La décompensation aiguë sur cirrhose « ACLF » : Acute on Chronic Liver Failure

POST’U 2018

Hépatologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaitre la définition de l’ACLF
  • Connaître l’impact pronostique de l’ACLF dans l’histoire naturelle de la cirrhose
  • Connaitre les principales causes d’ACLF et leur prise en charge

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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.

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Les 5 points forts

  1. L’ACLF (Acute on Chronic Liver Failure) est une forme de décompensation aiguë (DA) de la cirrhose, distincte de la DA traditionnelle. Le diagnostic d’ACLF est fondé sur l’existence de défaillances d’organes chez un malade atteint de cirrhose avec une DA.
  2. La mortalité sans transplantation à 28 jours est très différente entre les 2 conditions. Celle de l’ACLF est très élevée, variant de 22 % (ACLF grade 1) à plus de 80 % (ACLF grade 3). Celle de la DA traditionnelle est < 5 %.
  3. L’ACLF est un syndrome dynamique dont la forme définitive se stabilise pendant la première semaine d’évolution. Un certain nombre de malades s’améliore même en cas d’ACLF grade 3. Cependant, les malades qui ont d’emblée 4 défaillances d’organes ou plus, ont une mortalité de 90 à 100 %.
  4. Le diagnostic d’ACLF doit être associé à celui du ou des facteurs qui ont précipité le syndrome.
  5. La survenue d’une ACLF n’est pas toujours une complication terminale chez un malade avec une longue histoire de cirrhose décompensée.

Pas de conflit d’intérêt

Mots-clés : cirrhose, défaillance d’organe, décès à court terme.

La décompensation aiguë (DA) de la cirrhose conduit à l’hospitalisation des malades atteints de cirrhose. La décompensation aiguë est définie par l’apparition récente d’une ascite, un épisode d’encéphalopathie hépatique, une hémorragie digestive, un épisode infectieux ou n’importe quelle combinaison de ces critères. Jusqu’à il y a peu de temps, l’expérience clinique des hépatologues leur faisait penser qu’il y avait deux catégories de DA : la première dite traditionnelle, de bon pronostic à court terme et la seconde, appelée « acute-on-chronic liver failure » (ACLF) plus complexe, associée à des défaillances d’organe et de mauvais pronostic. Cependant, le syndrome « ACLF » n’avait pas de définition fondée sur l’évidence et les définitions jusqu’alors proposées étaient en fait des opinions d’expert, certes estimables mais dont la validité et la reproductibilité n’avaient pas été vérifiées prospectivement. En 2011, une étude européenne, multicentrique, observationnelle prospective, appelée CANONIC a été conduite dans le but d’établir les critères diagnostics de l’ACLF. L’étude CANONIC s’est faite sous l’égide de l’European Association for the Study of the Liver (EASL)-Chronic Liver Failure (CLIF) Consortium ». L’étude CANONIC était par définition une étude agnostique ; les seuls critères préspécifiés dans le protocole de l’étude étaient que : a) le malade soit admis à l’hôpital pour DA ; b) le diagnostic des défaillances d’organes soit fait à l’inclusion des malades à l’aide d’un score dérivé du « Sequential Organ Failure Assessment (SOFA) » (Tableau I) [1] ; c) l’ACLF devrait être associée à une mortalité à court terme (28 jours), sans transplantation, d’au moins 15 %. Ces critères soulignent le fait que les hépatologues en charge de l’élaboration de l’étude avaient l’intuition, qu’à tout coup, le diagnostic ACLF ne pouvait se déduire mécaniquement de l’existence et du nombre de défaillances d’organe. En effet, ils avaient conscience du caractère arbitraire des définitions données a priori aux défaillances d’organe dans l’échelle utilisée (Tableau I). En 2013, les résultats de l’étude CANONIC ont été publiés, établissant les critères diagnostiques permettant de différencier la DA traditionnelle de l’ACLF [1].

