La vidéo-capsule électroniquedans l’exploration de l’intestin grêle : gadget ou nouvelle investigation d’avenir

Introduction

Présentée lors de la DDW (AGA San Diego, Mai 2000) par Paul SWAIN,
la capsule vidéo-endoscopique M2A élaborée par Given Imaging Ltd (Yoqneam, Israël), et commercialisée avec une promotion efficace, suscite un vif intérêt chez les patients alors que les médecins sont plus réservés et montrent un certain scepticisme quant à l’utilité de la technique.

Cependant, la capsule vidéo-endoscopique ne manque pas d’exciter leur imagination dans la mesure où elle permettrait l’exploration aisée de segments digestifs jusque-là difficiles à atteindre : l’intestin grêle. Son utilisation clinique est d’ailleurs actuellement évaluée, avec des résultats prometteurs, sur l’intestin grêle, plus spécifiquement pour l’exploration des patients présentant une anémie chronique obscure, c’est-à-dire d’origine indéterminée, qu’elle soit occulte ou extériorisée. Le but de cet article est de décrire son principe, ses modalités de fonctionnement, la manière dont l’examen est réalisé et les résultats déjà obtenus dans l’exploration de l’intestin grêle par comparaison avec la vidéo-entéroscopie poussée (VEP), et ensuite d’essayer de préciser les développements futurs de la technique, pour répondre à la question : faut-il s’équiper de ce matériel ?

Principe

Reprenant le principe déjà développé par Grenier dans les années 80, la mise au point de cette capsule vidéo-endoscopique a été rendue possible par le développement extrêmement rapide de trois technologies utilisées dans d’autres domaines : (a) une puce électronique appelée CMOS (Complementary Metal Oxide Silicone, 65000 pixels) extrêmement petite et capable de donner une image comparable à celle obtenue par un CCD de caméra de télévision portable, (b) un système ASIC (Application Specific Integrated Circuit) qui autorise l’intégration d’un transmetteur vidéo de petite taille consommateur d’une faible quantité d’énergie et (c) un éclairage puissant, miniaturisé de type LED (white light emetting – diode). L’ensemble de ces trois éléments est placé dans une capsule ingérable de 11 * 26 mm [1].

Comment réalise-t-on un examen ?

La puce CMOS et la source lumineuse LED permettent la transmission d’images en couleur de la muqueuse intestinale à l’instar de ce qui est observé lors d’une vidéo-endoscopie électronique mais sans connexion extérieure. Le système créé par GIVEN IMAGING® est capable de capter et transmettre deux images par seconde à un système d’antennes appliqué sur la peau du patient, connecté à un enregistreur télémétrique à bande de haute fréquence fixé à la ceinture. Les images télétransmises sont stockées dans cet enregistreur et examinées plus tard après transfert sur une station de travail (PC) reliée à un moniteur vidéo. La lecture des images enregistrées peut se faire à différentes vitesses avec des arrêts et des retours si on le juge nécessaire. Des images non enregistrées peuvent être obtenues en temps réel. Pendant que les images sont captées, il est possible de calculer approximativement la position de la capsule dans l’intestin. Le déplacement de la capsule s’effectue grâce aux mouvements péristaltiques, sans intervention extérieure. Les images sont transmises pendant une durée de six heures. Le patient est libre de ses mouvements après avoir ingéré la capsule. L’élimination de la capsule se fait dans les selles, dans les 24 à 48 heures, en fonction du transit du patient ; aucune préparation spécifique n’est recommandée jusqu’à présent [1].

L’utilisation de la capsule vidéo-endoscopique est-elle sûre ?

Son utilisation a initialement été validée par des expériences sur des animaux [2]. Les batteries (oxyde d’argent), n’entrent pas en contact avec la muqueuse. On sait que la toxicité liée à l’ingestion accidentelle de telles batteries a été évaluée dans des services pédiatriques et ne s’accompagne d’aucun effet délétère lorsque celles-ci s’impactent dans l’sophage [3] ; la capsule n’entraîne pas de lésion macroscopique ou microscopique au niveau de l’intestin grêle. Par contre, le risque de blocage est réel en présence d’une sténose digestive constituée. Signalons qu’à ce jour, aucun cas n’a été rapporté où une intervention chirurgicale aurait été nécessaire pour récupérer une capsule bloquée en amont d’une sténose digestive, dans les expérimentations cliniques menées actuellement aux USA et en Europe.

