Prise en charge nutritionnelle péri-opératoire en cancérologie digestive

Objectifs pédagogiques

  • Reconnaître les patients à risque de complications postopératoires
  • Évaluer ce risque en fonction de la lourdeur de l’intervention
  • Savoir identifier une dénutrition
  • Connaître les recommandations en matière de nutrition artificielle :voie orale, entérale ou parentérale, substrats, durée

Mots-clés : recommandations professionnelles, nutrition, chirurgie digestive carcinologique.

La chirurgie digestive majeure pour cancer digestif (œsophagectomie, gastrectomie, colectomie, pancréatectomie, …) induit des modifications physiologiques considérables. Cette réponse est dénommée réaction de phase aiguë et est constituée d’un ensemble de modifications systémiques et biochimiques. Il existe constamment au cours de la période postopératoire une élévation de la température corporelle, une hyperleucocytose, une sécrétion de cytokines, de cortisol, de cathécholamines, d’insuline et de glucagon ainsi qu’une augmentation du renouvellement protéique.

Cette situation s’aggrave en cas de chirurgie compliquée où le catabolisme protéique devient très important. D’autre part, la chirurgie digestive est souvent associée à une période de « jeûne obligatoire ». Après deux à trois jours de jeûne, la glycémie et la production hépatique de glucose baissent, et la majorité du glucose nécessaire aux cellules est produit par la voie de la néoglucogénèse qui s’effectue à partir des acides aminés, du glycérol et des lactates. Il s’y associe progressivement une diminution du métabolisme énergétique et de l’insulinémie qui aboutit à une augmentation de la lipolyse. Au cours du jeûne prolongé, l’ensemble des mécanismes adaptatifs induit normalement un effet d’épargne protéique. Le stress chirurgical diminue la capacité de l’organisme à s’adapter au jeûne sous l’action des cytokines, des catécholamines et du cortisol. La production hépatique de glucose reste élevée ; la concentration plasmatique de glucose et d’insuline est haute, l’utilisation des corps cétoniques est diminuée. Il en résulte une diminution rapide et considérable de la masse musculaire avec des conséquences importantes sur la fonction musculaire, l’immunité et la cicatrisation. Ainsi chez un malade qui doit subir ce type de chirurgie, la prise en charge nutritionnelle apparaît logique, dans le but d’en réduire les conséquences délétères pour la période post-opératoire.

Il y a près de 70 ans, des auteurs démontraient que les malades dénutris opérés d’un ulcère, faisaient significativement plus de pneumopathies et d’infections de paroi que les malades non dénutris [1]. Un critère aussi simple que la perte de poids était un indicateur pronostique fiable. Depuis lors, de très nombreuses études ont clairement établi que, chez les malades qui doivent subir un acte de chirurgie digestive programmée, d’une part la dénutrition est fréquente et touche de 20 à 50 % d’entre eux, d’autre part elle est associée de manière indépendante à une augmentation de la morbidité, de la mortalité, de la durée d’hospitalisation et du coût des soins.

Les complications infectieuses et plus spécialement les infections nosocomiales sont plus fréquentes chez les malades dénutris que chez les malades non dénutris [2]. Dans l’étude des vétérans [3] dont le but était de juger de l’intérêt de la nutrition parentérale préopératoire, le Nutrition Risk Index (NRI) a été utilisé pour évaluer le degré de dénutrition des malades. Dans le groupe des malades sévèrement dénutris qui n’avaient pas reçu de nutrition parentérale, la prévalence des complications sévères postopératoires était significativement plus élevée que chez les malades dont le NRI était normal (20 % pour les complications non infectieuses et 40 % pour les complications infectieuses).

