Maladies anorectales sexuellement transmissibles


Introduction

Les maladies sexuellement transmissibles (MST) représentent toujours un problème majeur de santé publique en raison de leur incidence croissante dans le monde (aussi bien les pays en voie de développement que les pays industrialisés). Elles sont responsables de complications gynéco-obstétricales (stérilité, atteinte fœtale, grossesses extra-utérines) d’un risque accru oncologique d’une part et de transmission du VIH par la présence de lésions génitales d’autre part.

Les localisations anorectales des MST touchent essentiellement les homosexuels masculins (coït anal, contact oro-anal). La multiplicité des partenaires est un facteur de risque majeur de contamination. Les poly-infections sont fréquentes et doivent être recherchées systématiquement.

Lors d’un examen proctologique, trois types de lésions doivent faire penser à une éventuelle MST : les ulcération(s) et/ou érosion(s) ano-canalaires, les végétations anales et les rectites et/ou rectocolites.

Interrogatoire,examen clinique

La symptomatologie des MST anorectales est peu spécifique : douleurs anales, suintements, prurit, épreintes, ténesmes, faux besoins, écoulements purulents et/ou hémorragiques par l’anus. C’est parfois un examen systématique chez un sujet à risque, asymptomatique qui pourra faire évoquer une MST.

L’anamnèse se déroule souvent en deux temps : le premier temps fait préciser les signes fonctionnels et leur mode évolutif, les antécédents personnels ; le second temps, orienté par l’examen proctologique qui soupçonne une MST essaiera de préciser la date du dernier rapport, le type de sexualité, l’utilisation éventuelle d’accessoires, la notion de partenaires multiples, de voyage en zone tropicale, de rapport avec un partenaire originaire de zone tropicale, des signes d’infection uro-génitale (urétrite, salpingite…).

Dans un contexte de probable MST, l’anuscopie et la rectoscopie doivent si possible être pratiquées sans préparation préalable ni lubrifiant afin de ne pas faussement négativer certains prélèvements en particulier pour Neisseria Gonorrhea.

Enfin, il faudra réaliser un examen clinique général en insistant sur la recherche d’adénopathies inguinales particulièrement évocatrices de lésions vénériennes.

Les lésions ulcéréesou érosives

Devant des lésions ulcérées ou érosives il faut penser en priorité, et surtout dans les pays industrialisés, à l’herpès et à la syphilis. Lorsqu’il y a une notion de contage en région tropicale, trois diagnostics sont à évoquer : la maladie de Nicolas-Favre, la donovanose et le chancre mou. Enfin, bien que la rectite en soit la présentation la plus fréquente, l’amibiase peut donner également un tableau d’ulcération anale.

» L’herpès

Première cause d’ulcération génitale dans les pays industrialisés, l’herpès est en expansion constante (2 millions d’individus en France). Il n’y a pas de différence clinique entre l’infection à HSV1 et HSV2 ; cependant, HSV2 est responsable de 80% des herpès génitaux et les récurrences sont dix fois plus fréquentes qu’avec HSV1.

Après une incubation moyenne de 7 jours, la primo-infection réalise habituellement un tableau sévère. Elle est caractérisée par une éruption vésiculeuse douloureuse péri-anale, intracanalaire ou rectale basse (10 derniers cm), éphémère, passant souvent inaperçue qui laisse place à des érosions ou des ulcérations multiples, douloureuses, planes, polycycliques et confluentes. Des signes généraux (fièvre, asthénie, myalgies) ainsi que des signes régionaux évocateurs sont souvent associés : dysurie, rétention d’urine, constipation, adénopathies inguinales, paresthésies sacrées.

Les récurrences sont peu ou pas symptomatiques, avec un risque élevé de contamination par excrétion virale asymptomatique ; la rectite est alors exceptionnelle.

L’immunodépression, surtout liée au VIH, aggrave l’infection herpétique, alors sévère, expansive, récurrente et résistante au traitement.

Le diagnostic d’herpès est avant tout clinique ; le recours aux examens de laboratoire (culture virale avec recherche de l’effet cytopathogène, tests immunoenzymatiques, PCR) ne doit servir qu’à éliminer d’éventuels diagnostics différentiels dans les formes atypiques. La sérologie ne peut présenter un intérêt que dans le cas d’une primo-infection (séroconversion sur 2 sérums prélevés à 2-3 semaines d’intervalle), les récurrences n’entraînant pas de modification du taux d’anticorps.

