Hépatite grave : quand adresser les patients pour une transplantation ?

Objectifs pédagogiques

  • Critères de gravité d’une hépatite aiguë
  • Causes d’atteinte hépatique aiguë grave
  • Savoir quand transférer un patient dans un centre de transplantation hépatique
  • Prise en charge avant le transfert en centre de transplantation
  • Savoir quand poser l’indication d’une transplantation hépatique

L’insuffisance hépatique aiguë est caractérisée par une altération brutale et globale des fonctions hépatiques. Les causes d’insuffisance hépatique sont très variées. Dans la plupart des cas, le processus conduisant à la destruction des hépatocytes (toxicité d’un médicament, infection virale, ischémie…) s’interrompt et, en parallèle, un processus de régénération hépatocytaire se met en place rapidement, conduisant à la correction de l’insuffisance hépatique et à une guérison sans séquelles. Plus rarement, l’insuffisance hépatique persiste, s’aggrave et il apparaît une encéphalopathie. On parle alors d’insuffisance hépatique aiguë grave (« acute liver failure » en anglais). Même au stade d’encéphalopathie, les chances de guérison ne sont pas nulles. Toutefois, l’insuffisance hépatique grave constitue une menace vitale à court terme. Elle peut en effet se compliquer, d’une part, d’un œdème cérébral avec une hypertension intracrânienne et, d’autre part, d’une défaillance multiviscérale associant une défaillance circulatoire, une insuffisance rénale aiguë et parfois une défaillance respiratoire. Les objectifs de la prise en charge sont de faire le diagnostic d’insuffisance hépatique aiguë à un stade précoce (avant l’apparition d’une encéphalopathie si possible), d’en déterminer la cause, de la traiter si possible, de prévenir tous les facteurs susceptibles de contribuer à son aggravation et de maintenir une situation propice à une régénération rapide puis d’identifier les malades dont l’évolution risque d’être défavorable afin de les adresser à un centre spécialisé.

Connaître les critères de gravité d’une hépatite aiguë

La gravité d’une hépatite aiguë peut être liée (a) au degré d’altération des fonctions hépatiques, (b) à la rapidité d’évolution de la maladie (évolution aiguë vs subaiguë), (c) à la cause, (d) à l’existence d’une maladie chronique du foie sous-jacente (qui limite les capacités de régénération) et (e) à d’éventuelles comorbidités associées. La grande variabilité des causes, ainsi que celle du contexte dans lequel l’insuffisance hépatique aiguë survient, expliquent le caractère hétérogène du pronostic.

La sévérité de l’insuffisance hépatique est classiquement estimée par la diminution des facteurs de coagulation synthétisés par le foie et, en parallèle, par l’augmentation correspondante de l’INR. En effet, les facteurs de coagulation ont une demi-vie brève dans le sérum et les variations de ces facteurs reflètent assez fidèlement l’altération des fonctions de synthèse [1]. Toutefois, les facteurs de coagulation ne reflètent pas les fonctions hépatiques dans leur ensemble et leur interprétation peut être biaisée par un syndrome de coagulation intravasculaire associé.

Il existe une interaction forte entre la rapidité d’évolution de la maladie et la cause. Certaines causes sont associées à une évolution aiguë (voire hyper-aiguë dans la littérature anglo-saxonne), pendant un intervalle de temps bref (quelques jours). Ainsi, les insuffisances hépatiques aiguës liées au paracétamol sont associées à une diminution brutale des facteurs de coagulation, quelques jours après l’intoxication. À l’inverse, certaines causes sont associées à une évolution subaiguë, pendant plusieurs semaines. C’est le cas par exemple au cours de la plupart des hépatites médicamenteuses immuno-allergiques et des hépatites de cause indéterminée. On parle d’insuffisance hépatique aiguë grave lorsque l’intervalle entre l’apparition de l’ictère et l’apparition de l’encéphalopathie est de moins de deux semaines. On parle d’insuffisance hépatique subaiguë grave lorsque l’intervalle entre l’apparition de l’ictère et l’apparition de l’encéphalopathie est de plus de deux semaines. Plus l’évolution est rapide, meilleur est le pronostic (Tableau I). En moyenne, le pronostic des insuffisances hépatiques subaiguës est donc moins bon que celui des insuffisances hépatiques aiguës. Toutefois, ces différentes entités correspondent à un continuum plus qu’à des catégories distinctes.

