Lésions néoplasiques colorectales précoces et planes

La séquence adénome-cancer

Depuis la description de la séquence polype adénomateux-cancer en 1975 par Muto et Morson [1], le polype adénomateux, lésion saillante de la muqueuse colorectale, est admis comme le précurseur habituel du cancer avancé; les cancers plans développés sur des lésions planes étant l’exception. Pourtant en 1985, le même T Muto [2] de retour au Japon, remaniait cette séquence en décrivant des « adénomes » coliques plans porteurs d’atypies cellulaires sévères dans 42% des cas. Depuis cette date, l’école japonaise a insisté sur le rôle des lésions néoplasiques planes dans la cancérogenèse colique, reproduisant les observations sur le cancer précoce de l’estomac au Japon [3-8]. Il y aurait deux filières morphologiques distinctes : celle du polype adénomateux (le cancer se développe au sein du tissu adénomateux) et celle des lésions planes où les atypies cellulaires peuvent conduire au cancer, sans constitution d’un polype.

La filière des lésions néoplasiques colorectales précoces et planes a été initialement mal acceptée en Occident, bien que la notion de zone néoplasique plane soit connue, en particulier pour le cancer familial. Le syndrome des « adénomes » plans a été décrit dans le cadre des formes atténuées de la polypose familiale aux Etats-Unis dès 1988 par le groupe de Lynch [9, 10]. Les lésions néoplasiques planes sont la voie morphologique habituelle de la cancérogenèse dans les maladies intestinales inflammatoires; leur prépondérance avait été soulignée dès 1967 par B. Morson et L. Pang pour la rectocolite hémorragique. Les lésions précancéreuses polypoïdes appelées DALM (dysplasia associated lesions or mass) ne représentent que 5% des lésions néoplasiques compliquant cette maladie [11]; les autres lésions étant planes.

Les lésions néoplasiques planes ont été décrites dans la littérature occidentale, sans que la relation avec la forme habituelle du cancer colorectal sporadique, proposée par l’école Japonaise, ait été reconnue

Les travaux acharnés de S. Kudo [3-6] dans les années 90 ont fini par entraîner la conviction. On admet maintenant le rôle de la filière lésion plane-cancer, bien que la filière polype-cancer soit probablement plus fréquemment en jeu.

Polypes pédiculés et sessiles et lésions planes

La terminologie « polype, lésion saillante », ou « lésion plane » du côlon s’adresse à la morphologie, sans préjuger de la nature histologique néoplasique ou non néoplasique de l’anomalie. Les lésions saillantes ou polypes ont une forme pédiculée ou sessile. Ces dernières ont une base d’implantation aussi large que leur corps et leur diamètre ne dépasse pas le double de leur hauteur. Les lésions planes sont caractérisées par une petite différence de niveau avec la surface de la muqueuse normale : faible élévation, faible dépression ou même surface au niveau de la muqueuse. Les lésions néoplasiques précoces (LNP) planes se distinguent des lésions sessiles par leur faible hauteur (pas plus du double de la hauteur totale de la muqueuse normale) et par leur diamètre proportionnellement élevé (plus du double de la hauteur de la lésion). Pour les petites lésions, le classement dans le groupe sessile ou plan est difficile. Une étude analytique de l’image optique de petites lésions (jusqu’à 7 mm de diamètre) a confirmé l’existence de deux populations distinctes. Les adénomes ayant une hauteur inférieure à 1,3 mm sont des lésions planes, les autres sont des lésions sessiles saillantes.

Ces lésions planes peuvent être divisées en deux catégories : les LNP non déprimées dont la surface est en tous points plus élevée que le plan de la surface muqueuse. Les lésions déprimées dont le niveau est inférieur ou égal à celui du plan de la surface muqueuse, au point le plus déprimé.

Les lésions néoplasiques sessiles sont des lésions saillantes; elles ne doivent pas être confondues avec les lésions néoplasiques planes.

Toutes les lésions planes ne sont pas néoplasiques; les lésions non néoplasiques planes de type hyperplasique sont fréquentes. Cependant, certaines lésions hyperplasiques ont des zones d’atypie cellulaire parfois sévère, en profondeur; ce sont les adénomes « serrated » ou crénelés [12] qui peuvent évoluer vers le cancer; environ 50% des adénomes « serrated » se présentent sous forme de lésions planes.

