Prise en charge des adénomes duodénaux

POST’U 2018

Endoscopie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître l’épidémiologie des adénomes duodénaux
  • Connaître et savoir utiliser les outils endoscopiques pour la prise en charge
  • Connaître les modalités et les limites du traitement endoscopique
  • Connaître les indications du traitement chirurgical

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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.

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Les 5 points forts

  1. Les adénomes duodénaux sporadiques non ampullaires sont rares et distincts de ceux de la polypose familiale. En revanche, ils sont associés dans plus de 50 % des cas à des lésions colorectales avancées.
  2. Les AD sont plus fréquents dans le 2e duodénum et sont le plus souvent associés à une métaplasie intestinale.
  3. Le risque de transformation cancéreuse des AD est élevé et justifie leur résection endoscopique ou chirurgicale.
  4. La résection endoscopique par mucosectomie est la règle mais sa réalisation, notamment pour les lésions de grande taille, nécessite une expertise. La dissection sous-muqueuse n’est à ce jour pas recommandée.
  5. La principale complication est le saignement retardé qui impose la réalisation d’une hémostase prophylactique systématique après la mucosectomie.

Introduction

Les adénomes duodénaux (AD) sont une entité rare, bien que la littérature abonde ces dernières années sur le sujet. La définition de l’image endoscopique s’étant nettement améliorée, la découverte fortuite d’AD lors d’une ­gastroscopie diagnostique est beaucoup plus fréquente. Par ailleurs, la dangerosité réputée de la résection de ces lésions est contre balancée par le développement des techniques comme la dissection sous-muqueuse et l’expertise grandissante de certains centres en résections endoscopiques complexes. Ces lésions ont mauvaise réputation, d’une part en raison de leur localisation duodénale, au contact du rétro péritoine et de la vascularisation pancréatique faisant craindre un taux élevé de complication après muco­sectomie, d’autre part en raison de leur potentiel de transformation cancéreuse. Nous détaillerons dans ce chapitre, exclusivement les adénomes extra ampullaires et sporadiques du duodénum, les adénomes de la papille et ceux survenant dans le cadre de la polypose familiale faisant l’objet d’une prise en charge spécifique non détaillée ici.

Épidémiologie des AD sporadiques non ampullaires

Les AD sporadiques, survenant en dehors du contexte de polypose adénomateuse familiale liée au gène APC, sont rares et représentent 0,3 à 1,5 % des lésions découvertes lors d’endoscopies digestives hautes [1]. On estime que la prévalence de polypes du duodénum découverts lors de gastro­scopies varie de 1 à 4 % et rassemble plusieurs entités comme les lipomes, adénomes des glandes de Brunner, polypes fibroïdes inflammatoires, tumeurs carcinoïdes et polypes de Peutz-Jeghers. Parmi ces lésions, les authentiques AD extra ampullaires sont rares et 40 % d’entre eux sont sporadiques alors que 60 % s’intègrent dans le cadre d’une polypose familiale liée principalement au gène APC.

Caractéristiques clinico-pathologiques

Les AD prédominent dans la deuxième partie du duodénum. Les lésions sont planes la plupart du temps et peuvent être de très grande taille (jusqu’à 80 mm dans les séries publiées), réalisant un aspect similaire aux « Large Spreading Tumors » colorectales » [2]. Dans la série de Kedia et al., 75 % des lésions mesuraient plus de 20 mm et 41 % d’entre eux occupaient 25 à 75 % de la circonférence duodénale [3].

Les AD sont caractérisés par une extension latérale et un risque de transformation néoplasique élevé, certaines études rapportant 42 % de contingent tumoral lors du diagnostic histologique [2]. Okada et al. ont montré sur un suivi de plus de 6 mois que 80 % des adénomes en dysplasie de bas grade n’évoluaient pas. En revanche, 20 % évoluaient vers la dysplasie de haut grade (DHG) dont 4,7 % vers un carcinome non invasif. En analyse multi­variée, les deux facteurs prédictifs associés de transformation maligne étaient la présence de DHG à la biopsie initiale et la taille de l’AD supérieure à 20 mm [4]. Il est important de connaître la fréquente association (jusqu’à 55 % des patients avec AD ­sporadique aux lésions tumorales recto-coliques qu’il s’agisse d’adénomes (avancés/non avancés) ou des cancers (5-7). Pour cette raison, l’ASGE recommande la réalisation d’une coloscopie de dépistage chez les patients porteurs d’AD [8].