 

Cause de l’IHA Intoxication par le paracétamol Hépatite aiguë B Hépatite médicamenteuse immuno-allergique (Pirilène)
Mode d’évolution aigu aigu subaigu
Encéphalopathie absente absente absente
Taux de prothrombine 20 % 20 % 20 %
INR 3,5 3,5 3,5
Bilirubine (mmol/L) 25 250 350
Pronostic Bon1 Intermédiaire2 Mauvais3

Tableau I. Exemple de pronostic de l’insuffisance hépatique aiguë à diminution égale des facteurs de coagulation et sans encéphalopathie en fonction de la cause et du mode d’évolution

1. Taux de guérison spontanée > 90 %.
2. Taux de guérison spontanée de l’ordre de 50 %.
3. Taux de guérison spontanée < 10 %

L’existence d’une maladie chronique du foie, même relativement bénigne, n’exclut pas la survenue d’une hépatite aiguë surajoutée. Les causes les plus fréquentes de maladie chronique du foie dans la population générale sont la consommation excessive d’alcool, le syndrome dysmétabolique et les hépatites virales. En cas d’hépatite aiguë, l’existence de lésions secondaires à une maladie chronique du foie sous-jacente (stéatose, fibrose…) peut limiter les capacités de régénération et favoriser la progression vers une insuffisance hépatique grave. De plus, une insuffisance hépatique aiguë peut être la conséquence de l’exacerbation d’une maladie chronique du foie jusqu’alors méconnue. Il peut s’agir par exemple de la réactivation d’une hépatite chronique B ou d’une poussée d’hépatite auto-immune. Là encore, l’existence de lésions chroniques du foie réduit les chances de guérison spontanée.

En résumé, lorsqu’un patient présente une hépatite aiguë, la prise en compte de plusieurs types de facteurs pronostiques ayant trait à la sévérité de l’insuffisance hépatique, à la cause et à la rapidité d’évolution ainsi qu’à l’existence d’une maladie chronique sous-jacente permettent d’estimer le pronostic. Toutefois, s’agissant d’une affection rare, aucune étude n’a permis jusqu’alors d’établir des critère pronostiques précis, prenant en compte l’ensemble de ces facteurs.

Connaître les causes d’atteinte hépatique aiguë grave

L’insuffisance hépatique est liée à une destruction massive des hépatocytes, elle-même secondaire à des phénomènes de nécrose et/ou d’apoptose. Dans certains cas toutefois, deux autres mécanismes peuvent être impliqués : une stéatose microvésiculaire diffuse et des phénomènes d’autophagie au sein des hépatocytes [2]. Les principales causes d’insuffisance hépatique aiguë sont présentées dans le Tableau II. En France, la cause la plus fréquente est l’intoxication par le paracétamol (40 % environ). Il est important de noter qu’il s’agit d’une intoxication volontaire dans environ 60 % des cas et d’une intoxication accidentelle, c’est-à-dire d’une prise de paracétamol à visée antalgique avec des doses suprathérapeutiques pendant plusieurs jours dans 40 % des cas environ. L’hépatite E ne s’observait autrefois que dans les pays en voie de développement. Depuis une dizaine d’années, des cas « autochtones » d’hépatite E s’observent dans la plupart des pays d’Europe [3]. La recherche d’une hépatite E doit donc faire partie du bilan étiologique systématique d’une hépatite aiguë en France. Le diagnostic repose sur la sérologie, mais surtout sur la mise en évidence directe du virus par PCR dans le sang et si possible dans les selles.