Résultats publiés dans la littérature et dans les congrès

  1. Seul l’intestin grêle est actuellement l’objet d’études pour l’évaluation de la capsule vidéo-endoscopique GIVEN IMAGING®. En effet, l’éclairage est insuffisant pour explorer complètement l’estomac, en particulier la grosse tubérosité. Il en va de même pour le côlon, sans compter que pour permettre l’examen de cet organe, il faudrait envisager une préparation, comparable à celle réalisée avant une coloscopie et d’autre part, disposer d’une durée de vie plus longue des batteries de la capsule. Les études actuellement disponibles ont en effet montré que le temps de transit oro-anal de la capsule était en moyenne de 22 heures.
  2. Les études actuellement disponibles chez l’homme ne concernent que l’exploration de l’intestin grêle. Elles ont été réalisées chez des patients porteurs d’une anémie chronique obscure, extériorisée et/ou occulte, nécessitant le plus souvent des transfusions répétées. Les endoscopies classiques haute et basse, réalisées à plusieurs reprises étaient toujours négatives et beaucoup avaient bénéficié d’un examen tomodensitométrique et isotopique, également négatif. Ainsi parmi les quatre premiers patients explorés [4], la capsule permettait de mettre en évidence des lésions angiodysplasiques au niveau du jéjunum et de l’iléon chez trois d’entre eux, autorisant un traitement spécifique.
  3. Trois études contrôlées, réalisées dans ce cadre nosologique et comparant la VEP et la capsule endoscopique sont actuellement terminées et publiées ou en cours de publication. La première, celle de B. Lewis, rapportée lors de la DWW de 2001 à Atlanta [5] a montré chez 11 patients porteurs d’une anémie chronique, obscure à endoscopies haute et basse, négatives, un gain diagnostique supplémentaire de 20 à 30 % par rapport à la VEP. Plus précisément, le temps moyen de transit de l’intestin grêle était de 251 min (163-383 min). Le côlon était atteint par toutes les capsules en 7 heures. Le temps moyen d’examen par le médecin des enregistrements fournis par la capsule était de 56 minutes (34-94 min), une source d’hémorragie était identifiée chez 7 des 11 patients (64 %). Aucun diagnostic supplémentaire n’était fait par la VEP. Il est important de souligner que parmi 9 patients avec VEP normale, 5 présentaient des lésions iléales qui ne pouvaient être observées que par la capsule.

L’expérience italienne à paraître [6] réalisée chez 25 patients dans la même indication fait état du diagnostic d’une lésion potentiellement hémorragique chez 12 d’entre eux (48 %) lors de l’examen par la capsule alors que la VEP préalable était négative. Il faut souligner dans cette expérience, une tumeur jéjunale ignorée par la capsule, retrouvée par la VEP.

La troisième, réalisée en France (Lyon, Paris, Nancy) [7] avait comme objectif d’évaluer l’efficacité diagnostique de la vidéo-capsule électronique par rapport à la VEP chez les patients porteurs d’anémie chronique obscure, extériorisée ou non, ayant un bilan endoscopique – endoscopies haute et basse – négatif et une tomodensitométrie intestinale normale. Compte tenu des données de la littérature [8], dans cette indication, le gain diagnostique de la VEP est d’environ 35 %. Aussi, en se basant sur l’hypothèse que la capsule apporterait un diagnostic chez 60 % des patients, 45 patients devaient être inclus. C’est en fait 60 patients qui furent inclus en 6 mois. Sur 58 patients évaluables, 24 nécessitaient des transfusions répétées. Une VEP a pu être réalisée dans tous les cas, après la réalisation de l’examen du grêle par la capsule vidéo-électronique, par un opérateur n’en connaissant pas les résultats. Tous les enregistrements obtenus par la capsule et la VEP ont été relus par deux opérateurs indépendants. Un diagnostic positif était obtenu par la capsule vidéo-électronique chez 42 patients, par la VEP chez 32 (p = 0,04). Chez 27 patients, les deux techniques objectivaient les mêmes lésions. La capsule vidéo-électronique retrouvait des lésions manquées par la VEP chez 26 patients, l’inverse était relevé chez 6 patients.

