Traitements intra-artériels des métastases hépatiques du cancer colorectal

Objectifs pédagogiques :

  • Principes et modalités des différents traitements intra-artériels hépatiques : chimio intra-artérielle, radioembolisation, chimioembolisation.
  • Connaître leur place par rapport aux autres traitements locaux (chirurgie, radiofréquence)
  • Connaitre les complications et les effets secondaires de ces traitements.
  • Quelles sont les indications actuelles et leur place dans la stratégie thérapeutique du cancer colorectal.

Introduction

Le cancer colorectal (CCR) est le 3ème cancer le plus fréquent dans le monde chez les hommes, et le deuxième chez les femmes (1,23 million de cas au total en 2008, 608700 décès) [1,2] et les métastases hépatiques surviennent chez 35 à 40% des patients. Dans une minorité de cas (10 à 15%) ces métastases sont opérables initialement. Le traitement standard est alors une intervention chirurgicale d’emblée ou une chimiothérapie péri-opératoire de type FOLFOX [3]. Chez environ 20% des patients les métastases, non résécables initialement, vont le devenir grâce à une chimiothérapie d’induction. Chez les autres, l’envahissement hépatique rend impossible une résection complète et un traitement palliatif est débuté, principalement à base de chimiothérapie associée ou non à des biothérapies (anti-VEGF ou anti-EGFR). Néanmoins, ce traitement médical palliatif pourra dans cette population particulière de patients ayant une maladie quasi-exclusivement hépatique permettre des survies prolongées dépassant les 2 voire 3 ans grâce aux traitements mis en œuvre par voie intraveineuse ,mais aussi par voie intra-artérielle hépatique.
L’anatomie vasculaire particulière du foie permet en effet d’effectuer des traitements locaux via son artère principale ou ses branches. L’artère hépatique assure 25% du flux sanguin et 50% de l’oxygénation du foie, la veine porte assure 75% du flux sanguin et également 50% de l’oxygénation. Les tumeurs primitives ou secondaires étant principalement vascularisées par l’artère hépatique et le reste du parenchyme principalement par la veine porte, le traitement des tumeurs en utilisant la voie artérielle permet donc d’administrer dans des conditions de sécurité satisfaisante, l’agent thérapeutique de façon beaucoup plus sélective au sein de la tumeur, en épargnant le tissu hépatique sain.
Dans le cadre spécifique de la prise en charge des métastases hépatiques du cancer colorectal, trois principales approches intra-artérielles seront traitées ici  :
i) La chimiothérapie intra-artérielle hépatique qui consiste à administrer une chimiothérapie classique comme du 5FU ou de l’oxaliplatine, via un cathéter placé, et laissé en place, dans l’artère hépatique.
Ce cathéter peut être placé par voie chirurgicale ou radiologique.
ii) La chimio-embolisation par microbilles chargées (DC-Beads®). Ces microbilles (drug eluting beads –DEB) sont exclusivement chargées avec de l’irinotécan dans le cadre du traitement du CCR et on parlera d’un protocole de type DEBIRI. Elles permettent en théorie par leur diamètre propre d’emboliser les artérioles nourricières de la tumeur afin d’augmenter la concentration du produit au niveau de la lésion, mais aussi afin de créer une ischémie tumorale.
iii) La radioembolisation qui consiste en l’injection de microsphères chargées avec un élément radioactif qui est le plus souvent de l’Yttrium 90 suivie ou non d’une embolisation classique.
Ces différentes techniques ont jusqu’ici été principalement utilisées chez des patients présentant des métastases de CCR non, ou difficilement, résécables: certaines sont en cours d’étude, d’autres ont déjà prouvé leur efficacité à certains stades de la maladie. Nous verrons dans cet article les modalités de ces différentes techniques, leur efficacité dans cette indication et leurs effets secondaires et complications possibles. Enfin, nous essaierons de discuter la place de ces différents traitements dans l’arsenal thérapeutique des métastases hépatiques de CCR.

La chimiothérapie intra-artérielle hépatique (CIAH)

Principes de la technique

La chimiothérapie intra-artérielle intra-hépatique se rapproche de l’administration classique des anti-tumoraux. Elle nécessite la mise en place d’une cathérer dans l’artère hépatique, qui peut se faire de deux façons : ou bien lors d’une intervention chirurgicale (lors la résection du primitif, de métastases), ou bien lors d’une artériographie (nécessitant donc une anesthésie locale, puis une surveillance du point de ponction fémorale), après avoir éliminé les variantes anatomiques et éventuellement obstrué les vaisseaux qui pourraient provoquer un shunt digestif, le cathéter à chambre implantable est placé dans l’artère hépatique.
Lors du traitement, on pique avec une aiguille de Huber le PAC et on peut donc administrer le traitement de façon continue à l’aide d’un pousse seringue. A la fin de celui-ci, l’ablation de l’aiguille est effectuée par un médecin de façon stérile. Ainsi, l’administration peut se faire lors d’une hospitalisation de jour, et est répétée, souvent de façon bimensuelle, comme une chimiothérapie intra-veineuse (IV). Cette technique, nécessitant donc une certaine expertise notamment pour le placement du cathéter intra-artériel, permet de délivrer à la tumeur des doses de chimiothérapie nettement plus importantes que celles délivrées par voie systémique. Par exemple, la concentration d’oxaliplatine au niveau hépatique lors de la CIAH, est 5 fois plus importante que celle retrouvée lorsque le produit est administré par voie IV. Pour les dérivés des fluoropyrimidines (floxuridine (FUDR) et 5FU), la concentration est de 10 à 300 fois plus élevée que lorsque l’agent est administré  par voie IV. De plus, ces produits ayant une forte clairance hépatique, la concentration au niveau systémique est diminuée, ce qui entraine une diminution des effets secondaires du traitement.
La voie intra-artérielle (IA) a été étudiée pour plusieurs produits : le 5FU, l’oxaliplatine, la mitomycine C, voire l’irinotécan (mais le métabolisme de ce médicament rend son utilisation intra-artérielle hépatique plus débattue).

