Intérêt diagnostique et thérapeutique des microsatellites dans le cancer colorectal

Microsatellites et instabilité microsatellitaire

Les microsatellites sont des petites séquences d’ADN, non codantes, réparties aléatoirement dans le génome. Elles sont souvent caractérisées par des répétitions de binucléotides identiques (ex. : ACACACACAC…).

Les microsatellites sont les témoins privilégiés d’un dysfonctionnement cellulaire au cours de la réplication, étape intervenant avant la division cellulaire et assurant le dédoublement de l’ADN. En effet, au cours de la réplication de l’ADN, se glissent fréquemment des erreurs d’appariement des bases induisant des erreurs de séquence au sein de l’ADN répliqué. Lors du processus normal, ces erreurs sont automatiquement corrigées, en cours de réplication, par un ensemble coordonné de protéines : les protéines du système MMR (pour Mismatch Repair). Cette correction assure ainsi la préservation de la séquence de l’ADN qui sera transmis aux cellules filles.

Les microsatellites sont, du fait de leur séquence répétitive, des structures particulièrement exposées aux erreurs de réplication (RER). Ainsi, lorsque le système de réparation des erreurs de réplication est défaillant, on retrouve très facilement au niveau des microsatellites répliqués, des erreurs se traduisant le plus souvent par un nombre de répétition des nucléotides non conservé (soit plus élevé soit plus faible par rapport à la séquence originale du microsatellite considéré). Ces variations de séquence au niveau des microsatellites, identifiables par techniques de biologie moléculaire à base de PCR, se nomment : instabilité microsatellitaire (IMS).

Le système protéique des erreurs de réparation est constitué d’une famille de protéines (protéines du système MMR) dont les principales sont les protéines MSH2, MLH1, MSH6, PMS1, PMS2, etc. Les gènes codant pour ces protéines sont respectivement les gènes hM6H2, hMLH1…

Cancer colorectal et instabilité microsatellitaire

La survenue d’un cancer résulte d’une succession et d’une accumulation d’événements cellulaires pathologiques conduisant, à terme, à la perte du contrôle prolifératif. Actuellement, au sein des cancers colorectaux (CCR) sporadiques, deux principales voies de carcinogenèse colique ont pu être identifiées. La voie de cancérogenèse la plus fréquente (85 %) résulte essentiellement d’une perte de fonction de plusieurs gènes suppresseurs de tumeur tels que les gènes APC, Ki-ras, P53,… L’autre voie, minoritaire (15 %), résulte essentiellement de l’inactivation des gènes MMR entraînant une accumulation rapide de mutations d’autres gènes dans la cellule. Ainsi, environ 15 % des CCR sporadiques présentent une IMS.

Par ailleurs, il existe des formes héréditaires de CCR qui ne représentent que moins de 5 % environ de l’ensemble des CCR mais qui ont servi de base aux études des mécanismes de carcinogenèse. Le syndrome HNPCC (ou syndrome de Lynch) est dû à la présence d’une mutation constitutionnelle (1) d’un gène codant pour une protéine MMR (MLH1 le plus souvent, parfois MSH2, rarement les autres gènes). Ainsi, presque tous les CCR liés au HNPCC ont une IMS.

La recherche d’IMS d’un CCR est réalisée à partir d’ADN tumoral (comparé à l’ADN constitutionnel extrait de lymphocytes périphériques ou de tissu colique sain). Les techniques d’analyse nécessitent le plus souvent que l’échantillon tumoral ait été fixé dans du formol et non dans du liquide de Bouin.

Intérêt diagnostique

Les syndromes HNPCC posent le problème de leur reconnaissance au sein de l’ensemble des CCR sporadiques. En effet, leur phénotype n’est pas spécifique même s’il existe des caractéristiques cliniques évocatrices telles que le caractère familial, l’âge précoce, le caractère plurifocal, la localisation colique droite, l’association à d’autres tumeurs (notamment de l’endomètre)… Or il est actuellement bien établi que le dépistage du syndrome HNPCC permet d’en réduire drastiquement la morbidité et la mortalité [1]. La recherche d’IMS peut nous aider à mieux identifier les syndromes HNPCC et doit s’intégrer dans une stratégie où la sélection clinique des patients à tester reste la première étape.

La reconnaissance des CCR dans le cadre de syndromes HNPCC est facile lorsque que tous les critères cliniques et familiaux sont réunis (Critères d’Amsterdam modifiés (2)) [2]. Néanmoins, ces critères ont été élaborés pour permettre de sélectionner des familles pour des études mais en aucun cas ils ne représentent une définition exclusive du syndrome HNPCC. Il est clair que d’authentiques syndromes HNPCC ne présentent pas ces critères. L’âge précoce au diagnostic (CCR avant 40 ou 50 ans), le caractère multiple synchrone ou métachrone du CCR, les antécédents personnels et familiaux de cancers appartenant au spectre tumoral du syndrome HNPCC (et notamment du cancer de l’endomètre) sont des facteurs cliniques prédictifs de l’existence d’un syndrome HNPCC [3-7].