Le traitement curatif doit être prescrit le plus tôt possible. Il repose sur l’administration d’antiviraux per os : l’aciclovir (Zovirax®) ou le valaciclovir (Zelitrex®).

La forme IV est réservée aux sujets immunodéprimés ou si l’atteinte est sévère. En cas de résistance, le foscarnet (Foscavir®) peut être utilisé.

Si les récurrences sont fréquentes (> 6/an), on peut proposer un traitement continu préventif par Zovirax® (2 cp/24 h) ou Zelitrex® (1 cp/24 h) dont l’indication sera à réévaluer périodiquement.

» La syphilis

Le chancre anal dû à Treponema pallidum, est la manifestation classique de la syphilis primaire. Il apparaît 3 semaines après le contact infectant et se présente comme une ulcération latéralisée, propre, rosée, indolore, indurée avec une adénopathie inguinale unilatérale également indolore. Il existe toutefois de nombreux aspects atypiques : fissure latérale chronique, ulcérations multiples ou bipolaires en kissing, ulcération bourgeonnante (parfois rectale pseudo tumorale), raghades suintantes ; la présence d’une adénopathie inguinale doit orienter le diagnostic.

Les syphilides érosives apparaissent au stade de syphilis secondaire, 45 jours après le chancre, sous forme de macules péri-anales blanc nacré de petite taille, indolores. Au-delà du 4e mois, apparaissent les syphilides papuleuses : lésions indurées hypertrophiques parfois végétantes pseudo-condylomateuses. Il faut alors rechercher des lésions cutanéo-muqueuses palmo-plantaires typiques de syphilis secondaire.

Le diagnostic repose soit sur la mise en évidence de Treponema pallidum par l’examen au microscope à fond noir d’un prélèvement effectué au niveau des lésions, soit sur la sérologie : TPHA et VDRL. Le FTA Abs (Fluorescent Treponemal Antibody), très spécifique, se positive dès le début de la 3ème semaine après l’infection et le demeure chez le malade non traité. De coût élevé, il doit être réservé à la confirmation d’un diagnostic sérologique surtout dans les 10 premiers jours du chancre. Pour de nombreux auteurs, le test de Nelson ne serait plus utile. Ces tests sérologiques peuvent être anormalement négatifs chez certains patients infectés par le VIH, d’où l’intérêt de l’examen au microscope à fond noir.

Le traitement repose, en l’absence d’allergie, sur la pénicilline G : une injection de 2,4 M UI d’Extencilline® (benzathine benzyl pénicilline) en IM à renouveler après une semaine en cas de syphilis secondaire. En cas d’allergie à la pénicilline, un traitement de 2 semaines par cyclines (doxycycline 200 mg/j) ou érythromycine doit être entrepris. Le suivi de l’efficacité thérapeutique se fait à 3, 6 et 12 mois par le contrôle des réactions sérologiques (VDRL quantitatif).

» La maladie de Nicolas Favre (lymphogranulomatose vénérienne)

Exceptionnelle en France, elle est due aux sérotypes L1, L2, L3 de Chlamydia trachomatis. Elle réalise classiquement chez l’homosexuel, un tableau de rectite ulcérée bruyante associée à des ulcérations anales ou péri-anales et des adénopathies inguinales. L’évolution peut se faire vers la sténose rectale et des suppurations locales (abcès, fistules détruisant le sphincter) en particulier chez la femme (syndrome de Jersild).

Le diagnostic peut être fait par mise en évidence du germe sur culture cellulaire sur prélèvement effectué à la curette ou au bactopik ou par examen direct (détection de l’antigène chlamydien à l’aide d’anticorps monoclonaux par immunofluorescence directe ou immunoenzymologie (ELISA).

Le traitement repose sur l’antibiothérapie par cyclines (doxycycline 200 mg/j) ou érythromycine pendant 2 semaines.

» Le chancre mou à Haemophilus ducreyi

Très rare en France, il est endémique en Afrique et en Asie. Après une incubation de 3 à 5 jours, il est responsable d’une ou plusieurs ulcérations sales, ovalaires, douloureuses, à bords nets marqués par un double liseré jaune et rouge caractéristique, associées à une adénopathie inguinale unique, volumineuse, inflammatoire pouvant se fistuliser. Le diagnostic se fait par la mise en évidence du bacille de Ducrey par examen direct ou culture.

Le traitement repose sur l’antibiothérapie : érythromycine (2g/j, 10 j), Bactrim forte® (2cp/j,10j), fluoroquinolone (ciprofloxacine: 500mg ¥ 2/j, 3 j), azithromycine (1g en une prise per os).