Les principales conséquences post-opératoires de la dénutrition pré-opératoire sont présentées dans le tableau I. Ces éléments ont été clairement énoncés au cours de la Conférence de Consensus sur la nutrition artificielle péri-opératoire en chirurgie programmée de l’adulte organisée il y a plus de 10 ans par la Société Francophone Nutrition clinique et métabolisme (SFNEP) qui a proposé des recommandations pour la prise en charge nutritionnelle des malades en période péri-opératoire [4]. Ces recommandations ont été complétées en janvier 2005, par celles de la Société Française de Chirurgie Digestive (SFCD) sur les soins péri-opératoires en chirurgie digestive programmée chez l’adulte [5]. En raison du développement de nouveaux produits, de nouvelles technologies en matière de nutrition, des techniques chirurgicales et anesthésiques et d’un enrichissement des connaissances scientifiques, ces recommandations ont été actualisées en 2010 [6]. Le but de cet article est de faire le point sur ces recommandations afin que les malades opérés du tube digestif puissent bénéficier d’une prise en charge péri-opératoire moderne et efficace. Nous n’envisagerons ici que la chirurgie digestive carcinologique lourde sus- ou sous-mésocolique.

Tableau I. Principales conséquences postopératoires de la dénutrition

Déficit immunitaire Prédispose à l’infection, en particulier nosocomiale
Diminution de la force des muscles respiratoires Prédispose à l’infection pulmonaire et retarde la guérison
Diminution de la sensibilité des centres respiratoires à l’oxygène Prédispose à la ventilation artificielle en cas de maladie respiratoire et en retarde le sevrage
Inactivité et clinophilie Prédispose aux escarres et à la maladie thromboembolique
Anomalies de la thermorégulation Prédispose à l’hypothermie
Mauvaise cicatrisation des plaies Augmente la durée de convalescence, de séjour hospitalier et d’arrêt de travail
Apathie, dépression et hypochondrie Affecte le bien-être
Négligence personnelle Prédispose à d’autres effets négatifs physiques et psychologiques

Identifier la dénutrition et les patients à risque de complications post-opératoires

Avant une intervention de chirurgie digestive, il est, pour les raisons énoncées ci-dessus, indispensable de connaître les facteurs de risques et les critères diagnostiques de la dénutrition pour la dépister et la prendre en charge dans le but d’améliorer le pronostic et les suites postopératoires. Les facteurs de risques de dénutrition sont présentés dans le tableau II. Tout malade qui présente un de ces facteurs doit bénéficier d’une évaluation systématique de son état nutritionnel.

Tableau II. Facteurs de risques de dénutrition

Facteurs de risque liés au patient (comorbidités)
Âge > 70 ans
Cancer, hémopathie maligne
Sepsis
Maladie chronique digestive
Insuffisance d’organe (respiratoire, cardiaque, rénale, intestinale, pancréatique, hépatique)
Maladie neuromusculaire et polyhandicap
Diabète
Syndrome inflammatoire
VIH/SIDA
Antécédent de chirurgie digestive majeure (grêle court, pancréatectomie, gastrectomie, chirurgie bariatrique)
Syndrome dépressif, troubles cognitifs, démence, syndrome confusionnel
Symptômes persistants : dysphagie, nausée-vomissement-sensation de satiété précoce, douleur, diarrhée, dyspnée
Facteurs de risques liés à un traitement (traitement à risque)
Traitement à visée carcinologique (chimiothérapie, radiothérapie)
Corticothérapie > 1 mois
Polymédication > 5

L’évaluation nutritionnelle doit comporter :

  • la mesure du poids actuel,
  • l’estimation de la perte de poids (volontaire ou non) par rapport au poids habituel et
  • le calcul de l’IMC [IMC = poids (kg)/ taille (m2)].

La mesure de l’albuminémie peut être utile en cas de difficulté de l’évaluation nutritionnelle. Elle est recommandée en cas de chirurgie majeure car il s’agit d’un excellent facteur pronostique. Un patient est considéré comme présentant une dénutrition pouvant entraîner des complications postopératoires et des conséquences médico-économiques s’il présente les paramètres suivants :

  • un IMC ≤ 18,5 ou un IMC < 21 chez le sujet de plus de 70 ans,
  • ou une perte de poids récente d’au moins 10 %,
  • ou une albuminémie < à 30 g/L indépendamment de la CRP.

