Obésité, diabète et risque de cancer

Objectifs pédagogiques

  • Connaitre l’importance du risque de cancer digestif chez les malades obèses
  • Comprendre les mécanismes principaux impliqués dans l’excès de risque de cancer en cas de surpoids et d’obésité
  • Connaitre l’impact de l’obésité viscérale sur la prévention, le traitement et le pronostic des cancers digestifs.

INTRODUCTION

Les gènes codant pour notre physiologie ont été sélectionnés au paléolithique et n’ont pas sensiblement évolué depuis plus de 10 000 ans. Notre physiologie, dimensionnée pour un environnement hostile où la survie dépendait des capacités de stockage d’énergie (réserves de graisse), est inadaptée à notre ère d’abondance au moins dans les pays développés ou en voie de développement. Cela explique pour une grande part la fréquence élevée de l’obésité et des désordres métaboliques observée actuellement dans le monde entier.

Après une description synthétique des principaux mécanismes physiopathologiques impliqués dans le risque de cancer induit par le surpoids, nous ferons une synthèse des travaux épidémiologiques ayant établi le rôle de l’obésité et des troubles métaboliques dans l’augmentation de la fréquence et l’aggravation du pronostic des cancers digestifs. Les cancers digestifs fréquents pour lesquels nous disposons de données épidémiologiques et thérapeutiques spécifiques feront l’objet d’un chapitre propre (cancers colorectaux, pancréatiques et hépatiques).

MECANISMES DE L’AUGMENTATION DU RISQUE DE CANCER EN CAS DE SURCHARGE PONDERALE.

Les causes de l’obésité

A côté du mode de vie (sédentarité, apports alimentaires déséquilibrés et excessifs, toxiques alimentaires), l’attention des épidémiologistes s’est portée récemment sur le microbiote intestinal. Des anomalies (dysbioses) de ce microbiote paraissent effectivement pouvoir jouer un rôle très important dans l’apparition d’une surcharge pondérale par le biais essentiellement d’une sur-digestion des fibres alimentaires.

Chez l’obèse, l’augmentation du risque de cancer est liée au tissu graisseux.

Le tissu graisseux, très loin d’être inerte, est une véritable glande paracrine. La physiologie très anormale du tissu graisseux viscéral (1) se traduit par une sécrétion élevée de cytokines pro-inflammatoires et de certaines adipokines jouant un rôle majeur dans l’apparition de désordres métaboliques et l’augmentation du risque de cancer. Les principales anomalies associées au risque de cancer chez l’obèse sont un syndrome inflammatoire chronique, l’insulinorésistance, le déséquilibre de la sécrétion des adipokines et des perturbations hormonales.

L’insulino-résistance et l’hyperinsulinisme.

Un syndrome inflammatoire chronique modéré est fréquent chez les obèses. Il est lié à l’hypersécrétion de cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IL6) par les cellules adipeuses et les macrophages de la graisse viscérale. Ce syndrome inflammatoire associé à un excès d’acides gras libres est responsable d’une insulinorésistance (IR) et d’une hypersécrétion réactionnelle d’insuline (2). L’hyperinsulinémie est un élément important de l’augmentation du risque de cancer dans la mesure où l’IR bloquant les voies métaboliques, l’excès d’insuline sera détourné vers les voies induisant une croissance cellulaire et une réduction de l’apoptose. Cet effet est renforcé par l’augmentation (liée à l’IR) de la fraction libre de l’ILGF-1, facteur de croissance puissant.

Sécrétion d’adipocytokines et risque de cancer

La leptine et l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène-1 (PAI-1) sécrétés en excès par le tissu adipeux viscéral stimulent des enzymes des tissus de soutien (matrice extracellulaire), en particulier les métalloprotéinases, impliquées dans l’invasion cancéreuse et les processus métastatiques (1). La leptine et le VEGF, également secrétés par le tissu adipeux, stimulent expérimentalement le développement de l’angiogénèse cancéreuse.

Ces facteurs favorables à la croissance et l’extension du cancer sont renforcés par une diminution chez les malades obèses de la concentration d’une autre adipocytokine, l’adiponectine, aux propriétés inhibitrices de la croissance tumorale, pro-apoptotiques et anti-angiogeniques (1).

Facteurs hormonaux.