Les lésions néoplasiques sessiles étendues en nappe ont à la fois les caractères des polypes et ceux des lésions planes; elles correspondent plus ou moins au « lateral spreading type » des lésions planes dans la classification japonaise.

Une transition évolutive entre les LNP et le polype adénomateux est admise. Les LNP peuvent évoluer progressivement vers la morphologie polypoïde comme l’a insisté S. Kudo. Le risque de cancer rejoindra alors les paramètres adoptés pour les LNP polypoïdes.

Cancer, adénome, dysplasie, néoplasie

Les lésions des muqueuses digestives classées « dysplasie haut grade » en Occident sont classées par les pathologistes japonais comme des cancers intra-muqueux; ces cas sont inclus dans les registres de cancer au Japon. Ces discordances perdent leur importance si on utilise une autre terminologie comme proposé, tout récemment, dans une réunion de consensus « Est- Ouest » à Vienne [13]. Cette classification s’appuie sur l’importance des atypies cellulaires et sur la présence ou l’absence d’invasion de la lamina propria et utilise le terme général de « néoplasie ». Le terme de dysplasie utilisé en Occident désigne les atypies cellulaires néoplasiques en l’absence d’invasion de la lamina propria. L’application aux LNP planes permet de retenir les stades suivants :

– néoplasie intra-muqueuse certaine avec atypies cellulaires légères ou fortes ou dysplasie de faible ou haut grade.

– néoplasie intra-muqueuse avec invasion de la lamina propria ou cancer intra-muqueux

– néoplasie invasive dans la sous-muqueuse, ou cancer superficiel classé T1 dans la classification TNM.

Il persiste cependant encore une ambiguïté car le risque d’invasion lymphatique est nul pour le cancer colique intra-muqueux. L’Occident tend aujourd’hui, comme le faisait l’école Japonaise, à classer dans le même groupe la dysplasie de haut grade et le cancer intra-muqueux, mais sans employer le terme de cancer. En pratique, c’est l’invasion sous-muqueuse qui caractérise le premier stade du cancer colique confirmé.

Au sens strict, le terme « adénome » correspond à une lésion néoplasique intra-muqueuse saillante de morphologie polypoïde; il ne devrait pas être utilisé pour classer une LNP plane. Le terme « adénome » plan est incorrect, mais souvent utilisé, même au Japon, pour désigner une LNP lorsque la lamina propria n’est pas envahie.

Cancer « de novo »

Les cancers plans de faible diamètre (moins de 1 cm) ont une morphologie de cancer sur toute leur surface, ce qui fait évoquer une voie directe de cancérogenèse, appelée cancer « de novo »; en réalité d’autres cancers plans ont un aspect hétérogène avec des zones sans invasion de la lamina propria. Ces lésions suivraient la classique filière adénome-cancer.

Foyers de cryptes atypiques

L’étude des foyers de cryptes atypiques (atypical crypt foci) a une grande importance en cancérogénèse expérimentale [14]. Il s’agit de lésions histologiques avec des atypies cellulaires concentrées sur le fond d’une ou de quelques cryptes; elles représentent le premier stade de la cancérogenèse colique. Ces lésions sont bien plus fréquentes et dispersées que les foyers structurés en adénome polypoïde ou cancer : aussi sont-elles souvent utilisées comme critère de jugement dans les études expérimentales chez les rongeurs, soit pour montrer l’effet cancérogène d’une molécule (1-2 Dimethylhydrazine) ou d’un nutriment, soit pour étudier un effet d’inhibiteurs de l’action cancérogène (AINS par exemple). La transformation d’adénomes plans en cancer est observée sur le modèle expérimental.

Les foyers de cryptes atypiques sont aussi retrouvés chez l’homme au voisinage ou à distance de lésions macroscopiques [15]; ils sont en quelque sorte le stade minimum d’une LNCRP plane. L’endoscopie de magnification se rapprochant de l’histologie permet d’ailleurs de les dépister. Cependant, leur rôle dans la cancérogenèse colique humaine est incertain et il n’y a pas encore d’application pratique.

Les foyers de cryptes atypiques sont des lésions planes microscopiques signant le stade initial de la transformation néoplasique de la muqueuse colique normale. Leur potentiel évolutif est incertain.

