Le colopathe

Le colopathe est ce malade dont le diagnostic correspond à un syndrome de l’intestin irritable, facilement établi en fonction des critères de Rome [1] au vu d’une coloscopie normale. Malade chronique puisque par définition [1], il souffre plus de 3 mois par an de son abdomen, le colopathe sait bien que ses symptômes sont aggravés par le stress. Face à ce trouble chronique et bénin, il est tentant d’agir sur la personnalité du malade pour prévenir les rechutes.

La littérature classique a volontiers insisté sur la personnalité particulière de ces patients, décrivant l’hypochondriaque obsédé par ses performances intestinales, l’hystérique envahissant le cabinet de son médecin avec ses plaintes multiples, ou encore le paranoïaque systématiquement aggravé par les effets secondaires de son traitement. Si ces descriptions caricaturales correspondent à des observations isolées bien connues des gastroentérologues, il faut bien reconnaître qu’elles ne sont pas d’une grande aide dans la pratique quotidienne. Bien entendu, il arrive de voir un patient qui dit n’avoir jamais de besoins exonérateurs, ne jamais aller à la selle malgré des présentations répétées aux toilettes, en dépit d’un temps de transit des marqueurs radiopaques d’une vingtaine d’heures. Mais ce patient est alors plus proche d’un trouble obsessionnel compulsif que de cette très nombreuse cohorte de colopathes, source de multiples consultations [2].

Au cours des années 1980-1990, les études cliniques visant à établir un lien entre la colopathie et des troubles psychologiques ont été poursuivies en utilisant des échelles de profil psychopathologique validées. Wald et coll [3], utilisant la  » Hopkins system check list « , ont comparé des patients consultant pour constipation selon que le temps de transit des marqueurs radiopaques était normal ou allongé. Les patients constipés avec un temps de transit des marqueurs normal étaient significativement différents des sujets contrôles et des patients constipés avec un temps de transit des marqueurs allongé, en particulier pour les scores de dépression et d’anxiété. Devroede et coll [4], utilisant le Minnesota Multiplasic Personnality Inventory (MMPI), ont comparé des patientes constipées qui avaient toutes un allongement important du temps de transit des marqueurs radiopaques. Ces auteurs distinguaient les patientes en fonction de la nature fonctionnelle ou organique (inertie colique) de leur constipation. Les résultats du MMPI étaient différents entre les patientes constipées et un groupe contrôle apparié souffrant de maladie rhumatologique chronique. Les résultats n’étaient pas différents selon la nature fonctionnelle ou organique de la constipation.

Dans le travail de Talley et coll, les échelles de personnalité, déterminées par l’utilisation du MMPI, n’étaient pas différentes entre les patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable et ceux suivis pour dyspepsie non ulcéreuse [5]. Surtout, ces auteurs n’observaient pas de différence entre les échelles de personnalité des patients souffrant d’intestin irritable et celle des patients suivis pour une maladie organique (principalement reflux gastro-sophagien, maladie ulcéreuse et colites inflammatoires).

En résumé, les études utilisant des échelles de personnalité confirmaient les données cliniques classiques, avec des traits marqués d’hystérie, d’hypochondrie, de paranoïa, et une tendance assez nette à la dépression et à l’anxiété. Toutefois, ces études ne montraient pas de différences majeures entre les colopathes et des  » reflueurs  » par exemple [5], suggérant que les troubles psychologiques ne représentaient pas une explication majeure à l’origine des troubles fonctionnels intestinaux [5].

Au cours des années 1990-2000, les études s’intéressant au lien entre colopathie et troubles de personnalité ont renoncé à chercher un lien de causalité et se sont surtout intéressées à prendre en considération les troubles de personnalité dans le cadre d’une prise en charge globale des colopathes. Les résultats de Wald et coll [3] suggéraient déjà que la plainte constipation pouvait représenter un symptôme demande d’aide chez les patients consultant malgré un temps de transit objectif normal.

