Douleurs abdomino-pelviennes chroniques de la femme

Les douleurs abdomino-pelviennes chroniques de la femme (DAPCF) sont un motif fréquent de consultation pour le gastroentérologue. Son avis est sollicité soit par la patiente de première intention ou après un long périple médical, soit par un confrère, d’une autre spécialité, dubitatif sur l’origine de ces algies. La réponse doit affirmer ou exclure une étiologie entérologique, mais le raisonnement diagnostique implique une connaissance des principales pathologies chroniques abdomino-pelvipérinéales non digestives.

Le thème abordé suppose d’avoir éliminé les diagnostics habituels comme les infections abdomino-pelviennes aiguës, négligées ou torpides (salpingite chronique, sigmoïdite diverticulaire, …), les pathologies tumorales d’évolution lente (rarement chroniques) et d’avoir évité, pour ces DAPCF, l’appellation "troubles fonctionnels intestinaux", par défaut… de sens clinique.

La problématique pour identifier et traiter ces douleurs est difficile du fait de l’imprécision fréquente de leur localisation (algies abdomino-pelviennes? pelvi-périnéales? abdomino-périnéales?) et de leur caractère (récidivant, rémanent ou chronique)?

L’interrogatoire minutieux revêt une place prépondérante. Celui-ci doit passer en revue, par didactisme, sept causes bien définies : gynécologique, urologique, digestive, rhumatologique, neurologique, musculaires et veineuses; leur intrication est possible et trompeuse [10].

L’examen clinique, parfois par sa normalité, est un élément diagnostique important toutefois deux écueils doivent être évités :

– négliger la réalité de ces DAPCF devant un examen clinique abdomino-pelvi-périnéal normal,

– rattacher hâtivement ces douleurs à des anomalies périnéales existantes.

Les bases anatomophysiologiques de ces algies [9] expliquent leurs caractères trompeurs voire déroutants.

L’innervation somatique pelvi-périnéale est assurée par le plexus pudendal et le plexus sacro-coccygien.

L’innervation autonome pelvi-périnéale emprunte les systèmes sympathique et parasympathique par le plexus hypogastrique.

Les stimuli sont de différentes natures : distension pariétale, spasme musculaire, traction ou compression des mésos. Les anastomoses nombreuses entre les deux contingents nerveux expliquent la diversité des voies empruntées par ces algies, certaines douleurs viscérales se projetant ainsi en zones cutanées.

L’examen clinique apporte des éléments diagnostiques importants et oriente les explorations complémentaires spécifiques.

L‘interrogatoire précise : contexte de survenue, chronologie, topographie et signes d’accompagnement (fièvre). Les antécédents médico-chirurgicaux et obstétricaux sont notés. La palpation de l’hypogastre et des fosses iliaques est systématique mais souvent sans particularité.

L’inspection du périnée recherche un prolapsus vésical, génital voire rectal (en position de squatting) ainsi qu’un périnée descendant. L’examen d’une épisiotomie et la recherche d’un nodule d’endométriose périnéale visible sont de règle.

Les touchers, rectal et bidigital éliminent un abcès intra-mural et recherche une palpation douloureuse en faveur d’une contracture du releveur. La reproduction de la douleur par mobilisation du coccyx oriente vers une coccygodynie; l’anuscopie et la rectoscopie sont systématiques.

L’examen au spéculum est pratiqué en complément du toucher vaginal.

Certains préconisent l’utilisation de "petits moyens" comme tests diagnostiques tels l’infiltration d’un produit anesthésique au point algique ou la mise en place d’un tampon intra-vaginal.

Les examens complémentaires

Ils doivent être prescrits judicieusement et toujours orientés par l’examen clinique. L’échographie pelvienne et endo-anorectale, les clichés du rachis lombo-sacré, du sacrum et du coccyx, l’examen tomodensitométrique ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM) du pelvis et du rachis lombaire, la manométrie anorectale [5], la défécographie et les explorations neurophysiologiques du périnée sont des appoints utiles.