Efficacité des principaux traitements utilisés

Les fluoropyrimidines ont été étudiées depuis de nombreuses années chez des malades avec un CCR avec métastases hépatiques. La majorité de ces études sont assez anciennes, elles comparaient les fluoropyrimidines IA à des fluoropyrimidines par voie IV ou des soins de confort exclusifs, du fait du faible arsenal thérapeutique de l’époque.
Rougier et al. ont montré que chez 163 patients randomisés entre du FUDR IA (81 patients) et un groupe contrôle (dont le traitement dépendait du choix de l’investigateur), le taux de réponse était de 49% dans le groupe IA, contre 13% dans le groupe contrôle.  Le cross-over (permettant aux patients du groupe contrôle d’avoir de l’IA) n’était pas permis et la survie médiane était de 15 mois dans le groupe IA contre 11 mois dans le groupe contrôle, p=0,02, avec 7% de survie à 5 ans dans le groupe IA [4].Dans cet étude, les effets hépatotoxiques étaient retrouvés chez 58% des patients (hépatite chez 34%, sclérose biliaire chez 23%), et le taux de cholangite sclérosante à un an était de 25%.

Plusieurs autres études randomisées ont été regroupées dans une méta-analyse publiée en 2009 : cette dernière reprenait les essais ayant randomisé un traitement par fluoropyrimidine par voie intra-artérielle ou par voie systémique chez des patients ayant des métastases hépatiques de CCR, majoritairement naïfs de tout traitement. Dix études ont été retenues, comparant pour la plupart de la FUDR IA à de la FUDR IV dans 3 essais ou du 5FU IV dans 7 autres essais [5]. Les taux de réponse tumorale étaient clairement en faveur du traitement intra-artériel : 42,9%  versus 18,4% dans le traitement IV (RR=2,26 [1,8-2,84], p<0,0001, Fig. 1). Il n’y avait en revanche pas de différence significative de survie globale qui atteignait 15,9 mois dans le groupe IA, contre 12,4 mois dans le groupe IV (p=0,24, HR=0,9 [0,76-1,07], probablement car un cross-over était autorisé dans 4 études sur les 10 retenues. De plus, les résections hépatiques après downsizing chez des patients initialement non résécables n’étaient pas une pratique courante à l’époque où ont été réalisés la plupart des essais de cette méta-analyse.

Figure 1 – Forrest-Plot des Risk-ratio pour la réponse tumorale. D’après Mocellin et al. Cochrane database 2009 [5]
(Une seule étude sur les 10 ne donne pas les taux de réponse et n’est donc pas représentée dans cette figure)

 Forrest-Plot des Risk-ratio pour la réponse tumorale.

Au delà des fluoropyrimidines, de nouvelles drogues sont utilisées depuis la fin des années 90 par voie IV, comme l’oxaliplatine et l’irinotécan. Ces molécules ont donc été logiquement testées par voie IA. De plus, l’utilisation de ces traitements par voie IA n’empêche pas d’utiliser du 5FU par voie IV, ce qui permet de diminuer le risque de progression extra-hépatique qui était très élevé chez les patients traités uniquement par chimiothérapie IA à l’époque où seule les fluoropyrimidines étaient disponibles.
Cependant, aucune étude randomisée comparative évaluant l’approche intra-artérielle avec ces nouvelles drogues n’est aujourd’hui disponible. Seules des séries rapportant l’expérience de certains centres ou des études de phase II seront donc discutées ici.

L’oxaliplatine par voie IA a été utilisée en première ligne et lors de lignes ultérieures. L’intérêt d’utiliser cette molécule par voie IA est multiple. Cela permet en effet d’augmenter sa concentration intra-hépatique de manière importante, ce qui améliore son efficacité, tout en limitant sa principale toxicité, neurologique, du fait de la faible concentration systémique du produit lorsqu’il est administré par voie IA. Cette toxicité limitante étant donc réduite, un plus grand nombre de cures peut donc théoriquement être proposé aux patients, ce qui pourrait permettre un plus long contrôle de la maladie.
En première et deuxième lignes thérapeutiques, la Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer a publié les résultats d’un essai multicentrique de phase II de 28 patients atteints de CCR avec des métastases uniquement intra-hépatiques, non résécables. Les ¾ de ces patients avaient déjà reçu une première ligne de chimiothérapie systémique sans oxaliplatine. Le traitement à base d’oxaliplatine IA (100 mg/m2 en 2 heures à J1 de chaque cycle) associé à du LV5FU2 IV répétés toutes les 2 semaines permettait d’atteindre un taux de réponse tumorale de 64% (IC 95% [44-81%]), et une résection secondaire fut possible chez cinq patients (17,8%) [6]. Les médianes de survie sans progression et globale avec cette combinaison thérapeutique furent toutes deux de 27 mois, et le taux de contrôle de la maladie après 4 ou 8 cycles était de 75%.
Les principales toxicités de ce schéma thérapeutique sont représentées dans le tableau 1 ci-dessous :

