[Atelier] Endoscopie et hypertension portale

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la sémiologie élémentaire de l’hypertension portale œsogastroduodénale
  • Connaître les signes endoscopiques prédictifs du risque hémorragique et les stigmates de saignements récents
  • Quelles sont les principales modalités de prise en charge endoscopique de l’HTP
  • Quelles sont les alternatives aux traitements endoscopiques et leurs indications

Lésions élémentaires

Varices œsophagiennes (VO)

Une des classifications les plus utilisées est adaptée de celle proposée par la Japanese research Society for Portal Hypertension et modifiée par le New Italian Endoscopic Club (NIEC) [1] pour retenir principalement les éléments sémiologiques suivants. La taille des VO : F1= VO à peine surélevée en cas d’insufflation ; F2= VO ne disparaissant pas à l’insufflation maximum et intéressant moins de 2/3 du rayon ; F3= VO intéressant tout le rayon après insufflation maximum. Il est également important de préciser la présence et l’aspect des signes rouges sur les VO qui ne sont pas un stigmate d’hémorragie récente mais un marqueur du risque hémorragique: zébrures rouges= veinules serpigineuses, macules rouges cerises= dilatations cystiques <1 mm de diamètre, tâches hémacystiques= dilatations cystiques > 1mm de diamètre

Varices gastriques [2]

On les caractérise principalement en fonction de leur localisation (figure 1) :

  • GOV1 : varices en prolongement d’un cordon de VO le long de la petite courbure gastrique
  • GOV2 : varices en prolongement d’un cordon de VO le long de la grande courbure gastrique
  • IGV1 : varice gastrique isolée du fundus à distance du cardia.
  • IGV2 : varice gastrique isolée à distance du fundus (antre, pylore).

Tableau 1 : Classification des varices œsophagiennes, surveillance et prévention

Varice

 

Stade

 

Prévention Primaire Prévention secondaire
Absentes 0 Contrôle à 3 ans
Disparaissent à l’insufflation 1 Contrôle à 1 ou 2 ans β-bloquant si signes rouges ou Child C β-bloquant + Ligature
Ne disparaissent pas à l’insufflation maximum et occupent < 2/3 du rayon 2 β-bloquant ou Ligature β-bloquant + Ligature
Intéressent tout le rayon après insufflation maximum. 3 β-bloquant ou Ligature β-bloquant + Ligature

 

Gastropathie d’hypertension portale.

C’est la classification du NIEC [3] qui a été retenue par la conférence d’experts de Baveno III. On distingue : la gastropathie en mosaïque (légère : petites zones polygonales de couleur claire uniforme ; modérée : les polygones sont centrés par un point rouge ; sévère : les polygones sont de couleur rouge uniforme), les signes rouges plats (lésions < 1 mm rouges aplaties), les cherry-red spots ou signes rouges surélevés (lésions > 2 mm rouges légèrement surélevées), black brown spots ou tâches brunes : tâches irrégulières, brunes ou noires, persistant après lavage et correspondant à des hémorragies intramuqueuses).

Ectasies vasculaires antrales :

Ce sont des macules rouges arrondies mesurant de 1 à 5 mm de diamètre souvent multiples et placées les unes près des autres qui siègent préférentiellement au niveau de l’antre. Elles peuvent réaliser un aspect diffus et le diagnostic différentiel est parfois difficile avec une gastropathie en mosaïque sévère (mais localisation préférentielle au niveau du fundus et mosaïque associée). Le second aspect est celui de l’estomac pastèque (watermelon stomach) : des bandes rouges convergent vers le pylore.

Facteurs prédictifs de saignement

Le risque d’hémorragie par rupture de VO augmente principalement avec les éléments suivants : la taille des VO, la présence de signes rouges (en particulier les zébrures), la sévérité de la cirrhose (score de Child ou de MELD). Quand il est disponible, un gradient de pression hépatique < 12 mmHg permet d’exclure un risque d’hémorragie. Des résultats prometteurs avec la mesure de l’élasticité hépatique sur le risque d’évènement liée à l’HTP méritent d’être confirmés [4]. Pour les VG (GOV2 et IGV1), le risque augmente avec la taille (> 2 cm), la présence d’une gastropathie en mosaïque et la sévérité de la cirrhose (MELD > 17) [5].