Les causes des DAPCF regroupent sept origines identifiées et un ensemble hétérogène d’algies de mécanisme controversé. Elles se classent en :

1. gynécologiques,

2. urologiques,

3. digestives,

4. rhumatologiques,

5. neurologiques,

6. musculaires,

7. veineuses,

et diverses (proctalgies fugaces, lipomatose pelvienne, algies dites " essentielles ").

Les causes gynécologiques

»  L’épisiotomie

Elle peut être responsable de douleurs avec dyspareunie en post-partum. La douleur provoquée par la palpation de la zone cicatricielle autorise l’infiltration de Xylocaïne comme test diagnostique et thérapeutique. L’échographie endo-anale peut être nécessaire pour éliminer une fistule anale sous-jacente ou un foyer d’endométriose.

» L’endométriose

C’est une affection fréquente sans parallélisme anatomo-clinique. Les douleurs de topographie variable s’accompagnent souvent d’une dyspareunie profonde classiquement à recrudescence menstruelle. Intérêt de l’échoendoscopie et de l’imagerie par résonance magnétique dans le bilan d’extension [3] avant traitement hormonal ou chirurgical.

» Les vulvodynies

Les patientes souffrent de brûlures vulvaires accentuées par la marche et le port de vêtements serrés. C’est une cause importante de dyspareunie [2]. Il convient d’examiner ces femmes à plusieurs reprises afin d’éliminer une candidose, une infection génitale ou une dermatose vulvaire évoluant par poussées avant de porter le diagnostic de vulvodynie essentielle.

» Le syndrome de Master et Allen

La dyspareunie profonde s’accompagne d’une douleur posturale avec sédation en décubitus ventral. Le port d’un tampon à visée antalgique est un argument diagnostique. La cœlioscopie montre la rupture du ligament large.

» Les prolapsus génitaux

Comme pour les prolapsus vésicaux ou rectaux, ils peuvent s’accompagner d’algies pelviennes sourdes accentuées par la position debout. La responsabilité du prolapsus dans ces douleurs n’est attribuée qu’après disparition de ces dernières après traitement du trouble de la statique pelvienne (pessaire, chirurgie).

Les causes urologiques

Le caractère remarquable est le rapport des algies avec les mictions. La recherche d’une infection urinaire est systématique avant d’évoquer le diagnostic de cystalgies à urines claires.

En cas de pesanteurs périnéales avec tuméfaction intra-vaginale, la recherche d’une cystocèle cliniquement (avec une lame de spéculum lors d’efforts de poussées) ou par colpocystogramme est de règle.

Les causes digestives

»  L’abcès intra-mural chronique du rectum

C’est un piège proctologique fréquent dû à un examen anorectal peu rigoureux. Le toucher rectal perçoit l’induration localisée. En cas de doute, l’échographie endo-anorectale confirme le diagnostic. Le traitement est chirurgical par ouverture endo-anorectale de la collection.

» Prolapsus rectal et ulcère solitaire

Le prolapsus total du rectum s’accompagne souvent de douleurs pelvi-périnéales en dehors de tout étranglement. Il importe de bien examiner les patientes, en position accroupie, avec efforts de poussées prolongées si l’interrogatoire est suggestif.

L’ulcère solitaire rectal est aussi associé à des algies pelviennes. Les manœuvres digitales endorectales sont fréquemment retrouvées. La défécographie, plus que pour le prolapsus total du rectum, prend ici son importance en montrant le prolapsus intrarectal.

Avant le traitement chirurgical, la manométrie anorectale et l’électrophysiologie périnéale postérieure évaluent l’état sphinctérien. Les douleurs disparaissent après traitement chirurgical des lésions.

La rectocèle s’accompagne rarement de douleurs intenses mais plutôt de pesanteurs s’accentuant en fin de journée. Les manœuvres de contre-pression sont intra-vaginales. La chirurgie, si elle est réalisée, n’a pas toujours une action spectaculaire sur ces pesanteurs.

