Endoscopie et anti-coagulants ou anti-agrégants : le point de vue de l’hématologiste

Consultation d’Hémostase – CHU

Aujourd’hui, le bénéfice d’un traitement anticoagulant est clairement établi dans le cadre de certaines pathologies : en effet dans la prévention des thromboses veineuses profondes (TVP) la mise sous anticoagulant divise par deux le risque d’accident et l’extrapolation de l’étude ALPHA montre que le traitement correct et adéquat des fibrillations auriculaires (600 000 cas) éviterait 7 000 accidents vasculaires cérébraux responsables de 1 800 décès et 2 250 handicaps sévères. L’utilisation des antiagrégants est bien établie à l’heure actuelle et si le bénéfice de leur utilisation n’est pas encore clairement démontré dans le cadre de la prévention de la thrombose veineuse (en dehors du syndrome des antiphospholipides), il n’en est pas de même dans le domaine de la thrombose artérielle. Par ailleurs, l’utilisation des traitements anticoagulants n’est pas dénuée de risques hémorragiques : 17 000 hospitalisations/an pour les seules hémorragies sévères liées à la prise d’anti-vitamine K (AVK).

Lors des endoscopies, les gastroentérologues semblent à ce jour plus sensibilisés par le risque hémorragique, plus immédiat, pouvant survenir lors de biopsies ou de sphinctérotomies que par le risque thrombotique. Les interventions endoscopiques chez des patients sous anticoagulants (AC) ou sous antiagrégants (AG) sont de plus en plus fréquentes et représentent un problème important au sein des Cliniques où sont réalisés les actes. Le but de cet exposé est d’essayer de donner quelques règles en fonction des dernières recommandations internationales (Conférence de consensus nord-américaine, Janvier 2001). Bien entendu, il n’existe pas de règle universelle et chaque attitude devra être adaptée d’une part au contexte clinique et d’autre part au geste envisagé.

Lors d’un acte programmé, l’interrogatoire est déterminant sur la conduite à tenir vis-à-vis du traitement AC ou AG. Il est fondamental de déterminer avec précision la raison de la mise en place du traitement AC ou AG. S’il s’avère que ce traitement est du type AG dans le cadre de la prévention secondaire de récidive d’un infarctus du myocarde ou d’AVC et que le geste envisagé va permettre une hémostase quasi-chirurgicale, il est possible soit de laisser poursuivre le traitement au patient soit de l’arrêter tout en gardant un ratio bénéfice/risque favorable pour le patient et le médecin. Il est courant chez les personnes âgées de rencontrer des traitements par AVK au long cours dont le bien fondé peut-être discutable (AVK suite à une phlébite survenue il y plusieurs années ou dans les suites d’une nécrose myocardique modérée). Après avis, quand faire se peut, du responsable de la prescription initiale, il est possible d’arrêter le traitement.

Réalisation d’un geste endoscopique chez un patient nécessitant un traitement anticoagulant

(dans la majorité des cas, il s’agit de patients placés sous AVK avec un INR supérieur à 2).

  • AVK dans le cadre de la prévention de la thrombose veineuse ou de l’infarctus du myocarde :

    Le relais sera pris par des Héparines de bas poids moléculaire (HBPM) aux doses préconisées par le fabriquant pour la prévention d’un risque faible selon le schéma exposé après.

  • AVK et fibrillation auriculaire :

    Fibrillation bien contrôlée, dans ce cas on utilisera une HBPM aux doses préconisées pour un risque faible. En cas de fibrillation mal contrôlée, l’HBPM sera utilisée aux doses mises en place dans le cadre d’une prévention de type  » haut risque « .

  • AVK et valves de remplacement :

    Le relais sera pris par une HBPM utilisée à doses curatives ou pour une prévention  » haut risque « .