» La donovanose

Encore appelée granulome vénérien ulcéreux tropical, c’est une affection tropicale due à Calymnatobacterium granulomatosis (bacille gram négatif). Elle se manifeste par un nodule unique ou multiple, indolore, sans adénopathie, évoluant vers une ulcération à bordure éversée, à fond rouge, friable. Le diagnostic repose sur la mise en évidence des corps de Donovan intra-macrophagiques, après coloration au MGG d’un fragment de lésion prélevé sous anesthésie locale. Le traitement par antibiothérapie pendant 3 à 4 semaines est la règle : cyclines (200 mg/j) ou érythromycine (2 g/j).

» L’amibiase

Apanage de l’homosexuel mâle après rapport oro-anal, l’amibiase péri-anale se manifeste par des ulcérations de taille variable, douloureuses, à base indurée, fétides ou des végétations pseudotumorales malodorantes, papillomateuses.

S’y associe dans la plupart des cas la classique rectite amibienne, responsable d’une diarrhée glairo-sanglante dont l’aspect à la rectoscopie mime celui d’une RCH.

Le diagnostic est fait par la recherche d’amibes dans les selles ou dans les prélèvements biopsiques des lésions. Le traitement repose sur le métronidazole.

Les lésions végétantes

Devant des lésions végétantes, il faut évoquer avant tout la papillomatose ; les syphilides papuleuses et les lésions de molluscum contagiosum sont beaucoup plus rares.

» Les condylomes accuminés ou papillomatose

C’est la plus répandue des MST ano-rectales (1 M de nouveaux cas par an aux USA ; 1,5 à 2,5 % des 20-24 ans en Europe) ; elle peut toutefois se rencontrer en dehors de tout contact sexuel (contamination par verrue vulgaire chez l’enfant, linge souillé, immunodépression thérapeutique des greffés). Elle est due au virus HPV (Human Papilloma Virus) dont il existe plus de 80 types différents. Les types les plus fréquents au niveau anal sont les HPV 6, 11, 16 et 18. L’incubation moyenne est de 4 mois mais va de 1 mois à plus de 12 mois. Les végétations se présentent comme des excroissances blanchâtres ou rosées ou grisâtres séparées par des intervalles de peau saine, à surface irrégulière dentelée ("crête de coq") filiformes ou pédiculées. Il existe également des formes papuleuses ou maculeuses planes plus difficiles à mettre en évidence ; l’application d’acide acétique à 5 % sur la marge anale aide au diagnostic en colorant les lésions en blanc.

Elles se localisent au niveau de la marge anale et/ou en intracanalaire ; leur taille, leur nombre et leur forme sont très variables. Elles sont habituellement asymptomatiques. Leur évolution se fait vers l’extension progressive avec un risque de dégénérescence en carcinome épidermoïde (sérotypes 16 et 18 très oncogènes) surtout chez les homosexuels séropositifs pour le VIH. La régression spontanée est possible en particulier dans le post-partum.

La maladie de Buschke-Lowenstein correspond à une volumineuse masse condylomateuse pseudotumorale avec suppurations ischio-rectales. L’histologie confirme qu’il s’agit d’une lésion bénigne ; elle est associée aux sérotypes 6 et 11.

Le traitement de la papillomatose repose sur la destruction systématique répétitive de tout élément condylomateux, afin d’éviter l’extension des lésions et leur dégénérescence.

Il existe plusieurs méthodes de destruction : l’électrocoagulation au bistouri électrique est notre préférée ; on peut aussi réaliser une exérèse aux ciseaux des grosses lésions qui permet une étude histologique ou une destruction au laser. Les méthodes chimiques de destruction (acide trichloracétique, 5FU en crème, podophyllotoxine et plus récemment l’imiquimod) donnent des résultats partiels.

» Les syphilides papuleuses

Au stade tardif de la syphilis secondaire, les syphilides en se regroupant apparaissent comme des nappes hypertrophiques (condylomes plans) ou comme des lésions végétantes érodées, d’aspect papillomateux (syphilides végétantes).

Il faut savoir y penser et demander un examen direct et/ou les sérologies.