Toxicités tous grades

Nombre de patients

%

Nausées/vomissements

19

73%

Diarrhée

16

62%

Neutropénie

18

69%

Neurotoxicité

18

69%

Thrombopénie

12

46%

Mucite

11

42%

Infection

6

23%

Tableau 1 – Toxicités de la chimiothérapie IA chez 26 patients. D’après Ducreux M. et al. JCO 2005 [6]

De plus, une obstruction temporaire du cathéter est survenue chez cinq patients (sur 26), une sténose de l’artère hépatique chez trois patients, une infection du PAC chez un patient, une extravasation chez deux patients, et des douleurs abdominales chez six patients (23%). [6]

Ce même traitement (Oxaliplatine IA et LV5FU2 IV) a également été testé lors de lignes ultérieures, chez des patients ayant déjà reçu des polychimiothérapies. Quarante-quatre patients avec des lésions hépatiques qui avaient reçu au moins une ligne de chimiothérapie systémique à base de LV5FU2 (tous les patients sauf un avaient reçu du FOLFOX ou du FOLFIRI, voire les deux protocoles pour 64% d’entre eux), furent traités par Oxaliplatine IA et LV5FU2 simplifié IV (bolus de 400 mg/m2 à J1 puis 2400 mg/m2 pendant 48 heures) [7]. Il faut noter que 9 d’entre eux n’avaient pas de progression de leur maladie, mais furent inclus en vue d’augmenter la réponse tumorale hépatique avant une éventuelle chirurgie hépatique. Le taux de réponse objective a été de 55% avec une maladie contrôlée chez 87% des patients. Les survies sans progression et globale médianes ont été de 7 (celle sans progression hépatique de 11,5) et 16 mois respectivement. Parmi ces patients, 18% d’entre eux ont finalement pu avoir une résection ou une destruction par radiofréquence de leurs lésions hépatiques.
L’oxaliplatine utilisée par voie IA, dans ces deux études, permet donc d’obtenir un taux de réponse assez remarquable, dans une population sélectionnée avec des critiques méthodologiques évidentes de ces essais (recueil rétrospectif, indications non prédéfinies, nombre de patients limités, études monocentriques….). Cela dit, un tel taux de réponse en 2ème ou 3ème ligne n’a jamais été rapporté avec des traitements systémiques, permettant parfois même des résections hépatiques.

Les résections faisant suite à un traitement par oxaliplatine IA ont été explorés dans une étude qui analysait de façon rétrospective des données collectées de façon prospective : 87 patients avaient reçu un traitement par Oxaliplatine IA et LV5FU2 IV, dans 79% des cas après échec des traitements IV habituels [8]. Au total, 23 patients ont été opérés, mais 2 patients présentaient une maladie qui n’était pas totalement résécable en per-opératoire et n’ont donc pas eu de geste. 21 patients ont donc finalement eu une résection chirurgicale ou une ablation par radiofréquence. En prenant la date de diagnostic des métastases hépatiques, la survie globale à 5 ans dans le groupe opéré était de 56% contre 0% dans le groupe non opéré (p<0,0001) (fig. 2). Dans le groupe opéré, la survie sans récidive à 2 ans était de 10% et la survie globale médiane (à partir de la date de la chirurgie hépatique) était de 41,9 mois (fig. 3)

Fig. 2 Survie globale des patients non opérés ou opérés après CIAH, calculée à partir de la date de diagnostic des métastases hépatiques, d’après Goéré D et al, Annals of surgery 2010 [8]

 Survie globale des patients non opérés ou opérés après CIAH, calculée à partir de la date de diagnostic des métastases hépatiques, d’après Goéré D et al, Annals of surgery 2010

Fig. 3 Survie globale et survie sans récidive des 23 patients opérés après CIAH, calculée à partir de la date de chirurgie d’après Goéré D et al, Annals of surgery 2010 [8]

Survie globale et survie sans récidive des 23 patients opérés après CIAH, calculée à partir de la date de chirurgie d’après Goéré D et al, Annals of surgery 2010

