Traitement médical des tumeurs neuroendocrines (TNE) avancées

Objectifs pédagogiques

  • Qu’appelle-t-on une tumeur endocrine avancée et quels sont les critères du diagnostic positif ?
  • Quel bilan préthérapeutique entreprendre ?
  • Quelle est la place des traitements médicaux par rapport aux autres options thérapeutiques disponibles et quand les mettre en place ?
  • Quels sont les principaux traitements médicaux disponibles et quelles sont leurs indications ?

Les TNE sont rares (1 % des tumeurs), en général d’évolution lente mais de pronostic variable et difficile à prédire. Elles proviennent de cellules dispersées dans certains organes ou forment des glandes endocrines. Elles expriment des marqueurs endocrines et/ou neuroendocrines et peuvent sécréter en excès des peptides responsables de syndromes hormonaux. La plupart des TNE sont d’origine digestive (70 %), tous les organes pouvant être atteints avec une fréquence variable (intestin grêle 30 %, colorectale 30 %, appendice 20 %, pancréas 10 %, estomac 5 %).

1 – Qu’appelle-t-on une TNE « avancée » et quels sont les critères du diagnostic positif ?

Les TNE digestives peuvent être bénignes ou malignes. Les critères pour affirmer la malignité sont la présence de métastases (ganglionnaires loco-régionales ou à distance, surtout hépatiques) ainsi que l’invasion vasculaire ou d’organes de voisinage. Le caractère malin ou non des TNE au diagnostic dépend de l’origine du primitif, elle-même corrélée à différents critères pronostiques (taille, différenciation et grade histologiques). Ainsi les tumeurs appendiculaires ou gastriques sont souvent bénignes. En dehors de quelques exceptions, le meilleur traitement des TNE est la résection chirurgicale (plus rarement endoscopique). Les critères contre-indiquant la chirurgie sont beaucoup moins stricts qu’en présence d’un adénocarcinome. Elle peut être proposée en cas d’envahissement vasculaire, d’organes de voisinage ou de métastases y compris hépatiques bilobaires si tout est résécable, dans un centre expert et en l’absence de risques opératoires ou de séquelles importants [1]. Les TNE sont dites « avancées » quand elles ne sont pas résécables d’emblée.

Le diagnostic de TNE est suspecté en cas de syndrome hormonal (insulinome, syndrome carcinoïde…) confirmé biologiquement et/ou en présence de lésions hypervasculaires primitives et/ou métastatiques caractéristiques en scanographie et/ou de fixation en imagerie fonctionnelle (Octréoscan®). Aucun de ces critères n’est cependant spécifique à 100 % et il faut toujours confirmer le diagnostic histologiquement avant tout traitement (en dehors de quelques indications chirurgicales évidentes).

2 – Quel bilan préthérapeutique entreprendre ?

L’histologie permet d’obtenir des critères pronostiques majeurs et de guider le traitement. La différenciation (bien vs peu différenciée) et le grade histologique divisé 3 groupes (grade 1 : Ki-67 £ 2 %, grade 2 : Ki-67 3-20 % ou grade 3 : Ki-67 > 20 %) selon la classification OMS 2010 sont les éléments pivots de cette classification histopronostique [2]. Les marqueurs tumoraux spécifiques de sécrétion doivent être demandés selon le syndrome hormonal clinique suspecté (gastrinémie et Zollinger Ellison, 5HIAA urinaires et syndrome carcinoïde) avec éventuellement un test dynamique de confirmation (épreuve de jeune et insulinome). Les seuls marqueurs systématiques recommandés sont la chromogranine A (TNE bien différenciée) et la NSE (TNE peu différenciée). Le scanner thoraco-abdomino-pelvien avec temps artériel et portal est l’examen de 1re intention permettant de visualiser la tumeur primitive (si > 10 mm) et d’effectuer le bilan d’extension. L’IRM hépatique avec diffusion est le meilleur examen pour la détection des métastases hépatiques. L’octréoscan® est l’examen scintigraphique de référence dans la plupart des TNE bien -différenciées pour rechercher le primitif et faire le bilan d’extension alors que le TEP FDG est proposé en cas de TNE peu différenciée (TEP-F Dopa, TEP DOTATOC en développement). Parfois certaines TNE sont découvertes fortuitement lors d’examens endoscopiques ou nécessitent certaines explorations plus précises (entéroscanner, endoscopies ou échoendoscopies). Enfin, -certaines complications de TNE ou comorbidités contre-indiquant certains traitements doivent être recherchées (insuffisance cardiaque, rénale…).

