Diarrhées motrices chroniques

La diarrhée due à uneaccélération du transit intestinal (ATI) ou diarrhée motrice (DM) est un concept typiquement français résultant des travaux de coprologie fonctionnelle de R. Ggoiffon [1]. L’existence d’une AIT au cours de diarrhées chroniques n’est pas niable, mais il a toujours opposé par les négateurs américains du concept de DM qu’il était impossible de démontrer que l’ATI était bien la cause, et non la conséquence, de l’augmentation du flux intraluminal que traduit la diarrhée. Nous envisagerons ici les arguments physiopathologiques qui appuient le concept de DM, puis les aspects cliniques et étiologiques. Sont exclues par définition les hypomotilités du grêle responsables de malabsorption par colonisation bactérienne chronique.

Lien entre l’accélération du transit et la diarrhée

Il existe une relation inverse entre le temps de transit (TT) oro-anal (et donc le temps de contact du chyme avec la muqueuse intestinale) et le poids des selles de 24 h dans les  » diarrhées sans lésions organiques  » [2]. Mais prouver expérimentalement que la diminution du temps de transit est responsable de la diarrhée est impossible, parce que les agents utilisés pour accélérer le transit peuvent agir sur le transport intestinal par d’autres mécanismes, osmotiques et sécrétoires [3]. La création d’une anse jéjunale inversée ralentit le transit et réduit la malabsorption dans le grêle court, mais augmente aussi la surface absorbante [4].

L’ATI s’accompagne en règle d’une diminution du calibre intestinal et donc de la surface d’absorption, du fait d’une augmentation de l’activité tonique, que ce soit dans le syndrome carcinoïde [5] ou lors de perfusions intestinales sous métoclopramide ou cholécystokinine [3], mais ces agents, comme la sérotonine dans le syndrome carcinoïde, ont d’autres effets pharmacologiques.

L’augmentation du tonus intestinal per se a un effet négatif sur l’absorption, en particulier au niveau d’une de la barrière sous-muqueuse [6].

Certains événements moteurs intestinaux déclenchent une augmentation de la ddp différence de potentiel trans-muqueuse, traduction probable d’une sécrétion ionique.

A l’inverse, l’augmentation de l’activité contractile segmentaire et des mouvements villositaires favorise le mixing brassage du chyme, diminue l’épaisseur de la couche d’eau non agitée et favorise donc l’absorption [3], ce qui, avec la réserve fonctionnelle considérable du grêle, pourrait expliquer l’absence habituelle de malabsorption dans les DM.

Lorsque l’on perfuse à debit débit croissant le jéjunum avec une solution électrolytique, l’augmentation compensatrice du calibre de l’intestin est limitée et il s’ensuit une ATI [8]. Dans le côlon, la perfusion en 1 h de 500 ml d’une solution d’électrolytes, entraîne une diarrhée, alors que 5700/ml perfusés à débit constant sur 24 h sont absorbés [9]. Ces expériences ont été utilisées pour soutenir que l’ATI observée au cours de diarrhées était secondaire à l’augmentation du flux intra-luminal et non primitive.

Pourtant, il existe des arguments sérieux en faveur du caractère primitif de l’ATI dans le la DM. Comme vu plus loin, le poids quotidien des selles n’est que modestement augmenté dans la majorité des DM, ce qui s’inscrit contre le rôle déclenchant du flux intra-luminal [5]. Les études par perfusions segmentaires à débit constant jéjunales, iléales et coliques de solutions électrolytiques (et dans le jéjunum de solution glucosée-salée) ont montré chez certains malades souffrant de diarrhée sans cause reconnue, l’absence de toute anomalie du transport hydro-ionique. Seule une ATI, malheureusement pas recherchée, pouvait expliquer la diarrhée, la perfusion continue à débit constant abolissant l’effet du transit sur l’absorption [3,10].

