Les MICI à l’UEGW 2013 (2ème partie)

Frederique  ALABERT, assistante spécialiste, service de gastro-entérologie, centre hospitalier de Cholet.

À l’instar de l’UEGW 2012, les sessions 2013 ont encore démontré leur vif intérêt pour les maladies inflammatoires intestinales chroniques (MICI) et l’implication majeure des praticiens à l’échelon européen. Tous les aspects de la maladie, de l’épidémiologie aux traitements, ont été largement abordés durant cette semaine, sous des angles différents, de l’enfant à la personne âgée. Cette synthèse ne pouvait donc être exhaustive et l’attention sera portée sur l’influence du microbiote, sur les stratégies de lutte contre la récidive postopératoire, sur le monitoring des traitements immunosuppresseurs et anti-TNF par les dosages pharmacologiques et sur les stratégies thérapeutiques en monothérapie ou bithérapie.

Colite, microbiote et transplantation fécale :

La flore intestinale et surtout la dysbiose joue un rôle dans la pathogénie des MICI. L’influence du microbiote, dans ce cadre, et son tenant : la transplantation fécale, ont été développés lors d’une session spécifique.

La diversité de la flore intestinale et la caractérisation des espèces présentes en préopératoire pourraient elles être des facteurs pronostiques de la récidive post opératoire après colectomie totale dans le cadre des RCH ? La pouchite est en effet une des complications post chirurgicales principale dans le cadre des RCH dont le mécanisme est mal connu mais pour lequel on suspecte le microbiote de jouer un rôle dans son développement. Une étude belge prospective a comparé la flore intestinale de 17 patients (par extraction de l’ADN bactérien) en période pré opératoire et jusqu’à 1 an en période post opératoire [1]. La présence en préopératoire de Bacteriodes Vulgatus, Ruminococcus Gnavus et Clostridium Perfringens aggravait le risque de développer une pouchite dans l’année suivant la colectomie (75%, 67% et 100%) et ce risque était augmenté de plus de 100% en présence d’au moins 2 de ces espèces. Parallèlement, certaines bactéries auraient un rôle protecteur comme Blautia Genus et une bactérie non identifiée (BC 8.67) qui diminuaient ce risque.
 
Plusieurs études ont abordé les effets de la transplantation fécale (FMT) sur la rémission des MICI. Dans la cadre des infections à Clostridium Difficile (CD), l’efficacité et la sureté de la FMT ont été démontrées dans la population générale. Une étude rétrospective de 28 patients s’est intéressée aux effets de la FMT chez les patients à risque porteurs de MICI surinfectés à CD (12 Maladie de Crohn et 16 RCH) [2]. Les protocoles de FMT variaient entre 1 séance (36%), 2 séances  (18%) ou plus de 2 séances consécutives (46%) La surinfection à CD était éradiquée dans 89.3% des cas sans effets secondaires graves (y compris sous immunosuppresseurs), ce qui fait mieux que le traitement par antibiotique. Elle jouait également un rôle positif sur l’activité de la maladie inflammatoire sous jacente avec 60.7% de rémission immédiate à 3 mois et 23.5% de rémission prolongée entre 3 à 5 ans.
 
L’efficacité de la FMT comme traitement de la RCH active était l’objectif principal d’une étude de 9 patients qui avaient bénéficié d’un protocole de FMT associant une triple antibiothérapie pendant 10 jours suivie de 5 séances de FMT sur une durée de 14 jours, la première par coloscopie au niveau du colon droit, les suivantes par rectosigmoïdoscopie au niveau du colon gauche [3]. A 90 jours de la première séance, 5 patients avaient une amélioration de >3 points du score Mayo dont 1 avec une réponse histologique soutenue. On notait une diminution de l’utilisation des corticoïdes et le profil de tolérance était bon, sans aucun effet indésirable sévère.

