Barrett dysplasique : place respective de la radiofréquence (RF) et de la résection endoscopique (RE)

Objectifs pédagogiques

  • Qui traiter ?
  • Avantages et inconvénients de chaque technique
  • Peut-on les associer ?
  • Quelle surveillance après traitement ?

Introduction

Les objectifs du traitement de l’endobrachyœsophage (EBO) sont la disparition des symptômes et des complications inflammatoires du reflux gastro-œsophagien (RGO), de prévenir l’apparition de la dysplasie et du cancer, et de traiter précocement la dysplasie sévère et/ou l’adénocarcinome. Le traitement antisécrétoire par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) doit permettre la disparition des symptômes et de l’œsophagite associée. La seule correction des symptômes et la normalisation de la pH-métrie ne sont pas considérées comme de bons critères d’efficacité du traitement. Il n’a pas été démontré que le traitement par IPP prévenait l’apparition des dysplasies et du cancer sur l’EBO ; de ce fait, le seul EBO ne constitue pas une indication à un traitement par IPP qui permet une régression seulement partielle de sa hauteur et/ou de sa surface.

L’endobrachyœsophage constitue un stade prénéoplasique qui requiert une étroite surveillance. Le traitement standard de la dysplasie de haut grade reste encore aujourd’hui une chirurgie radicale par œsophagectomie partielle ou totale. Néanmoins, cette intervention présente un risque per- et post­opératoire avec un taux de décès de 8 à 10 % et une morbidité de 30 à 40 % [1]. Des alternatives à la chirurgie sont aujourd’hui validées ou en voie de l’être.

Les questions posées au cours de cet exposé seront : Endobrachyœsophage (EBO) avec dysplasie

  1. Quels patients traiter ?
  2. RF ou RE : avantages et inconvénients
  3. Peut-on les associer ?
  4. Quelle surveillance après traitement ?

Quels patients traiter ?

L’identification d’une dysplasie de bas grade (DBG) sur un EBO est responsable d’une augmentation de l’incidence annuelle d’adénocarcinome de 0,6 à 1,4 % par rapport à un EBO simple [2]. L’étape primordiale est de confirmer le diagnostic de DBG par une nouvelle série de biopsies. En effet, le diagnostic histologique de DBG est difficile et la concordance interobservateur des anatomopathologistes pour le diagnostic de DBG sur EBO est faible [3]. Par exemple, une étude récente a montré qu’après relecture des lames par des anatomopathologistes experts, seuls 15 % des diagnostics de DBG étaient réellement confirmés [4]. C’est pourquoi la SFED propose, en cas de DBG douteuse, une nouvelle cartographie précoce à 2-3 mois sous couvert d’un traitement par IPP double dose pendant cette période, les IPP limitant le risque de faux-positifs liés à des lésions purement inflammatoires mais non dysplasiques. En cas de dysplasie de bas grade certaine, il n’y a actuellement pas de recommandation de traitement de cette dysplasie. Une simple surveillance rapprochée est proposée par une nouvelle cartographie semestrielle (avec double lecture anatomo-pathologique) la première année, puis tous les ans. Cependant, la question se pose d’un possible traitement à ce stade de la DBG, compte tenu du risque d’évolution vers la dysplasie de haut grade et/ou l’adénocarcinome, du risque d’erreur d’échantillonnage des biopsies pouvant limiter la portée de la surveillance et surtout de la grande efficacité de nouvelles méthodes endoscopiques pour éradiquer un EBO en DBG, comme la radiofréquence (RF), le débat du traitement de la DBG sur EBO est relancé. [5]. Une méta-analyse de 2009 [6] a évalué le risque d’apparition d’une dysplasie de haut grade (DHG) chez des patients non traités (53 séries publiées) qui représentaient donc l’histoire naturelle de l’EBO et chez des patients traités par RF ou RE (65 séries publiées) avec un suivi supérieur à plus de 6 mois. Au total, 1 457 patients avec métaplasie intestinale, 239 avec une DBG et 611 avec DHG ont été inclus dans cette méta-analyse. Les résultats sont rapportés dans le Tableau I ; on note une augmentation significative de l’incidence d’apparition de DHG dans le groupe non traité 65,80/1 000 vs 16,76/1 000 dans le groupe traité. Une autre récente étude plaide aussi pour le traitement de la dysplasie de bas grade : Phoa et al. [7] ont réalisé une étude multicentrique randomisée comparant surveillance vs RF pour un EBO en DBG confirmée. Cette étude a inclus 136 patients de 9 différents centres européens et a montré une réduction significative de 25 % du risque de progression vers DHG et l’adénocarcinome dans le groupe RF (1,5 % pour le groupe RF vs 26,5 % pour le groupe contrôle p < 0,001). Le débat du traitement de la DBG sur EBO est relancé. Afin de répondre à cette question, un essai prospectif multicentrique français randomisant les patients, soit dans un groupe surveillance seule, soit dans un groupe de traitement par RF, est actuellement en cours (plus d’information sur www.sfed.org).