Les freinateurs du transit ont un effet beaucoup plus net sur la majorité des DM que dans les diarrhées d’autres mécanismes, mais une action anti-sécrétoire a été postulée à côté de leur effet sur la motricité [11]. Dans une étude astucieuse de mesure des mouvements trans-pariétaux grêlo-coliques totaux à partir d’une solution plasma-like, en situation stationnaire (qui abolit l’influence de la vitesse de transit) ou non (qui est sensible à l’influence du transit), Fordtran et son équipe ont montré chez le sujet normal que la codéine [12] et le lopéramide n’augmentaient l’absorption hydro-ionique que par leur effet moteur. Ce résultat a été confirmé par l’absence d’action de la codéine sur la sécrétion intestinale induite par le vasoactive intestinal peptide [12].

Appliqués à quelques cas de DM bien explorés sur le plan moteur, ces techniques pourraient définitivement convaincre les plus septiques du bien fondé du concept de DM.

Rôle du grêle et du côlon dans les diarrhées motrices

» Intestin grêle

Dans les cas où il a été mesuré, le temps de transit du grêle était diminué, quelle que soit la cause de la DM [3, 5, 14-16]. Mais, comme vu plus haut, les tests d’absorption intestinales sont le plus souvent normaux au cours des DM [7]. Les mesures du débit liquidien iléal terminal au cours des DM sont très rares. Il était normal dans un cas de cancer médullaire de la thyroïde avec diarrhée et accélération marquée du transit du grêle [15] et dans un cas de dysautonomie, mais dont le transit du grêle était peu perturbé [13].

Même s’il y avait une augmentation de l’effluent iléal dans certaines DM, il faudrait, pour qu’elle joue un rôle dans la diarrhée, soit que l’apport au côlon de fluide puisse être concentré sur une courte période de temps [9], soit que le côlon participe aussi à l’ATI. Une malabsorption des acides biliaires, à effets moteur et sécrétoire sur le côlon, existe dans les lésions iléales (voir ci-dessous), mais aussi dans des cas de diarrhées idiopathiques [17]. Dans ce dernier cas, cependant, elle est probablement secondaire à l’accélération du transit et la colestyramine n’améliore pas la diarrhée.

» Côlon

Dans tous les cas où il a été mesuré, le TT colique était très raccourci [3, 5, 13-16]. Même quand il n’a pas été spécifiquement déterminé, le degré d’accélération du transit oro-anal implique une participation du côlon à l’AIT, la durée du transit dans le côlon normal étant 10 fois supérieure à celle du transit du grêle [3].

Contrairement au grêle, l’accélération du transit colique doit jouer un rôle majeur dans la DM, compte tenu de la lenteur des processus de digestion et d’absorption physiologiques dans cet organe. On peut s’attendre à :

une perturbation du métabolisme bactérien des résidus de la digestion,

une diminution de ce fait de la production des acides gras à chaînes courtes (AGCC),

une réduction, de plus, des capacités d’absorption de ceux-ci,

et donc, une baisse de l’absorption du sodium dépendante des AGCC, à quoi s’ajoute aussi probablement une réduction du transport actif du sodium.

La validation de ces hypothèses ne repose actuellement que sur les données de la coprologie fonctionnelle, peu fiables, sur la mesure des AGCC fécaux [13, 16] et sur la mesure de l’absorption hydro-ionique colique par soustraction de l’effluent iléal du débit fécal [13, 16].

» Ano-rectum

L’incontinence fécale augmente fortement les conséquences des DM par dysautonomie (voir ci-dessous). Dans le contexte du syndrome de l’intestin irritable, il faut signaler les  » diarrhées à selles molles et impérieuses « , mais

à poids fécal normal, que l’on peut appeler  » rectum irritable  » pour les raisons vues plus loin.

Profils moteurs

Ils ont été étudiés par manométrie traditionnelle, par la technique du barostat et par électromyographie au cours de DM endocriniennes ou idiopathiques. Ces dernières forment un groupe mal défini et probablement hétérogène, mélangeant à tort des diarrhées indolores ( » painless diarrhea « ) et des diarrhées avec douleurs abdominales intégrées dans le syndrome de l’intestin irritable, avec possibilité de confusion avec la fausse diarrhée de la constipation terminale.