Fréquence des LNP planes

L’entraînement des endoscopistes japonais à la détection des formes planes du cancer précoce de l’estomac explique le rôle joué par ce pays dans l’étude des LNCRP planes et dans la mise en évidence de leur fréquence. Les derniers résultats de l’équipe Kudo présentés en novembre 2000 à Bruxelles (UEGW) illustrent la prédominance japonaise dans ce secteur. Cet auteur collige 17 077 lésions néoplasiques précoces dans sa série dont 55% de LNP polypoïdes et 45% de LNP planes.

Les lésions néoplasiques planes sont presque aussi fréquentes que les lésions néoplasiques polypoïdes mais leur détection exige une exploration soigneuse.

Les résultats de l’école japonaise ont d’abord été considérés avec scepticisme en Occident malgré la publication de cas isolés [16-19], en raison de multiples facteurs d’incompréhension :

1 – La faible efficacité dans la détection des endoscopistes occidentaux entraînés seulement à la recherche de lésions saillantes. Cette discordance s’efface avec l’avènement des endoscopes à haute résolution, la diffusion des techniques de chromoscopie et la preuve apportée par Fuji [20, 21] d’une fréquence identique de ces lésions en Angleterre et au Japon. Notons au passage que l’endoscopiste japonais s’est déclaré très gêné par la médiocrité de la préparation à la colonoscopie dans ce pays!!

2 – Les divergences « Est-Ouest » dans la classification histologique des lésions néoplasiques, ont été réduites à l’idée simpliste d’une sur-classification du cancer au Japon, par l’établissement d’une frontière artificielle entre l’adénome et le cancer.

3 – La fréquence des lésions LNP planes, précédant le cancer confirmé a été jugée en Occident contraire au bon sens. En fait, la majorité de ces lésions (95%) sont peu évolutives. Dans une étude de S. Kudo [4] concernant 11 278 LNP planes, le classement histologique est le suivant : – dysplasie de faible grade pour 69% – dysplasie de haut grade ou cancer intra-muqueux pour 29% – cancer sous-muqueux pour 2%.

4 – L’attribution d’un caractère très évolutif aux lésions planes si fréquentes avec un potentiel d’invasion sous-muqueuse dès les faibles diamètres a été jugée non conforme aux faits observés. En fait, ce sont les rares LNP planes déprimées qui ont ce potentiel évolutif; elles représentent seulement 2,3% des lésions néoplasiques précoces et seulement 5,2% des LNP planes dans la série de Kudo. Dans une série de Kudo (UEGW 2000) accumulant 400 lésions planes et déprimées, il y en a 79% dont le diamètre ne dépasse pas 1 cm. Le risque de cancer sous-muqueux augmente très rapidement avec le diamètre : 8,1% pour 1-5 mm, 38,9% pour 6-10 mm, 64,2% pour 11-15 mm, 86, 7% pour 16-20 mm. Pour les autres lésions planes, le risque croît lentement avec la taille et passe de 0,12% pour 6-10 mm à 7,9% pour 16 -20 mm; ce taux de croissance est plus lent que celui des lésions polypoïdes, pour lesquelles les chiffres respectifs sont de 1,1% pour 6-10 mm et 16,1% pour 16-20 mm.

Les lésions néoplasiques planes non déprimées dont le diamètre est inférieur à 2 cm ont un risque de cancer plus faible que les lésions polypoïdes de même diamètre.

En conclusion, environ 45% des lésions colo-rectales se présentent sous la forme de lésions planes, à ne pas confondre avec les lésions sessiles. Il s’agit soit de lésions non néoplasiques, de type hyperplasique, soit de LNP planes dont la majorité ont un caractère peu évolutif. La détection des LNP planes doit être focalisée sur les lésions déprimées. Une lésion aussi rare peut-elle être un précurseur significatif du cancer colo-rectal avancé? La réponse est oui si l’on considère le biais lié au rythme d’évolution et la tendance à pénétrer en profondeur des lésions déprimées. Le passage au cancer avancé est bien plus rapide que pour les polypes.

Les lésions néoplasiques planes avec une dépression centrale franche sont rares mais le risque de cancer envahissant largement la sous-muqueuse est élevé même si leur diamètre est inférieur au centimètre.

Génétique moléculaire et LNCRP planes

Paradoxalement, la littérature occidentale a insisté sur la fréquence de LNP planes dans les cancers familiaux. Ces lésions sont présentes surtout dans le colon proximal; elles ont été décrites dans le syndrome HNPCC [22] et individualisées par le groupe de Lynch sous le nom de syndrome des adénomes plans comme une forme atténuée du syndrome FAP.