Organe/système 0 1 2 3 4
Foie
(Bilirubine, µmol/L)
< 21 ≥ 21 – ≤34 ≥ 34 – < 103 3 ≥ 205
Rein
(Créatinine, µmol/L)
< 106 ≥ 106 – < 177 ≥ 177 – < 309 ≥ 309 – < 442 ≥ 442 ou utilisation de l’épuration extra-rénale
Cerveau (EH, grade) Absente I II III c IV
Coagulation (INR) <1.1 ≥ 1.1 – < 1.25 ≥ 1.25 – < 1.5 ≥ 1.5 – < 2.5 ≥ 2.5 or Plaquettes ≤ 20 × 109/L
Circulation
(PAM mm Hg)
≥ 70 <70 Dopamine ≤ 5 ou Dobutamine ou Terlipressine Dopamine > 5 ou
E ≤ 0.1 ou
NE ≤ 0.1
Dopamine > 15 ou
E > 0.1 ou
NE > 0.1
Poumons
PaO2/FiO2:
> 400 > 300 – ≤ 400 > 200 – ≤ 300 > 100 – ≤ 200 ≤ 100
Ou bien
SpO2/FiO2
> 512 >357 – ≤ 512 > 214 – ≤ 357 > 8 – ≤ 214 ≤ 89

Tableau I. L’échelle Chronic Liver Failure (CLIF)-Sequential Organ Failure Assessment (SOFA), CLIF-SOFA*
* L’échelle CLIF-SOFA a été développé pour l’étude CANONIC (1).
EH, encéphalopathie hépatique (selon la classification de West Haven) ; INR, International Normalized Ratio ; PAM, pression artérielle moyenne ; E, épinephrine ; NE, norépinephrine, PaO2, pression partielle en oxygène ; FIO2, fraction d’oxygène inspiré ; SpO2, saturation d’oxygène mesurée par capteur. Chaque organe/système reçoit un score de 0 (normal) à 4 (très anormal). Un score total de 0 à 24 peut être calculé et reflète la sévérité globale. La couleur bleue indique les critères diagnostiques pour chaque défaillance d’organe. Depuis la publication de l’étude CANONIC, une échelle simplifiée d’évaluation des défaillances d’organes et de systèmes a été développée à partir de l’échelle CLIF-SOFA et a donné naissance à l’échelle CLIF Consortium (CLIF-C) Organ Failure (2), disponible sur http://www.efclif.com.

Critères diagnostiques de l’ACLF

L’étude CANONIC a inclus 1 343 malades hospitalisés pour DA dans 29 Services d’hépatologie de 12 pays différents [1]. Cette étude a établi les critères permettant de classer la DA traditionnelle et l’ACLF en deux catégories distinctes (Tableau II). Les données utilisées pour établir ces critères étaient les données recueillies à l’enrôlement des malades dans l’étude. Après établissement des critères, il y avait 1 040 malades (77,4 %) avec une DA traditionnelle et 303 (22,6 %) avec une ACLF.

Trois groupes de malades définissent la DA traditionnelle. Le premier groupe comprend les malades sans défaillances d’organe comme définies par l’échelle CLIF-SOFA ; le deuxième groupe comprend les malades avec une défaillance d’organe isolée (foie, coagulation, circulation, poumons) qui ont un taux de créatinine sérique < 133 µmol/L et n’ont pas encéphalopathie hépatique ; enfin le troisième groupe comprend les malades avec une défaillance cérébrale isolée et une créatinine sérique <133 µmol/L. Les malades avec une DA traditionnelle ont une mortalité sans transplantation à 28 jours < 5 % (Tableau II) [1].

Les malades avec une ACLF peuvent être classés en trois grades de sévérité croissante, grade 1, 2, et 3 (Tableau II) [1]. L’ACLF de grade 1 réunit 3 groupes de malades. Le premier comprend des malades avec une défaillance rénale (créatinine sérique ≥ 177 µmol/L) ; le deuxième comprend des malades avec une dysfonction rénale (définie par une créatinine sérique entre 133 et 168 µmol/L) associée à la défaillance isolée d’un des organes/systèmes suivants : foie, coagulation, poumon, circulation ; le troisième groupe comprend les malades avec une dysfonction rénale et une défaillance cérébrale. L’ACLF grade 1 est associée à une mortalité à court terme est de 22,1 % (Tableau II) [1].

L’ACLF de grade 2 réunit les malades avec 2 défaillances d’organe et est associée à mortalité à court terme est de 32,0 %. L’ACLF grade 3 réunit les malades avec 3 défaillances d’organe ou plus et est associée à une mortalité à court terme de 78,6 % (Tableau II) [1].