» Intestin grêle

Les anomalies de la motricité pariétale du grêle ont été discutées en détail par Read [3]. Les  » minute rythms  » semblent être une réponse non spécifique à la distension du grêle ou au passage des complexes moteurs migrants (CMM). Les complexes de potentiels d’action migrants (MAPC) ne sont pas non plus spécifiques des DM. Des bouffées de potentiels d’action associées à chaque onde du rythme électrique de base ont été observées après ganglionectomie coeliaque et mésentérique supérieure et après administration de cholécystokinine chez le chien, en même temps qu’une forte accélération du transit du grêle. Il faut souligner que la distance de propagation des contractions a plus d’influence sur le transit que leur nombre.

Au cours des DM, aucune étude ne semble avoir spécifiquement intéressé l’iléon alors que celui-ci, par son activité motrice phasique [3] et tonique [19], pourrait jouer un rôle important dans la régulation de l’apport du chyme au côlon.

» Côlon

Au cours de la DM indolore, existe à l’électromyographie pancolique des 24h, des anomalies phasiques très particulières :

  • nette augmentation en durée et intensité de la réponse motrice colique à l’alimentation ( » long spike bursts  » ou LSB non propagés et propagés ou MLSB fortement propulsifs), accompagnée d’une activité MLSB nocturne inhabituelle [20] ;
  • disparition des  » short spike bursts  » ou SSB et des MLSB rétrogrades rectosigmoïdiens, freinateurs du transit [20, 21].

Dans une étude par manométrie et scintigraphie coliques couplées du côlon gauche de sujets souffrant d’une diarrhée dite fonctionnelle, le marqueur radioactif injecté en bolus à l’angle gauche avait, contrairement aux sujets normaux, disparu des zones d’intérêt (transverse et sigmoïde) dans les 100 minutes suivant un repas ; l’index moteur, contrairement aux témoins, n’augmentait pas en post prandial, mais les contractions propagées (HAPC) étaient augmentées et entraînaient plus de marqueur [22].

L’activité tonique colique, mesurable par voie antérograde [19] ou rétrograde [5] par le barostat, pourrait avoir un rôle majeur dans les DM, comme cela a été montré dans le syndrome carcinoïde, où elle est fortement augmentée en période post prandiale, sans modification de l’activité phasique [5].

» Ano-rectum

Dans le  » rectum irritable « , la distension de l’organe par un faible volume induit des salves de contractions rectales et de relaxation du sphincter anal interne [23].

Diagnostic positif

» Examen clinique

Les caractères cliniques des DM sont bien connus, du moins en France [24]. Il y a un contraste entre le nombre en règle élevé des selles et la modeste augmentation de leur poids par 24 h, habituellement inférieur à 500 g. Lorsqu’une DM atteint de plus grands poids, c’est que l’agent responsable de la diarrhée a aussi un effet sécrétoire. Il y a cependant quelques exceptions à cette règle [13, 16]. Il n’y a donc pas habituellement de déshydratation et de perturbations hydro-électrolytiques et acido-basiques. La majorité des défécations a lieu après le lever et dans les périodes post prandiales, moments du réveil de l’activité propulsive colique physiologique. Les besoins sont impérieux, en dehors de toute incontinence. Le malade se garnit, n’ose plus sortir ou jalonne son trajet de relais-toilette. Les selles sont pâteuses ou liquides et peuvent renfermer des aliments ingérés le jour même. Les coliques abdominales avant les selles sont inconstantes et leur absence définit le sous-groupe des diarrhées indolores. L’appétit et l’état général sont conservés, sauf en cas de peur de manger.

Le malade a pu remarquer l’influence aggravante du stress, l’effet spectaculaire du lopéramide ou de la codéine, interrompus dans la crainte d’une accoutumance et d’une assuétude. Le décubitus, notamment à l’occasion d’une hospitalisation, peut aussi faire momentanément disparaître la diarrhée. De plus, dans certaines causes, la DM peut alterner avec des phases de constipation, pouvant être prises à tort pour une fausse diarrhée de constipation terminale.