Les causes rhumatologiques

»  Les coccygodynies

Elles sont évoquées par leur reproduction lors de la pression du coccyx. Le toucher rectal recherche une mobilité anormale du coccyx. L’examen neurologique est normal. Les clichés radiologiques, de profil, en charge et décharge sont à effectuer en première intention. Le traitement se veut résolument médical par infiltrations ou manipulations. Ces coccygodynies "vraies" doivent être différentiées des coccygodynies révélatrices d’affections sous-jacentes.

Les causes neurologiques

Elles se résument essentiellement aux névralgies pudendales.

» Les névralgies du nerf pudendal

Ce nerf issu des branches antérieures de S2, S3 et S4 chemine dans un dédoublement de l’aponévrose du muscle obturateur interne [1] (canal d’Alcock) où il peut subir des traumatismes à l’origine de douleurs pelviennes chroniques. Il n’y a pas classiquement de troubles sensitifs.

L’électrophysiologie périnéale montre l’augmentation caractéristique de la latence motrice distale du nerf pudendal, unilatérale et homolatérale au côté douloureux. L’imagerie par scanner ou IRM élimine une lésion tumorale. Le traitement repose sur des infiltrations de corticoïdes sous scanner voire des blocs anesthésiques. Certains proposent une neurolyse-transposition chirurgicale.

» D’autres atteintes neurologiques sont possibles :

– radiculo-plexiques,
– médullaires.

Les causes musculaires

»  Le syndrome du muscle releveur de l’anus

Il se révèle par des douleurs rectales profondes avec caractère postural. Le toucher rectal objective la contracture du muscle releveur et reproduit la douleur à la palpation de ce muscle. La diversité des traitements proposés, dont la dilatation anale [8], traduit l’absence de thérapie de référence.

» Le syndrome du muscle piriforme (ou pyramidal)

Ce muscle pelvi-trochantérien peut donner des douleurs fessières basses, unilatérales, avec possibles irradiations pelvi-périnéales antérieures ou postérieures. Il n’y a pas de signe pathognomonique. Le traitement repose sur la kinésithérapie voire l’infiltration de corticoïdes.

» Les sphincteralgies anales

Des douleurs anales à type de brûlures sont parfois associées à une hypertonie anale importante à la manométrie. Le sphincter anal responsable (lisse ou strié) n’est pas clairement identifié. On note que l’association anisme et douleurs anales a été rapportée mais n’est pas établie.

Les causes veineuses pelvi-périnéales

Objet de travaux récents, la pathologie veineuse pelvienne de la femme est sous-estimée. L’écho-doppler rend pourtant son exploration non invasive. Trois tableaux sont individualisés :

– Le syndrome de congestion pelvienne,
– Les varices vulvaires,
– Les varices des membres inférieurs atypiques.

L’écho-doppler visualise la stase et les dilatations veineuses.

Les traitements se sont précisés :

médicaux : veinotoniques, contention élastique.
instrumentaux : embolisation endovasculaire radiologique des veines ovariennes voire veines hypogastriques.
chirurgicaux : par exérèse des varices vulvaires ou chirurgie laparoscopique en cours d’évaluation.

Les causes diverses ou inclassables (étiologie discutée voire inconnue).

» Les proctalgies fugaces

L’interrogatoire est typique retrouvant des douleurs inopinées, violentes, brutales au niveau rectal, de durée brève (20 minutes) chez des patientes anxieuses. Les examens proctologiques et pelviens sont normaux. C’est un diagnostic d’interrogatoire. Un caractère familial a été signalé dans le cadre d’une myopathie touchant le sphincter anal interne [7]. L’inhalation de Salbutamol dès de début de la crise a été proposée [4].