Le molluscum contagiosum

C’est une infection à Pox virus qui se présente sous la forme de petites lésions surélevées, arrondies, de quelques millimètres de diamètre, ombiliquées sur leur centre. La pression fait écouler une substance blanc grisâtre. Le traitement repose sur le curetage de la lésion voire la destruction à l’azote liquide ou l’électrocoagulation. Si leur nombre est impressionnant et leur siège en dehors de la région ano-génitale et du tronc, il faut rechercher un SIDA.

Les rectites

Devant une rectite, plusieurs infections peuvent être incriminées : gonococcie, Chlamydia, rectite herpétique ou syphilitique que nous avons déjà décrites, et enfin rectite à CMV ou amibienne. Toute rectite impose de pratiquer un examen bactériologique et parasitologique des selles, ainsi que des biopsies lors de la rectoscopie au moindre doute.

» La gonococcie

Due à Neisseria gonorrhae, elle est particulièrement fréquente chez l’homosexuel mâle qui se contamine par coït anal passif. Chez la femme, une auto contamination à partir d’une infection génitale ou urétrale est possible.

La forme aiguë apparaît 3 à 4 jours après le contact infectant et se traduit par des douleurs anorectales importantes, des faux besoins, des ténesmes, des émissions purulentes et sanglantes, un prurit anal.

L’examen proctologique montre un état congestif diffus du canal anal et de la muqueuse rectale avec des ulcérations superficielles recouvertes de sécrétions purulentes. Cette anorectite aiguë est moins fréquente que les formes mineures qui se limitent à une rectite hémorragique discrète ou simplement la présence de pus sur une muqueuse rectale normale, particulièrement évocatrice.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence du gonocoque dans les sécrétions purulentes prélevées avec un écouvillon à travers l’anuscope. Le prélèvement doit être transmis dans des délais très brefs au laboratoire.

Le traitement repose sur l’antibiothérapie par voie générale en traitement " minute ": spectinomycine (2 injections IM de 2 g le même jour dans 2 sites différents). Certains auteurs associent une cure de cyclines pendant 15 jours afin de traiter une infection à Chlamydia fréquemment associée. Les résistances aux pénicillines sont en progression et conduisent à faire appel aux céphalosporines de 3e génération (céfotaxine 500 mg à 1 g monodose) ou aux quinolones (ciprofloxacine 500 mg monodose par exemple).

Les lésions traumatiques

L’introduction rectale de corps étrangers de toute nature et la "fist fornication" peuvent provoquer des ulcérations muqueuses avec hémorragie plus ou moins importante, des lésions sphinctériennes compliquées d’incontinence voire des perforations péritonéales. La recherche d’une infection surajoutée est indispensable. Ces lésions sont le témoin d’une sexualité à risque.

Le viol anal (sodomie forcée) donne un anus traumatique avec la triade fissure, thromboses circonférentielles, incontinence par rupture sphinctérienne.

L’utilisation fréquente de crème dermique, de lubrifiants ou d’antiseptiques locaux peut donner des lésions exulcérées à contours plus ou moins géographiques (lésions caustiques).

Autres MST
Le contact oro-anal, la fellation après coït anal (contamination oro-fécale) peuvent expliquer certaines pathologies digestives coliques bien connues. Les germes pouvant ainsi être transmis sont multiples (Entamoeba histolytica, Lambliase, Shigelle, Salmonelle, Campylobacter, Oxyure, Cryptosporidium, Hépatite A, Anguillule).

L’hépatite B pouvant être sévère, il est important de rechercher les marqueurs de ce virus de façon systématique devant toute MST.

Lésions vénériennes et VIH

Les lésions ano-rectales, en particulier ulcérées, favorisent la transmission du VIH par rupture de la barrière cutanéo-muqueuse.

En cas d’évolutivité de la maladie ou de SIDA avéré, le VIH donne des lésions ano-rectales atypiques, récidivantes, extensives parfois spécifiques de l’immunodéficience (ulcération à CMV, à mycobactéries atypiques, d’étiologie indéterminées, sarcome de Kaposi, lymphome non hodgkinien) et résistantes au traitement. Ce n’est pas le cas chez les patients HIV asymptomatiques sans déficit immunitaire (CD4>500).

Conclusion

Les MST restent donc fréquentes et nécessitent une prise en charge qui comporte plusieurs étapes :

-mettre en confiance en expliquant les MST, leur mode de contamination, leur conséquence,

-déculpabiliser en rappelant que les MST sont souvent latentes et ignorées du porteur sain,

-responsabiliser pour obtenir le traitement du patient et des partenaires après les avoir examinés, et surtout l’utilisation ultérieure du préservatif.

 

RÉFÉRENCES

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