De même, une autre étude de résections hépatiques après un traitement IA, ce qui conceptuellement pourrait paraitre difficile à cause du risque de complications post-chimiothérapie, qu’elles soient hépatiques (stéato-hépatite, syndrome d’obstruction sinusoidale) ou vasculaires (artérite), ainsi que des complications potentiellement induites par le cathéter artériel, rapporte les résultats de chimiothérapie IA faite chez 49 patients, dont la moitié avait déjà été pré-traités. Contrairement à l’étude précédente, les patients recevaient une association de fluoropyrimidine IA avec de l’oxaliplatine ou de l’irinotécan IV. Ces patients étaient inclus dans une étude de phase I, donc bien sélectionnés. Le taux de réponse objective a été de 92% et vingt-trois patients (47%) ont pu bénéficier d’une résection [9]. La survie globale médiane (à partir du début du traitement IA) chez les patients naifs de chimiothérapie fut de 50,8 mois, et de 35 mois chez les patients pré-traités.
Ainsi un fort taux de réponse obtenu grace à la chimiothérapie IA permet d’ammener certains patients à la chirurgie hépatique, même si les autres traitements systémiques ont échoué antérieurement. Ce traitement pourrait donc bénéficier aux patients qui ne sont pas résécables du fait d’un envahissement hépatique trop important et ne régressant pas suffisament avec un premier traitement systémique habituel. Dans toutes ces études, le taux de réponse extrêmement élevé est la clé pour parvenir à réséquer ces patients. Cela prouve qu’un certain nombre d’entre eux peut réellement bénéficier d’un traitement certes plus agressif et contraignant (pause d’un second cathéter, traitements IV et IA), mais réellement efficace. Une des questions soulevée par ces études est comment sélectionner les meilleurs patients, ceux qui pourront tout d’abord supporter les traitements, mais aussi ceux chez qui une résection pourra être envisagée.
Récemment, trois anticorps monoclonaux ont été mis sur le marché pour traiter les patients atteints de CCR métastatique : le cetuximab et le panitumumab, anti-EGFR, et le bevacizumab, anti-VEGF. Deux études françaises de phase II qui utilisaient le cetuximab par voie IV en association à une chimiothérapie par voie IA ont récemment été rapportées.
La première, l’étude CHOICE, présentée à l’ESMO 2012 a étudié chez des patients avec des métastases hépatiques d’un CCR (k-ras sauvage après un amendement en 2008), naïfs de toute chimiothérapie, l’association d’oxaliplatine IA (100 mg/m2) avec du LV5FU2 et du Cetuximab IV (250 mg/m2 hebdomadaire ou 500 mg/m2 de façon bimensuelle). Les patients avaient une maladie hépatique ne permettant pas une résection curative, et il était possible qu’ils aient un à trois nodules pulmonaires de moins de 5 mm. Trente cinq patients ont été inclus dans huit centres différents : le taux de réponse tumoral était l’objectif principal de l’essai et il fut de 80% dans la population en intention de traiter. Chez les patients avec une maladie k-ras sauvage, le taux de réponse fut de 85%, avec un taux de contrôle de la maladie de 89%. Parmi les 27 actes chirurgicaux effectués chez 23 patients (65,7%), 17 résections ont été complètes (R0, dont 12 en associant chirurgie et radiofréquence) [10]. Les médianes de survie globale et sans progression rapportées étaient 45 et 20 mois dans la population avec une tumeur k-ras sauvage. La tolérance de cette association était globalement satisfaisante, sans décès toxique. Les principales toxicités de grade III-IV étaient des douleurs abdominales chez 40% des malades, une neuropathie périphérique chez 34% et une toxicité cutanée chez 29%. D’un point de vue hématologique, les neutropénies de grade III-IV sont survenues chez 37% des malades.

La deuxième étude, OPTILIV-07, également présentée à l’ESMO 2012, associait chez des patients avec des métastases hépatiques d’un CCR k-ras sauvage déjà prétraité, une chimiothérapie IA par oxaliplatine (85 mg/m²), irinotécan (180 mg/m²) et 5FU (2800 mg/m²) à du cetuximab IV (500 mg/m²) toutes les 2 semaines. Soixante quatre patients ont été inclus de façon multicentrique, ayant déjà reçu une, deux ou trois lignes de chimiothérapie antérieure. Le taux de réponse objective a été de 45% [31-59] et le taux de contrôle de la maladie de 83%. Le taux de résections hépatiques secondaires, chez des patients déjà prétraités, était de 33,3%. La survie sans progression médiane fut de 9,1 mois, et la survie globale de 28,6 mois (Levi F et al. A # 568P, Vienna, ESMO 2012). Là encore, la tolérance était correcte, les principales toxicités relevées étant des douleurs abdominales chez 26,2% des patients, la fatigue chez 18%, les diarrhées chez 16,4% et les neutropénies chez 40% des patients.
Ces deux travaux montre que l’adjonction d’un anti-EGFR aux chimiothérapies IV et IA est faisable avec un profil de tolérance acceptable et permet d’obtenir, en première ligne comme lors d’une ligne ultérieure, des résultats très prometteurs avec des taux de réponse particulièrement élevés, mais aussi d’atteindre des survies sans progression et globale très satisfaisantes.

Enfin, la dernière indication, qui ne sera pas discutée ici, est l’éventuelle place de la CIAH en tant que traitement adjuvant chez des patients ayant eu une résection de métastases hépatiques, chez qui le risque de récidive intra-hépatique est important.

Au vu de ces résultats encourageants, il va falloir maintenant effectuer des essais randomisés, avec comme objectifs non seulement le taux de réponse, les survies sans progression et globale, mais aussi et surtout la possibilité de réséquer des maladies initialement non résécables. Cette étape est indispensable pour que la CIAH puisse être proposée demain à tous les patients qui pourraient en bénéficier. La question de la place de ce traitement dans la stratégie thérapeutique, reste ouverte. Faut-il débuter de façon très agressive pour essayer d’arriver à réséquer le maximum de métastases hépatiques, comme dans l’étude CHOICE, limitant les possibilités ultérieures chez les patients qui progresseront ? Ou faut-il débuter par une chimiothérapie systémique plus « classique », en réservant la chimiothérapie IA aux patients pour lesquels les résultats de la chimio IV restent insuffisants ?
En attendant ces études qui nous amèneront un niveau de preuve élevé sur le bénéfice apporté par cette approche thérapeutique, elle peut, malgré les contraintes techniques qu’elle impose, être discutée au cas par cas en réunion de concertation multidisciplinaire chez des patients ayant une maladie limitée au foie au vu des résultats préliminaires très prometteurs dont nous disposons aujourd’hui.

Il ne faut cependant pas oublier que la chimiothérapie IA est relativement toxique, puisqu’on retrouve à travers les différents essais, et ce chiffre est assez constant, des taux de toxicité d’environ 40% pour les neutropénies et de 30 à 40% pour les douleurs abdominales qui nécessitent souvent un traitement à base de morphiniques.
Cela doit être donc clairement expliqué aux patients qui, en plus de la contrainte de la pose d’un second cathéter, vont recevoir un traitement non dénué d’effets secondaires. Chez des patients qui ne pourront pas être guéris de leur maladie, cela doit rentrer en compte dans le choix et le place du traitement, car leur qualité de vie sera probablement diminuée par cette voie d’administration.