Catégorie Définition Mortalité à 28 jours (%)
DA traditionnelle Pas de défaillance d’organe ou bien 4,7
Défaillance d’organe isolée (foie, coagulation, circulation, poumons) associée à une concentration de créatinine sérique <133 µmol/L et sans encéphalopathie hépatique ou bien
Défaillance cérébrale isolée associée à une concentration de créatinine sérique < 133 µmol/L
ACLF
Grade 1 Défaillance rénale isolée ou bien 22
Défaillance d’organe isolée (foie, coagulation, circulation, poumons) associée à une dysfonction rénale définie par une concentration sérique de créatinine comprise entre 133 ≤ 168 µmol/L) et/ou à une encéphalopathie hépatique grade 1 ou 2** ou bien
Défaillance cérébrale associée à une dysfonction rénale telle que définie ci-dessus
Grade 2 Deux défaillances d’organe 32,0
Grade 3 Trois défaillances d’organe ou plus 78,6

Tableau II. Catégories de décompensation (DA), traditionnelle ou bien « acute-on-chronic liver failure (ACLF) », en fonction de l’existence de défaillances d’organes telles que définies par l’échelle CLIF-SOFA et de la mortalité à 28 jours*
* D’après la ref. 1. L’échelle CLIF-SOFA est détaillée dans le Tableau I. La mortalité à 28 jours est la mortalité sans transplantation.
** Classification de West Haven (voir aussi Tableau I).

Il est important de comprendre que l’existence d’une défaillance d’organe isolée telle que définie dans l’échelle CLIF-SOFA est une condition nécessaire mais pas suffisante. Par exemple, un malade avec une défaillance hépatique isolée (bilirubine sérique de 205 µmol/L ou plus) n’est considéré comme ayant une ACLF grade 1 que s’il a simultanément une dysfonction rénale et/ou une encéphalopathie grade 1 ou 2. En conséquence, le terme ACLF n’est pas tout à fait approprié ; cependant, il continue à être utilisé car établi par l’usage et en raison de l’absence de meilleure dénomination.

Depuis sa description initiale, l’échelle CLIF-SOFA a été simplifiée [2].

Quel est le meilleur moment pour établir le diagnostic définitif d’ACLF ?

L’étude CANONIC a montré que l’ACLF est un syndrome dynamique [3] ; en effet dans la semaine qui suit l’enrôlement, 55 % des malades qui avaient initialement une ACLF de grade 1 n’ont plus d’ACLF ; 48 % des malades avec un grade 2 initial s’améliorent (14 %) ou régressent au stade « ACLF grade 0 » (34 %). De façon intéressante, 32 % des malades avec un grade 3 initial s’améliorent (16 %), voire régressent au stade « ACLF grade 0 » (16 %). Ces résultats indiquent que l’appréciation définitive de la sévérité des malades admis avec une ACLF doit se faire dans la semaine qui suit l’admission. Sachant que l’ACLF n’est pas « fixée », et qu’autrement dit qu’elle peut être réversible, les malades avec une ACLF doivent bénéficier d’une prise en charge initiale intensive avec une réévaluation du grade d’ACLF pendant la semaine qui suit l’admission.

Cependant, ces recommandations doivent être nuancées. En effet, une analyse plus fine des malades de l’étude CANONIC qui avaient une ACLF grade 3, à l’enrôlement, a montré que la mortalité, sans transplantation, à 28 jours en fait augmente en fonction du nombre d’organes défaillants : elle passe de 53 % avec 3 défaillances à 90 % avec 4 défaillances, et 100 % avec 5 ou 6 défaillances [3]. Ces chiffres suggèrent que la prise en charge médicale intensive des malades avec 4 défaillances ou plus est d’emblée futile. La place de la transplantation hépatique chez les malades avec une ACLF grade 3 à l’enrôlement et à l’issue de la première semaine devrait être étudiée.

Chez qui doit-on redouter l’existence d’un ACLF ?

Certains facteurs sont très significativement associés au développement de l’ACLF : le jeune âge et l’étiologie alcoolique de la cirrhose [1]. L’étude CANONIC a montré que l’ACLF a un facteur précipitant dans 58 % des cas (Tableau III) [1]. Il peut s’agir par fréquence décroissante d’une infection bactérienne, d’une consommation excessive d’alcool dans les 3 derniers mois, d’une hémorragie digestive, d’un facteur précipitant autre ; 13 % des malades avec une ACLF ont plus d’un facteur précipitant. Il est à noter qu’aucun facteur précipitant n’est identifié chez 42 % des malades avec une ACLF.