Au total, la capsule vidéo-électronique M2A dans cette étude augmentait le gain diagnostique de 56 à 78 % par rapport à la VEP, chez des patients explorés en ambulatoire, sans complication liée à la réalisation de cet examen. Les lésions retrouvées par l’exploration avec la capsule vidéo-électronique étaient : 28 malformations artério-veineuses, 8 ulcérations, 1 tumeur, 8 ectasies veineuses, une maladie coeliaque. L’examen était normal chez 12 patients.

Quelles indications pour la capsule en décembre 2001 ?

Le système capsule – station de travail est actuellement disponible en France, sa commercialisation a débuté. La capsule est disponible à titre individuel au prix de 460 e, non remboursables. Une demande de remboursement dans le cadre du TIPS est actuellement en cours d’évaluation pour les patients porteurs d’une anémie chronique, obscure, suspecte d’être d’origine intestinale, ayant eu un bilan endoscopique négatif, et en l’absence de signes évocateurs d’une sténose digestive. Dans cette indication, elle devrait être mise en uvre avant la VEP.

Quel développement futur faut-il attendre ?

  1. Nul doute que cette technologie ouvre des perspectives passionnantes. Elle réalise l’analyse de la muqueuse de l’intestin grêle dans des segments inaccessibles à l’endoscopie classique, notamment à la VEP. Il est certain que tant les médecins que les malades peuvent espérer dans le futur pouvoir explorer le côlon et l’estomac. Des progrès technologiques seront cependant nécessaires pour atteindre cet objectif : éclairage plus puissant, batteries plus puissantes et d’une durée de vie plus longue, manipulation à distance, détection automatique des lésions hémorragiques, contrôle de la progression dans l’intestin grêle, amélioration du champ de vision, de la qualité des images obtenues et localisation précise de la capsule. Plusieurs détails techniques doivent être précisés pour la mise en uvre de ces examens : nécessité de débuter l’examen à une période précise de la journée, réalisation d’une préparation colique systématique et quel type de préparation … [9].

    Enfin, il faut souligner la difficulté d’interprétation de certaines images qui nécessiteront un consensus scientifique.

  2. Dans l’état actuel de son développement et des résultats qui peuvent être analysés, il convient de signaler que certaines lésions peuvent être objectivées au niveau du côlon lorsque le temps de transit de la capsule le permet [10]. Des modifications dans la stratégie de l’exploration des malades fragiles qui ne peuvent supporter des endoscopies répétées, peuvent être suggérées en proposant une exploration première par la capsule.

La capsule vidéo-endoscopique doit-elle faire peur aux gastro-entérologues ?

On aurait pu penser qu’aidés par des logiciels d’interprétation automatique, l’interprétation des images échappe aux médecins spécialistes et soit confiée à des omni-praticiens, voire à des infirmières. En fait, leur analyse est longue (1 h 30 en moyenne, voire 3 heures), une nouvelle séméiologie doit être apprise et analysée. Nous l’avons déjà dit, une codification selon la  » minimal standard terminology  » paraît indispensable. Certains aspects sont difficiles d’interprétation : dilatations veineuses, phlébectasies. Ces lésions participent-elles aux anémies que présentent ces patients. En un mot, la capsule nécessite les connaissances de Gastro-entérologues avertis, entraînés à la lecture d’images endoscopiques. Sa mise en uvre dans une stratégie d’exploration doit être discutée en confrontation avec les autres investigations disponibles actuellement, d’autant que les conséquences de l’interprétation des images obtenues peuvent conduire à une VEP thérapeutique, une entéroscopie per-opératoire voire à la chirurgie.