La chimiothérapie IA est donc une nouvelle possibilité thérapeutique, toujours en cours de développement, mais avec des données préliminaires sur son efficacité très encourageantes. Sa place reste clairement à définir puisque les études sont toutes de faible effectif et ne comparent que rarement l’IA à l’IV. En revanche, le fort taux de réponse tumorale en fait, probablement, une bonne option chez des patients dont la maladie hépatique est à la limite de la résécabilité, si ceux-ci sont en bon état général et peuvent supporter un traitement non dénué de toxicité.

LA RADIOEMBOLISATION (RE)

La radioembolisation permet d’administrer au niveau du foie des microsphères chargées avec de l’Yttrium (Y90) qui émet un rayonnement β-. Il a une demi-vie de 64,2 heures, et une distance d’irradiation de 2,5 mm, ce qui permet une bonne préservation des tissus sains adjacents à la tumeur. L’Y90 est chargé sur des microsphères qui sont administrées au niveau du foie par l’artère hépatique, atteinte par cathétérisme via l’artère fémorale.
Avant le traitement lui-même, plusieurs évaluations sont indispensables afin de sélectionner au mieux les patients et d’éviter de traiter ceux qui ne bénéficieraient pas de cette technique et qui pourraient présenter des complications. Les recommandations d’un panel d’experts écrites en 2007 sont une aide précieuse pour sélectionner les bons candidats [11]. Les principaux critères retenus pour utiliser la RE comme traitement des lésions hépatiques sont : un bon état général, pas d’irradiation hépatique antérieure, des lésions hépatiques irrésécables envahissant moins de 50-60% du parenchyme hépatique, une maladie principalement intra-hépatique et une bonne fonction hépatique (Bilirubine totale <2 mg/dl, albuminémie>30g/L, absence d’ascite).
Chez ces patients, la première étape est de pratiquer une artériographie hépatique pour évaluer la vascularisation hépatique, détecter des variations anatomiques, analyser les perturbations hémodynamiques liées à la tumeur [11] et pour emboliser de façon préventive les artères collatérales de l’artère hépatique commune afin d’éviter des reflux de microsphères vers d’autres organes [12][13][14].
La deuxième étape, effectuée dans le même temps, est de réaliser une scintigraphie après l’injection intra-artérielle de macro-agrégats d’albumine (MAA) marqués au Technétium 99 (99mTc). Cette injection, réalisée dans les mêmes conditions que l’injection des microsphères chargées à l’Y90, va permettre de mesurer le shunt hépato-pulmonaire, et de rechercher d’autres shunts. (Fig. 4)
Finalement, un scanner ou une IRM permettra de calculer la dose à délivrer au patient, en prenant en compte les volumes tumoraux et sain du foie. Aujourd’hui, la méthode par partition et la méthode de la surface corporelle (BSA) sont les plus utilisées pour calculer le plan de traitement le plus précis et sûr possible [15].

Si les résultats de l’artériographie, de la scintigraphie aux MAA marqués et des calculs de dose permettent le traitement, un micro-cathéter est placé dans l’artère hépatique et les microsphères sont administrées sous contrôle radiologique une à deux semaines après la scintigraphie aux MAA. Le rayonnement de freinage (bremsstrahlung) est ensuite analysé pour évaluer les localisations des microsphères chargées d’Y90 afin d’être certain qu’aucun shunt supplémentaire n’ait eu lieu pendant le traitement. Il est éventuellement possible, pour des raisons pratiques ou thérapeutiques d’effectuer deux traitements espacés de quelques semaines : un premier traitant une partie du foie (gauche ou droite), et le deuxième la partie restante. Les différentes étapes de la radioembolisation sont rappelées dans la figure 5.

Scintigraphie au Macro-agrégats d’Albumine marqués au Technétium 99. La couleur jaune correspond aux localisations des macro-agrégats.

Fig. 4 Scintigraphie au Macro-agrégats d’Albumine marqués au Technétium 99. La couleur jaune correspond aux localisations des macro-agrégats.

Comme précédemment décrit, l’Y90 a une pénétration tissulaire faible (2,5 mm), la radioprotection post-thérapeutique n’est donc pas un problème majeur. Le risque principal est l’exposition des équipes soignantes au rayonnement de freinage émis par le patient après la procédure. Pour minimiser ce risque, il convient que le personnel porte un dosimètre et un tablier de plomb, deux paires de gants jetables non stériles, et garde le maximum de distance avec le patient (doubler la distance revient à diminuer l’exposition d’un facteur 4). Il convient également de se placer le plus loin possible du foie lors des contacts étroits, en se plaçant par exemple toujours à gauche du patient. Les femmes enceintes ne doivent pas être en charge des patients venant d’être traités.
Enfin, il faut apprendre aux patients quelques règles simples à suivre pendant la semaine suivant le traitement : dormir seul, éviter les contacts avec des femmes enceintes ou avec des enfants de moins de 15 ans et garder une distance de deux mètres avec les autres personnes.

5: prise en charge des patients pour la RE, d’après REBOC Consensus Guidelines. Kennedy et al. [11].

Fig. 5: prise en charge des patients pour la RE, d’après REBOC Consensus Guidelines. Kennedy et al. [11].