Incidence Métaplasie DBG DHG
Barrett non traité 5,98/1 000 16,98/1 000 65,80/1 000
Barrett traité 1,63/1 000 1,58/1 000 16,76/1 000

Tableau I. Méta-analyse comparant les séries cas-témoins vs séries EBO traités

L’incidence annuelle d’adénocarcinome en cas de DHG sur EBO atteint 6 % [8]. Tout comme la dysplasie de bas grade, la SFED recommande une deuxième cartographie 1 à 2 mois après pendant lesquels un traitement par IPP à double dose est préconisé. Une double lecture anatomopathologique sera là aussi réalisée. La DHG et le carcinome in situ sont caractérisés par des lésions ne franchissant pas la lame basale et donc limitées à la muqueuse sans risque d’envahissement ganglionnaire ou métastatique. Ce risque métastatique a été bien évalué par plusieurs études, il est de l’ordre de 0,7 % pour les carcinomes intra-épithéliaux ne dépassant pas la muscularis mucosæ (m3) (Tableau II).

En conclusion : un patient présentant une DHG ou un carcinome intra-épithélial sur EBO confirmé sur 2 séries de biopsies lues par 2 différents pathologistes expérimentés doit être traité. Par contre, en cas de DBG confirmée, les études dans la littérature plaident plutôt pour un traitement, notamment chez un jeune patient présentant un long EBO qui est toujours très difficile à surveiller, mais cependant restent à confirmer.

Auteurs Nombre Suivi/opérés Pourcentage N+
Rice et al. (2001) 53 OP 3,8 % (2/53)
Buskens et al. (2004) 35 OP 0 %
Stein et al. (2005) 57 OP 0 %
Westerterp et al. (2005) 53 OP 1,8 % (1/53)
Bollschweiler et al. (2006) 14 OP 0 %
Peyre et al. (2007) 85 OP 0 %
Ell et al. (2007) 100 suivi 36 mois 0 %
Pech et al. (2008) 288 + 33 opérés suivi 64 mois 0,6 % (2/231)
Total 718 0,7 %

Tableau II

Radiofréquence et résection endoscopique : avantages et inconvénients

Radio-fréquence

La radiofréquence utilise un courant sinusoïdal de 400 à 500 MHz réalisant une thermoablation de la muqueuse œsophagienne. L’onde de radiofréquence entraîne une coagulation des microvaisseaux et une dénaturation des protéines cellulaires. La résultante est une destruction de la muqueuse et de la sous-muqueuse de l’EBO, quand la radiofréquence est appliquée à l’aide d’une sonde à la surface de la muqueuse. Il existe plusieurs types de sondes, les sondes circulaires 360° à ballonnet qui vont délivrer l’énergie de 12 Kjoules/cm2 de manière circulaire que l’on utilise pour les premiers traitements et des sondes de 60° et 90° qui sont montées à l’extrémité de l’endoscope afin de traiter des zones résiduelles d’EBO après une première RF ou après une RE. Le choix du diamètre de la sonde circulaire initiale se fait par une technique de mesure du diamètre de l’œsophage avec des sondes de calibration [9].