Traitement préventif de la récidive postopératoire dans la maladie de Crohn:

70% des Maladie de Crohn auront recours à la chirurgie à un moment de leur vie et 50% vont récidiver à 5 ans. Le tabac, le phénotype pénétrant et la résection antérieure sont des facteurs prédictifs permettant de classer les patients à haut risque de récidive qui nécessite un traitement préventif de la récidive en postopératoire. En parallèle, la cicatrisation muqueuse est un facteur prédictif important de la rémission. L’Infliximab en traitement préventif de la récidive postopératoire a été largement étudié. Peu de données concernaient l’Adalimumab.
 
Une étude italienne a démontré l’efficacité de l’Adalimumab en post opératoire lors d’un essai randomisé sur 51 patients en comparaison avec l’Aziathropine et la Mésalazine [4]. La récidive endoscopique qui était définie par un score de Rutgeerts >i1 était significativement moins importante dans le groupe sous Adalimumab (6.3%) que dans les groupes Aziathropine (64.7%) et Mésalazine (83.3%). Dans ce premier groupe, la rémission clinique et la qualité de vie était également significativement meilleure.
 
L’étude POCER a fait main gagnante durant le congrès avec plusieurs communications orales. L’objectif principal était de définir une stratégie d’utilisation des anti-TNF pour la prévention de la récidive postopératoire, en s’aidant des données cliniques et endoscopiques. 174 patients étaient divisés en 2 groupes en fonction de leurs facteurs de risque de récidive: le groupe à faible risque n’avait pas de traitement  immédiat et le groupe à haut risque (83%) était traité par Thiopurine (ou Adalimumab si intolérance) en postopératoire immédiat. La surveillance reposait ensuite sur 2 stratégies différentes. La première consistait en une évaluation clinique avec intervention thérapeutique en cas de symptômes et la deuxième se fondait sur une évaluation endoscopique à 6 mois (122 patients) afin d’optimiser le traitement en cas de récidive définie par un score Rutgeerts > i1 : introduction de Thiopurine dans le groupe à faible risque ou « step-up » par Adalimumab dans le groupe à haut risque. L’évaluation finale par endoscopie était réalisée à 18 mois. Plusieurs résultats en ressortaient. La réalisation d’une endoscopie à  6 mois avec optimisation du traitement améliorait la prévention de la récidive et le contrôle de la maladie par rapport au groupe traité uniquement par son niveau de risque et les symptômes (p= 0.028) [5]. Pour les patients à haut risque, la récidive du sous-groupe immédiatement sous Adalimumab  par rapport au sous-groupe « step-up » n’était, ni plus fréquente (43% vs 59%, p=0.20), ni plus sévère (i3 et i4 : 11% vs 9% p=NS) [6]. L’escalade thérapeutique pourrait donc être décidée selon les résultats de l’endoscopie précoce à 6 mois. Fumer multipliait par 2 le risque de récidive à court terme et plus encore quand il était associé à un autre facteur de risque comme une résection antérieure ou une maladie pénétrante [7]. L’arrêt du tabac est donc un objectif important à ne pas sous estimer en postopératoire.