Dans les métastases hépatiques de CCR, la RE a été étudiée seule ou associée à une chimiothérapie systémique, chez des patients en première ligne ou bien progressant sous tous les traitements médicaux habituels.
Dans la majorité des essais, la RE a été évaluée en dernière ligne, lorsque les autres traitements médicamenteux avaient échoué, et que le patient présentait une maladie principalement hépatique. Ces essais son souvent de petits effectifs, et relatent l’expérience d’un centre.
De façon prospective, chez des patients résistants aux thérapies systémiques usuelles, une étude  australienne de 30 patients a montré que le taux de réponse partielle était de 33%, et la durée médiane sans progression de 8,3 mois [16]. Lors de cette première étude prospective, les patients ayant reçu de l’oxaliplatine et de l’irinotécan (encore en essais thérapeutiques lors de cette étude) avaient des taux de réponse plus mauvais et une survie sans progression plus courte que les patients traités après du 5FU seul. Il est aussi intéressant de noter que les patients OMS 3 ou avec une maladie extra-hépatique ne semblent avoir tiré aucun bénéfice du traitement par RE.
Cela est concordant avec les résultats récents d’une étude de phase II italienne, évaluant la RE chez 50 patients ayant reçu les chimiothérapies « modernes », 76% d’entre eux ayant reçu plus de 4 lignes [17]. Un patient (2%) avait une réponse complète, 22% une réponse partielle, 24% une maladie stable et  44% progressaient, les autres (8%) étant non évaluables. La survie globale médiane était de 12,6 mois [7,0–18,3], et plus surprenant, le taux de survie à 2 ans était de 19,6%.Cependant, les patients étaient extrêmement sélectionnés dans ce travail puisque l’indice de performance OMS était de 0 chez 70% d’entre eux ou 1 chez les 30% restants et que la maladie hépatique était relativement limitée avec un envahissement hépatique inférieur à 25% dans 40% des cas.
Ces résultats de petites études confirment que, chez des patients sélectionnés, ce traitement en dernière ligne semble avoir une efficacité intéressante, et il a donc été étudié dans un essai prospectif de phase III chez 44 patients réfractaires aux chimiothérapies (5FU, oxaliplatine et irinotécan)  : RE plus 5FU continu (225 mg/m2 de J1 à J14 puis 300 mg/m2 de J1 à J14 toutes les 3 semaines) comparé à du 5FU continu seul (300 mg/m2 de J1 à J14 toutes les 3 semaines). L’objectif principal de cet étude était le temps jusqu’à progression hépatique et était de 5,5 mois dans le bras RE+5FU contre 2,1 mois dans le bras 5FU seul, (HR=0,38 [0,20-0,72], p=0,003), mais il n’y avait en revanche pas de différence de survie globale (10 mois contre 7,3 mois, p=0,80) possiblement à cause de cross-over concernant presque la moitié des patients traités par 5FU continu seul [18]. Il n’existait pas de différence entre les bras concernant les toxicités de grades 3 et 4.
Une autre possibilité serait d’utiliser la RE dès la première ligne de traitement, en association avec une chimiothérapie systémique : Van Hazel et al. ont montré chez 21 patients randomisés entre 5FU et RE versus 5FU seul (425 mg/m2 et leucovorine 20mg/m2 pendant 5 jours) que le taux de réponse était meilleur chez les patients ayant eu le traitement combiné, aucun patient du groupe 5FU n’ayant eu de réponse partielle, au contraire de 10 patients sur les 11 traités par 5FU et RE, p<0.001. De même, le temps jusqu’à progression était de 18,6 mois dans le groupe RE+5FU contre 3,6 dans le groupe chimiothérapie seule, p<0.0005 [19]. La survie globale médiane était également plus longue, passant de 12,8 mois à 29,4 mois pour le traitement combiné (HR : 0,33 [0,12–0,91], p=0,025) dans cette population de patients ayant des métastases limitées au foie.
Un autre essai randomisé de phase III a étudié la différence entre la chimiothérapie intra-artérielle hépatique (floxuridine IA) et le même traitement associé à de la RE chez 74 patients randomisés. La bithérapie locale avait une meilleure efficacité puisque les taux de réponse objective étaient de 44% contre 17,6%, p= 0,01 [20], le temps médian jusqu’à progression hépatique de 15,9 contre 9,7 mois (p=0,001), et les taux de survie à 2 et 3 ans étaient de 39 et 17% respectivement pour la RE, contre 29 et 6,5% pour la chimiothérapie intra-artérielle.
En première ligne, l’ajout de la RE à la chimiothérapie est donc un concept séduisant, avec des résultats encourageants dans des études randomisées mais de très faibles effectifs.
Au vu de ces premiers résultats, deux grands essais de phase III étudiant du FOLFOX (plus ou moins une biothérapie) associé ou non à une RE en première ligne de traitement, ont été lancés. Les études SIRFLOX et FOXFIRE, et leurs résultats attendus pour 2014 permettront vraisemblablement de situer la place de la RE dans l’arsenal thérapeutique de première ligne du CCR. Enfin, sa place lors d’une ligne ultérieure reste à définir, en particulier chez les patients ayant épuisé les autres traitements disponibles et n’ayant pas de maladie extra-hépatique.