L’avantage de la RF est la simplicité et la reproductibilité de la technique. Contrairement au plasma argon, elle ne laisserait que très peu de glandes enfouies [10] et elle entraînerait beaucoup moins de sténoses œsophagiennes que la thérapie photodynamique ou la RE circulaire. Chadwick et al. [11] ont montré la même efficacité entre RF et RE dans le traitement de l’EBO dysplasique mais avec significativement moins d’effets secondaires dans le bras RF (2,5 % vs 12 %) et moins de sténoses (4 % vs 38 %). Plus récemment, une série prospective randomisée (RF versus procédure fictive) de 136 patients a montré un taux de complication acceptable de 7,6 % de sténoses post-RF [7]. L’inconvénient majeur de cette méthode reste la difficulté d’éradiquer en totalité l’EBO, notamment au niveau de la jonction œsogastrique. Les autres inconvénients sont la calibration difficile en cas de sténose préexistante qui ne permet pas toujours d’utiliser la meilleure sonde, l’absence d’histologie et aussi son prix !

Résection endoscopique

Mucosectomie endoscopique

En fait, le terme de mucosectomie endoscopique est impropre. Il s’agit en fait de la résection par voie endoscopique, de la muqueuse et d’une partie de la sous-muqueuse. Plusieurs techniques de mucosectomie ont été publiées et l’ensemble des résultats sont assez équivalents.

La première technique publiée a été celle du Lift and Cut [12]. Il s’agit d’une technique simple, où la lésion est aspirée et réséquée avec une anse diathermique sans injection préalable. Cette technique est assez simple, peut s’appliquer au niveau de la jonction œsogastrique mais est très difficile au niveau de l’estomac ou de l’œsophage.

Les techniques les plus développées sont celles qui utilisent l’injection sous-muqueuse de sérum physiologique. Le but de l’injection de sérum est de séparer la sous-muqueuse de la musculeuse et de soulever la lésion. L’intérêt de cette injection est aussi de permettre de s’assurer de la possibilité du traitement endoscopique. En effet, l’absence de soulèvement franc de la lésion est assez pathognomonique d’une infiltration plus profonde que ne l’auraient montré éventuellement les examens préthérapeutiques. Une fois la lésion soulevée par l’injection de sérum physiologique, plusieurs techniques sont également possibles afin d’aspirer ou de mettre en traction la lésion et de la réséquer avec une anse diathermique. La technique la plus répandue est celle du « cap transparent », développée par H. Inoue, qui utilise donc un cap transparent positionné à l’extrémité de l’endoscope avec une anse spéciale adaptée qui s’ouvre à l’intérieur du cap et qui est maintenue sur une rainure spécialisée [13]. Après injection, la lésion est aspirée comme pour la technique de ligature des varices œsophagiennes puis l’anse est enserrée autour de la tumeur, aspirée dans le cap. Ensuite, la résection est réalisée avec, le plus souvent, un courant de section pure. Aujourd’hui, il semble que la technique la plus utilisée soit celle du ligateur élastique dérivé de la ligature des varices œsophagiennes. Cette technique est simple puisqu’elle ne nécessite pas d’injection préalable ; elle consiste à aspirer dans un « cap » transparent la muqueuse et la sous-muqueuse puis à libérer un élastique qui va pédiculiser la zone à aspirer. Ce néopolype est alors réséqué avec une anse diathermique hexagonale [14].

