faire quand l’incontinence persiste au delà d’un an après l’intervention ?

Beaucoup des symptômes décrits ci dessus disparaissent dans l’année qui suit l’intervention mais dans 30?% des cas l’incontinence persiste, conduisant à une situation d’invalidité parfois difficile à vivre pour les patients. Il est d’usage alors de proposer une dérivation des selles par colostomie finalement souvent bien vécue par les patients quand les fuites sont trop fréquentes ou par lavements coliques réguliers antérogrades après mise en place d’une minicaecostomie iliaque (opération de Malone). Les patients font un lavage et une vidange ­complète du côlon tous les 2 à 3 jours obtenant ainsi un confort suffisant. La revue de la Cochrane publiée en 2004[6] n’a d’ailleurs pas permis de montrer une meilleure qualité de vie chez les patients ayant bénéficié d’une anastomose colorectale par rapport à ceux qui ont recours à la colostomie. Une option plus récente est la neuromodulation des racines sacrées : elle a été essayée dans cette indication avec quelques bons résultats sur des études qui ne comportent pas encore suffisamment de patients pour être significatives. Mais pour des patients qui refusent la colostomie et qui souffrent d’incontinence fécale sévère, un test reste possible et l’implantation envisageable si le test apporte plus de 50?% d’efficacité sur les scores d’incontinence.

Lorsqu’une sténose longue et résistant à des séances de dilatations successives persiste, il est possible de ­proposer des interventions chirurgicales correctrices par voie abdominale et/ou basse, après avoir bien sûr ­éliminé une récidive locale par des ­biopsies.

Conclusion

Les patients sont informés du risque de troubles fonctionnels digestifs après proctectomie. Les facteurs de risques d’incontinence doivent être recherchés en préopératoire. Ce handicap peut être traité efficacement, avec de nombreuses options en fonction du bilan étiologique, du mode de vie, et de la demande du malade.

Références

  1. Allal AS, Bieri S, Pelloni A, et al. Sphincter-sparing surgery after pre­operative radiothérapy for low rectal cancer: feasibility, oncologic results and quality of life outcomes. Br J Cancer 2000;82:1131-7.
  2. Dehni N, Tiret E, Singland JD, et al. Long-term functional outcome after low anterior résection: comparison of low colorectal anastomosis and colonic J-pouch-anal anastomosis. Dis Colon Rectum 41:817-22.
  3. Bretagnol F, Troubat H, Laurent C, et al. Long-term functional results after sphincter-saving resection for rectal cancer. Gastroenterol Clin Biol 2004; 28:155-9.
  4. Matzel KE, Stadelmaier U, Muehldorfer S, et al. Continence after colorectal reconstruction following résection: impact of level of anastomosis. Int J Colorectal Dis 1997;12:82-7.
  5. Lazorthes F, Gamagami R, Chiotasso P, et al. Prospective, randomized study comparaing clinical results between small and large colonic J-pouch following coloanal anastomosis. Dis Colon Rectum 1997;40:1409-13.
  6. Pachler J, Wille-Jorgensen P. Quality of life after rectal résection for cancer, with or without permanent colostomy. Cochrane Database Syst rev 2005; 18(2):CD004323.

Les 4 points forts

  • Certaines options thérapeutiques exposent à une incidence plus élevée de troubles fonctionnels après proctectomie (anastomose basse, ­radiothérapie).
  • Compte tenu de la sévérité des troubles fonctionnels après proctectomie, les informations doivent être apportées au patient en tenant compte des facteurs de risque préopératoires.
  • L’incontinence fécale persistant un an après proctectomie doit faire ­l’objet d’un bilan fonctionnel et anatomique afin de mieux orienter la prise en charge thérapeutique.
  • Quand le traitement médical est insuffisant, des alternatives chirurgicales mini invasives peuvent être proposées.