La présence d’un seul de ces critères cliniques ou biologique suffit à définir une dénutrition. Un patient est considéré comme très sévèrement dénutri avec un risque de syndrome de renutrition s’il présente un IMC < 13 ou un amaigrissement > 20 % en 3 mois ou des apports oraux négligeables pendant 15 jours ou plus.

La perte involontaire de masse musculaire (sarcopénie) s’impose de plus en plus comme un critère pronostique majeur en oncologie et plus particulièrement chez la personne âgée. Dans l’étude de Prado et al. [7] qui a porté sur des sujets âgés et obèses porteurs d’un cancer digestif ou pulmonaire en cours de chimiothérapie, la masse musculaire était mesurée en utilisant les coupes scannographiques passant en L3 (Fig. 1). La survie était supérieure chez les sujets non sarcopéniques que chez les patients sarcopéniques (Fig. 2). Chez les malades qui doivent bénéficier d’une chirurgie lourde pour cancer, de plus en plus d’études démontrent qu’une perte de masse musculaire est associée à une péjoration du pronostic [8]. En fait le diagnostic de sarcopénie devrait reposer sur une mesure de la masse (TDM chez les malades atteints de cancer) et de la fonction musculaire (vitesse de marche, dynamométrie) [9]. Malgré ces données de plus en plus prometteuses la détermination de la masse et de la fonction musculaire ne font pas encore partie des recommandations pour l’évaluation nutritionnelle d’un malade atteint de cancer [10].

Figure 1. Coupe scannographique passant par L3 d’un sujet contrôle et d’un patient porteur d’un cancer du pancréas avec une sarcopénie

Figure 1. Coupe scannographique passant par L3 d’un sujet contrôle et d’un patient porteur d’un cancer du pancréas avec une sarcopénie

Figure 2. Courbe de survie chez de patients obèses sarcopéniques ou non, porteurs d’un cancer digestif ou pulmonaire en cours de chimiothérapie

Figure 2. Courbe de survie chez de patients obèses sarcopéniques ou non, porteurs d’un cancer digestif ou pulmonaire en cours de chimiothérapie

Évaluer le risque en fonction de la lourdeur de l’intervention

À l’issue de l’évaluation nutritionnelle, Il faut prendre en compte à la fois l’état nutritionnel, les différents facteurs de risque de dénutrition périopératoire et le risque lié à l’acte chirurgical. Le patient doit être classé selon son grade nutritionnel (GN) qui conditionnera les recommandations pour la prise en charge pré et post-pératoire (Tableau III).

Tableau III. Évaluation du risque nutritionnel lors de la période périopératoire

Grade nutritionnel 1 (GN 1) Patient non dénutri
ET chirurgie non à risque élevé de morbidité
ET pas de facteur de risque de dénutrition
Grade nutritionnel 2 (GN 2) Patient non dénutri
ET présence d’au moins un facteur de risque de dénutrition
OU chirurgie avec un risque élevé de morbidité
Grade nutritionnel 3 (GN 3) Patient dénutri
ET chirurgie non à risque élevé de morbidité
Grade nutritionnel 4 (GN 4) Patient dénutri
ET chirurgie avec un risque élevé de
morbidité

Recommandation en matière de nutrition artificielle et prise en charge nutritionnelle péri-opératoire

La prise en charge nutritionnelle préopératoire

Chez les patients de grade nutritionnel 2 (GN 2), une prise en charge nutritionnelle pré-opératoire qui associe des conseils diététiques à des compléments nutritionnels est recommandée (Tableau IV).