En 1988, Drossman et coll [6] démontraient que les échelles du MMPI étaient significativement différentes entre des sujets contrôles et des patients consultant pour syndrome de l’intestin irritable. Mais les patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable mais ne consultant pas pour leurs symptômes n’étaient pas différents de celle des sujets contrôles. Ces résultats suggéraient donc que les troubles de personnalité observés chez le colopathe ne dépendaient pas tant de la colopathie elle-même que de l’état psychologique du patient souffrant de colopathie [6]. En 2000, Drossman et coll [7] démontraient que les troubles fonctionnels digestifs les plus sévères s’observaient surtout chez des patients ayant des troubles de personnalité, en particulier des scores de dépression élevés et une mauvaise capacité de faire face à la maladie. Les auteurs recommandaient donc d’étudier et de traiter la comorbidité psychiatrique associée à la colopathie.

En 2002, à l’issue de ce survol des 20 dernières années, on peut donc dire que la personnalité du colopathe est (re) devenue un objectif important de la prise en charge qui a fait l’objet d’un rapport d’experts [8]. Ce rapport propose :

  • d’agir au niveau de la relation médecin/malade ;
  • de rechercher un lien entre le symptôme fonctionnel digestif et un événement dans le passé du patient (type abus sexuel) ;
  • de rassurer le malade sur la bénignité de sa maladie ;
  • d’apprendre au patient à devenir le manager de sa maladie chronique ;
  • d’avoir recours à des avis et prises en charge spécialisées.

Ces propositions ne sont pas toujours aisées à mettre en uvre dans la pratique et une étude a bien montré que la réalité de la prise en charge de troubles fonctionnels digestifs est assez éloignée de la conduite proposée par des experts [9]. Le temps disponible ne permet pas toujours au gastroentérologue de rechercher une association entre le symptôme et le passé du patient quand on sait que la colopathie peut représenter une véritable histoire de vie [10]. Le nombre de thérapeutes comportementalistes n’est pas suffisant pour proposer systématiquement un essai de prise en charge par exemple par l’hypnose [11].

De ce fait, la pratique clinique est limitée le plus souvent chez le colopathe à la relation thérapeutique établie lors de la consultation. Sur ce plan, le rapport d’experts [8] suggère d’être particulièrement attentif aux points suivants :

  • faire ressortir les croyances, les inquiétudes, les attentes du patient et répondre à ses besoins ;
  • faire preuve d’empathie (le malade doit se sentir cru, compris, et estimé [12]) ;
  • clarifier les malentendus ;
  • nformer le malade ;
  • établir un plan de traitement avec lui.

Deux notions paraissent importantes à prendre en considération pour aboutir au respect des objectifs de cette relation thérapeutique. Concernant les croyances, les inquiétudes et les attentes du patient, les travaux de Whitehead [13-15] ont montré l’importance de l’apprentissage social, du comportement des parents face à la colopathie, des bénéfices de l’enfant lorsqu’il  » profite  » de ses symptômes somatiques pour recevoir des récompenses. Cet apprentissage joue un rôle déterminant dans la demande de soins des colopathes et explique, au moins en partie, les traits de personnalité différents des colopathes selon qu’ils consultent ou ne consultent pas pour leurs symptômes [6]. Ne pas tenir compte de l’importance culturelle qui s’attache aux racines éducatives face à la maladie risque de provoquer une mésentente avec le malade.

Pour établir un plan de traitement avec le malade, tenir compte du symptôme dominant associé à la douleur abdominale (constipation, diarrhée, ballonnement abdominal) pourrait être utile [16] même si les échelles de personnalité ne varient pas en fonction du symptôme dominant [5]. La technique de sémiométrie qui étudie non pas la personnalité mais le système de valeurs d’un individu [16] a suggéré en effet des différences nettes. Lorsque la constipation prédomine, le patient attend surtout de la douceur et de la compréhension de la part de son médecin. Le ballonné et le diarrhéique s’opposent puisque le premier attend des consignes thérapeutiques strictes tandis que le second demande seulement des conseils et souhaite rester maître de son plan de traitement.