3 – Quels sont les principaux traitements médicaux disponibles et quelles sont leurs indications ?

Le traitement des TNE comporte 2 volets : le traitement anti-hormonal est prioritaire, il repose sur les analogues de la somatostatine le plus souvent (syndrome carcinoïde, VIPome, glucagonome) mais aussi sur le diazoxide ou l’everolimus pour l’insulinome ou les IPP pour le gastrinome. En dehors des TNE peu différenciées nécessitant un traitement rapide par chimiothérapie de type VP16-platine, le traitement anti-tumoral médical des TNE bien différenciées est moins urgent. Il repose sur la chimiothérapie systémique (schémas à base de streptozotocine ou de temozolomide), les thérapies ciblées (everolimus, sunitinib, bevacizumab) et les analogues retard de la somatostatine (octréotide et lanréotide) pouvant parfois être combinés.

La chimiothérapie est proposée pour les TNE pancréatiques avancées alors qu’elle n’est pas recommandée pour les TNE intestinales réputées peu chimiosensibles [1, 3]. Le sunitinib et l’everolimus ont l’AMM pour les TNE pancréatiques avancées en progression depuis les résultats de 2 grandes études publiées en 2011 ; ce dernier ne l’a pas dans les TNE intestinales mais peut être proposé en association à l’octréotide retard dans certains cas [4-6]. Les analogues retard à visée anti-tumorale ont montré qu’ils augmentaient significativement la survie sans progression par rapport au placebo en cas de TNE intestinales, de grade 1 et avec faible envahissement hépatique (étude PROMID) puis plus récemment, en cas de TNE digestives non fonctionnelles y compris pancréatiques, avec Ki-67 £ 10 % et non évolutives (étude CLARINET) [7, 8]. La radiothérapie métabolique est un traitement intéressant dans les TNE digestives avec fixation significative à l’Octréoscan® mais n’est pas disponible en France en dehors d’une étude de phase III pour les TNE intestinales (étude NETTER).

4 – Quelle est la place des traitements médicaux par rapport aux autres options disponibles et quand les mettre en place ?

Les autres options disponibles en dehors de la chirurgie sont la surveillance simple, et les traitements de radiologie interventionnelle avec surtout la (chimio)-embolisation intra-artérielle hépatique [9]. Aucune étude randomisée n’a montré la supériorité d’un traitement par rapport à un autre et la meilleure stratégie thérapeutique n’est pas connue. En raison du bon état général des patients et de la « longue évolution » de leur maladie (TNE bien différenciées), ils pourront recevoir plusieurs traitements successifs alternant avec des périodes de surveillance simple. La recherche d’une « bonne » qualité de vie est à moduler avec certains critères pronostiques utiles (en dehors de l’histologie : pente évolutive, présence de métastases hépatiques ou extra-hépatiques, pourcentage d’envahissement hépatique…). La connaissance des effets secondaires parfois non négligeables est, aussi, à mettre en balance avec le terrain des patients. Les recommandations européennes (ENETs) et françaises (thésaurus national de cancérologie digestive mis à jour en novembre 2013) sont utiles dans la décision thérapeutique prise si possible en réunion de concertation multidisciplinaire (RENATEN) [1, 10]. Schématiquement, la chirurgie du primitif et/ou des métastases est recommandée en première intention. Si cela n’est pas possible, une période de surveillance ou des analogues sont proposés en cas de métastases non progressives, non symptomatiques, avec faible envahissement hépatique et Ki-67 < 10 %. Si un de ces critères manque, il faut envisager un traitement plus « agressif » en fonction du siège de la lésion primitive. Pour les TNE intestinales : (chimio)embolisation si atteinte hépatique prédominante ou everolimus + octréotide si maladie plus diffuse plutôt que chimiothérapie systémique. Pour les TNE pancréatiques : chimiothérapie systémique à base de streptozotocine (ou de temozolomide) ou thérapies ciblées, le premier traitement étant en général recommandé en 1re ligne en raison de taux de réponse supérieurs à ceux des thérapies ciblées et des possibilités de pause thérapeutique. La chimioembolisation peut être envisagée en l’absence de contre-indications et de maladie principalement hépatique, ce qui est plus rare qu’en cas de TNE intestinales [1, 10].