Cause Principaux éléments du diagnostic
Intoxication par le paracétamol Anamnèse*
Hépatites viralesVirus de l’hépatite AVirus de l’hépatite BHépatite B aiguë

Réactivation aiguë d’une hépatite B chronique †

Virus de l’hépatite delta (ou D)

Virus de l’hépatite E

IgM anti-VHAIgM anti-HBc

Anamnèse, IgM anti-HBc, Ag HBs, ADN du VHB

IgM anti-VHD

PCR du VHE

Autres virusVirus Herpes simplex 1 et 2Virus de la varicelle et du zonaHerpes virus de type 6

Virus variés

Parvovirus B19

Virus des fièvres hémorragiques

Clinique (fièvre, immunodépression), PCR-HSVClinique, PCR-VZVPCR-HHV6

 

PCR spécifique

Sérologies et/ou PCR spécifiques

Intoxication par l’amanite phalloïde Anamnèse, clinique
Autres toxinesSolvants industrielsHerbes médicinalesDrogues illicites

Ecstasy

Cocaïne

Buprénorphine intraveineuse

AnamnèseAnamnèse 

Anamnèse

Anamnèse

Anamnèse

Hépatites médicamenteuses Anamnèse, clinique, lésions histologiques
Hypoxie hépatique Anamnèse, clinique, lésions histologiques
Hyperthermie maligne (coup de chaleur) Anamnèse, clinique
Maladie de Wilson† Céruloplasmine et bilan du cuivre, anneau cornéen
Infiltration néoplasique du foie Clinique, histologie, cytologie
Hépatite auto immune† Marqueurs d’auto-immunité (anticorps anti-tissus)
Hépatite à cellules géantes Lésions histologiques
Stéatose aiguë gravidique Clinique, lésions histologiques
HELLP syndrome (toxémie gravidique) Clinique, imagerie du foie
Syndrome de Reye Clinique, lésions histologiques
Obstruction des veines hépatiques (Budd-Chiari) † Clinique, imagerie du foie
Transplantation et chirurgie hépatiques Anamnèse

Tableau II. Causes d’insuffisance hépatique aiguë

* Une paracétamolémie indétectable n’exclut pas ce diagnostic ; † il existe le plus souvent des lésions parenchymateuses chroniques sous-jacentes.

Malgré un bilan étiologique exhaustif, chez une proportion significative de malades (environ 15 à 20 %), aucune cause ne peut être mise en évidence. On parle alors d’insuffisance hépatique aiguë de cause indéterminée. Ces hépatites prédominent chez les femmes et ont le plus souvent une évolution subaiguë avec un ictère marqué. Le pronostic est globalement mauvais avec une aggravation progressive de l’insuffisance hépatique. Il a été noté que le facteur V sous-estime parfois la sévérité de l’insuffisance hépatique [4].

Savoir quand transférer un patient dans un centre de transplantation hépatique

La transplantation, si elle est nécessaire, est un processus complexe et nécessairement aléatoire. Même si les patients dont l’indication de transplantation est validée sont prioritaires au niveau national, le délai nécessaire à l’obtention d’un donneur est imprévisible, tout comme la localisation géographique du donneur. En dehors de cas exceptionnels, le donneur et le receveur doivent être compatibles dans les groupes ABO. Les receveurs du groupe sanguin A ont donc plus de chances de recevoir un donneur ABO compatible (donneur A ou O) que les receveurs de groupe sanguin O (donneur de groupe O nécessairement). Les groupes B et AB sont plus rares, tant pour le donneur que pour le receveur. Les groupes HLA ne sont pas pris en compte. En France, entre 1 000 et 1 100 donneurs sont prélevés chaque année pour une transplantation hépatique. L’expérience montre qu’en pratique, la probabilité pour qu’un receveur inscrit en urgence pour une insuffisance hépatique aiguë reçoive un greffon d’un donneur ­compatible dans les premières 48 heures est supérieure à 80 %. Il existe cependant plusieurs limites : (a) plusieurs malades atteints d’insuffisance hépatique aiguë peuvent être inscrits en liste d’attente au même moment ; (b) le donneur et le receveur peuvent être géographiquement éloignés et (c) il peut s’agir d’un donneur à critères ­élargis (donneur âgé, greffon stéatosique…). Par expérience et pour des raisons logistiques, même dans une équipe spécialisée, le délai minimal entre la proposition d’un donneur et l’entrée du malade en salle d’opération pour une transplantation en urgence est de l’ordre de 12 heures. Ces raisons font que le transfert d’un candidat potentiel à la transplantation vers un centre spécialisé doit être anticipé, si possible avant que les critères de transplantation soient présents. Le risque est celui d’un transfert superflu pour un patient qui, a posteriori, se sera amélioré spontanément après le transfert.