Tableau IV. Protocole de soins du patient de grade nutritionnel 2 (Patient non dénutri ET présence d’au moins un facteur de risque de dénutrition OU chirurgie avec un risque élevé de morbidité)

Chirurgie programmée ou postopératoire si urgence
Préopératoire – Évaluation des apports oraux
– Si diminution des apports oraux : conseil diététique et compléments nutritionnels oraux hypercaloriques normo ou hyperprotidiques (2/j en collation en dehors des repas).
– Chirurgie carcinologique digestive : Oral Impact® : 3 briquettes par jour pendant 5 à 7 jours avant le geste chirurgical (ordonnance de médicament d’exception).
– Discuter de la mise en place éventuelle d’un abord pour l’assistance nutritionnelle postopératoire.
Préopératoire immédiat – Repas léger la veille de l’intervention et administration la
veille (2 × 400 mL) et le matin (400 mL) de l’intervention d’une
solution sucrée claire à faible osmolarité.
Postopératoire – Alimentation orale précoce débutée au plus tard dans les 24 h (en l’absence de contre-indication chirurgicale).
– En l’absence d’alimentation orale : apports de 1,5 à 2,5 l / 24 h de solution glucosé à 5 % + 50 à 100 mmol de NaCl / 24 h + 40 à 80 mmol KCl / 24 h.
– À 48 h, si apports oraux prévisibles < 60 % des besoins : conseils diététiques et compléments nutritionnels hypercaloriques normo ou hyperprotidiques (2/j en collation).
– À 7 jours, si apports oraux prévisibles < 60 % des besoins : assistance nutritionnelle.
– Si complications postopératoires graves : assistance nutritionnelle et discuter l’apport de glutamine IV.

Tout patient de grade nutritionnel 4 (GN 4) doit recevoir une assistance nutritionnelle préopératoire (nutrition entérale ou nutrition parentérale) d’au moins sept à dix jours. La nutrition entérale est à privilégier chez tout patient dont le tube digestif est fonctionnel. Elle est dans la mesure du possible préférable à la voie parentérale car elle est associée à moins de complications (Tableau V).

Tableau V. Protocole de soins du patient de grade nutritionnel 4 (Patient dénutri ET chirurgie avec un risque élevé de morbidité)

Chirurgie programmée ou postopératoire si urgence
Préopératoire – Assistance nutritionnelle pendant 10 à 14 jours.
– Chirurgie carcinologique digestive : Oral Impact® : 3 briquettes par jour pendant 5 à 7 jours avant le geste chirurgical (ordonnance de médicament d’exception). Utiliser Enteral Impact® si l’oral impossible.
– Discuter de la mise en place d’un abord pour l’assistance nutritionnelle postopératoire.
Préopératoire immédiat Repas léger la veille de l’intervention et administration la veille (2 x 400 mL) et le matin (400 mL) de l’intervention d’une solution sucrée claire à faible osmolarité.
Postopératoire – Alimentation orale précoce (si pas de contre-indication chirurgicale).
– Assistance nutritionnelle systématique.
– Discuter l’apport d’acides gras n-3.
– Chirurgie carcinologique digestive : Impact® (Oral ou Enteral) 1000 mL/24h et complémentation orale standard ou nutrition entérale à hauteur des besoins estimés.
– Si complications postopératoires graves : poursuite de l’assistance nutritionnelle et discuter la glutamine IV.

Chez les personnes âgées, les stratégies nutritionnelles préopératoires sont les mêmes que chez les sujets plus jeunes. En raison de leur mauvaise adaptation à la dénutrition et de leur résistance à la renutrition, la surveillance de ces patients doit probablement être plus rapprochée.