 

 

classification endoscopique des varices gastriques

Figure 1 : Classification endoscopique des varices gastriques selon Sarin (GOV: gastro-oesophageal varices – IGV isolated gastric varices)

 

 

Signes d’hémorragie récente

Il est admis de retenir le diagnostic d’hémorragie digestive liée à l’HTP dans les situations suivantes : saignement actif d’une varice, pas de saignement actif mais présence d’un clou plaquettaire ou d’un ulcère au sommet d’une varice, présence de sang dans les cavités digestives associé à des VO ou des VG et absence d’autres lésions susceptibles d’expliquer une hémorragie digestive haute.

 

Modalités de prise en charge endoscopique de l’HTP et alternatives aux traitements endoscopiques

Dépistage et Prévention [7-8]:

Varices œsophagiennes

Au moment du diagnostic de cirrhose, près de 50 % des patients ont des VO. Tous les patients atteints d’une cirrhose doivent bénéficier d’une endoscopie œso-gastroduodénale à la recherche de VO ou de varices gastriques (VG). En l’absence de VO, aucun traitement en dehors de la maladie causale n’est recommandé pour prévenir l’apparition des VO. Un contrôle endoscopique à 3 ans est recommandé. Chez les patients avec petites VO sans signes rouges, et Child A ou B, les β-bloquants et la ligature des VO (LVO) sont inutiles. Un contrôle endoscopique à 1 ou 2 ans est recommandé. Les patients porteurs de petites VO avec signes rouges ou Child C ont un risque augmenté de présenter une première hémorragie. Ils doivent être traités par β-bloquants non cardiosélectifs. Le risque d’hémorragie chez les patients porteurs de VO de taille moyenne ou grosse est de l’ordre de 30 % à 2 ans. Les β-bloquants ou la LVO sont efficaces et diminuent le risque d’une première hémorragie de près de 50 %. Le choix de l’un ou l’autre dépend de l’expertise, des ressources disponibles, de la préférence du patient et d’éventuelles contre-indications. Après une première hémorragie par rupture de VO, le risque de récidive dans l’année est d’environ 60 %. La prévention secondaire doit débuter le plus tôt possible après l’épisode hémorragique. L’association β-bloquant + LVO est le traitement de choix [9]. Elle permet une réduction de près de moitié du risque de récidive. Chez les patients qui ne peuvent avoir une LVO, l’association β-bloquants + 5-mononitrate d’isosorbide doit être préférée. Chez les patients avec une contre-indication ou une intolérance aux β-bloquants, la LVO seule est le traitement de référence. En cas d’échec de la prévention secondaire, le TIPS est le traitement de référence. S’il existe une insuffisance hépatique sévère, la transplantation hépatique doit être discutée.

Varices gastriques

La prévention primaire reste discutée pour les GOV2 et IGV1. L’injection de colle serait plus efficace que les β-bloquants et pourrait être proposée chez les patients à risque (taille > 2cm, présence d’une gastropathie en mosaïque ou en cas d’insuffisance hépatique). Pour les GOV1 : l’injection de colle, la ligature élastique ou les β-bloquants peuvent être utilisés. Après une première hémorragie liée à une GOV2 ou  une IGV1 : l’injection de colle ou le TIPS sont recommandés.

Gastropathie d’hypertension portale.

Un β-bloquant est recommandé en prévention primaire et secondaire.

Hémostase [7-8]

Mesures non spécifiques

Il faut :

  • Evaluer la gravité de l’hémorragie : sur la sévérité de la cirrhose (score de Child : le stade C est associé aux risques d’échec et de décès) ) et l’existence d’un saignement actif à l’endoscopie ;
  • Restituer la volémie pour maintenir une PAM > 70 mmHg ;
  • Transfuser pour maintenir une hémoglobinémie entre 7 et 8 g/dl.
  • Réaliser une antibioprophylaxie dès l’admission : quinolone orale ou céphalosporine de 3ème génération en cas de cirrhose sévère [8] .