Il est généralement recommandé de transférer un patient atteint d’insuffisance hépatique aiguë lorsque le taux de prothrombine et/ou le facteur V sont inférieurs à 50 %. Le transfert peut être différé pour les causes associées à un bon pronostic (intoxication par le paracétamol, hépatite aiguë A, foie de choc) à condition d’avoir pris contact avec un centre spécialisé et d’assurer une surveillance étroite. À l’inverse, le transfert peut être anticipé s’il s’agit d’une cause associée à un mauvais pronostic, si la cause n’est pas clairement établie ou si le patient est éloigné d’un centre de transplantation (territoires d’outre-mer). L’existence de défaillances d’organes associées à l’insuffisance hépatique lors de la prise en charge initiale doit conduire à un transfert immédiat vers une unité spécialisée.

Connaître la prise en charge avant le transfert vers un centre de transplantation

Prise en charge générale

Chez les patients qui n’ont pas d’encéphalopathie ni de défaillance multiviscérale à l’admission, l’objectif de la prise en charge est d’éviter tous les facteurs susceptibles d’aggraver l’insuffisance hépatique et de maintenir une situation propice à une régénération rapide, condition essentielle à une guérison sans séquelles. Les facteurs potentiellement aggravants qui doivent être évités sont l’administration de paracétamol chez les patients qui ont de la fièvre ou des douleurs, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens, les antibiotiques néphrotoxiques (aminoglycosides) et tous les agents sédatifs qui peuvent contribuer à l’encéphalopathie. S’il n’existe pas d’indication de transfert immédiat dans une unité de transplantation, les principales variables permettant d’évaluer la progression de la maladie et le pronostic doivent être surveillées à intervalle rapproché, c’est-à-dire deux fois par jour au minimum. Il s’agit des paramètres vitaux incluant l’encéphalopathie, des tests hépatiques, des facteurs de coagulation et du ionogramme sanguin avec la créatininémie. En cas d’intoxication par le paracétamol, il est recommandé de mesurer la concentration des lactates au moins tous les jours. Une surveillance des lactates est également justifiée en cas de défaillance d’organes autres que le foie.

Un remplissage vasculaire adéquat doit permettre d’éviter les épisodes d’hypotension (avec un objectif de pression artérielle moyenne de 70 mmHg au moins). Une hypotension persistant malgré un remplissage vasculaire approprié définit une défaillance circulatoire et justifie l’administration d’amines vasopressives (noradrénaline) par l’intermédiaire d’un cathéter veineux central.

Les patients qui ont une intoxication par le paracétamol, qu’elle soit volontaire ou accidentelle, doivent recevoir de la N-acétyl cystéine. La N-acétyl ­cystéine doit être débutée le plus tôt possible après l’intoxication. Toutefois, elle reste justifiée même si la prise en charge est tardive. Il est préférable d’administrer la N-acétyl cystéine par voie intraveineuse plutôt que la voie orale. Les doses étant élevées et la formulation orale inappropriée au traitement des intoxications par le paracétamol, l’administration orale aux doses recommandées s’accompagne fréquemment de vomissements. La N-acétyl cystéine contribue à restaurer les stocks de glutathion intrahépatocytaire. Le glutathion est un composé indispensable au métabolisme du paracétamol en métabolites non réactifs, n’ayant pas d’effets délétères sur la cellule. Plus généralement, il s’agit d’un composé intrahépatocytaire qui protège les composants cellulaires de composants réactifs instables présents au cours de nombreux processus pathologiques autres que l’intoxication par le paracétamol. Une étude contrôlée a montré un bénéfice de l’administration de N-acétyl cystéine chez les malades ayant une insuffisance hépatique aiguë non liée au paracétamol [5]. La N-acétyl cystéine est donc recommandée au cours de toute insuffisance hépatique aiguë, qu’elle soit liée ou non au paracétamol. Le protocole consiste en l’administration d’un bolus de 150 mg/kg en 15 minutes suivis de 50 mg/kg en 4 heures puis de 100 mg/kg en 16 heures. En cas d’insuffisance hépatique aiguë grave, l’administration de N-acétyl cystéine peut être prolongée au-delà de 16 heures, jusqu’à ce que le TP et/ou le facteur V soient supérieurs à 50 %. Les infections bactériennes doivent être systématiquement recherchées et traitées sans délai par une antibiothérapie empirique dont la nature dépend de l’épidémiologie locale. L’hypophosphorémie doit être corrigée.