Dosages pharmacologiques au cours des traitements immunosuppresseurs et anti-TNF

Les communications orales se sont également beaucoup intéressées au monitoring des traitements de maintenance immunosuppresseurs et anti-TNF, en utilisant les dosages pharmacologiques comme facteurs pronostiques de la rémission.
Une méta- analyse de 20 études comportant plus de 2000 patients a conforté les résultats de la dernière méta-analyse de 2006 concernant l’intérêt du dosage des 6-thioguanine nucléotides (6-TGN) pour le monitoring des MICI [8]. Un seuil de 6-TGN situé au dessus de 230 pmol était en faveur d’une rémission clinique avec un OR de 2.09. L’analyse dans le temps suggérait une grande stabilité des résultats et donc l’inutilité de réaliser de nouvelles études dans le futur.
Après les résultats de la phase d’induction montrant que le dosage de l’infliximabémie augmentait l’efficacité et la sécurité du traitement, l’étude TAXIT, présentée en séance plénière, s’intéressait au monitoring du traitement de maintenance par Infliximab dans les MC et RCH [9]. 251 patients en phase de maintenance par Infliximab ont été randomisés en 2 groupes. L’optimisation de la posologie du traitement était faite soit par la clinique dans le premier groupe, soit par le dosage de l’infliximabémie dans le second. Le dosage sanguin de l’Infliximab en traitement de maintenance ne montrait pas de supériorité sur la rémission clinique et biologique à 1 an par rapport au groupe dont l’adaptation posologique était basée sur la clinique (69% vs 72%, p=0.7) mais il permettait de maintenir un taux optimal entre 3 et 7µg/ml (p<0.001) et donc d’éviter l’apparition d’anticorps anti-infliximab (RR= 3.3).
Une étude menée par l’équipe de Roblin et al [10] a évalué l’impact du dosage des taux résiduels d’Adalimumab en traitement de maintenance sur la rémission profonde de 40 patients atteints de MICI (22 MC et 18 RCH). Le taux sérique résiduel était significativement plus élevé chez les patients en rémission profonde (p= 0.0053), contrairement à la présence d’anticorps anti Adalimumab qui n’étaient pas significativement différents chez les patients en rémission ou non. En analyse multivariée, les 2 facteurs associés indépendants de la rémission profonde étaient la durée de la maladie et le taux sérique résiduel du traitement.

Stratégies thérapeutiques des traitements immunosuppresseurs et anti-TNF : monothérapie ou combothérapie ?  

La stratégie thérapeutique d’utilisation des anti-TNF en traitement de maintenance a été abordée durant le congrès avec l’éternelle question entre efficacité et sécurité, faut il privilégier la monothérapie ou la combothérapie ?
Les résultats d’une méta-analyse dans le cadre des maladies de Crohn, comportant 11 essais randomisés, ont été présentés : l’objectif principal étant d’évaluer l’efficacité et la sécurité de la combothérapie versus une monothérapie par anti-TNF [11]. Les 3 anti-TNF étudiés étaient Infliximab, Adalimumab et Certolizumab. Concernant la sécurité, la combothérapie n’entrainait pas plus d’effets secondaires graves (infection, cancer, décès) que la monothérapie (OR 1.11). L’efficacité sur la rémission clinique à 6 mois était similaire (OR 1.06) d’une manière générale. En analysant chaque sous groupe, seul celui sous Infliximab tirait un bénéfice à la poursuite de la bithérapie avec une augmentation de la rémission clinique à 6 mois (OR 1.79) et une diminution des réactions à l’injection (OR 0.43), contrairement à l’Adalimumab et au Certolizumab.
 
L’analyse Post-hoc de l’essai SONIC a mit en évidence la supériorité de la combothérapie sur la monothérapie [12]. Elle avait pour objectif d’évaluer la rémission sous ses formes clinique, endoscopique et biologique à la semaine 26 d’un sous groupe de l’étude de 188 patients atteints de maladie de Crohn naïfs de traitements immunosuppresseurs. L’obtention d’une rémission complète (clinique, endoscopique et biologique par normalisation de la CRP) était plus élevée chez les patients sous Infliximab + Azathioprine (52.3%) que chez les patients sous Infliximab (25.6% ; p= 0.015) ou Azathioprine (12.9% ; p<0.001) en monothérapie. La combothérapie avait également des résultats significativement meilleurs pour l’obtention de la cicatrisation muqueuse par rapport à chaque monothérapie.
 
Une étude italienne s’est également penchée sur la question dans le cadre des RCH [13]. Chez 126 patients cortico-dépendants, l’introduction d’un traitement par Infliximab permettait d’obtenir 47% de réponse clinique soutenue et 46% des patients arrêtaient la corticothérapie. La combothérapie était un facteur indépendant de la réponse soutenue (p=0.001).

