Syndrome de l’intestin irritable : prise en charge y a-t-il du neuf ?

POST’U 2018

Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les critères diagnostiques du syndrome de l’intestin irritable
  • Quand et pourquoi faire des examens complémentaires chez les malades atteints du syndrome de l’intestin irritable
  • Connaître les nouveaux traitements médicamenteux
  • Connaître l’intérêt et les modalités des régimes alimentaires
  • Connaître la place et les limites de traitements alternatifs

Les 5 points forts

  1. Le diagnostic du SII repose sur les critères de Rome 4. La forme et la consistance des selles doivent être déterminées par l’échelle de Bristol.
  2. Les examens biologiques sont utiles pour éliminer une pathologie organique. Ils ont une faible rentabilité, il est inutile de les répéter.
  3. Une coloscopie est légitime chez les patients SII-D (SII avec diarrhée prédominante) pour éliminer une colite microscopique ou une MICI; dans les autres cas elle ne doit être réalisée qu’en présence de signes d’alarme ou de facteur de risque de cancer colo-rectal.
  4. Un régime pauvre en FODMAPs améliore souvent les symptômes des patients atteints de SII.
  5. Parmi les méthodes dites alternatives, seules l’hypnose et l’ostéopathie ont montré une efficacité au cours du SII. Elles doivent être réalisées par des praticiens formés à ces techniques.

Conflits d’intérêts
Board, expertise, congrès : Almiral, Ipsen, Kyowa-Kirin, Mundipharma International, Mayoly-Spindler

Connaître les critères diagnostiques du SII

Le diagnostic du syndrome de l’intestin irritable (SII) est un diagnostic clinique basé sur les critères de Rome, un consensus d’expert. En 2016, la quatrième version des critères de Rome (Rome IV) a été publiée [1]. Le diagnostic de SII repose sur la présence d’une douleur abdominale présente depuis au moins 6 mois et survenant au moins un jour par semaine durant les 3 derniers mois. Au moins 2 des 3 critères suivants doivent être associés à la douleur : une relation entre douleur et défécation, une modification de la fréquence des selles, une modification de la consistance des selles appréciée par l’échelle de Bristol. La notion d’inconfort digestif, difficile à apprécier et souvent liée au ballonnement, qui était présente dans les classifications antérieures a disparu. Selon les troubles du transit associés, il est possible de distinguer 4 formes cliniques : SII à diarrhée prédominante (SII-D), SII à constipation prédominante (SII-C), SII mixte avec une alternance de diarrhée et de constipation (SII-M) et SII indéterminé (SII-I) c’est-à-dire n’ayant pas de trouble du transit évident. La présence de signes d’alarme (ATCD familial de cancer colique, rectorragies en l’absence de cause proctologique évidente, perte de poids involontaire, anémie) n’augmente pas la sensibilité de ces critères diagnostiques. La présence d’une comorbidité associée (migraines, céphalées de tension, fibromyalgie, cystite interstitielle, dyspareunie) est un argument fort en faveur du diagnostic de SII [1].

Quand et comment faire des examens complémentaires chez les patients atteints de SII ?

En l’absence de signes d’alarme, la rentabilité des examens à visée diagnostique est faible. Un bilan biologique standard est le plus souvent normal [2, 3]. Une dys-thyroïdie (hypo ou hyper) est retrouvée dans 6 % des cas, fréquence similaire à celle retrouvée dans la population normale [2]. La recherche de parasites dans les selles est inutile, sauf contexte particulier (migrant, voyage récent en zone endémique) car si ce test est fait et retrouve un parasite fréquent, comme blastocystis homini considéré comme non pathogène chez l’homme, son éradication ne modifie pas les symptômes [3]. La recherche de maladie cœliaque est peut-être nécessaire si sa fréquence est supérieure à 1 % dans la population générale [4] mais uniquement dans les formes SII-D et SII-M. Le dosage de calprotectine fécale peut-être utile pour éliminer une forme débutante de maladies inflammatoires intestinale. En effet, avec l’association d’une CRP < 5 mg/L et d’une calprotectine normale < 40 µg/g, la probabilité que le patient ait une MICI est < 1 %. Cependant, chez une proportion non négligeable de patients avec authentique SII le taux de calprotectine fécale est souvent élevé, dans la zone « grise » comprise entre ٥٠ et ٣٠٠ µg/g. Ce dosage a donc une valeur prédictive négative élevée et une valeur prédictive positive faible [5]. Concernant les examens morphologiques, la question de la place de la coloscopie est essentielle. En cas d’antécédents familiaux de cancer colique, la coloscopie doit être réalisée selon les recommandations actuelles. En cas de coloscopie systématique, l’examen est plus souvent normal chez les patients SII que chez les patients du groupe contrôle [6]. Chez les patients atteints de SII-D, il semble raisonnable de réaliser une coloscopie avec des biopsies systématiques pour éliminer une colite microscopique [7]. Il faut rappeler qu’une coloscopie normale ne rassure pas pour autant le patient [8]. La réalisation systématique d’un examen morphologique (échographie, scanner), expose au risque de mettre en évidence une anomalie morphologique fréquente (lithiase, myome utérin) pouvant entraîner une escalade thérapeutique avec des chirurgies inutiles. Quant à la réalisation de tests permettant un diagnostic positif du SII, aucun test biologique n’est actuellement valide et la recherche d’une hypersensibilité viscérale, considérée comme un marqueur biologique du SII, n’est pas réalisée en pratique quotidienne.