En cas d’encéphalopathie, il peut être nécessaire de poser une sonde nasogastrique pour limiter le risque d’inhalation. Une encéphalopathie profonde justifie une intubation orotrachéale et une assistance respiratoire.

Chez les patients présentant d’emblée une défaillance multiviscérale, l’existence d’une insuffisance rénale aiguë peut nécessiter une épuration extra-rénale (hémofiltration) en urgence pour corriger les troubles métaboliques.

Même en cas de diminution profonde des facteurs de coagulation, l’administration de plasma frais congelé ou d’autres préparations de facteurs de coagulation est proscrite. En effet, les accidents hémorragiques spontanés sont très rares. La balance entre les ­facteurs pro- et anticoagulants est relativement respectée [6, 7]. Enfin, l’administration de plasma frais congelé augmente artificiellement les facteurs de coagulation et ne permet plus d’analyser les variations de la coagulation qui ont une valeur pronostique capitale.

Spécificités de la prise en charge en fonction de la cause

Certaines causes d’insuffisance hépatique aiguë justifient une prise en charge spécifique. L’administration de N-acétyl cystéine en cas d’intoxication par le paracétamol a été discutée ci-dessus.

En cas d’insuffisance hépatique aiguë secondaire à une hépatite aiguë B, l’ADN du virus B est présent en quantité très faible ou indétectable dans le sérum. Un traitement antiviral n’est pas justifié. À l’inverse, en cas d’insuffisance hépatique aiguë secondaire à la réactivation d’une hépatite chronique B (parfois méconnue), l’ADN du virus B peut être présent à des titres élevés. L’intérêt d’un traitement antiviral en cas d’insuffisance hépatique aiguë secondaire à une réactivation d’une hépatite chronique B n’est pas clairement démontré [8]. Toutefois, les traitements de dernière génération (ténofovir ou entécavir) sont généralement recommandés car ils sont très efficaces sur la réplication virale avec un bon profil de tolérance.

Le diagnostic d’hépatite auto-immune doit conduire à initier rapidement une corticothérapie. On peut utiliser de la prednisone à la dose de 1 mg/kg/j. Cependant, l’efficacité de la corticothérapie dans l’insuffisance hépatique aiguë d’origine auto-immune est inconstante [9]. Par ailleurs, les corticoïdes peuvent contribuer à la survenue de complications infectieuses dont certaines sont fatales.

La ribavirine a une bonne efficacité sur le virus de l’hépatite E. Là encore, il n’est pas démontré que l’administration de ribavirine améliore le pronostic de l’insuffisance hépatique aiguë liée au virus E. Elle est recommandée par ­certains en sachant que les effets secondaires potentiels (anémie hémolytique) doivent être pris en compte.

Un diagnostic d’insuffisance hépatique aiguë due au virus herpès simplex implique l’administration en urgence d’acyclovir par voie intraveineuse. Le pronostic est globalement mauvais et seule l’administration rapide d’un traitement peut permettre une éventuelle guérison.

Un diagnostic de maladie de Wilson (exceptionnellement révélée par un tableau d’insuffisance hépatique aiguë) justifie l’administration de D-pénicillamine, un chélateur du cuivre qui permet parfois d’obtenir une correction de l’insuffisance hépatique sans transplantation [10].