Enfin, la dernière technique décrite est celle utilisant un endoscope double canal qui permet de passer dans un canal une pince et dans l’autre une anse diathermique. La lésion est préalablement soulevée par l’injection de sérum physiologique, puis elle est appréhendée par la pince, soulevée, et l’anse peut passer alors facilement autour de la lésion mise en traction par la pince.

Plusieurs types de sérum ont été utilisés afin de soulever la lésion. Le plus communément utilisé est le sérum physiologique associé ou non à de l’adrénaline diluée. De nombreux auteurs utilisent aussi du sérum associé à de l’indigo carmin, ce qui permet de tatouer la sous-muqueuse et de s’assurer donc de la résection complète ou non de la lésion. Enfin, le problème du sérum physiologique est celui de sa diffusion rapide et de la disparition quelquefois, en quelques secondes, du soulèvement réalisé. Les auteurs japonais ont proposé plusieurs types de produits plus visqueux : l’hyaluronidate de sodium, le méthylpropyl de cellulose (larmes artificielles), le polyéthylène glycol et le glycérol. De nombreux papiers ont été publiés à ce sujet et il semblerait actuellement que l’hyaluronidate de sodium et le méthyl­propyl cellulose soient les produits les mieux adaptés et restant en place environ 20 à 30 minutes avant de diffuser.

Dissection sous-muqueuse ou ESD

Il s’agit d’une technique beaucoup plus récente, décrite à la fin des années 1990 et début des années 2000 par les auteurs japonais.

Cette technique réalise en fait une dissection quasi chirurgicale de la sous-muqueuse de la paroi digestive à l’aide de divers instruments. L’ensemble des publications japonaises porte essentiellement sur les tumeurs gastriques [15].

La technique est la suivante : après repérage de la lésion avec des points d’électrocoagulation réalisée soit avec une anse diathermique, soit avec du plasma argon, il est réalisé une injection de sérum avec de l’indigo carmin, sur le bord externe des marques préalablement réalisées.

Cette injection circulaire autour de la lésion permet de décoller la sous-muqueuse de la musculeuse. Ensuite, en utilisant différents types de bistouris parfois isolés par une boule de céramique afin d’éviter une perforation, il est possible de réaliser la section, sans risque de perforation, de l’ensemble de la muqueuse et de la sous-muqueuse de manière circulaire autour de la lésion à réséquer.

Une fois celle-ci réalisée, il est procédé à une injection de produit visqueux (hyaluronidate ou méthylpropyl cellulose) sous la lésion tumorale. Alors, en utilisant soit les mêmes instruments ou d’autres instruments combinant injection et section, commence la dissection pas par pas de l’ensemble de la sous-muqueuse et de la muqueuse. Les opérateurs peuvent s’aider d’un petit cap transparent positionné à l’extrémité de l’endoscope qui permet de récliner vers le haut la lésion déjà en voie de résection et de progresser, pas à pas, sous la lésion.

Résultats de la résection endoscopique de l’EBO

Résultats de la mucosectomie endoscopique

Les avantages de la RE sont l’obtention d’une histologie précise et souvent différente des biopsies endoscopiques (Tableau III). En cas d’adénocarcinome, elle permet de préciser le degré d’infiltration de la tumeur, les tumeurs infiltrant la sous-muqueuse (sm1) devront faire l’objet d’une discussion multiprofessionnelle et celles sm2 ou sm3 devront être confiées au chirurgien ou au radiothérapeute en cas de contre-indication opératoire. Les résultats rapportés sont généralement bons avec un contrôle local de la DHG ou carcinome in situ dans environ 90 % des cas (Tableau IV). Une étude randomisée a comparé deux techniques : la résection au cap et la résection par multiligatures. La procédure était significativement plus rapide et moins chère avec le ligateur multiple que le « cap », mais la taille des spécimens réséqués étaient plus larges en diamètre avec le « cap ». En ce qui concerne les complications, aucune différence n’a été notée dans les 2 groupes (Tableau V).