Concernant la tolérance de ce traitement, il existe quasiment systématiquement une perturbation du bilan hépatique, le plus souvent modérée, de grade 1-2. Quelques cas de défaillance hépatiques ont été rapportés avec cette technique mais essentiellement chez des patients traités pour un CHC avec une hépatopathie sous jacente ou avec des métastases de CCR envahissant plus de 50% du parenchyme hépatique. Ainsi cet évènement indésirable fatal ne devrait plus se voir si l’on respecte les critères de  sélection de la conférence de 2007. Des nausées et des vomissements sont également possibles et le plus souvent contrôlés par des antiémétiques classiques. Une toxicité plus spécifique à rechercher si les symptômes sont compatibles est la gastrite, voire l’ulcération, radique qui peut être due à un shunt vasculaire non vu lors de l’artériographie. Cette ulcération peut saigner, et cicatrise très difficilement sous inhibiteurs de la pompe à protons (fig. 6.) Son incidence est estimée à environ 10% des patients, mais pourrait être plus fréquente si des endoscopies étaient pratiquées systématiquement après le geste.

 découverte d’une volumineuse ulcération de 6 cm après une hémorragie digestive, 4 mois et demie après le  traitement par radioembolisation.

Fig. 6a : découverte d’une volumineuse ulcération de 6 cm après une hémorragie digestive, 4 mois et demie après le  traitement par radioembolisation.

 Contrôle endoscopique après 3 semaines de traitement par IPP double dose : persistance de l’ulcération

Fig. 6b Contrôle endoscopique après 3 semaines de traitement par IPP double dose : persistance de l’ulcération

Contrôle à un mois et demi de traitement par IPP double dose : persistance de l’ulcération qui n’a absolument pas répondu au traitement.

Fig. 6c : Contrôle à un mois et demi de traitement par IPP double dose : persistance de l’ulcération qui n’a absolument pas répondu au traitement.

La CHIMIO-EMBOLISATION (CEIA)

Il ne s’agit pas ici de la chimio-embolisation classique, utilisée historiquement dans le carcinome hépatocellulaire et utilisant une administration de chimiothérapie IAH immédiatement suivie d’une embolisation par éponges biologiques. C’est le développement récent de nouveaux biomatériaux : les Drug Eluting Beads (DEB), qui sont des billes de diamètre connu que l’on peut charger avec des molécules cytotoxiques. Ces billes vont à la fois délivrer l’agent anticancéreux sur le site lésionnel mais aussi obstruer les vaisseaux capillaires de la tumeur entrainant ainsi un phénomène ischémique supplémentaire.
L’avantage de cette approche est sa simplicité de réalisation. Contrairement aux deux techniques précédente elle ne nécessite ni la mise en place d’un cathéter intra-artériel, ni l’administration d’un agent radioactif imposant des contraintes d’utilisation lourdes. Elle pourrait permettre de diffuser l’approche intra-artérielle chez des patients atteints de CCRm à de nombreux centres car elle ne nécessite que la collaboration d’un radiologue vasculaire et d’un oncologue digestif.
Dans le CCR, le protocole Dc-Beads® + irinotecan s’appelle DEBIRI. Les sphères de 100 à 300µm de diamètre sont chargées avec de l’irinotécan dont 100 à 200 mg sont administrés à chaque injection.
Avant la procédure, les patients reçoivent une hyperhydratation, qui doit être poursuivie pendant 24-48h après le geste. De plus, un traitement antalgique prophylactique doit être mis en place, si possible par un morphinique administré par PCA (Patient Controlled Analgesia).
Lors d’une artériographie sous anesthésie générale via l’artère fémorale, le cathéter est positionné le plus sélectivement possible afin de traiter la lésion le plus précisément possible, en épargnant le tissu sain adjacent. Bien entendu, d’éventuels shunts sont recherchés lors de l’artériographie pour éviter toute injection extra-hépatique. Cette injection sélective permet, grâce au diamètre des billes, d’obstruer les artérioles nourricières de la tumeur afin de créer le phénomène ischémique.
Le nombre d’injection dépend de l’envahissement hépatique (uni ou bilobaire), du nombre et de la taille des lésions hépatiques, et des données de l’artériographie [21].

Les données concernant le protocole DEBIRI restent encore limitées mais 2 études principales ont à ce jour permis de commencer à étudier son efficacité et sa tolérance.
La première étude a utilisé ce protocole chez des patients avec une maladie déjà traitée par chimiothérapie IV. Cinquante cinq patients ont été inclus, vingt-quatre d’entre eux progressant après au moins 2 lignes de chimiothérapie et 99 traitements ont été effectués, en utilisant chez 30% des patients, du 5FU par voie IV ou orale de façon concomitante. Le taux de réponse à 3 mois était de 65%, avec 12% de réponse complète. La survie médiane sans progression était de 11 mois (15 mois de survie sans progression hépatique), et la survie médiane globale de 19 mois [22].
La 2ème étude est un essai de phase III, ayant comparé chez des patients déjà prétraités et échappant à de multiples lignes de chimiothérapie, un traitement par DEBIRI à une chimiothérapie IV par FOLFIRI. Elle a randomisé 74 patients ayant tous des métastases métachrones et ayant déjà reçu 2 ou 3 lignes de chimiothérapies antérieures dont l’irinotécan pour 30% des patients dans chaque bras. La survie globale médiane, objectif principal de l’étude, était de 22 mois dans le groupe DEBIRI contre 15 mois dans le groupe contrôle, p=0,031 (fig. 7) [23].

Fig. 7 –  Survie globale des patients traités par DEBIRI et FOLFIRI. D’après Fiorenini et Al. Anticancer  Res 2012

  Survie globale des patients traités par DEBIRI et FOLFIRI. D’après Fiorenini et Al. Anticancer  Res 2012

La survie sans progression a été de 7 mois dans le groupe DEBIRI et de 4 mois dans le groupe FOLFIRI, p=0,006, et les taux de réponse objective étaient également en faveur du groupe DEBIRI, puisqu’ils étaient de 68,6%, contre 20% dans le groupe traité par FOLFIRI.