Étiopathogénie des AD

Les AD sporadiques extra ampullaires seraient fréquemment associés à une métaplasie. Il s’agit d’une métaplasie gastrique pour les AD de la partie proximale du duodénum, de type fovéolaire ou pylorique, et d’une métaplasie intestinale dans la partie plus distale du duodénum. La métaplasie gastrique duodénale est probablement associée à l’infection à Helicobacter pylori [9], tandis que la métaplasie intestinale est associée à l’altération de la voie Wnt avec une accumulation nucléaire de béta caténine, similaire à ce qui est observé dans la carcino­génèse colorectale. La bile dont le rôle a été établi dans la carcinogenèse colorectale est également mise en cause dans la genèse des adénomes du duodénum distal sous papillaire [10, 11]. Une étude récente de Mitsuishi et al. suggère que le sous-type pylorique de métaplasie gastrique est ­particulièrement associé au déve­loppement de la dysplasie de haut grade [12].

Détection et caractérisation des AD

L’utilisation de la chomoendoscopie à l’indigo carmin est utile pour détecter les AD [13] chez les patients atteints de PAF, tout comme l’utilisation du NBI qui a démontré une sensibilité de 80 % dans le diagnostic des AD [14].

Il est important de caractériser les AD en utilisant la classification de Paris grâce à une étude soigneuse du relief muqueux, à la recherche d’une zone déprimée au sein de la lésion qui contre-indique la résection endoscopique. Il s’agit de l’étape clef, d’autant que ses performances semblent supérieures à celle des biopsies (performance diagnostique de 78 % vs 74 % respectivement) [15]. En cas de lésion d’allure bénigne, l’utilité des biopsies est remise en question en raison du risque de fibrose induite dans la sous-muqueuse, fibrose susceptible de rendre la mucosectomie plus difficile, voire impossible [16].

Cette évaluation endoscopique qui est capitale peut être au mieux optimisée en utilisant un endoscope haute définition, équipé de la coloration électronique et si possible du zoom. De cette manière la présence d’une dysplasie de haut grade ou d’une invasion de la sous-muqueuse peuvent être correctement prédites dans près de 100 % des cas [17].

Une fois la possibilité d’une résection endoscopique retenue, il convient de préciser la localisation exacte de la lésion sur la circonférence duodénale et sa position par rapport à la papille, afin d’établir les modalités de la résection et le choix de l’endoscope (gastroscope, duodénoscope).

Enfin, la réalisation d’une écho-endoscopie n’est pas systématique, mais son indication dans les lésions de grande taille peut se justifier.

Méthodes de résection

Les recommandations peuvent s’appuyer sur la fiche élaborée par la SFED (http://www.snfge.org/sites/default/files/recommandations/prise_en_charge_dun_adenome_duodenal.pdf) et par les recommandations de l’ASGE datant de 2015 [8].

La résection d’un AD doit être confiée à un endoscopiste expérimenté au regard du taux et de la gravité des compli­cations potentielles et des difficultés techniques qui peuvent être rencontrées. Il est indispensable que le patient soit informé des risques spécifiques de la résection des AD, en particulier en ce qui concerne la perforation, rare mais grave, et les saignements retardés, fréquents (5-25 %). Les anticoagulants et anti agrégants (à l’exception de l’aspirine) doivent être interrompus [18]. Il est conseillé que les patients restent hospitalisés la nuit suivant le geste avec une reprise alimentaire le lendemain et sous IPP pendant 15 jours. L’examen endoscopique se déroule au bloc d’endoscopie, sous anesthésie générale avec intubation orotrachéale et sous insufflation au CO2. Un gastroscope et/ou un duodénoscope sont utilisés, avec pour certains cas l’adjonction d’un capuchon. Pour les lésions de moins de 20 mm, l’objectif est la résection en monobloc. Au-delà de cette taille, la résection par mucosectomie ne pourra être faite qu’en piece meal, la dissection sous-muqueuse duodénale restant ­déconseillée par l’ASGE au regard du taux de perforation important et pratiquée actuellement uniquement dans des centres experts asiatiques et dans quelques centres de par le monde.