En cas d’alimentation entérale, il est recommandé de l’administrer à l’aide d’une sonde naso-gastrique en silicone ou en polyuréthanne de petit calibre (8 à 10 french) après avoir contrôlé radiologiquement la bonne position (antrale pré-pylorique) de la sonde. La nutrition entérale peut également être administrée par une sonde naso-jéjunale voire, si elle doit être prolongée plus d’un mois, par une gastrostomie ou une jéjunostomie. Il est recommandé d’utiliser un mélange polymérique du commerce hyper-protéino-énergétique (1,5 kcal/mL et 20 % de protéines) et d’apporter 25 à 30 kcal/kg par jour dont 1,2 à 1,5 g de protéines/kg.

En cas de nutrition parentérale, celle-ci doit être administrée à l’aide d’une voie veineuse centrale, elle utilise des mélanges nutritifs ternaires du commerce et apporte 25 à 30 kcal/kg par jour dont 0,20 à 0,25 g d’azote/kg par jour. L’ajout d’électrolytes (apports recommandés de 50 à 100 mmol de NaCl/24 h + 40 à 80 mmol de KCl/24 h), de vitamines et d’oligoéléments est indispensable dans la poche de nutrition parentérale [11].

La pharmaconutrition consiste à utiliser des substrats non pas pour leurs propriétés nutritionnelles uniquement mais leur fonction dans la réponse à l’inflammation, l’immunité systémique ou locale (cellulaire ou humorale), la cicatrisation, les synthèses endocriniennes. De nombreux substrats ont des propriétés pharmacologiques en plus de leurs propriétés nutritionnelles : l’arginine, la glutamine, les acides gras polyinsaturés n-3, les nucléotides, etc.

Plusieurs études prospectives ont prouvé qu’au cours des cancers digestifs, la pharmaconutrition préopératoire, réduisait de façon très significative l’incidence des complications postopératoires. La plus importante de ces études comportait 305 patients non ou moyennement dénutris (perte de poids inférieure à 10 %) avec cancers digestifs (œsophagiens, gastriques, pancréatiques et colorectaux) [12]. Les patients étaient randomisés en trois groupes : complémentation orale de cinq jours d’un pharmaconutriment (Oral Impact®) avant l’intervention (1 litre/jour), même complémentation préopératoire et pharmaconutrition postopératoire, ou aucun support nutritionnel. L’étude objectivait une réduction de 50 % des complications infectieuses postopératoires (30,4 % dans le groupe contrôle vs 15,8 % dans le groupe périopératoire vs 13,7 % dans le groupe préopératoire, p = 0,006 groupe témoin vs groupe préopératoire). Plusieurs méta-analyses ont confirmé l’intérêt de la pharmaconutrition pré-opératoire notamment en chirurgie digestive carcinologique lourde [13]. Cette prise en charge fait l’objet actuellement d’un remboursement (prescription d’Oral Impact® trois briquettes par jour pendant les cinq à sept jours pré-opératoires sur ordonnance de médicament d’exception).

La prise en charge nutritionnelle préopératoire immédiate

Pour les patients sans risque, le volume et le pH du liquide gastrique après la prise de liquides clairs jusqu’à deux heures avant l’induction anesthésique ne sont pas différents de ceux constatés en cas de jeûne prolongé ; de même, le risque de complication pulmonaire et de mortalité n’est pas augmenté. Le volume de liquides clairs (jusqu’à 400 mL) pris deux heures auparavant ne semble pas influencer le résidu gastrique lors de l’induction anesthésique. L’impression de soif, de faim, la sècheresse buccale, l’existence de nausées ou vomissements, le confort et l’anxiété sont améliorées par la prise de liquides clairs jusqu’à deux heures avant l’intervention. Toutes les recommandations s’accordent pour dire que, chez les patients sans risque de régurgitation, la durée du jeûne pré-opératoire doit être de six heures pour les solides et de deux heures pour les liquides clairs.