Pour le cancer sporadique, de nombreux arguments ont été avancés par l’école japonaise pour individualiser la filière des lésions planes en biologie moléculaire. Des résultats concordants [23] montrent que la mutation K-ras qui est précoce dans les étapes de la filière polype adénomateux-cancer, est ici plus tardive alors que la mutation du gène TP 53, indicateur d’un risque de transformation maligne est précoce. Les autres travaux comparant la régulation de l’apoptose et de la prolifération (Ki-67, Bcl-2) dans les LNP planes ont abouti à des résultats discordants. Les antigènes sialyl Tn seraient moins souvent exprimés dans les cancers plans.

La biologie moléculaire confirme l’originalité des lésions néoplasiques planes déprimées.

LNP planes et préparation à la colonoscopie

La première condition pour détecter efficacement des lésions planes est la qualité de la préparation intestinale. L’évacuation du côlon doit être complète, tant pour les résidus solides que pour les liquides.

LNP planes et méthodologie de la colonoscopie

La recherche des LNP planes est une étape obligatoire de toute colonoscopie qu’il s’agisse d’un examen apparemment normal ou d’un examen ayant confirmé la présence de polypes. La recherche de ces lésions doit être particulièrement soigneuse dans le côlon proximal puisque leur présence peut faire évoquer une forme atténuée d’un syndrome génétique familial.

L’endoscope doit être poussé aussi rapidement que possible jusqu’au caecum sans insuffler. La recherche des lésions se fait lors du retrait de l’endoscope sans appel à la chromoscopie dans un premier temps. L’attention est attirée par de minimes irrégularités de la surface muqueuse, une variation de la coloration ou une rupture des réseaux capillaires de la vascularisation. L’alternative insufflation-désinsufflation est indispensable pour détecter les anomalies de souplesse. C’est à la désinsufflation que les lésions planes déprimées prennent du relief.

La chromoscopie est un temps indispensable si une zone suspecte est identifiée. L’injection bien focalisée d’une solution d’indigo-carmin à une concentration de 0,1 à 0,4% peut être faite avec un cathéter « spray » ou même directement à la seringue dans le canal opérateur de l’appareil. Cette coloration qui n’imprègne pas les cellules, augmente le contraste des irrégularités de surface, souligne l’interruption des plis innominés de la muqueuse autour de la lésion et contraste la dépression centrale, si elle est présente.

La détection efficace des lésions néoplasiques planes repose sur l’utilisation de l’endoscopie de haute résolution et la chromoscopie utilisée en routine.

La morphologie des LNP

La recherche des LNP planes impose une discipline particulière comparable à celle qui a été développée par l’école japonaise pour le cancer précoce de l’estomac et plus récemment pour le cancer précoce du côlon. Deux paramètres entrent en jeu :

– le diamètre de la lésion (toute lésion plane dépassant 2 cm est suspecte de cancer invasif),

– la morphologie de la surface néoplasique. Celle-ci doit être analysée systématiquement selon les critères adoptés par l’école endoscopique japonaise qui a individualisé un stade endoscopique 0 avec des types et leurs sous-types.

La terminologie « stade endoscopique 0 » est dérivée de l’ancienne classification morphologique des cancers digestifs avancés proposée par l’école allemande. Les stades I à V de cette classification tenaient compte des aspects végétants, ulcérés ou infiltrants des tumeurs. Le stade 0 individualisé au Japon désigne les tumeurs d’aspect endoscopique superficiel évoquant un cancer muqueux ou étendu seulement à la sous-muqueuse. Le stade 0 est séparé en types 0-I, lésion polypoïde d’aspect régulier, 0 II plane avec trois sous types : II a lésion en plateau surélevé, II b lésion complètement plane, II c lésion en plateau déprimé non ulcéré. 0-III, lésion franchement ulcérée. Les LNP planes correspondent au stade 0-II; le risque de cancer étendu à la sous-muqueuse est associé au sous-type II c. En fait, les aspects mixtes associant la morphologie déprimée centrale et élevée sur les bords sont fréquents. Les lésions sont classées II c + II a si la dépression a la priorité et si la périphérie n’a pas la morphologie du cancer. Elles sont classées II a + II c si l’élévation périphérique a la priorité et un aspect de cancer; ce type de lésion envahit toujours la sous-muqueuse.

