Coloscopie virtuelle – Etat des travaux publiés, Place dans le dépistage du cancer colo-rectal, Protocole SFED/SFR

Le développement de l’endoscopie virtuelle est lié à l’avènement du scanner hélicoïdal. Il s’agit d’une nouvelle technique d’imagerie qui permet une simulation de la visualisation endoscopique du côlon. Elle est rendue possible grâce aux avancées technologiques du scanner hélicoïdal et des logiciels informatiques de traitement d’images. Il s’agit d’un des développements les plus intéressants de la radiologie digestive.

Les premières images sont apparues il y a six ans. Ses applications sont prometteuses, mais sa place mérite d’être définie.

Technique

Le scanner hélicoïdal spiralé reprend le principe d’un scanner classique pour lequel les avancées technologiques ont permis la rotation totale du tube à rayons X autour du patient pendant l’acquisition des images. La première description de l’application de la coloscopie virtuelle chez l’homme date de 1994 [1].

Plusieurs techniques similaires de l’imagerie du côlon ont été développées. Une technique appelée « spiral CT pneumocolon » a permis d’obtenir des images tomodensitométriques du côlon, sans manipulation informatique additionnelle [2]. La colographie tomodensitométrique ou coloscanner a permis d’obtenir de multiples images reformatées bidimensionnelles ainsi que des images tridimensionnelles endoluminales du côlon [3]. La « coloscopie virtuelle » a été définie par Fenlon en 1998 [4] comme se rapportant spécifiquement à la navigation interactive en temps réel dans le côlon simulant ainsi la coloscopie. Actuellement, les terminologies « coloscanner et coloscopie virtuelle » sont considérées comme synonymes, les images tridimensionnelles sont analysées seulement lors de difficultés à l’interprétation d’images axiales bidimensionnelles ou systématiquement, ce qui impose un temps d’analyse beaucoup plus long.

Les protocoles des différentes études sont globalement similaires. L’examen se déroule en plusieurs temps :

1) La préparation du patient pour assurer une vacuité colique. Une insufflation colique d’air ou de dioxyde de carbone est réalisée à l’aide d’une sonde rectale.

2) Les acquisitions des images sont obtenues lors d’une ou plusieurs apnées de 25 à 35 secondes. Une ou deux spirales complètes sont effectuées en décubitus dorsal et/ou ventral. L’épaisseur de coupe est le plus souvent de 5 mm, avec des intervalles de reconstruction compris entre 1 et 3 mm, et le pas de la spirale (« Pitch ») compris entre 1 et 1,5.

3) Pour la visualisation et la reconstruction des images, les données acquises sont transférées sur une console de travail équipée de logiciels où elles sont analysées en coupes axiales 2D, en coupes multiplanaires et en 3D, avec une vision endoluminale. Le rendu volumique endoluminal fournit des images de meilleure qualité que le rendu surfacique. Il est possible de coupler les densités optiques avec une coloration jaune-rouge de la muqueuse virtuelle. La totalité des images obtenues sont revues coupe par coupe, avec un mode « Ciné-loop ». L’analyse nécessite une étude complémentaire simultanée des vues 3D endoluminales et des vues 2D axiales ou multiplanaires. La durée de la manipulation des images par le médecin varie entre 15 et 45 mn.

Les doses d’irradiation ont été régulièrement réduites et sont inférieures de 25 à 75% à un examen scannographique standard abdomino-pelvien. Cette irradiation est à peu près identique à celle d’un lavement baryté (0,61 rem).

Applications potentielles et limites (revue de la littérature) :

Cette technique peut s’appliquer à la totalité du tractus digestif (estomac, côlon) et ainsi qu’aux explorations trachéo-bronchiques, ORL, urinaires ou vasculaires. Au niveau du côlon, elle pourrait constituer une alternative supplémentaire au lavement baryté, et pourrait être une méthode compétitive à la coloscopie classique dans la détection des lésions.

» Quelles sont ses performances diagnostiques ?

Vingt et une études cliniques ont analysé les performances diagnostiques de la coloscopie virtuelle.

Trois études ont évalué l’intérêt de la coloscopie virtuelle lors d’exploration incomplète par coloscopie. Les auteurs de ces études considèrent que la coloscopie virtuelle constitue une alternative intéressante en cas d’examen incomplet par la coloscopie ou avant une procédure chirurgicale chez des patients ayant un cancer colo-rectal.