L’ACLF se distingue de la DA traditionnelle par une prévalence significativement plus élevée : de l’infection bactérienne, d’une consommation excessive d’alcool, d’un facteur inclus dans l’entité « autre facteur » et de la présence de plus d’un facteur précipitant (Tableau III). En revanche, les cas sans facteur précipitant identifiable étaient significativement moins fréquents dans l’ACLF et la prévalence de l’hémorragie digestive tendait à être plus faible dans l’ACLF (Tableau III) [1].

Facteur précipitant DA traditionnelle
(N=1040)
ACLF
(N=303)
Valeur de P
Infection bactérienne 226 (21,7)

98 (32,3)

<0,001
Consommation excessive d’alcool pendant les 3 derniers mois 147 (14,1)

69 (22,8)

<0,001
Hémorragie digestive 180 (17,3) 40 (13,2)

0,09

Autres facteurs** 34 (3,3) 25 (8,3) <0,001
Plus d’un facteur 56 (5,4) 39 (12,9) <0,001
Aucun facteur 584 (56,2) 126 (41,6) <0,001

Tableau III. Facteurs précipitants de la décompensation aiguë (DA) de la cirrhose, dans la forme traditionnelle ou sous forme « acute-on-chronic liver failure (ACLF) »*
*Résultats de l’étude CANONIC.
**Les autres facteurs précipitants étaient définis par la présence d’un des évènements suivants : shunt porto-systémique par voie transjugulaire, chirurgie majeure, paracentèse thérapeutique sans compensation par l’albumine, hépatite.

Les facteurs précipitants qui viennent d’être commentés sont universels. Cependant, en Asie la réactivation du virus B de l’hépatite occupe une place prédominante comme facteur précipitant de l’ACLF [4].

Les circonstances du diagnostic d’ACLF dans l’histoire naturelle de la cirrhose

Comme intuitivement attendu, l’ACLF peut survenir chez un malade avec une longue histoire de cirrhose décompensée [1]. Cependant, l’étude CANONIC nous a appris que l’ACLF pouvait inaugurer la décompensation (23 % des cas) ou se développer chez un malade ayant eu un premier épisode de décompensation de la cirrhose dans les 3 mois précédent le diagnostic d’ACLF (18 % des cas) [1]. Autrement dit, l’ACLF peut survenir très précocement dans l’histoire de la décompensation.

Reproductibilité des critères diagnostiques d’ACLF

Les critères diagnostiques établis en Europe ont été validés dans différents pays tels que la Corée, la Chine, certaines régions de l’Inde, et l’Amérique du Sud (4 ; RM, résultats non publiés).

Conclusions

L’ACLF est une forme de DA distincte de la DA traditionnelle. Le diagnostic d’ACLF est fondé sur la reconnaissance de l’existence de défaillances d’organes chez un malade atteint de cirrhose avec une DA et donne l’alerte sur l’extrême sévérité potentielle du malade qui en est atteint. C’est un syndrome dynamique dont la forme définitive se stabilise pendant la première semaine d’évolution. La prise en charge médicale des malades atteints d’ACLF doit initialement être intensive. Cependant, la prise en charge des malades qui ont d’emblée 4 défaillances d’organes ou plus, semble futile. Le diagnostic d’ACLF doit être associé à celui du ou des facteurs qui ont précipité le syndrome. La survenue d’une ACLF n’est pas toujours une complication terminale chez un malade avec une longue histoire de cirrhose décompensée.

Références

  1. Moreau R, Jalan R, Gines P, Pavesi M, Angeli P, Cordoba J, et al. Acute-on-chronic liver failure is a distinct syndrome that develops in patients with acute decompensation of cirrhosis. Gastroenterology 2013;144:1426-37.
  2. Jalan R, Saliba F, Pavesi M, Amoros A, Moreau R, Ginès P, et al. Development and Validation of a Prognostic Score to Predict Mortality in Patients with Acute on Chronic Liver Failure. J Hepatol 2014;61:1038-47.
  3. Gustot T, Fernandez J, Garcia E, Morando F, Caraceni P, Alessandria C, et al. Clinical Course of acute-on-chronic liver failure syndrome and effects on prognosis. Hepatology 2015;62:243-52.
  4. Arroyo V, Moreau R, Kamath PS, Jalan R, Ginès P, Nevens F, et al. Acute-on-chronic liver failure in cirrhosis. Nat Rev Dis Primers 2016 Jun 9;2:16041.