Connaître les nouveaux traitements médicamenteux du syndrome de l›intestin irritable en 2018

Le traitement du SII repose toujours sur les antispasmodiques en première ligne, même si le niveau de preuve est assez faible. Seules 3 molécules ont démontré une efficacité lors d’essais randomisés bien menés : le phloroglucinol [9], l’association alvérine siméthicone [10] et le pinaverium [11]. Le linaclotide, un agoniste de la guanylate cyclase, a démontré son efficacité dans la prise en charge du SII-C avec un profil de tolérance satisfaisant [12] Cette molécule a obtenu une AMM européenne, elle n’est pas disponible en France à la différence de plusieurs autres pays européens. L’eluxalodine, une molécule ayant une action agoniste sur les récepteurs opioïdes µ et kappa et antagoniste sur les récepteurs delta, a montré son efficacité dans la prise en charge des patients avec SII-D [13]. Bien que plusieurs cas de pancréatites aiguës sous traitement aient été rapportés lors des études de phase 3, cette molécule a obtenu une AMM européenne mais n’est pas encore commercialisée. La rifaximine, un antibiotique non absorbé, a montré son efficacité chez des patients ayant un SII non-C [14]. Compte tenu des effets délétères d’une antibiothérapie sur le microbiote, de la dysbiose fréquente au cours du SII, de l’absence de données bactériologiques sur les conséquences d’une antibiothérapie chez des patients SII, il ne me paraît pas raisonnable d’utiliser cette approche. On estime que 20 à 40 % des patients avec SII-D ont un syndrome de malabsorption des sels biliaires. Aucun test biologique n’est disponible en France pour mettre en évidence cette anomalie. Un traitement d’épreuve par colestyramine est souvent efficace, le problème majeur étant la palatabilité au long cours de cette molécule [15]. Au cours du SII, il a été montré qu’il existait un état micro-inflammatoire. Deux essais randomisés contre placebo n’ont pas montré d’effet bénéfique des dérivés du 5-ASA, sauf peut-être dans le sous-groupe de patients ayant un SII post-infectieux [16, 17]. Les antidépresseurs à faible dose, en privilégiant les tricycliques, et la pré-gabaline restent des traitements de seconde, voire même troisième ligne [18].

Les probiotiques sont considérés comme des compléments alimentaires et non des molécules médicamenteuses, ils ne répondent donc pas aux mêmes exigences de développement par les autorités de santé. Cependant deux souches ayant montré une efficacité au cours du SII, la souche Bifidobacterium infantis ٣٥٦٢٤ [19] et la souche Lactobacillus plantarum ٢٩٩v [20] sont maintenant disponibles.

Connaître les modalités et l’intérêt des régimes alimentaires

Longtemps, l’adage d’une absence de régime ou plutôt d’un régime varié et équilibré dans la prise en charge du SII a prévalu. Ces dernières années, l’efficacité d’un régime sans gluten sans maladie cœliaque a été bien démontrée. Des données récentes suggèrent que dans cette situation il s’agit plutôt d’une mauvaise digestion des fructanes, un oligosaccharide, que d’une intolérance au gluten [21]. Les FODMAPs (Fructo, Oligo-, Di-, Monosaccahride And Polyols) sont des sucres largement présents dans l’alimentation. Ils sont parfois mal digérés, par défaut enzymatique comme le lactose métabolisé par la lactase, ou mal-absorbés, comme le fructose qui est absorbé par un transporteur spécifique avec une activité variable d’un sujet à l’autre, et peuvent alors générer des symptômes digestifs (douleur, ballonnements, borborygmes, troubles du transit). Chez des patients avec SII, une méta-analyse récente [22] a confirmé l’efficacité à court terme d’un régime pauvre en FODMAPs. Ce régime est difficile à appliquer pour les patients et nécessite parfois de recourir à une diététicienne. En l’absence d’efficacité nette au bout de 4 à 6 semaines, il est inutile de poursuivre un régime. Cependant, une étude suédoise randomisée ayant comparé un régime pauvre en FODMAPs à une alimentation « saine et équilibrée » n’a pas confirmé la supériorité du régime pauvre en FODMAPs [23] di-, monosaccharides, and polyols [FODMAPs]. Enfin, chez certains patients obsessionnels la prescription d’un régime peut aboutir à des régimes très restrictifs pouvant être la source de déséquilibre d’apports.