Les résultats de l’efficacité de ce protocole sont donc encourageants, mais ils soulèvent également plusieurs questions : tout d’abord la place de ce traitement qui est utilisé dans les 2 essais chez des patients lourdement pré-traités. En pratique, peu de patients ont une maladie limitée au foie après 2 ou 3 lignes de chimiothérapie, ce qui réserve cette approche qu’à une toute petite minorité de malades. Il faudrait donc probablement essayer de développer cette technique plus précocement dans la prise en charge de nos malades, afin de la proposer par exemple comme traitement de consolidation chez des malades non résécables ou pour essayer d’avoir un downsizing chez des patients potentiellement résécables vu les taux de réponse rapportés assez importants (environ 65% dans les 2 études, mais chez des patients déjà prétraités).
D’autres questions restent aujourd’hui sans réponse concernant cette approche thérapeutique : faut-il poursuivre un traitement systémique par 5FU pour diminuer le risque de progression extra-hépatique ? Faut-il, et peut-on, associer une chimiothérapie systémique comme l’oxaliplatine pour intensifier la réponse ?  Et enfin, quelle est la place des biothérapies dans cette stratégie, aucune d’entre elles n’ayant été étudiée avec le DEBIRI à ce jour.

Concernant la tolérance du DEBIRI  des données sur 109 patients ayant reçu 187 traitements (pour de multiples indications  : CCR, cholangiocarcinomes…) ont été rapportées. L’effet secondaire le plus fréquent était un syndrome post-embolique (comprenant nausées, douleurs et vomissements) qui survenait chez 42% des patients, mais était régressif en quelques jours dans la quasi-totalité des cas et facile à contrôler avec des traitements symptomatiques adaptés. La majorité des patients avaient également des anomalies du bilan hépatique peu sévères (valeur médiane de grade 2) [24]. En analyse multivariée, les facteurs prédictifs de toxicité étaient l’absence d’injection de lidocaïne dans l’artère hépatique, plus de 3 injections de DEBIRI, plus de 100 mg d’irinotecan par traitement, et une bilirubinémie à plus de 2 µg/dL avec plus de 50% du foie envahi.
Les données concernant la tolérance de l’étude de phase III suscitée montrent que les neutropénies, diarrhées et stomatite étaient statistiquement plus fréquentes dans le groupe FOLFIRI, et les élévations des transaminases (58%) et de la bilirubine (18%) étaient plus fréquentes dans le groupe DEBIRI.     De même, la douleur (30%), les nausées et vomissements (25%) et l’asthénie (20%) étaient les effets secondaires les plus fréquents après le DEBIRI. L’analyse de la qualité de vie, faite chez 65% des patients, a cependant montré dans cette étude que le DEBIRI permettait de mieux maintenir une bonne qualité de vie à un et trois mois de la randomisation par rapport au FOLFIRI (p=0,038 et 0, 025 respectivement) [23].

Le DEBIRI semble donc avoir une certaine efficacité chez des patients pré-traités atteints de métastases hépatiques de CCRm, tout en permettant de maintenir la qualité de vie, chose très importante dans cette situation. Beaucoup de points restent cependant à éclaircir concernant la place de ce traitement dans la stratégie thérapeutique de prise en charge du patient, sa comparaison à une chimiothérapie IV à un stade plus précoce, son association à une chimiothérapie IV concomitante, et son utilisation avec des biothérapies.

Conclusion

Les traitements intra-artériels hépatiques sont pour certains assez anciens, mais il ressort clairement des différentes études que leur place exacte dans la prise en charge des métastases de CCR n’est pas encore définie. Tous ces traitements permettent d’obtenir des taux de réponse intra-hépatiques très prometteurs, et leur utilisation en vue d’une chirurgie parait être l’indication la plus séduisante. Cependant, les effets secondaires, notamment hépatiques, doivent nous conduire à la prudence, car les données de tolérance après chirurgie hépatique chez des patients traités par voie intra-artérielle restent limitées.
Enfin, les différents essais réalisés ont des effectifs le plus souvent limités, et une population de patients rigoureusement sélectionnée. Ces traitements doivent donc être discutés au cas par cas en réunion de concertation pluridisciplinaire afin d’éviter des complications ou des progressions extra-hépatiques rapides qui rendraient le bon contrôle hépatique inintéressant.
Il va falloir dans les prochaines années, pour permettre de faire progresser nos connaissances sur la place de ces traitements en nième ligne de traitement mais aussi en première ligne et pourquoi pas en situation adjuvante après résection de métastases hépatiques, mener de nombreuses études cliniques. Certaines sont déjà en cours, mais de nouvelles restent à construire.

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Les points forts

  • La chimiothérapie intra-artérielle hépatique permet d’obtenir des taux de réponse tumorale intéressants chez des malades sélectionnés, dans des études d’effectifs souvent restreints.
  • La radio-embolisation en association à du 5FU IV a montré son efficacité chez des patients en échec thérapeutique, après plusieurs lignes. Des études de phase III sont en cours pour évaluer  son efficacité en première ligne.
  • La chimio-embolisation de type DEBIRI (billes chargées à l’Irinotécan)  a montré sa supériorité par rapport au FOLFIRI IV chez des patients pré-traités. Son intérêt en traitement de première intention reste à établir.
  • A ce jour, ces traitements intra-artériels ne sont pas des standards thérapeutiques validés.