Trois études ont inclus exclusivement des patients avec un cancer colo-rectal. La coloscopie virtuelle a permis d’identifier la totalité des cancers de taille supérieure à 2 cm, vus lors de la coloscopie. Ces résultats ne peuvent être extrapolés au dépistage du cancer colo-rectal dans la mesure où tous les sujets examinés étaient malades.

Quinze études ont évalué les performances diagnostiques de la coloscopie virtuelle dans le dépistage des polypes colo-rectaux en prenant la coloscopie comme étalon de référence.

Les conclusions à tirer des résultats de ces études ont une validité limitée pour plusieurs raisons :

– les études sont de petite taille (entre 10 et 180 patients) et ont une faible puissance ;

– les modalités techniques de l’examen et les logiciels utilisés pour le traitement des images ont varié de façon importante selon les études;

– les examinateurs ont une expérience limitée de la coloscopie virtuelle;

– l’adoption de la coloscopie comme étalon de référence constitue un biais systématique ;

– ces études ont inclus principalement des sujets à risques élevés de cancer colo-rectal, ce qui limite la validité externe des conclusions et l’extrapolation des résultats au dépistage chez les sujets à risques moyens.

Selon ces études, la sensibilité de la coloscopie virtuelle a varié de 50% à 100% pour les polypes de taille supérieure à 10 mm, de 38,5 à 82% pour les polypes de taille comprise entre 5 et 10 mm, et de 0 à 59% pour les polypes de taille inférieure à 5 mm. La spécificité est comprise entre 62% et 98% pour les polypes de taille supérieure à 10 mm.

Des analyses rétrospectives suggèrent que plus de la moitié des polypes de taille supérieure à 5 mm non vus à la coloscopie n’ont pas été identifiés pour des raisons techniques (présence de selles résiduelles et de fluide intra-luminal, distension inadéquate du côlon) ou pour des difficultés d’interprétation. Par contre, la non identification des polypes de taille inférieure à 5 mm est essentiellement due à un manque de résolution des images.

» Place potentiellede la coloscopie virtuelledans le dépistage du cancer colo-rectal

Chez les patients à risque élevé de cancer colo-rectal, la prévalence des adénomes est comprise entre 29% en cas d’antécédents familiaux [5] et 45% en cas d’antécédents personnels [6].

La coloscopie virtuelle pourrait en théorie éviter une coloscopie chez environ 50 à 70% de ces sujets.

Dans le cadre du dépistage des sujets à risque moyen (population générale), la stratégie de dépistage associant Hémoccult suivi d’une coloscopie si le test est positif, a une sensibilité d’environ 50% pour le cancer colo-rectal et 20% pour les adénomes de plus de 1 cm. La coloscopie virtuelle a une sensibilité très supérieure à l’Hémoccult dans la détection des adénomes, et pourrait être réalisée à la place de ce test, et être suivie d’une coloscopie lors de la découverte de polypes. Elle pourrait aussi être utilisée en complément du test Hémoccult et à la place d’une coloscopie. Il est bien sûr nécessaire avant d’intégrer la coloscopie virtuelle dans les stratégies de dépistage, de l’évaluer par des études cliniques et économiques.

Les résultats d’une étude économique réalisée aux Etats-Unis apportent un éclairage intéressant sur la place potentielle de la coloscopie virtuelle dans le dépistage des cancers colo-rectaux.

L’étude de Sonnenberg [7] a comparé les rapports coût-efficacité de deux stratégies de dépistage des cancers colo-rectaux, soit par la coloscopie, soit par la coloscopie virtuelle suivie d’une coloscopie en cas de résultat positif. Des simulations ont été réalisées à partir de la méthode d’analyse décisionnelle intégrant des chaînes de Markov sur une population hypothétique de 100 000 sujets âgés de plus de 50 ans. Le test de dépistage était répété tous les 10 ans. Différentes hypothèses ont été incluses dans ce modèle. Le coût estimé pour la coloscopie virtuelle a été de 478 $ et pour la coloscopie de 728 $. Avec ces hypothèses, le coût par année de vie sauvée a été plus élevée avec la stratégie de dépistage par coloscopie virtuelle (24215 $) que par la stratégie de dépistage par coloscopie (20930 $). Les études de sensibilité ont montré que les coûts de dépistage par coloscopie virtuelle et par coloscopie ne s’égalisaient que si le coût de la coloscopie virtuelle représentait 46% du coût de la coloscopie. D’autre part, la coloscopie virtuelle ne pouvait devenir plus coût efficace qu’à condition que le taux de participation à l’examen de dépistage initial soit de 15 à 20% supérieur à la coloscopie.