» Examens complémentaires

Le plus simple, mais le plus grossier, est le test au cachet de carmin, qui peut être complété par le suivi radiographique du transit de marqueurs radio-opaques, témoins des résidus non digestibles des repas. Des signes coprologiques classiques, seule l’excrétion de bilirubine en l’absence de prise d’antibiotiques ou de préparation colique récente a une bonne spécificité, mais une faible sensibilité, l’excès d’amidon et de cellulose digestible n’étant pas un critère fiable [7].

L’ionogramme de l’eau fécale et la détermination du  » trou osmotique  » ont été très peu pratiqués, mais on devrait s’attendre, comme dans les deux cas étudiés [13, 16], à un profil identique à celui d’une diarrhée osmotique, du fait de la malabsorption des AGCC. L’épreuve du jeûne, pratiquée dans un cas de dysautonomie, ne réduisit le volume des selles que de 50 p.100, mais ce dernier atteignait 1070 ml au départ [13]. Il n’y a pas de signes biologiques de carences chez ces malades.

Le transit baryté peut révéler des accélérations caricaturales dans le grêle et le côlon [25], faisant parfois suspecter à tort une fistule grêlo-colique, mais la baryte n’est pas un bon témoin d’un repas. La mesure spécifique du temps de transit du grêle par le test au lactulose n’a pas d’intérêt en pratique clinique. Il en est de même des méthodes scintigraphiques mesurant par diverses techniques la vidange gastrique (qui est normale sauf dans les dysautonomies), le temps de transit dans le grêle et le côlon [5, 15].

Enfin, il faut demander une manométrie ano-rectale, qui peut déceler une incompétence sphinctérienne (fortuite ou liée à une dyysautonomie), aggravant les conséquences de la DM, ou confirmer un diagnostic de rectum irritable.

Diagnostic différenciel

La DM est facilement distinguée du syndrome rectal, qui en partage certains symptômes. Une diarrhée osmotique, involontaire (intolérance au lactose, consommation excessive de fructose, de sucre-alcools, d’oligofructosaccharides) ou cachée de laxatifs osmotiques peut entraîner une ATI secondaire à l’augmentation du flux intra-luminal, avec apparition de grandes ondes propulsives coliques [26]. De plus, la fermentation des sucres augmente le tonus colique [27]. Beaucoup plus rares sont les diar-

rhées volumogéniques (syndrome de Zollinger-Ellison surtout) qui accélèrent le transit comme les diarrhées osmotiques [28]. Enfin, certaines diarrhées sécrétoires peuvent prendre le masque d’une DM, comme au cours des colites microscopiques, où une malabsorption iléale des sels biliaires, fonctionnelle ou par atrophie villositaire, peut être en cause [29].

Diagnostic étiologique

La grande majorité des DM est idiopathique, ce qui ne dispense pas de rechercher les causes connues ( tableau 1 ).

» Causes digestives

Elles sont reconnues par l’anamnèse, l’iléo-coloscopie avec biopsies et le transit baryté. La gastrectomie, totale surtout, peut être cause de DM très invalidante, qui peut s’associer à une stéatorrhée plurifactorielle. Au cours des résections iléales, la malabsorption des sels biliaires (résections < 80 cm) ou des graisses (résesections > 80 cm) est responsable d’une diarrhée d’origine colique mixte, motrice et sécrétoire [30]. Dans les résections étendues du grêle, la diarrhée est principalement due à la réduction de la surface absorbante, mais la disparition des freins physiologiques aggrave les troubles [31]. Les iléopathies doivent être systématiquement recherchées, car elles peuvent se révéler par une diarrhée choléréique isolée. Au cours des colites inflammatoires chroniques, à la classique exsudation peut s’ajouter une ATI par mouvements de masse du côlon [3]. Enfin, une cholécystectomie peut entraîner une DM avec malabsorption des sels biliaires [32].

» Causes endocriniennes

Ce sont l’hyperthyroïdie, le cancer médullaire de la thyroïde et le syndrome carcinoïde.