La surcharge pondérale est associée à une augmentation des concentrations

d’androgènes et d’oestrogènes (3) liée d’une part à la baisse des concentrations des protéines de transport des hormones sexuelles responsable d’une augmentation de la fraction libre circulante de ces hormones, d’autre part à une aromatisation des androgènes en oestrogènes par le tissu graisseux. Ces perturbations hormonales, qui jouent certainement un rôle mineur en cancérologie digestive, expliquent pour l’essentiel l’excès de risque de certains cancers gynécologiques.

OBESITE, EXERCICE PHYSIQUE ET RISQUE DE CANCER : ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES.

Obésité, diabète et cancer

De nombreuses études épidémiologiques résumées sur le tableau 1, ont démontré une relation entre obésité et excès de risque de cancer. Dans les deux sexes, l’augmentation du risque (4, 5) concerne essentiellement les cancers digestifs (adénocarcinomes oesophagiens, cancers de la vésicule biliaire, du pancréas et cancers colorectaux) et deux cancers extradigestifs (cancers du rein et de la thyroïde). Chez l’homme, l’incidence des cancers du foie est également élevée en cas de surpoids et d’obésité. Chez la femme, deux cancers gynécologiques sont concernés : les cancers de l’endomètre et les cancers du sein post-ménopausiques.

Globalement près de 6 % des cancers sont essentiellement liés au surpoids et à l’obésité aux Etats-Unis (6). Cette proportion est de plus de 40 % pour les cancers de l’endomètre et les adénocarcinomes oesophagiens, 30 % pour les cancers du foie, 25 % pour les cancers du rein, et d’environ 10 % pour les cancers colorectaux et les cancers du pancréas. Le nombre total annuel de cancers imputables pour une grande part au surpoids est de l’ordre de 80 000 aux USA et de 60 000 dans la communauté européenne.

L’excès de risque de cancer chez les diabétiques de type 2 concerne les mêmes localisations que celles rapportées au cours de l’obésité (tableau 2). Il n’existe pas chez les diabétiques de type 1 (7). Le diabète de type II n’est pas seulement un facteur de risque de cancer. Il aggrave également le pronostic de certains cancers.

Sous l’angle préventif, il est important de savoir que la réduction pondérale, en particulier par chirurgie bariatrique, s’accompagne en quelques années d’une réduction marquée du risque de mortalité globale (-20 %) et par cancer (-40 %) (8). Le prise en charge efficace du surpoids, en particulier viscéral, est un moyen thérapeutique potentiel essentiel dans la prévention des cancers digestifs en particulier chez les malades à risque augmenté (endobrachyoesophage, antécédents familiaux de cancer colorectal, antécédents personnels d’adénome ou de cancer colorectal, hépatopathie chronique fibrosante…). Cette prise en charge repose sur des mesures diététiques et la « rééducation» à l’exercice physique, mesures auxquelles pourrait s’ajouter dans l’avenir des interventions sur le microbiote intestinal par antibiothérapie sélective, pro- ou prébiotique et/ou greffe d’une flore. Ces techniques pourraient permettre de modifier durablement la flore intestinale en substituant une flore « protectrice » à la flore pathogène impliquée, par son action favorisante sur la prise de poids et la translocation bactérienne, dans les troubles métaboliques et l’insulinorésistance.

Exercice physique

L’exercice réduit la masse graisseuse et augmente l’insulinosensibilité en particulier musculaire. Par son impact, l’activité physique réduit le risque de mortalité globale et par cancer (9) et le risque de récidive après traitement à visée curative des cancers colorectaux (10). Son effet protecteur ne réduit toutefois que partiellement la surmortalité par cancer induite par le surpoids et l’obésité (tableau 2).

La durée optimale d’activité physique dans la prévention du cancer ou l’amélioration pronostique après traitement est de 3 heures trente par semaine en associant exercices aérobie et anaérobie.

OBESITE, DIABETE, ET CANCER DU PANCREAS

Le risque de carcinome pancréatique augmente avec l’obésité, en particulier viscérale, et le diabète. L’apparition d’un diabète de type II est fréquente dans l’année qui précède le diagnostic de carcinome pancréatique. Dans cette situation, le diabète parait plus être un marqueur diagnostic qu’une cause du cancer. Après exclusion des cas de diabète diagnostiqué dans les années précédant le diagnostic du cancer, les études épidémiologiques permettent d’affirmer une multiplication par 2 du risque de carcinome pancréatique chez les malades atteints de diabète de type 2 (11). Les études épidémiologiques révèlent que le risque de cancer pancréatique en rapport avec un diabète était plus élevé avant qu’après le début des années 2000. La prescription d’aspirine chez les malades diabétiques, qui a augmenté nettement à partir des années 2000, pourrait expliquer cette évolution.