Ainsi, les patients présentant ce type de caractéristiques (de type  » critères d’Amsterdam incomplets « ) sont des candidats à des investigations génétiques afin de rechercher un éventuel HNPCC. Ces investigations ne peuvent pas reposer uniquement sur la recherche d’une mutation constitutionnelle d’un gène MMR. En effet, si l’identification d’une telle mutation permet d’affirmer l’existence du HNPCC, la complexité et le coût de cette analyse nécessitent de ne la réserver qu’aux cas où le diagnostic de HNPCC est certain ou hautement probable (présence des critères d’Amsterdam). La recherche d’IMS peut donc représenter un outil d’aide diagnostique. En effet, près de 95 % des tumeurs HNPCC ont une IMS. Cependant, ce test n’est pas spécifique puisque 15 % environ des CCR sporadiques ont aussi une IMS. La valeur prédictive positive (VPP) d’une IMS est très faible lorsque ce test est réalisé à l’ensemble des malades atteints de CCR : le fait d’avoir une IMS n’est que rarement révélateur d’un HNPCC. En revanche, chez des patients sélectionnés sur des critères cliniques évocateurs de HNPCC (de type CA incomplets), la VPP est élevée. La recherche d’IMS semble donc constituer un bon outil de dépistage d’HNPCC chez des sujets présélectionnés [8]. Une mutation constitutionnelle MMR serait alors identifiée chez près de la moitié des patients pré-selectionnés et présentant un CCR avec IMS [5, 6]. Actuellement, parallèlement à la recherche d’IMS, d’autres outils diagnostiques tels que l’étude immunohistochimique des protéines MMR au sein de la tumeur font l’objet d’études [3].

Intérêt thérapeutique

Au cours d’un CCR, la présence d’une IMS semble être un facteur de bon pronostic par rapport aux CCR sans IMS. En effet, au cours des deux dernières années plusieurs séries ont étudié, le plus souvent de façon rétrospective, le facteur pronostique du caractère RER positif (IMS) chez des patients atteints de CCR sporadiques. L’IMS serait un facteur de bon pronostic, indépendamment des autres critères pronostiques communément admis (et notamment du stade tumoral) et confère, notamment, un pouvoir métastatique moindre [9-11]. De plus, le statut RER + semble être un facteur prédictif déterminant de réponse à la chimiothérapie adjuvante des CCR de stade III [12-14]. Il existe cependant des études discordantes [15] ; ces résultats devront être confirmés sur d’autres séries et de façon prospective.

Ces constatations incitent fortement à prendre en considération cette caractéristique biologique au cours des prochains essais thérapeutiques afin de mieux déterminer son rôle dans la réponse au traitement. Il est cependant trop tôt pour considérer aujourd’hui que ces données aient des répercutions thérapeutiques en pratique clinique. Nul doute cependant, qu’au cours des prochaines années cet indice fera partie des éléments décisionnels dans le choix thérapeutique des patients présentant un CCR.

 

RÉFÉRENCES

  • 1. JARVINEN HJ et al. – Controlled 15-year trial on screening for colorectal cancer in families with hereditary nonpolyposis colorectal cancer. Gastroenterology 2000 ; 118 (5) : 829-834.
  • 2. VASEN HF et al. – New clinical criteria for hereditary nonpolyposis colorectal cancer (HNPCC, Lynch syndrome) proposed by the International Collaborative group on HNPCC. Gastroenterology 1999 ; 116 (6) : 1453-1456.
  • 3. SALAHSHOR S et al. – Microsatellite Instability and hMLH1 and hMSH2 expression analysis in familial and sporadic colorectal cancer. Lab Invest 2001 ; 81 (4) : 535-541.
  • 4. SMYRK TC et al. – Tumor-infiltrating lymphocytes are a marker for microsatellite instability in colorectal carcinoma. Cancer 2001 ; 91 (12) : 2417-2422.
  • 5. TERDIMAN JP et al. – Efficient detection of hereditary nonpolyposis colorectal cancer gene carriers by screening for tumor microsatellite instability before germline genetic testing. Gastroenterology 2001 ; 120 (1) : 21-30.
  • 6. SALOVAARA R et al. – Population-based molecular detection of hereditary nonpolyposis colorectal cancer. J Clin Oncol 2000 ; 18 (11) : 2193-2200.
  • 7. LIU T et al. – Missense mutations in hMLH1 associated with colorectal cancer. Hum Genet 1999 ; 105 (5) : 437-441.
  • 8. AALTONEN LA et al. – Incidence of hereditary nonpolyposis colorectal cancer and the feasibility of molecular screening for the disease. N Engl J Med 1998 ; 338 (21) : 1481-1487.
  • 9. GRYFE R et al. – Tumor microsatellite instability and clinical outcome in young patients with colorectal cancer. N Engl J Med 2000 ; 342 (2) : 69-77.
  • 10. SAMOWITZ WS et al. – Microsatellite instability in sporadic colon cancer is associated with an improved prognosis at the population level. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2001 ; 10 (9) : 917-923.
  • 11. GUIDOBONI M et al. – Microsatellite instability and high content of activated cytotoxic lymphocytes identify colon cancer patients with a favorable prognosis. Am J Pathol 2001 ; 159 (1) : 297-304.
  • 12. HEMMINKI A et al. – Microsatellite instability is a favourable prognostic indicator in patients with colorectal cancer receiving chemotherapy. Gastroenterology 2000 ; 119 (4) : 921-928.
  • 13. ELSALEH H et al. – Association of tumour site and sex with survival benefit from adjuvant chemotherapy in colorectal cancer. Lancet 2000 ; 355 (9217) : 1745-1750.
  • 14. WATANABE T et al. – Molecular predictors of survival after adjuvant chemotherapy for colon cancer. N Engl J Med 2001 ; 344 (16) : 1196-1206.
  • 15. FEELEY KM et al. – Microsatellite instability in sporadic colorectal carcinoma is not an indicator of prognosis. J Pathol 1999 ; 188 (1) : 14-17.

(2) Une mutation constitutionnelle est présente dans toutes les cellules dès la naissance (elle est héréditaire), par opposition aux mutations dites  » somatiques  » qui ne sont présentes que dans les cellules tumorales.