Hyperthyroïdie

Due à la maladie de Basedow, à une surcharge iodée ou à un adénome toxique, elle est responsable d’une augmentation du nombre des selles à plus de 3 par 24 h dans 40 à 70 % des cas [33]. La diarrhée peut n’apparaître qu’à l’occasion d’une crise aiguë thyrotoxique et constitue alors un signe de gravité. La diarrhée, qui peut alterner avec une constipation, peut être au premier plan du tableau clinique et révéler la maladie [33]. Souvent s’associe une stéatorrhée parfois massive (qui peut se voir sans pertes hydriques concomitantes) en partie liée à une augmentation des ingesta [34]. En cas de diarrhée révélatrice, un amaigrissement contrastant avec une éventuelle polyphagie doit attirer l’attention.

Le diagnostic repose initialement sur le dosage de la TSH, complété s’il
est anormal par celui de T4 libre et parfois de T3. L’hypersécrétion hormonale est directement responsable de la diarrhée.

Cancer médullaire de la thyroïde

Rare, il se développe à partir des cellules C, sporadique ou familial et dans ce cas, soit isolément, soit dans le cadre d’une néoplasie endocrine de type IIa (syndrome de Sipple) ou IIb [36]. La fréquence de la diarrhée a été initialement chiffrée à 28-42 % [33], mais elle a diminué avec la reconnaissance plus précoce de la maladie. En effet, la survenue de la diarrhée est corrélée à la masse tumorale, atteignant 42 % en présence de métastases contre 18 % en leur absence [36]. Elle peut être révélatrice, parfois associée à des flushes. Le diagnostic repose initialement, outre sur le palper du cou et du foie, sur le dosage de la calcitonine plasmatique, toujours élevée au stade de DM [35]. Une hypersécrétion de calcitonine peut s’observer avec d’autres tumeurs endocrines et elle n’est pas responsable de la DM [16], dont le médiateur reste inconnu.

Syndrome carcinoïde

La DM est le symptôme permanent le plus fréquent au cours du syndrome carcinoïde. A un stade avancé, comme dans le cancer médullaire de la thyroïde, la diarrhée peut devenir abondante. Il en est de même au cours de la crise carcinoïde. Il existe parfois une stéatorrhée associée [37]. Le diagnostic repose sur la recherche des autres éléments du syndrome carcinoïde, au premier rang desquels les flushes – mais la diarrhée est isolée dans 15 % des cas. On recherchera soigneusement des métastases hépatiques, presque constantes et dont le palper peut déclencher un flush.

Biologiquement, l’augmentation de l’acide 5-hydroxy-indol-acétique urinaire est quasiment constante. De faibles augmentations isolées de la sérotonine circulante sont sans valeur. La sérotonine est le principal agent responsable de la DM, peut-être en synergie avec d’autres médiateurs humoraux [37].

Dysautonomie

Le dysfonctionnement des systèmes parasympathique et sympathique est une cause importante de DM, parfois longtemps méconnue [13]. Il peut être une composante d’une atteinte du système nerveux central ou périphérique qu’il révèle ou aggrave, ou peut être isolé (tableau 1). Sa cause la plus fréquente est le diabète de type 1, le plus souvent de début ancien et mal équilibré. La dysautonomie y est volontiers isolée, comme au cours de l’amylose.

L’existence de troubles moteurs sophagiens et/ou d’un reflux gastro-sophagien, d’une gastroparésie, d’une incontinence fécale oriente d’emblée vers une dysautonomie [39]. En dehors du tube digestif, la notion d’une néphropathie, l’existence d’une cystopathie, d’apnées du sommeil, de difficultés sexuelles, d’une hyper – ou au contraire hyposudation avec absence de piloréaction témoignent d’une dysautonomie [13, 38]. A l’examen physique, la tachycardie de repos, l’hypotension orthostatique sans accélération supplémentaire du pouls, un myosis ou un syndrome de Claude Bernard-Horner, des dèmes inexpliqués, une anhydrose distale, le pied froid neuropathique seront recherchés [38]. L’examen neurologique comporte au moins la percussion des réflexes ostéo-tendineux.