Un autre auteur [8], a estimé qu’avec une sensibilité de 75% à 90% pour les polypes adénomateux de taille supérieure à 1 cm et de 30 à 60% pour les polypes adénomateux entre 5 et 9 mm, des intervalles de temps supérieur à 5 ans entre deux dépistages seraient risqués.

D’autre part, en supposant que la prévalence des adénomes de plus de 5 mm dans la population dépistée soit de 15% et que la coloscopie virtuelle ait une spécificité de 90% pour les adénomes de plus de plus de 10 mm et de 65% pour les adénomes de plus de 5 mm, cet auteur a calculé qu’avec des intervalles de dépistage avec la coloscopie virtuelle tous les 3 ou 5 ans, plus de 75% de la population soumise au dépistage devrait avoir une coloscopie avant 10 ans. Les résultats de ces études américaines ne sont pas directement transposables au contexte français, d’autres études économiques sont nécessaires.

» Autres indications

En dehors du dépistage des polypes et des cancers, la coloscopie virtuelle pourrait être utilisée dans les échecs et les contre-indications de l’endoscopie ou en complément de l’endoscopie en cas de lésions endoluminales décelées à la coloscopie mais dont l’étiologie exacte reste indéterminée (lésions sous-muqueuses ou pariétales).

Il est possible d’apprécier des lésions péricoliques comme les abcès et les fistules.

Hara [9] a étudié la fréquence des découvertes d’anomalies extra-coliques lors d’un coloscanner chez 264 patients consécutifs, des anomalies ont été détectées dans 41% des cas et ont été jugées d’une importance clinique élevée dans 23% des cas.

Conclusion

La coloscopie virtuelle est une technique d’imagerie encore au stade de développement et ses modalités de réalisation ne sont pas optimisées. Les études cliniques effectuées jusqu’à présent sont essentiellement des études de faisabilité peu puissantes, réalisées chez des sujets à risque élevé de cancer colo-rectal. Les conclusions établies à partir de résultats ont donc une validité limitée. Les performances diagnostiques sont variables, mais inférieures à celles de la coloscopie, notamment pour la détection des lésions planes et des polypes de taille inférieure à 5 mm. Il est donc difficile à l’heure actuelle de recommander l’utilisation de la coloscopie virtuelle dans le dépistage du cancer colo-rectal. L’évolution rapide des technologies permet d’envisager que la coloscopie virtuelle puisse à court-moyen terme permettre d’obtenir des performances diagnostiques proches de celles de la coloscopie. Des études complémentaires permettant d’affirmer ces performances diagnostiques, son acceptabilité ainsi que des études économiques sont encore nécessaires.

 

RÉFÉRENCES

  • 1. -VINING DJ, FELSAND DW, BECHTOLD RE, SCHARLING ES, GRISHAW EK, SHIFRIN RY. – Technical feasibility of colon imaging with helical CT and virtual reality. AJR Am J Roentgemol 1994; 162 : 104.
  • 2. -AMIN Z. Technical report : spiral CT pneumocolon fort suspected colonic neoplasms. Clin Radiol 1996; 51 : 56-61.
  • 3. -HARA AK, JOHNSON CD, REED JE, EHMAN RL, ILSTRUP DM. – Colorectal polyp detection whith CT Colography : two-versus three-dimensional techniques. Work in progress. Radiology 1996; 200 : 49-54.
  • 4. -FENLON HM, NUMES DP, CLARKE PD, FERRUCCI JT. – Colorectal neoplasm detection using virtual colonoscopy : a feasability study. Gut 1998; 43 : 806-11.
  • 5. -REX DK. – Colonoscopy : review of its yield for cancers and adenomas by indication. Am J Gastroenterol 1995; 90 : 353-65.
  • 6. -WINAWER SJ. – A comparison of colonoscopy and double contrast-barium enema for surveillance after polypectomy. New Engl J Med 2000; 342 : 1766-72.
  • 7. -SONNENBERG A, DELCO F, BAUERFEIND P. – Is virtual colonoscopy a cost-effective option to screen for colorectal cancer? Am J Gastroenterol 1999; 94 : 2268-74.
  • 8. -REX DK. – CT and MR Colography (virtual colonoscopy) : status report. J Clin Gastroenterol 1998; 27 : 199-203.
  • 9. -HARA AK, JOHNSON CD, MacMARTY RL, WELCH TJ. – Incidental extracolonic findings at CT colonography. Radiology 2000; 215 : 353-7.