Cette classification a été établie pour décrire la morphologie du cancer précoce; elle est aussi appliquée aux zones néoplasiques planes sans invasion de la lamina propria avec les sous-types II a, II b, et II a + II c et même II c. Ce dernier type est décrit sous le terme « adénome déprimé ».

S. Kudo a insisté sur les caractères qui séparent les LNP planes avec dépression centrale et sans invasion de la lamina propria du cancer plan déprimé. La dépression dans le cancer est bien délimitée par rapport à l’élévation périphérique. La zone déprimée du cancer est de forme étoilée ou circulaire et atteint un niveau inférieur au plan de la surface muqueuse normale. Lorsque la LNP déprimée n’est pas un cancer, la dépression forme une zone mal délimitée évoquant plus la présence de sillons déprimés et divergents; le niveau de la dépression est plus élevé que le plan de la surface muqueuse, ce qui a fait parler de pseudo-dépression. Ces LNP planes avec dépression centrale surélevée restent classées dans le groupe des lésions élevées par opposition au cancers déprimés, mais elles ne sont pas dépourvues de tout potentiel évolutif.

Les lésions néoplasiques planes doivent être classées dans les sous-types du stade 0 à l’endoscopie; les adénomes plans avec dépression centrale doivent être distingués des cancers plans déprimés.

La description morphologique soigneuse des lésions permet d’évaluer le caractère superficiel de la zone néoplasique n’atteignant pas la tunique musculaire et même sa localisation à la muqueuse ou l’envahissement de la sous-muqueuse. Ce « staging » endoscopique peut être complété par un « staging » écho-endoscopique plus rigoureux en utilisant une sonde fine à haute fréquence. En fait, les critères macroscopiques (diamètre de la lésion, sous type du type 0-II) permettent le plus souvent de prendre la décision thérapeutique.

La magnification et le « pit pattern »des LNCRP planes

L’endoscopie de haute résolution a apporté confort et sécurité dans la détection des LNP planes, sans entraîner de révolution dans leur prise en charge. Il en sera tout autrement avec l’endoscopie de magnification combinant le zoom optique et le zoom électronique; ces appareils seront disponibles dès l’an prochain. L’analyse au grossissement ¥ 100 de la surface de la zone néoplasique, comparable à l’examen au stéréomicroscope permet de confronter l’architecture de surface à l’histologie de la lésion. En effet, les anomalies de la surface sont liées aux anomalies de la zone de prolifération de la muqueuse. Le balayage optique en surface reflète l’histologie de la coupe transversale. S. Kudo [4] a codifié les différents aspects de la surface de la muqueuse colique normale (type I) ou anormale (type II à V). Globalement, le type II correspond aux lésions non néoplasiques de type hyperplasique. Le type III et le type IV qui sont observés sur 80% des lésions correspondent aux adénomes en dysplasie de faible grade ou haut grade, le type V qui est observé sur 6, 6% des lésions correspond au cancer. Si la fiabilité de cette classification n’est pas totale, elle est assez élevée pour diriger l‘indication thérapeutique; l’application la plus importante est la distinction facile entre les LNP planes à dépression surélevée (peu évolutives) et les cancers plans déprimés (très évolutifs). Le pit pattern de 12 104 lésions planes a été ainsi analysé. Parmi 7 779 lésions en dysplasie de faible grade, 96,2% avaient le type III ou IV. Parmi 2 312 lésions en dysplasie de haut grade, 96,7% avaient le type III ou IV. Parmi 919 lésions avec cancer intra-muqueux, 17% avaient le type V et parmi 268 lésions avec cancer sous muqueux, 68% avaient le type V.

L’endoscopie de magnification permet de prédire la nature histologique des lésions néoplasiques planes et distingue facilement les adénomes avec dépression centrale des cancers déprimés.