Connaître la place et les limites des traitements alternatifs

Une multitude de traitements alternatifs a été testée au cours du SII. Certaines méthodes relevant du charlatanisme, comme l’hydrothérapie du côlon, doivent être bannies.

L’acupuncture n’est pas efficace au cours du SII ; une variante, l’auriculothérapie, a montré son efficacité dans les douleurs aiguës, mais n’a pas été testée au cours du SII. L’hypnose dirigée sur le tube digestif, une technique de relaxation profonde, a montré une efficacité significative sur les symptômes de SII au cours de plusieurs études randomisées bien menées, surtout chez les sujets de moins de 50 ans et chez les patients signalant que leurs symptômes sont déclenchés par le stress [24]. Les autres techniques de relaxation (sophrologie, yoga) pourraient être utiles si le patient ne peut pas être pris en charge par un personnel formé à l’hypnose, elles n’ont cependant pas été évaluées. Enfin, l’effet bénéfique à court terme de l’ostéopathie viscérale a été rapporté dans deux études françaises randomisées, avec une récidive des symptômes après l’arrêt du traitement [25,26]. Une étude nationale sur l’effet à long terme est en cours.

Références

  1. Mearin F, Lacy BE, Chang L, Chey WD, Lembo AJ, Simren M, et al. Bowel Disorders. Gastroenterology. 2016 Feb 18;
  2. Hamm LR, Sorrells SC, Harding JP, Northcutt AR, Heath AT, Kapke GF, et al. Additional investigations fail to alter the diagnosis of irritable bowel syndrome in subjects fulfilling the Rome criteria. Am J Gastroenterol. 1999 May;94(5):1279–82.
  3. Nagel R, Bielefeldt-Ohmann H, Traub R. Clinical pilot study: efficacy of triple antibiotic therapy in Blastocystis positive irritable bowel syndrome patients. Gut Pathog. 2014;6:34.
  4. Sanchez-Vargas LA, Thomas-Dupont P, Torres-Aguilera M, Azamar-Jacome AA, Ramirez-Ceervanes KL, Aedo-Garces MR, et al. Prevalence of celiac disease and related antibodies in patients diagnosed with irritable bowel syndrome according to the Rome III criteria. A case-control study. Neurogastroenterol Motil Off J Eur Gastrointest Motil Soc. 2016 Jul;28(7):994–1000.
  5. Menees SB, Powell C, Kurlander J, Goel A, Chey WD. A meta-analysis of the utility of C-reactive protein, erythrocyte sedimentation rate, fecal calprotectin, and fecal lactoferrin to exclude inflammatory bowel disease in adults with IBS. Am J Gastroenterol. 2015 Mar;110(3):444–54.
  6. Chey WD, Nojkov B, Rubenstein JH, Dobhan RR, Greenson JK, Cash BD. The yield of colonoscopy in patients with non-constipated irritable bowel syndrome: results from a prospective, controlled US trial. Am J Gastroenterol. 2010 Apr;105(4):859–65.
  7. Guagnozzi D, Arias A, Lucendo AJ. Systematic review with meta-analysis: diagnostic overlap of microscopic colitis and functional bowel disorders. Aliment Pharmacol Ther. 2016 Apr;43(8):851–62.
  8. Spiegel BMR, Gralnek IM, Bolus R, Chang L, Dulai GS, Naliboff B, et al. Is a negative colonoscopy associated with reassurance or improved health-related quality of life in irritable bowel syndrome? Gastrointest Endosc. 2005 Dec;62(6):892–9.
  9. Chassany O, Bonaz B, Bruley DES Varannes S, Bueno L, Cargill G, Coffin B, et al. Acute exacerbation of pain in irritable bowel syndrome: efficacy of phloroglucinol/trimethylphloroglucinol. A randomized, double-blind, placebo-controlled study. Aliment Pharmacol Ther. 2007 May 1;25(9):1115–23.
  10. Wittmann T, Paradowski L, Ducrotte P, Bueno L, Andro Delestrain M-C. Clinical trial: the efficacy of alverine citrate/simeticone combination on abdominal pain/discomfort in irritable bowel syndrome–a randomized, double-blind, placebo-controlled study. Aliment Pharmacol Ther. 2010 Mar;31(6):615–24.
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