La technique de résection pour les adénomes de moins de 20 mm requiert une injection sous-muqueuse préalable, qui peut être réalisée avec du sérum physiologique (éventuellement adrénaliné avec comme inconvénient de masquer un saignement retardé), ou avec une solution visqueuse (glycérol ou de macro molécules) teintée d’indigo carmin. La taille de l’anse doit être adaptée à celle de la lésion. Il convient d’aligner l’anse dans l’axe le plus long de la lésion, éventuellement sur un pli duodénal, et de vérifier à la capture, la mobilité muqueuse témoignant d’une absence d’incarcération de musculeuse. Il faut éviter une aspiration puissante lors de la capture pour limiter cette incarcération et utiliser un courant d’endocoupe pour l’exérèse. L’étape fondamentale est ensuite l’analyse du site de la mucosectomie, à la recherche d’une perforation et surtout de saignements ou de vaisseaux visibles qui doivent faire l’objet d’une hémostase préventive (pince coagulante, clip). Enfin, la fermeture du site de mucosectomie à l’aide de clips doit être réalisée dans la mesure du ­possible.

Pour les lésions de plus de 20 mm, une résection en « piece meal » est réalisée avec comme objectif l’absence de pont muqueux et de résidus adénomateux sur les berges.

Résultats de la résection endoscopique par mucosectomie

La résection endoscopique est réalisable dans plus de 90 % des cas, en monobloc dans près de 70 % des cas pour les lésions de moins de 20 mm, ce qui est plus rarement le cas des lésions plus larges où la technique de « piece meal resection » est la règle.

Les résultats en terme de récidive adénomateuse sont bons avec des taux de récidive de 0 % à 1 an lorsque la résection est faite en monobloc, mais atteignant 24 % dans le cas de résections en piece meal [2, 19, 20]. Ainsi, il convient d’être prudent et de surveiller les patients à 3 mois puis tous les ans pendant au moins 3 ans car des récidives tardives ont également été démontrées (7,7 % à 25,5 mois) [21].

Bien que moins dangereuse que la chirurgie, la résection endoscopique est cependant plus risquée que la résection par mucosectomie des adénomes coliques. La littérature apporte peu de données prospectives et multicentriques. Les études rétrospectives des mucosectomies duodénales hors polypose (Tableau 1) rapportent 5 à 14 % de saignements différés, ce qui représente la complication la plus fréquente de la technique et de rares cas de perforation dont une fatale. Parmi ces travaux, Fanning et al. ont publié les résultats de leur base de données sur des lésions larges (« large spreading tumors ») [2] concernant cinquante adénomes, dont 19 de plus de 30mm de diamètre reséqués par mucosectomie. Dans le groupe des lésions de taille supérieure à 30 mm le taux de saignement per procédure ainsi que celui des saignements différés étaient significativement plus élevés que dans celui des lésions de taille inférieure, respectivement 57,8 vs 19,3 % (p = 0,005) et 26,3 vs 3,2 % (p = 0,01). Ces résultats sont confirmés par une étude plus récente de Valli et al. [22]. Dans une autre étude rétrospective de Lepilliez et al., la taille de la lésion reséquée n’apparaissait pas significativement associée au risque de saignement qui était de 13,9 % [20]. En revanche, la réalisation d’une hémostase préventive par hémoclip ou coagulation au plasma d’argon sur les saignements en nappe ou vaisseaux visibles permettait de réduire significativement le risque de saignement différé (0 vs 21,7 % p = 0,004). Cette donnée est certainement la recommandation la plus importante à rappeler avant toute résection d’AD.

Conclusions

Les AD sont rares mais leur résection peut être difficile et associée à des compli­cations, la plus à craindre étant le saignement retardé. Trois points capitaux doivent être respectés : la caractérisation endoscopique la plus précise possible en évitant les biopsies si la lésion semble bénigne, des conditions strictes de réalisation de la résection, et une hémostase préventive du site de mucosectomie. Enfin, il faut rappeler qu’une coloscopie doit ­toujours être proposée aux patients porteurs d’AD.

Références

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  3. Kedia P, Brensinger C, Ginsberg G. Endoscopic predictors of successful endoluminal eradication in sporadic duodenal adenomas and its acute complications. Gastrointest Endosc. 2010 Dec;72(6):1297-301.
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