Références

  1. http://www.tncd.org
  2.  Rindi G, Klimstra DS, Arnold R, Klöppel G, Bosman FT, Komminoth P et al. Nomenclature and classification of neuroendocrine neoplasms of the digestive system WHO classification of tumours of the digestive system Lyon: IARC (2010).13-4.
  3.  Moertel CG, Lefkopoulos M, Lipsitz S, Hahn RG, Klassen D. Streptozocin-doxorubicin, streptozocin-fluorouracil or chlorotozocin in the treatment of advanced islet-cell carcinoma. N England J Med 1992;326:519-23.
  4. Raymond E, Dahan L, Raoul JL, Bang YJ, Borbath I, Lombard-Bohas C, et al. Sunitinib malate for the treatment of pancreatic neuroendocrine tumors. N Engl J Med 2011;364: 501-13.
  5. Yao JC, Shah MH, Ito T, Lombard-bohas C, Wolin EM, Van Cutsem E, et al. Everolimus for advanced pancreatic neuroendocrine tumors. N Engl J Med 2011;364:514-23.
  6. Pavel ME, Hainsworth JD, Baudin E, Peteers M, Hörsch D, Winkler RE, et al. Everolimus plus octreotide long-acting repeatable for the treatment of advanced neuroendocrine tumours associated with carcinoid syndrome (RADIANT-2): a randomized, placebo-controlled, phase 3 study. Lancet 2011;378: 2005-12.
  7. Rinke A, Muller HH, Schade-Brittinger C, Klose KJ, Barth P, Wied M, et al. Placebo-controlled, double-blind, prospective, randomized study on the effect of octreotide LAR in the control of tumor growth in patients with metastatic neuroendocrine midgut tumors: a report from the PROMID Study Group. J Clin Oncol 2009;27:4656-63.
  8. Caplin M, Ruszniewski P, Pavel M, Cwikla JB, Phan A, Raderer M, et al. A randomized double-blind placebo controlled study of lanreotide antiproliferative response in patients with enteropancreatic neuroendocrine tumours (CLARINET). ESMO 2013.
  9. Zappa M, Abdel-Rehim M, Hentic O, Vullierme MP, Ruszniewski P, Vilgrain V. Liver-directed therapies in liver metastases from neuroendocrine tumors of the gastrointestinal tract. Target Oncol 2012;7:107-16.
  10. http://www.enets.org

Les Cinq points forts

  1. Avant toute décision thérapeutique, l’étude de la différenciation et du grade histologiques ainsi que l’évaluation de l’évolutivité tumorale (en dehors de quelques exceptions) sont indispensables.
  2. La chirurgie est le seul traitement à visée curative.
  3. La chimiothérapie n’est pas recommandée dans les TNE intestinales.
  4. Les thérapies ciblées ont l’AMM dans les TNE pancréatiques avancées en progression.
  5. Les  analogues  de  la  somatostatine  à  visée  anti-tumorale  ont  une efficacité  démontrée  dans  les  TNE  digestives  avancées  non   ou  peu évolutives.