En conclusion

La capsule est un progrès réel en matière de diagnostic des maladies de l’intestin grêle. Cependant des études de validation sont nécessaires pour essayer de cerner son champ d’application par comparaison aux autres méthodes endoscopiques, à l’exploration radiologique (entéroscanner, IRM) qui bénéficie d’un développement constant. Il n’en reste pas moins que pour l’intestin grêle comme le disait J.D. Waye dans un article récent [11] :  » on peut considérer que l’intestin grêle n’est plus la boîte noire  » ou pour reprendre la déclaration de B. Krevsky [12] :  » l’intestin grêle n’est plus la dernière frontière « . Nous pensons qu’actuellement, il est raisonnable d’envisager un tel équipement, soit en milieu hospitalier, soit sur un plateau technique rassemblant plusieurs spécialistes en exercice libéral pour se familiariser avec cette nouvelle technologie. D’autres firmes proposeront dans un futur proche des matériels peut-être plus étonnants, basés sur les mêmes principes techniques.

REFERENCES

  • 1. IDDAN G, MERON G, GLUKHOVSKY A, SWAIN P. – Wireless capsule endoscopy. Nature 2000 ; 405 : 417.
  • 2. APPLEYARD M, FIREMAN ZY, GLUKHOVSKY A, JACOB H, SHREIVER R, KADIRKAMANATHAN S, LAVY A, LEWKOWICZ S, SCAPA E, SHOFTI R, SWAIN P, ZARETSKY A. – A randomized trial comparing wireless capsule endoscopy with pus enteroscopy for the detection of small bowel lesions. Gastroenterology 2000 ; 119 : 1431-1438.
  • 3. LITOVITZ T, SCHMITZ BF. – Ingestion of cylindrical and button batteries : an analysis of 2832 cases. Pediatrics 1992 ; 83 : 747-757.
  • 4. APPLEYARD M, GLUKHOVSKY A, SWAIN P. – Wireless capsule diagnostic endoscopy for recurrent small bowel bleeding (letter). N Engl J Med 2001 ; 344 : 232-233.
  • 5. LEWIS BS, SWAIN P. – Capsule endoscopy in the evaluation of patients with suspected small intestinal bleeding : the results of the first clinical trial. Gastrointest. Endosc. 2001 ; 53 : AB 70 (Abstract).
  • 6. PENNAZIO M, SANTUCCI R, ROSSINI FP. – Wireless capsule endoscopy in patients with obscure gastro-intestinal bleeding : preliminary results of italian multicentric experience (abstract). Dig. Liv. Dis. 2001 ; 33 : à paraître.
  • 7. SAURIN J.C, FASSLER I, VAHEDI K, GAUDIN J.L, BITOUN A, CANARD J.M, VILLAREJO J, GAY G, PONCHON Th, FLORENT Ch, et la SFED. – Evaluation du système vidéo capsule par rapport à l’entéroscopie poussée dans le diagnostic des anémies chroniques secondaires à un saignement digestif occulte. Gastroentérol Clin Biol 2002 ; 26 : Résumé (à paraître).
  • 8. VAN GOSSUM A. – Obscure digestive bleeding. Best practice and research. Clinical Gastroenterology 2001 ; 15 : 155-174.
  • 9. ROSSINI F.P. PENNAZIO M. – Small bowel-endoscopy. Endoscopy 2002 ; 34 : 13-20.
  • 10. GAY G, DELVAUX M, FASSLER I, LAURENT V, PETER A. – Obscure intestinal bleeding : should we evaluate the wireless endoscope beyond the small intestine ? Gastrointest. Endosc. 2002 (à paraître).
  • 11. WAYE D. Small intestinal endoscopy. Endoscopy 2001 ; 33 : 24-30.
  • 12. KREVSKY B. Exploring the final frontier. Gastroenterology 1991 ; 100 : 838-839.