    Schéma du relais AVK/HBPM/AVK

  • Arrêt des AVK cinq jours (J-5) avant l’acte avec détermination de l’INR du jour ;
  • Mise en place d’une HBPM à J-4 ;
  • Arrêt de l’HBPM à J-1 avec un bilan d’hémostase (INR, TCA, plaquettes) ;
  • Reprise de l’HBPM 12 à 24 heures après l’acte ;
  • Reprise des AVK 24 heures après la reprise de l’HBPM ;
  • Arrêt de l’HBPM quand 2 INR à deux jours d’intervalle sont compris entre 2 et 3.
  • Surveillance biologique du traitement :
    Pas nécessaire en dehors de la numération plaquettaire selon les recommandations habituelles pour l’utilisation d’HBPM à doses préventives en dehors d’un éventuel déficit en ATIII où la mesure de l’activité anti-Xa est indispensable à l’équilibration du traitement.

    Pour l’utilisation d’HBPM à doses curatives, seule l’activité anti-Xa doit être prise en compte. En effet, en fonction de l’HBPM utilisée, il peut être mis en évidence un allongement du TCA dépendant du ratio : activité anti-Xa/anti-IIa, spécifique de l’HBPM utilisée mais sans relation, dans l’état actuel de nos connaissances, sur l’efficacité préventive. Pour être efficace, l’activité anti-Xa doit être comprise entre 0.5 et 1 UI/ml si deux injections sont envisagées dans le schéma thérapeutique (prélèvement effectué 3-4 heures après une injection) et entre 0.5 et 1.8 UI/ml lorsqu’une seule injection quotidienne est réalisée (prélèvement effectué 4-6 heures après une injection).

Réalisation d’un geste endoscopique chez un patient nécessitant un traitement antiagrégant plaquettaire

En pratique quotidienne, les antiagrégants les plus fréquemment rencontrés sont représentés par l’aspirine et par les thiénopyridines (Ticlid et Plavix). Traditionnellement, il est admis que la prise de ces substances perturbent les fonctions plaquettaires pour une dizaine de jours. Ceci reste d’actualité pour les substances de la classe des thiénopyridines d’autant plus qu’il n’existe aucun test biologique fiable capable d’objectiver le retour à la normale des fonctions plaquettaires. Pour l’aspirine, c’est un peu différent. En effet, les fonctions anti agrégantes sont obtenues à de faibles doses (de 75 à 160 mg/jour) et il semble exister une certaine corrélation ou relation poids/efficacité (ou susceptibilité individuelle). En dehors du temps de saignement (dont la réalisation et l’interprétation sont toujours aussi délicate en dehors des milieux très spécialisés), il existe un test biologique récent, le temps d’occlusion qui permet d’objectiver spécifiquement les effets de l’aspirine (ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens) sur l’agrégation plaquettaire. Malheureusement, ce test ne s’est pas encore généralisé à l’ensemble des laboratoires et sa non prise en charge financière en limite l’utilisation. Toutefois, son utilisation permet de mettre en évidence le plus souvent un retour à la normale des fonctions plaquettaires 3-4 jours après l’arrêt du traitement. Par ailleurs, il faut rappeler que l’action de l’aspirine peut être neutralisée pour quelques heures (4-8 heures) par l’administration de desmopressine (Minirin, administration renouvelable).

La réalisation d’un geste endoscopique chez un patient sous antiagrégants reste problématique et la bonne attitude est bien entendu comprise entre les deux extrêmes : ne pas en tenir compte ou ne rien faire avant dix jours sans traitement. Le risque hémorragique reste modéré mais reste certainement sous estimé comme dans les autres disciplines médicales. Il est de plus en plus fréquent de rencontrer en consultation d’hémostase des patients ayant bénéficié d’un traitement AG adressés pour exploration suite à un problème hémorragique.

L’ensemble des recommandations exposées ci-dessus doit être mis en relation avec le geste envisagé. En effet, il est rare de rencontrer d’importants problèmes hémorragiques avec les gestes comportant des biopsies circonscrites ou des ablations de polypes pédiculés. Ce risque est beaucoup plus important lors des interventions du type sphinctérotomie, mucosectomie, macrobiopsie, …