Auteurs Nombre Pourcentage de diagnostic changé
Werbrouck et al. (2012) 141 39 %
Moss et al. (2010) 75 48 %
Hull et al. (2006) 7 (de 34) 20 %
Conio et al. (2005) 39 25,6 %
Seewald et al. (2003) 12 75 %
Ahmad et al. (2002) 19 (de 101) 58 %
Buttar et al. (2001) 17 47 %
Nijhawan et al. (2000) 25 44 %

Tableau III. Comparaison biopsies vs histologie après RE

Auteurs Nombre Réponse complète Suivi (mois) Récidives
Ell 64 82,5 % 12 14 %
Nijhawan 17 100 % 14,6 0 %
Buttar 17 94 % 13 0 %
May 115 94 % 13 0 %
Seewald 12 100 % 9 0 %
Giovannini 21 86 % 18 11 %
Behrens 44 97,7 % 38 17,1 %
Conio 39 94 34,9 3 %
Peters 33 79 % 19 19 %
Peters 39 95 % 11 0 %
Ell 100 98 % 36,7 11 %
Pech 304 86 % 69,5 21 %

Tableau IV. Résultats de la RE pour Barrett avec DHG

Pouw et al. GEI 2011 p-value RE-cap (n = 42) MLigatures (n = 42)
Nombre de résections/sessions NS 3 (2-7) 5 (3-7)
Temps moyen (min) 0,02 50 (30-70) 34 (20-52)
Nombre de complications: sévères (perforations)
hémorragies
NS
NS
3
22
1
17
Max. diamètre des RE-spécimens (mm) < 0,01 20 (16-45) 18 (15-20)
Max. épaisseur des spécimens (mm) NS 2,0 (1,80-2,30) 2,0 (1,8-2,8)
Max. épaisseur de la SM (mm) NS 1,0 (0,50-1,13) 0,8 (0,55-1,00)
Coût en euros par session 0,01 322 (246-436) 240 (240-480)

Tableau V. Étude comparative RE au cap vs RE avec multiligature

Résultats de la dissection sous-muqueuse

La dissection muqueuse (DSM) a été beaucoup moins évaluée dans l’EBO. Deux études européennes montrent un taux de résection complète faible de l’ordre de 38 % pour une étude [16]. Höbel et al. ont publié [17] leur expérience chez 22 patients avec un taux de résection curative de 77,3 % et un taux de complications de 27,3 % (perforation et hémorragie).

Les inconvénients majeurs de la RE sont bien sûr les complications. Mais elles sont le plus souvent traitées par voie endoscopique, les perforations avec des clips et des prothèses couvertes et les hémorragies avec des pinces coagulantes, des clips et des poudres hémostatiques. La complication retardée la plus sérieuse est la sténose œsophagienne nécessitant parfois plusieurs séances de dilatation. Cette sténose en cas de résection large supérieure à l’hémicirconférence peut être prévenue par la prise précoce de fortes doses de corticoïdes, voire à l’injection locale de corticoïdes.

Peut-on associer RF et RE ?

Gondrie et al. [18] ont rapporté la ­première expérience d’un traitement combiné par mucosectomie associée dans un deuxième temps à une radio-fréquence ; le but de l’étude a été de réséquer par mucosectomie la ou les zones néoplasiques de l’EBO puis, en l’absence d’infiltration de la sous-muqueuse, de traiter l’EBO résiduel par radiofréquence. 12 patients ont été inclus dans cette étude avec un traitement complet dans 100 % des cas avec un suivi de 14 mois. Depuis, plusieurs études ont été rapportées avec un taux d’éradication de la DHG et de l’épithélium de Barrett entre 90 et 100 % et un très faible taux de récidive (1 %) mais le suivi de ces études était limité (Tableau VI).