La prise de liquides clairs sucrés sous forme de solution de glucose ou de maltodextrines jusqu’à deux heures avant la prémédication est recommandée par de nombreuses sociétés savantes dont la Société française d’anesthésie et réanimation (SFAR) et la Société française de chirurgie digestive (SFCD) [14]. Il faut encourager le patient, sans risque de régurgitation, à prendre des hydrates de carbone per os jusqu’à deux heures avant la chirurgie afin de limiter l’insulinorésistance et de réduire les conséquences métaboliques néfastes du jeûne prolongé. L’insulinorésistance est un facteur délétère associé à la chirurgie et augmente la durée moyenne de séjour des patients. L’insulinorésistance postopératoire est améliorée (d’environ 50 %) par la prise d’une solution à 12,5 % de maltodextrine : 800 mL la veille au soir et 400 mL deux heures avant la prémédication. L’effet est également trouvé lors de la prise matinale isolée d’hydrates de carbone per os en chirurgie ambulatoire. L’effet favorable précoce (24 h 00) de ces solutions sur l’insulinorésistance est lié surtout à une moindre diminution du glucose dans les tissus périphériques associée à une meilleure oxydation [15].

Deux produits sont disponibles en France : Préop® de Nutricia qui se présente sous la forme d’une bouteille prêt à l’emploi de 200 mL et Resource® preload™ de Nestlé qui se présente sous la forme d’un sachet de 50 g de poudre à reconstituer. Les patients doivent recevoir soit quatre bouteilles de 200 mL la veille de l’intervention et deux le matin ; soit deux sachets dilués chacun dans 400 mL d’eau la veille et un le matin de l’intervention. La dernière prise doit avoir lieu au moins deux heures avant l’heure prévue de l’intervention. Cette mesure permet de réduire les sensations de faim et de soif, la sécheresse buccale et l’anxiété en préopératoire. En post-opératoire elle réduit l’insulinorésistance ainsi que les nausées et les vomissements.

La prise en charge nutritionnelle postopératoire

Quand reprendre l’alimentation ?

Dans la majorité des cas, le jeûne n’est pas nécessaire après chirurgie. La reprise précoce d’une alimentation orale, le plus rapidement possible, au cours des 24 premières heures postopératoires doit être privilégiée, selon la tolérance du patient, sauf contre-indication chirurgicale. Lewis et al. [16] ont réalisé une méta-analyse de 13 essais randomisés avec un total de 1 173 patients, comparant une nutrition très précoce après chirurgie digestive programmée sus-mésocolique, sous-mésocolique ou hépato-biliaire, à un régime traditionnel (nil per os). La nutrition très précoce était définie par l’administration, dans les 24 premières heures postopératoires, d’une alimentation orale (régime normal ou suppléments oraux) ou de toute forme de nutrition entérale par sonde (jéjunale, duodénale ou jéjunale). Une réalimentation très précoce per os ou par voie entérale diminue la mortalité et les complications postopératoires et pourrait réduire la longueur de séjour à l’hôpital. Le risque de vomissement est accru essentiellement quand une sonde gastrique est mise en place en routine. L’actualisation de cette méta-analyse en 2009 a confirmé les données de la première [17].

Quand proposer une assistance nutritionnelle post-opératoire après chirurgie digestive majeure ?

Chez les patients non dénutris (GN 2), en l’absence d’apports protéino-énergétiques suffisants, le catabolisme azoté élevé et les dépenses énergétiques accrues, secondaires au stress métabolique, vont contribuer à l’installation d’une dénutrition plus ou moins sévère. Ainsi, il est recommandé d’instaurer une assistance nutritionnelle quand le patient a des apports alimentaires postopératoires inférieurs à 60 % de ses besoins quotidiens depuis sept jours. Par ailleurs, si les apports alimentaires prévisibles sont inférieurs à 60 % des besoins quotidiens au cours des sept jours postopératoires, il faut probablement instaurer, une assistance nutritionnelle précoce. Chez les patients dénutris (GN 4), il faut instaurer, dès les 24 premières heures postopératoires, un support nutritionnel qu’ils aient reçu ou non un support nutritionnel préopératoire. La prise en charge nutritionnelle postopératoire d’un patient opéré en urgence n’est pas différente de celle recommandée pour la chirurgie programmée.