Dans les cas douteux et pour évaluer le degré de sévérité de la dysautonomie ainsi que pour préciser l’origine parasympathique et/ou sympathique des troubles, les épreuves cardiovasculaires sans cesse perfectionnées [40-42] suffisent. Ces tests et d’autres, oculaires notamment [43, 44] ont été utilisés pour explorer des malades souffrant de  » syndrome de l’intestin irritable à prédominance diarrhéique  » avec un taux de positivité de 27 % [45], ainsi qu’un groupe de patients  » avec diarrhée chronique et temps de transit colique raccourci « , qui montrèrent une réponse sympathique cholinergique au froid significativement altérée [46]. Le suivi de ces patients n’est pas connu, mais il est probable que les anomalies observées traduisaient plutôt un trouble fonctionnel et non dégénératif de la régulation neuro-végétative, sans doute d’origine centrale. En effet, le système nerveux autonome est la voie principale de la  » brain-gut communication  » [47].

Le lopéramide [13] et au besoin la codéine sont souvent efficaces sur les DM des dysautonomies, mais sont impuissants dans les formes majeures, au cours du diabète notamment.

A part, il faut mentionner les vagotomies, essentiellement tronculaires, où la DM est durable et invalidante dans 3 % des cas. Le geste de drainage gastrique associé ne peut être incriminé dans les vagotomies accidentelles au cours de montages anti-reflux. Le bloc coeliaque donne aussi des DM, en règle transitoires.

Médicaments

Les sénnosides libérateurs de prostaglandine [48] et les prostaglandines elles-mêmes [49] ont un effet propulsif puissant sur le côlon, avec une faible action directe sur le transport hydro-ionique [49]. L’érythromycine i.v. a un effet prokinétique sur le grêle, discret sur le côlon. De nombreux autres médicaments entraînent de la diarrhée par des mécanismes variés parfois moteurs [51], souvent inconnus.

Au total, le diagnostic étiologique d’une DM peut s’envisager ainsi. Si la cause est déjà connue ou évidente, il faut déterminer la part de l’ATI si la diarrhée est plurifactorielle. Si l’étiologie n’est pas connue, un examen clinique minutieux la révèle souvent. Sinon, nous avons prôné l’iléo-coloscopie et l’endoscopie haute avec biopsies systématiques ou dirigées devant toute diarrhée chronique restée inexpliquée après l’examen clinique et les explorations biologiques de routine. Ces examens ont une rentabilité faible dans les DM, mais sont indispensables au diagnostic différentiel. Si elles sont à leur tour négatives, la pratique systématique de dosages hormonaux a un rendement à peu près nul, alors que la recherche de dysautonomie peut être fructueuse. Si tout est négatif, le traitement d’épreuve au lopéramide à dose suffisante (12 mg/24h) confirme le diagnostic de DM idiopathique. S’il échoue, il faut chercher les causes de diarrhées de mécanisme mixte, motrices et soit sécrétoires, soit osmotiques, soit encore volumogéniques. Au premier rang, vient la prise clandestine de laxatifs, dont la recherche devra précéder toute autre investigation dans un contexte évocateur.

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Tableau 1.
Étiologie des diarrhées motrices.

CAUSES DIGESTIVES ORGANIQUES

Cholécystectomie

Gastrectomies partielle et totale

Interventions de drainage gastrique

Résections iléales

Courtes (sels biliaires)
Longues (acides gras)

Maladies iléales

maladie de Crohn

iléite et iléocolite radiques
atrophie villositaire iléale primitive

Fistule et court-circuit intestinaux

CAUSES ENDOCRINIENNES

Hyperthyroïdie
Cancer médullaire de la thyroïde

Syndrome carcinoïde

DYSAUTONOMIE

Affections médullo-encéphaliques syndrome de Shy-Drager

maladie de Parkinson
tabès dorso-lombaire

Vagotomie tronculaire et sélective

Bloc coeliaque (sympathectomie)

Polyneuropahies diabète

amylose sporadique ou familiale
alcoolo-carentielle
insuffisance rénale

déficit en hexosaminidase
dysautonomie isolée neuropathie sensitive et autonome chronique
neuropathie autonome chronique familiale

Médicaments

DIARRHEES MOTRICES IDIOPATIQUES

 » Diarrhée indolore « *
Syndrome de l’intestin irritable*

*Fréquence d’une dysautonomie  » fonctionnelle  »