REFERENCES

  • 1. Thompson WG, Longstreth GF, Drossman DA, Heaton KW, Irvine EJ, Muller-Lissner SA. – Functional bowel disorders and functional abdominal pain. Gut 1999 ; 45 Suppl 2 : II43-7.
  • 2. Frexinos J, Denis P, Allemand H, Allouche S, Los F, Bonnelye G. – [Descriptive study of digestive functional symptoms in the French general population]. Gastroenterol Clin Biol 1998 ; 22 : 785-791.
  • 3. Wald A, Hinds JP, Caruana BJ. – Psychological and physiological characteristics of patients with severe idiopathic constipation. Gastroenterology 1989 ; 97 : 932-937.
  • 4. Devroede G, Girard G, Bouchoucha M, Roy T, Black R, Camerlain M, et al. – Idiopathic constipation by colonic dysfunction. Relationship with personality and anxiety. Dig Dis Sci 1989 ; 34 : 1428-1433.
  • 5. Talley NJ, Phillips SF, Bruce B, Twomey CK, Zinsmeister AR, Melton LJ, 3rd. – Relation among personality and symptoms in nonulcer dyspepsia and the irritable bowel syndrome. Gastroenterology 1990 ; 99 : 327-333.
  • 6. Drossman DA, McKee DC, Sandler RS, Mitchell CM, Cramer EM, Lowman BC, et al. – Psychosocial factors in the irritable bowel syndrome. A multivariate study of patients and nonpatients with irritable bowel syndrome. Gastroenterology 1988 ; 95 : 701-708.
  • 7. Drossman DA, Whitehead WE, Toner BB, Diamant N, Hu YJ, Bangdiwala SI, et al. – What determines severity among patients with painful functional bowel disorders ? Am J Gastroenterol 2000 ; 95 : 974-980.
  • 8. Drossman DA, Creed FH, Olden KW, Svedlund J, Toner BB, Whitehead WE. – Psychosocial aspects of the functional gastrointestinal disorders. Gut 1999 ; 45 Suppl 2 : II25-30.
  • 9. Yawn BP, Lydick E, Locke GR, Wollan PC, Bertram SL, Kurland MJ. – Do published guidelines for evaluation of Irritable Bowel Syndrome reflect practice ? BMC Gastroenterol 2001 ; 1 : 11.
  • 10. Le Breton D. – Mots et Maux de ventre : Editions Métailié Paris France ; 2000.
  • 11. Houghton LA, Heyman DJ, Whorwell PJ. – Symptomatology, quality of life and economic features of irritable bowel syndrome – the effect of hypnotherapy. Aliment Pharmacol Ther 1996 ; 10 : 91-95.
  • 12. Denis P, Dewe C, Dorival MP, Helluin C, Lecouturier MF, Malandain C, et al. – [Experience of problems caused by biofeedback among the hospital staff]. Gastroenterol Clin Biol 1990 ; 14 : 5-7.
  • 13. Levy RL, Jones KR, Whitehead WE, Feld SI, Talley NJ, Corey LA. – Irritable bowel syndrome in twins : heredity and social learning both contribute to etiology. Gastroenterology 2001 ; 121 : 799-804.
  • 14. Whitehead WE. – Psychosocial aspects of functional gastrointestinal disorders. Gastroenterol Clin North Am 1996 ; 25 : 21-34.
  • 15. Levy RL, Whitehead WE, Von Korff MR, Feld AD. – Intergenerational transmission of gastrointestinal illness behavior. Am J Gastroenterol 2000 ; 95 : 451-456.
  • 16. Denis P, Meyrand MF. – Le profil psychoculturel des patients souffrant des colons irritables diffère selon le symptôme prédominant (constipation, diarrhée, ballonnement). Gastroenterol Clin Biol 1995 ; 19 : A75.