Le traitement de la stéatose aiguë gravidique est l’arrêt de la grossesse. La prise en charge dépend du terme de la grossesse. Au-dessous de 24 semaines d’aménorrhée, le pronostic de la mère doit être privilégié car la maturité fœtale est insuffisante. En cas de diminution franche des facteurs de coagulation (TP < 50 %), il est préférable de terminer la grossesse soit par déclenchement soit par césarienne en fonction du degré d’urgence. Au-dessus de 34 semaines d’aménorrhée, la maturité fœtale permet d’arrêter la grossesse. Entre les deux, il peut y avoir un intérêt à essayer de gagner du temps pour augmenter la maturité fœtale avant de terminer la grossesse. Cette option implique une surveillance très étroite des fonctions hépatiques et des possibles dysfonctions d’organes autres que le foie.

La prééclampsie et le syndrome HELLP ne se compliquent en principe jamais d’insuffisance hépatique aiguë. Elle peut en revanche se compliquer d’hématomes intrahépatiques et/ou sous-capsulaires. Le traitement est également l’arrêt de la grossesse. Les modalités de la prise en charge concernant l’arrêt de la grossesse en fonction du terme sont similaires.

Les différents « antidotes » (vitamine C, silibinine, pénicilline…) proposés dans le traitement de l’intoxication par l’amanite phalloïde n’ont jamais fait preuve de leur efficacité et ne sont pas recommandés.

Savoir quand poser l’indication d’une transplantation hépatique

Causes de décès au cours de l’insuffisance hépatique aiguë

Classiquement, l’insuffisance hépatique aiguë grave est caractérisée par une diminution progressive des facteurs de coagulation suivie par l’apparition d’une encéphalopathie hépatique (potentiellement réversible) puis d’un œdème cérébral associé à une hypertension intracrânienne responsable du décès par anoxie cérébrale et/ou engagement. Les mécanismes de l’œdème cérébral au cours de l’insuffisance hépatique aiguë sont complexes et font intervenir une accumulation de glutamine au sein des cellules astrocytaires dont le volume, par un effet osmotique, augmente. L’augmentation du volume des cellules astrocytaires contribue à l’augmentation de la pression intracrânienne [11]. Au cours des 10 à 15 dernières années, et pour des raisons qui ne sont pas clairement identifiées, le mode de présentation des insuffisances hépatiques aiguës graves a changé. En proportion, le nombre de patients dont le décès est lié à une hypertension intracrânienne a diminué. Le nombre de patients dont le décès est lié à une défaillance multiviscérale (avant qu’un œdème cérébral patent se soit installé) a augmenté [12].

Indications de transplantation hépatique : les principes

La transplantation hépatique en urgence reste la seule option chez certains malades dont l’insuffisance hépatique persiste, s’aggrave et s’accompagne de complications extrahépatiques (œdème cérébral et/ou défaillance multiviscérale) constituant une menace vitale à court terme. La transplantation hépatique permet de restaurer rapidement les fonctions hépatiques et d’interrompre la progression de ces complications. Toutefois, il s’agit d’une intervention lourde et le délai nécessaire à l’obtention d’un donneur est aléatoire. Si la décision de transplantation est prise à un stade précoce de l’insuffisance hépatique aiguë, le risque de décès faute de donneur disponible est réduit ; le risque opératoire est faible si le patient n’a pas développé de défaillance d’organe autre que le foie mais, en revanche, il existe un risque de transplantation « par excès » d’un patient qui aurait pu guérir spontanément sans transplantation. À l’inverse, si la décision de transplantation est prise à un stade avancé, le risque de décès pendant la période d’attente d’un donneur est plus élevée ; le risque opératoire est plus élevé mais, en revanche, le risque de transplantation par excès est réduit. Les critères de transplantation doivent constituer un compromis entre ces deux extrêmes avec comme objectif d’optimiser les résultats de la transplantation tout en minimisant le risque de transplantation par excès (ou encore de transplantation « par précaution »).