La lipomatose pelvienne

C’est une affection rare [6] touchant préférentiellement l’homme (9/10), elle est exceptionnellement responsable de DAPCF. Les algies s’accompagnent d’un syndrome compressif pelvien. Le scanner pelvien est l’examen de choix montrant l’infiltration graisseuse caractéristique. Les chirurgies de dérivation semblent le traitement utile en cas d’obstructions digestives ou urinaires.

» Les algies anorectales essentielles

Elles ont une nette prédominance féminine. Leur description imprécise les caractérise. Leur caractère postural est net avec sédation en position allongée avec majoration en fin de journée. Elles n’ont aucune relation avec la défécation. L’examen proctologique est normal. Les irradiations (fesses, pelvis, périnée) sont parfois déroutantes. Les examens complémentaires doivent être réduits au minimum.

Le traitement dont le suivi médical fait partie intégrante, évite tout geste agressif avec prescription d’antalgiques, de myorelaxants voire antidépresseurs.

Conclusion

Les DAPCF ont bénéficié des progrès techniques apportés par l’imagerie et les explorations fonctionnelles anopérinéales. Si l’interrogatoire, le contexte et l’examen clinique restent fondamentaux de première intention, le recours secondaire aux explorations complémentaires ciblées permet de réduire le nombre d’algies dites "essentielles". Ces avancées diagnostiques se sont accompagnées d’innovations thérapeutiques médico-chirurgicales intéressantes.

Le terrain anxio-dépressif souvent présent autorise, en l’absence d’élément clinique d’orientation, un traitement d’épreuve sur la thymie avant le recours, selon l’âge, à des explorations plus sophistiquées. Le suivi médical régulier de ces DAPCF non étiquetées permet parfois d’objectiver la véracité de cette phrase d’Honoré de Balzac : "La douleur est comme cette tige de fer que les sculpteurs mettent au sein de leur glaise, elle soutient!".

 

REFERENCES

  • 1. -AMARENCO G, SAVATOSKY, BUDET C, PERRIGOT M. – Névralgies périnéales et syndrome du canal d’Alcock. Ann Urol 1989; 6 : 488-92.
  • 2. -BAGGISH M, MIKLOS J. – Vulvar pain syndrome : a review. Obst Gynecol Surv 1995; 50 : 618-27.
  • 3. -DUMONTIER I, ROSEAU G, VINCENT B, CHAPRON C, DOUSSET B, CHAUSSADE S et al. – Apport comparé de l’écho-endoscopie et de l’imagerie par résonance magnétique dans le bilan de l’endométriose pelvienne profonde. Gastroenterol Clin Biol 2000; 24 : 1197- 1204.
  • 4. -ECKARDT VF, DODT O, KANZLER G, BERNHARD G. – Treatment of proctalgia Fugax with Salbutamol inhalation. Am J Gastroenterol 1996; 9 : 686-9.
  • 5. -GRIMAUD JC, BOUVIER M, NAUDY B, GUIEN C, SALDUCCI J. – Manometric and radiologic investigations and biofeedback treatment of chronic anal pain. Dis Colon Rectum 1991; 34 : 690-5.
  • 6. -HEYNS CF. – Pelvic lipomatosis : a review of its diagnosis and management. J Urol 1991; 146 : 267-73.
  • 7. -KAMM MA, HOYLE CH, BURLEICH DE, LAW PJ, SWASH M, MARTIN JE et al. – Hereditary internal anal sphincter myopathy causing proctalgia fugax constipation. Gastroenterology 1991; 100 : 805-10.
  • 8. -MARIA G, ANASTASIO G, BRISINDA G, CIVELLO IM. – Treatment of puborectalis syndrome with progressive anal dilatation. Dis Colon Rectum 1997; 40 : 89-92.
  • 9. -VILLET R, BUZELIN JM, LAZORTHES. – Les troubles de la statique pelvi-périnéale de la femme. Algies pelvi-périnéales. Vigot 1995; 7 : 173-8.
  • 10. -WESSELMANN U, BURNETT AL, HEINBERG LJ. – The urogenital and rectal pain syndromes. Pain 1997; 73 : 269-94.