Quelle place pour la pharmaconutrition en post-opératoire ?

Chez le patient non dénutri (GN2), en chirurgie digestive oncologique programmée, il n’est pas recommandé de prescrire, en postopératoire, un mélange nutritif utilisable par voie digestive contenant une association de pharmaconutriments.

Chez le patient dénutri (GN 4) en chirurgie digestive oncologique programmée, il est recommandé de poursuivre en postopératoire la prescription d’un mélange nutritif utilisable par voie digestive contenant une association de pharmaconutriments ayant fait la preuve de son efficacité dans des études cliniques. L’apport protéino-énergétique de ces solutés est souvent insuffisant lorsqu’ils sont utilisés seuls en postopératoire. Il faut compléter cette pharmaconutrition par un autre apport protéino-énergétique pour couvrir les besoins nutritionnels du patient.

En chirurgie programmée non compliquée, il n’est probablement pas recommandé de prescrire systématiquement de la glutamine en périopératoire. En cas de complications postopératoires majeures, il est recommandé de prescrire de la glutamine par voie intraveineuse, à forte dose (0,2 à 0,4 g/kg par jour soit 0,3 à 0,6 g/kg par jour de glutamine sous forme de dipeptide). Un support nutritionnel enrichi en acides gras polyinsaturés oméga-3 à une posologie au moins égale à 0,1 g/kg par jour pourrait être utile en postopératoire.

Conclusion

Il est paradoxal de voir qu’il existe des preuves scientifiques en matière de prise en charge nutritionnelle péri-opératoire et que, malheureusement, elles ne sont souvent pas appliquées. Des protocoles clairs doivent être établis, appliqués et évalués. Ils devraient permettre :

  1. de systématiser le dépistage de la dénutrition
  2. d’appliquer les recommandations de la conférence de consensus chez les malades les plus dénutris
  3. De proposer un apport glucidique clair iso-osmolaire jusqu’à deux heures avant la prémédication
  4. de mettre en place une pharmaconutrition pré-opératoire systématique chez tous les malades qui doivent subir un acte de chirurgie digestive lourde
  5. de favoriser la réalimentation orale liquide précoce en post-opératoire après chirurgie colo-rectale et, à notre avis, aussi après chirurgie sus-mésocolique et hépato-biliaire programmée.

Ceci nécessite une réelle volonté et une étroite collaboration entre chirurgiens, anesthésistes et nutritionnistes. Les hépato-gastroentérologues qui confient leurs malades aux chirurgiens digestifs pourraient initier ces changements.

Références

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Les Cinq points forts

  1. La dénutrition est un facteur majeur de complications postopératoires en chirurgie digestive oncologique.
  2. Tout futur opéré doit être classé en quatre grades nutritionnels en prenant en compte :
    • le risque lié au terrain (âge, comorbidité, antécédents)
    • l’état nutritionnel (selon indice de masse corporelle, perte de poids, albuminémie)
    • le risque de l’opération programmée
    • les traitements concomitants.
  3. Les malades dénutris doivent bénéficier d’un support nutritionnel pré-opératoire de 10 à 15 jours en privilégiant la voie entérale. En pré-opératoire, une solution liquide claire sucrée est recommandée jusqu’à deux heures avant l’intervention.
  4. Au cours de la chirurgie digestive carcinologique, la pharmaconutrition préopératoire est indiquée quel que soit l’état nutritionnel du malade.
  5. En l’absence de complication, les malades doivent être réalimentés dans les 24 heures qui suivent l’intervention chirurgicale ; les malades dénutris et ceux qui ne couvrent pas leurs besoins protéino-énergétiques par voie orale doivent bénéficier d’un support nutritionnel post-opératoire en privilégiant la voie entérale.