Transplantation hépatique : les critères

Deux types de critères peuvent être utilisés pour prendre une décision de transplantation : les critères de Clichy et les critères du King’s College de Londres (Tableau III) [13, 14]. Ces critères ont été établis de façon empirique et ne sont pas basés sur une analyse statistique rigoureuse des facteurs prédictifs. Les critères de Clichy sont basés sur l’âge, le facteur V et l’encéphalopathie. Les critères du King’s College sont plus complexes et diffèrent selon qu’il s’agit d’une insuffisance hépatique aiguë liée au paracétamol ou non. Cette distinction est logique car l’histoire naturelle des insuffisances hépatiques secondaires à une intoxication par le paracétamol est différente de celle des autres causes. En pratique, il n’est pas recommandé d’utiliser les critères de Clichy pour prendre une décision de transplantation en cas d’intoxication par le paracétamol car les critères du King’s College sont plus performants.

Le score MELD (pour « Model for End Stage Liver Disease ») n’est pas adapté à l’insuffisance hépatique aiguë. Il s’agit d’un score destiné à évaluer le pronostic des patients atteints de cirrhose.

Critères de Clichy [14]
Transplantation si:– Encéphalopathie avec un coma (grade 3 or 4) et– Facteur V < 20 % et âge au-dessous de 30 ans ou– Facteur V < 30 % et âge au-dessus de 30 ans
Critères du King’s College [13]
Causes autres que l’intoxication par le paracétamol
Transplantation si:– INR > 6,5 ouAu moins 3 des critères suivants :• Hépatite médicamenteuse ou hépatite de cause indéterminée

• Âge < 10 ou > 40 ans

• Insuffisance hépatique aiguë ou subaiguë vs insuffisance hépatique hyper-aiguë

• vBilirubine > 300 µmol/L

• INR > 3,5

Intoxication par le paracétamol
Envisager la transplantation si la concentration artérielle de lactates est > 3,5 mmol/L après remplissage vasculaireDécision de transplantation si :– pH < 7,3 ou lactates artériels > 3 mmol/L après remplissage vasculaire– Ou : créatinine 300 µmol/L, INR > 6,5 et encéphalopathie de grade 3 ou plus

Tableau III. Critères de transplantation en urgence chez les patients atteints d’insuffisance hépatique aiguë

Limites des critères

Globalement, les critères de Clichy et du King’s College de Londres, lorsqu’ils sont présents prédisent un risque de décès sans transplantation de l’ordre de 90 %. Ils sont donc imparfaits et 10 % des malades environ sont transplantés alors qu’ils auraient possiblement guéri spontanément sans transplantation. À l’opposé, certains patients qui répondent aux critères de Clichy et du King’s College ont un risque péri-opératoire majeur du fait de l’extrême gravité de la maladie. Il s’agit essentiellement de patients ayant une défaillance multiviscérale avec une défaillance circulatoire nécessitant des doses massives de vasopresseurs, une acidose métabolique et une élévation persistante des lactates malgré une épuration extrarénale et une défaillance respiratoire. Il peut également s’agir de patients qui ont déjà développé des lésions cérébrales irréversibles liées à l’œdème cérébral. Des critères permettant de d’identifier clairement les patients pour lesquels une transplantation serait futile restent à définir. Les décisions de ne pas transplanter sont discutées au cas par cas.

Références

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Les Cinq points forts

  1. En cas d’insuffisance hépatique aiguë, la guérison est spontanée dans la majorité des cas. Chez certains patients, le pronostic vital peut être menacé en quelques heures ou quelques jours.
  2. Il n’existe pas à ce jour de suppléance artificielle efficace en cas d’insuffisance hépatique aiguë. La transplantation hépatique en urgence est la seule option pour corriger l’insuffisance hépatique menaçant le pronostic vital.
  3. Les causes de décès ont évolué, davantage liées à une défaillance multiviscérale qu’à une hypertension intracrânienne.
  4. Le pronostic est lié à l’histoire naturelle et à la cause. Le pronostic des insuffisances hépatiques subaiguës est moins bon que celui des insuffisances hépatiques aiguës.
  5. La N-acétyl cystéine est également efficace dans les insuffisances hépatiques aiguës non liées au paracétamol.