Traitement spécifique

  • Traitement vasoconstricteur débuté dès qu’une hémorragie digestive haute survient chez un patient atteint ou suspect d’être atteint d’une cirrhose : terlipressine(1 à 2 mg IV toutes les 4 heures), somatostatine (bolus de 250 mg puis perfusion continue de 6mg/24h) ou octréotide (bolus de 50mg puis 25 à 50 mg/h puis perfusion continue. Ce traitement peut être maintenu jusqu’à 5 jours.
  • Endoscopie diagnostiqueréalisée le plus tôt possible (< 12 h). Elle peut être précédée de la perfusion de 250 mg d’érythromycine. Un geste d’hémostase est réalisé systématiquement. En cas de rupture de VO, la LVO est le traitement de référence. Le TIPS précoce doit être discuté (dans les 24 heures idéalement et avant 72 heures) chez les malades Child B avec un saignement actif au moment de l’endoscopie ou Child C (<14) [10].Une sonde de tamponnement à l’aide d’un ballon gonflé est réservée aux patients qui présentent une hémorragie réfractaire au traitement endoscopique et vasoactif, en attente d’un traitement définitif. En cas d’échec précoce, le TIPS est probablement la meilleure option. En cas de récidive pendant les 5 premiers jours après un contrôle initial de l’hémorragie, un deuxième traitement endoscopique peut être tenté. Si cette récidive est sévère, le TIPS reste probablement la meilleure option .

 

La ligature élastique ou l’injection de colle peuvent être utilisées pour les GOV1. L’injection de colle est le traitement de référence des IGV1 et GOV2. Pour les ectasies vasculaires antrales, le traitement le plus utilisé est l’électrocoagulation au plasma Argon. Dans les formes réfractaires, des cas d’amélioration après la mise en place de TIPS ont été décrits mais parfois l’antrectomie doit être discutée.

 

Références

  1. Merkel C, Zoli M, Siringo S, et al. Prognostic indicators of risk for first variceal bleeding in cirrhosis: a multicenter study in 711 patients to validate and improve the North Italian Endoscopic Club (NIEC) index. Am J Gastroenterol 2000; 95: 2915-20.
  2. Sarin SK, Lahoti D, Saxena SP, et al. Prevalence, classification and natural history of gastric varices: a long-term follow-up study in 568 portal hypertension patients. Hepatology 1992;16:1343–9.
  3. [3] Primignani M, Carpinelli L, Preatoni P, et al. Natural history of portal hypertensive gastropathy in patients with liver cirrhosis. The New Italian Endoscopic Club for the study and treatment of esophageal varices (NIEC). Gastroenterology 2000; 119: 181-7.
  4. Robic MA, Procopet B, Métivier S, et al. Liver stiffness accurately predicts portal hypertension related complications in patients with chronic liver disease: a prospective study.J Hepatol 2011; 55: 1017-24
  5. Mishra SR, Sharma BC, Kumar A, et al. Primary prophylaxis of gastric variceal bleeding comparing cyanoacrylate injection and beta-blockers: a randomized controlled trial.J Hepatol 2011; 54: 1161-7.
  6. De Franchis R. Updating consensus in portal hypertension: report of the Baveno III Consensus Workshop on definitions, methodology and therapeutic strategies in portal hypertension. J Hepatol 2000;33: 846-52.

     

  7. Lebrec D, Vinel JP, Dupas JL. Complications of portal hypertension in adults: a French consensus. Eur J Gastroenterol Hepatol 2005; 17:403-10
  8. de Franchis R; Baveno V Faculty. Revising consensus in portal hypertension: report of the Baveno V consensus workshop on methodology of diagnosis and therapy in portal hypertension.J Hepatol 2010; 53:762-8
  9. Gonzalez R, Zamora J, Gomez-Camarero J, et al. Meta-analysis: Combination endoscopic and drug therapy to prevent variceal rebleeding in cirrhosis.Ann Intern Med 2008; 149: 109-22.
  10. García-Pagán JC, Caca K, Bureau C, et al. Early use of TIPS in patients with cirrhosis and variceal bleeding. N Engl J Med 2010 24; 362: 2370-9

 

LES 6 POINTS FORTS

  1. Tout patient atteint d’une cirrhose doit avoir une endoscopie de dépistage des VO.
  2. La taille des VO et la sévérité de la cirrhose sont les principaux facteurs associés au risque de présenter une hémorragie par rupture de VO.
  3. La prévention de la première hémorragie par rupture de VO repose sur les β-bloquants ou la LVO, la prévention de la récidive sur l’association des 2 méthodes.
  4. Le traitement d’hémostase d’une rupture de VO est au moins une trithérapie : vasoactif + antibiotiques + ligature
  5. Le TIPS est discuté chez les patients à haut risque d’échec du contrôle de l’hémorragie, en cas d’échec du contrôle de l’hémorragie ou en cas d’échec de la prévention de la récidive par l’association β-bloquant + ligature
  6. En fonction du contexte et de la localisation : les β-bloquants, l’injection de colle, la ligature et le TIPS sont les moyens utilisés pour les varices gastriques.