OBESITE, DIABETE, ET CANCER COLORECTAL

Le risque relatif de cancer colorectal est très élevé (~ 4,9) chez les malades obèses sans activité physique (12) comparés aux malades de poids normal avec activité physique régulière. L’augmentation du risque de cancer colorectal s’observe pour un périmètre abdominal supérieur à 1 mètre chez l’homme, c’est-à-dire la limite du risque de syndrome métabolique. En revanche, le risque de gros adénome augmente régulièrement avec le périmètre abdominal sans effet seuil (tableau 3). L’importance de ce sur-risque de gros adénome et de cancer impose une réflexion sur la politique de dépistage chez les malades atteints d’obésité viscérale. L’intérêt chez ces malades d’un dépistage coloscopique identique à celui proposé en cas d’antécédents familiaux de cancers colorectal devrait être évalué. .

La surcharge graisseuse abdominale pourrait réduire l’efficacité des traitements antiangiogéniques dans les cancers colorectaux métastatiques (13) probablement en raison des fortes concentrations de facteurs pro-angiogéniques circulants chez les malades obèses.

Enfin des essais randomisés ont démontré chez des malades traités chirurgicalement à visée curative pour un cancer colique un effet protecteur de l’exercice physique post-opératoire sur le risque de récidive (10).

OBESITE, DIABETE, ET CARCINOME HEPATOCELLULAIRE (CHC)

La stéatohépatite non alcoolique (NASH en anglais) est une complication connue du surpoids et des désordres métaboliques. Les NASH sont une cause fréquente de CHC, essentiellement mais pas toujours au stade de cirrhose, mais il est probable que le surpoids et les désordres métaboliques augmentent également la sévérité et le risque de cancer des hépatopathies non métaboliques alcooliques et virales.

Le diabète de type II et la surcharge graisseuse viscérale sont des facteurs prédictifs indépendants du risque de récidive de CHC après traitement à visée curative chirurgical ou par radiofréquence (14, 15).

Les médicaments réduisant l’insulinorésistance (metformine, glitazones) diminuent le risque de CHC chez les malades atteints de cirrhose (16, 17). Leur effet sur le pronostic du CHC n’est pas connu.

CONCLUSION

Le bénéfice des efforts dans la prévention du cancer engagés depuis une trentaine d’années pourrait être gommé dans les années à venir par l’augmentation de l’incidence de l’obésité. La réduction de la surcharge pondérale, utile pour prévenir les accidents cardiovasculaires est également fondamentale dans la réduction du risque de cancer. Elle est une priorité chez les malades à risque augmenté de cancer digestif.