Conclusion :

L’analyse du microbiote et les possibilités thérapeutiques qui en découlent notamment la FMT semblent prometteuses dans le cadre des MICI. Les données existantes sont encore insuffisantes pour rentrer dans nos pratiques courantes mais laissent la porte ouverte à la réalisation d’essais futurs pour conforter sa place intégrante dans notre stratégie théraputique. Pour optimiser le traitement préventif de la récidive post opératoire, l’endoscopie précoce devient l’élément clé avec une place importante des anti-TNF dans cette stratégie. L’éducation de nos patients reste primordiale dans leur prise en charge globale, et notamment l’incitation au sevrage tabagique, facteur péjoratif de l’évolution de la maladie de Crohn, qui ne doit pas être négligé. La place des dosages pharmacologiques pourrait modifier nos conduites d’escalades thérapeutiques dans le cadre des MICI en échappement. Mais à quel prix? La combothérapie garde sa place dans le traitement des MICI d’autant plus chez les patients naïfs de traitements immunosuppresseurs.

Références :

  1. Machiels K, Vandermosten L, Joossens M, Arijs I, Terasson I, Ballet V et al. Ruminococcus gnavus, bacteriodes vulgates and clostridium perfringens predict pouchitis following colectomy and IPAA in ulcerative colitis. OP 185.
  2. Borody TJ, Wettstein A, Nowak A, Finlayson S, Leis S. Microbiota transplantation (FMT) eradicates clostridium difficile infection (CDI) in inflammatory bowel disease (IBD). OP 186.
  3. Kump PK, Gröchenig HP, Spindelböck W, Hoffmann CM, Gorkiewicz G, Wenzl H et al. Preliminary clinical results of repeatedly fecal microbiota transplantation (FMT) in chronic active ulcerative colitis. OP 187.
  4. Savarino E, Bodini G, Dulbecco P, Savarino V. adalimumab is more effective than aziathropine and mesalazine at preventing postoperative recurrence of Crohn’s disease- a randomised trial. OP 055.
  5. De Cruz P, Kamm M, Hamilton A, Ritchie K, Krejany S, Gorelik A et al. Optimising postoperative Crohn’s disease management: best drug therapy alone versus endoscopic monitoring with treatment step-up. The POCER study. OP 057.
  6. De Cruz P, Kamm M, Hamilton A, Ritchie K, Krejany S, Gorelik A et al. Strategic timing of anti-TNF therapy in postoperative Crohn’s disease: comparison of routine use immediately postoperatively with selective use after demonstrated recurrence at 6 month endoscopy. Results from POCER. OP 052.
  7. De Cruz P, Kamm M, Hamilton A, Ritchie K, Krejany S, Gorelik A et al. Smoking is the key risk factor that doubles the risk of postoperative recurrence of Crohn’s disease despite preventive drug treatment. Results from the POCER study. OP 318.
  8. Moreau A, Laporte S, Deltedesco E, Paul S, Phelip JM, Peyrin-Biroulet L et al. Association between thiopurines metabolites levels and clinical remission in IBD patients: an updated meta-analysis. OP 450.
  9. Vande Casteele N, Gils A, Ballet V, Compernolle G, Peeters M, Van Steen K et al. Randomised controlled trial of drug level versus clinically based dosing of infliximab maintenance therapy in IBD: Final results of the TAXIT study. OP 001.
  10. Roblin X, Rinaudo M, Marotte H, Del Tedesco E, Phelip JM, Peyrin-Biroulet L et al. Residual adalimumab through levels are associated with clinical remission and mucosal healing in IBD. OP 448.
  11. Jones J, Kaplan G, Peyrin-Biroulet L, Baidoo L, Devlin S, Melmed G et al. Impact of concomitant immunomodulator treatment on efficacity and safety of anti-TNF therapy in Crohn’s disease: a meta-analysis of placebo controlled trials with individual patient level data. OP 053.
  12. Colombel JF, Reinisch W, Mantzaris G, Kornbluth A, Oortwijn A, Bevelander S et al. Composite remission measures in early Crohn’s disease: a post-hoc analysis of the SONIC trial. OP 446.
  13. Armuzzi A, Pugliese D, Danese S, Rizzo G, Marzo M, Felice C et al. Long term combination therapy with infliximab and aziathropine predicts sustaines steroid-free clinical benefit in steroid-dependent ulcerative colitis. OP 115.