Récemment, une étude prospective multicentrique randomisée de Van Vilsteren et al. [19] a mis en évidence que, pour un EBO ≤ 5 cm, l’efficacité de la mucosectomie œsophagienne seule et d’un traitement combinant mucosectomie des lésions visibles endoscopiquement et RF étaient comparables tant pour l’éradication de la dysplasie (100 % vs 96 %) que pour l’éradication de l’EBO (92 % vs 96 %). Cependant, le nombre de complications (perforations, hémorragies, sténoses) ainsi que le nombre total de procédures était plus important dans le bras mucosectomie seule. Au terme d’un suivi moyen de 2 ans, seule une récidive carcinomateuse au total a été observée, dans le bras mucosectomie seule, traitée efficacement par une nouvelle mucosectomie [19]. Ces résultats suggèrent que le traitement combiné est aussi efficace et moins morbide. Une efficacité similaire a été rapportée dans le cas d’EBO long (> 10 cm) [20]. C’est pourquoi l’association d’un traitement par mucosectomie des lésions visibles et d’éradication de l’EBO résiduel est à ce jour le traitement de référence de la DHG et du carcinome in situ sur EBO. Cette stratégie a récemment été validée par une conférence de consensus internationale [21].

Auteurs Nombre
de patients
Réponse
complète
Récidive FU
Gondrie :Endoscopy 2008 12 100 % 0 14 mois
Ganz : GIE 2008 142 90,2 % 2 % 15 mois
Sharma : Am J G, 2009 63 95 % 1 % 24 mois
Herrero : GIE 2011 26 83 % 0 % 29 mois

Tableau VI. Séries évaluant l’association RE suivie de RF

Quelle surveillance après le traitement ?

La réponse est peut-être dans le travail d’Anders et al. publié en 2013 [22] et qui rapporte le suivi sur 65 mois de 90 patients ayant un traitement par RE seule (42 %) et RE + RF (58 %) pour un EBO avec DHG ou carcinome intra-épithélial. Le taux de récidive tumorale (adénocarcinome, DHG) a été de 6,2 % et l’EBO a récidivé dans 39,5 % des cas. Le délai moyen de la récidive a été de 44 mois (extrêmes 38-85 mois). Toutes ces récidives ont pu être traitées de nouveau par voie endoscopique. Le seul facteur prédictif de récidive était la longueur de l’EBO > 5 cm. La conclusion est donc de continuer de surveiller un patient ayant une RE ± associée à une RF pour un EBO avec DHG ou carcinome intra-épithélial même au-delà de 5 ans. Le rythme reste à définir. On suggère un contrôle tous les 6 mois les 3 premières années puis tous les ans jusqu’à 5 ans et en l’absence de récidive tous les 2-3 ans.

Qu’attendre des biomarqueurs moléculaires ?

À titre d’exemple, il a été rapporté que l’étendue et la distribution du marqueur de prolifération Ki-67 pouvaient être corrélées au grade de dysplasie [23, 24]. L’épithélium de régénération peut cependant montrer une prolifération accrue qui, dans certains cas, peut se rapprocher de l’aspect observé dans la dysplasie de haut grade. Dans un même ordre d’idées, une étude rétrospective a montré que la fréquence de positivité de la protéine p53 est proportionnelle au grade de dysplasie. Malheureusement, l’immunomarquage a également été observé jusque dans 10 % des biopsies qui étaient histologiquement négatives pour la dysplasie [25]. À l’opposé, une absence de marquage a été mise en évidence dans des biopsies sièges de lésions de dysplasie [26]. On peut donc conclure que ces méthodes n’ont pas une valeur diagnostique supérieure aux critères morphologiques classiques.