Examen des LNP après exérèse

L’analyse histologique des LNP planes après exérèse endoscopique ou chirurgicale obéit à des règles aussi minutieuses que celles présidant à l’étude de la morphologie endoscopique. La pièce doit être étalée sur un liège (face muqueuse à l’extérieur) et fixée par des épingles avant la fixation en formol tamponné. Les sections transversales de la lésion sont effectuées sur des plans parallèles et proches de 2 mm (sections sériées). Pour la muqueuse colique, l’envahissement plus ou moins profond de la muqueuse par le cancer (niveaux m1, m2, m3) n’a pas d’intérêt pronostique puisqu’il n’y a pas d’envahissement ganglionnaire (ce qui a justifié les réserves sur l’utilisation du terme de cancer). En revanche, l’envahissement de la sous muqueuse souligne un risque d’envahissement ganglionnaire en relation avec l’atteinte en profondeur et aussi en largeur [24]. L’invasion sous-muqueuse doit être évaluée dans les niveaux sm1, sm2 et sm3. Lorsque l’envahissement est limité au premier tiers de la sous-muqueuse (sm1), il faut accorder une valeur pronostique à l’extension en largeur classée sm1a, sm1b, sm1c. L’invasion sm1c, atteignant toute la largeur de la lésion plane est un élément péjoratif justifiant un traitement radical.

Les sections sériées des lésions néoplasiques planes sont indispensables après fixation à plat de la lésion néoplasique plane réséquée.

Le traitement des LNP planes

Les LNCR planes sont fréquentes, le progrès de leur détection ne doit pas s’accompagner d’une forte augmentation des gestes interventionnels en coloscopie car la majorité des lésions planes sont peu évolutives. Trois options s’offrent après la détection :

– l’abstention peut être adoptée pour les nombreuses petites lésions de quelques millimètres de diamètre dont la morphologie évoque une lésion non néoplasique ou un adénome en dysplasie de faible grade. Dans ce dernier cas une surveillance endoscopique à intervalles éloignés peut être instituée. La majorité de ces lésions n’évolueront pas, celles qui évoluent vers un adénome polypoïde seront alors réséquées, selon les règles adoptées pour le traitement des lésions saillantes.

Les lésions néoplasiques planes sont généralement peu évolutives, Il est logique de ne pas traiter, ni probablement biopsier, les petites lésions non déprimées.

– le traitement endoscopique des lésions coliques sessiles a donné lieu à d’audacieuses résections pour les lésions étendues en faisant appel à l’injection sous muqueuse et à la résection en « piece meal » des méthodes thermiques ou non thermiques de destruction ont aussi été utilisées. Des règles beaucoup plus strictes président aux indications du traitement des vraies LNP planes. La mucosectomie endoscopique est ici le traitement électif. Ce traitement est réservé aux lésions ne dépassant pas 2 cm de diamètre. L’envahissement de la sous muqueuse est de règle pour les lésions déprimées suspectes de cancer lorsqu’elles dépassent 1 cm de diamètre. L’endothérapie est donc réservée aux lésions de moins de 1 cm. La résection endoscopique est réalisée par la technique classique de l’injection sous-muqueuse pour soulever la lésion. L’absence de soulèvement fait suspecter l’invasion de la sous muqueuse. La résection est réalisée avec une anse diathermique à griffe et l’utilisation de l’embout terminal pour aspiration n’est pas recommandée. La résection « en bloc » est préférable et la pièce réséquée doit être minutieusement préparée pour l’étude histologique.

Le traitement par mucosectomie des lésions néoplasiques planes est proposé jusqu’au diamètre 2 cm pour la morphologie non déprimée et jusqu’à 1 cm pour la morphologie déprimée.

– le traitement chirurgical concerne d’une part les lésions déprimées ayant la morphologie du cancer lorsque la sous muqueuse est suspecte d’envahissement profond ou étendu en surface. D’une façon générale lorsque ces lésions ont plus de 1 cm de diamètre, elles doivent être traitées chirurgicalement. La chirurgie est aussi préférée au traitement endoscopique si les LNCR planes sont multiples.

Aujourd’hui, la stratégie du traitement s’appuie sur la détection en endoscopie de haute résolution. La marge d’erreur du diagnostic macroscopique est la cause de nombreuses résections inutiles pour des lésions sans potentiel évolutif et inversement des résections malencontreuses peuvent être effectuées pour des cancers sous muqueux qui auraient dû être directement confiés au chirurgien. Le développement prochain de l’endoscopie avec magnification ne devrait pas modifier la stratégie thérapeutique pour les LNP polypoïdes car leur taille est un paramètre très sûr. En revanche, la stratégie du traitement des LNP planes sera modifiée. Les indications de la mucosectomie endoscopique pourront être appréciées en fonction du « pit pattern » évoquant la dysplasie de haut grade ou le cancer intra-muqueux, les indications de l’abstention seront élargies et enfin celles de la chirurgie seront envisagées directement.

 

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