REFERENCES

  1. Van Kruijsdijk R, Van der Wall E, Visseren F. Obesity and cancer : the role of dysfunctional adipose tissue. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2009;18: 2569-78.
  2. Kahn SE, Hull R, Utzschneider R. Mechanisms linking obesity to insulin resistance and type 2 diabetes. Nature 2006;444:840-6.
  3. Calle EE, Thun MJ. Obesity and cancer. Oncogene 2004;23:6365-78.
  4. Renehan AG, Tyson M, Egger M, et al. Body-mass index and incidence of cancer: a systematic review and meta-analysis of prospective observational studies. Lancet 2008;371:569-78.
  5. Calle E, Rodriguez C, Walker-Thurmond K, et al. Overweight, obesity, and mortality from cancer in a prospectively studied cohort of U.S. adults. N Engl J Med 2003;348:1625-1638.
  6. Polednak AP. Estimating the number of U.S. incident cancers attributable to obesity and the impact on temporal trends in incidence rates for obesity-related cancers. Cancer Detect Prev 2008;32:190-199.
  7. AJ Swerdlow, SP Laing, Z Qiao, et al. Cancer incidence and mortality in patients with insulin-treated diabetes: a UK cohort study. Br J Cancer 2005; 92:2070-75.
  8. Sjöström L, Narbro K, Sjöström D et al. Effects of bariatric surgery on mortality in Swedish obese subjects. N Engl J Med 2007;357:741-52.
  9. Hu F.B., Willett W.C., Li T., et al. Adiposity as Compared with Physical Activity in Predicting Mortality among Women. N Engl J Med 2004; 351:2694-2703
  10. Demark-Wahnefried W, Platz EA, Ligibel JA ET AL; The role of obesity in cancer survival and recurrence. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2012;21:1244-59.
  11. Huxley R, Ansary-Moghaddam A, Berrington de Gonzalez A et al. Type-II diabetes and pancreatic cancer: a meta-analysis of 36 studies. Br J cancer 2005; 92: 2076-83.
  12. Giovannucci E, Ascherio A, Rimm EB, et al. Physical activity, obesity, and risk for colon cancer and adenoma in men. Ann Intern Med;122:327-34.
  13. Guiu B, Petit JM, Bonnetain F, et al. Visceral fat area is an Independent Predictive Biomarker of Outcome after First-Line Bevacizumab-Based Therapy in Metastatic Colorectal Cancer ». Gut 2010;59:341-7.
  14. Komura T, Mizukoshi E, Kita Y et al. Impact of diabetes on recurrence of hepatocellular carcinoma after surgical treatment in patients with viral hepatitis. Am J Gastroenterol 2007;102:1939-1946.
  15. Okhi T, Tateishi R, Shiina S et al. Visceral fat accumulation is an independent risk factor for hepatocellular carcinoma recurrence after curative treatment in patients with suspected NASH. Gut 2009 doi:10.1136/gut.2008. 164053.
  16. Chen HP, SHIEH JJ, Chang CC et al. Metformin decreases hepatocellular carcinoma risk in a dose-dependent manner: population-based and in vitro studies. Gut 2012 ; 10.1136/gutjnl-2011-301708.
  17. Nkontchou G, Cosson E, Aout M. et al. Impact of Metformin on the Prognosis of Cirrhosis Induced by Viral Hepatitis C in Diabetic Patients. J Clin Endocrinol Metab 2011;96:2601–2608.

Tableau 1 : les cancers dont la fréquence est augmentée en cas l’obésité (5).

Hommes

Risque relatif*

Oesophage (adénocarcinome) 1,52 [1,33-1,74]
Thyroïde 1,33 [1,04-1,70]
Colon 1,24 [1,20-1,28]
Rein 1,24 [1,15-1,34]
Foie 1,24 [0,95-1,62]
Mélanome malin 1,17 [1,05-1,30]
Myélome multiple 1,11 [1,05-1,18]
Rectum 1,09 [1,06-1,12]
Leucémies 1,08 [1,02-1,14]
Lymphomes non hodgkiniens 1,06 [1,03-1,09]
Femmes
Endomètre 1,59 [1,50-1,68]
Vésicule biliaire 1,59 [1,02-2,47]
Adénocarcinome oesophagien 1,51 [1,31-1,74]
Rein 1,34 [1,25-1,43]
Leucémies 1,17[1,04-1,32]
Thyroïde 1,14 [1,06-1,23]
Sein post ménopausique 1,12[1,08-1,16]
Pancréas 1,12 [1,02-1,22]
Myélome multiple 1,11 [1,07-1,15]
Colon 1 .09 [1,05-1,13]
Lymphomes non hodgkiniens 1,07 [1,00-1,14]

* Risque relatif pour une augmentation de 5 kg/m² de l’IMC

Tableau 2 : effet préventif de l’activité physique* sur le risque de décès par cancer (9).

Risque de décès

IMC** < 25

Exercice > 3h1/2

Exercice < 3h1/2

1

1,55 (1,42-1,70)

IMC** > 25

Exercice > 3h1/2

Exercice < 3h1/2

1,91 (1,60 – 2,30)

2, 42 (2,14 – 2,73)

* > 3heures 30 mn / semaine, ** IMC = index de masse corporelle

Tableau 3 : risque de cancer et de gros adénome colorectal en fonction du périmètre abdominal chez l’homme (12).

Tour

de taille

<89 89-93,9 94-98,9 99-109 >109 cm
Cancer 1,0 0,56 1,09 1,61 2,56*

Gros

adénome

1,0

1,52

1,54

2,11*

2,48*

Points forts

  1. Le risque de cancer digestif est élevé en cas d’obésité et de diabète de type II.
  2. L’excès de risque de cancer induit par le surpoids est réversible après amaigrissement.
  3. L’exercice physique améliore le pronostic des carcinomes coliques traités à visée curative.
  4. Les médicaments insulinosensibilisants (metformine et glitazone) réduisent le risque de carcinome hépatocellulaire chez les malades atteints de cirrhose.