Elles peuvent tout au plus avoir une valeur complémentaire dans des cas difficiles. D’autres biomarqueurs sont actuellement en cours d’investigation comme l’association de la positivité de la cycline D1 à la base des glandes et le risque de progression vers l’adénocarcinome (odds ratio 6.85; 95 % ; CI: 1.57-29.91; p = 0,0106) [27]. Deux autres études récentes se sont intéressées à la surexpression de l’alpha méthylacyl coenzyme A racemase (AMACR) dans l’EBO. Dans l’une d’elles, 38 % des cas de dysplasie de bas grade et 81 % des dysplasies de haut grade montraient une forte positivité diffuse pour l’AMACR alors que les biopsies négatives à la dysplasie ne montraient pas de marquage et que 21 % des cas considérés comme « indéterminés pour la dysplasie » ne montraient qu’un marquage focal. Ces études permettent d’envisager qu’un résultat clairement positif d’AMACR pourrait affiner le diagnostic de dysplasie dans certains cas [28, 29]. De tous les biomarqueurs moléculaires potentiels étudiés, seule l’évaluation du contenu de l’ADN par cytométrie de flux a montré des résultats fortement prédictifs de carcinome. Dans une étude, 9 des 13 patients qui avaient soit une fraction 4N élevée ou une aneuploïdie sur leur biopsie initiale, développaient une dysplasie de haut grade ou un cancer dans les 34 mois, alors qu’aucun des patients sans ces altérations n’a évolué vers la dégénérescence [30]. Une étude ultérieure réalisée par le même groupe a quantifié ces résultats comme suit : une fraction 4N > 6 % était associée à un risque relatif de cancer de 11,7 (95 % CI: 6.2-22) ; un contenu ADN aneuploïde > 2,7 a montré un risque relatif de 9,5 (95 % CI : 4,9-18) ; en présence de ces deux critères, le risque relatif de développer un cancer était de 23,95 % CI: 10-50). Les auteurs ont dès lors conclu que l’analyse du contenu ADN pouvait être un moyen complémentaire, utile à l’histologie dans l’évaluation du risque de cancer chez les patients avec EBO [31]. Cette technique est toutefois difficile à introduire en pratique clinique car la cytométrie de flux requiert une grande quantité de matériel biopsique.

D’un point de vue clinique, le principal problème est que la cancérisation de l’EBO ne suit pas une progression linéaire de la métaplasie vers la dysplasie de bas puis de haut grade. Dans une étude de Schnell et al., 10 patients atteints d’EBO ont progressé directement de la dysplasie de bas grade à l’adénocarcinome sans passer par le stade de dysplasie de haut grade [32]. Cette observation ajoute encore à la controverse sur la valeur de la surveillance endoscopique de l’EBO. L’analyse des données de la littérature indique néanmoins que la survie est significativement majorée lorsque les cancers sont détectés au décours d’une surveillance endoscopique plutôt qu’en présence de cancers symptomatiques [33].

Conclusion

Le développement durant ces quinze dernières années de la résection endoscopique (mucosectomie ou dissection sous-muqueuse) permet aujourd’hui de proposer une alternative à l’œsophagectomie pour des patients présentant une EBO avec dysplasie de haut grade ou carcinome intra-épithélial. L’introduction de techniques ablatives relativement précises comme la RF permet des traitements combinés (RE + RF), qui sont probablement plus simples de réalisation que les larges RE et avec moins de risque de complications. La RF pourrait être dans l’avenir un traitement de la DBG si nous pouvions stratifier les patients en fonction de leur risque de dégénérescence à l’aide de nouveaux biomarqueurs endoscopiques ou moléculaires.

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Les Quatre points forts

  1. La dysplasie de haut grade ou le carcinome intra-épithélial doit être traité par résection endoscopique après confirmation histologique (double lecture).
  2. La recommandation actuelle en cas de dysplasie de bas grade sur EBO est la surveillance, même si l’ablation par radio-fréquence semble réduire le risque d’évolution vers la dysplasie de haut grade.
  3. La résection endoscopique et la radiofréquence œsophagienne peuvent être associées dans le traitement de la dysplasie de haut grade ou le carcinome intra-épithélial.
  4. La surveillance après resection endoscopique ± associée à la radio-fréquence doit être prolongée du fait du haut risque de récidive de l’EBO et de la dysplasie.