Lymphome gastrique  » du malt  » – quoi de neuf ?

Tous les lymphomes primitifs gastro-intestinaux sont issus du MALT (mucosa associated lymphoïd tissue) digestif. Parmi ceux-ci, les lymphomes gastriques sont les plus fréquents [1]. Par abus de langage, on a tendance à restreindre le terme de lymphomes gastriques  » du MALT  » aux lymphomes à petites cellules  » centrocyte-like  » de type MALT de faible malignité décrits par Isaacson dans sa  » classification  » des lymphomes digestifs [2]. Ceux-ci se définissent selon la nouvelle classification OMS de 2001 comme des lymphomes de la zone marginale du MALT d’où ils prennent naissance [3]. Ce sont des lymphomes de faible degré de malignité, d’évolution indolente, généralement localisés et pouvant se transformer en lymphome de haut degré de malignité lorsqu’apparaît un ou plusieurs contingents de grandes cellules.

Dans près de 80 % des lymphomes gastriques de la zone marginale du MALT, le lien avec une infection chronique à Helicobacter pylori a été établi. Ceci amène à proposer en premier traitement une éradication de la bactérie [4]. Les premiers cas ont été publiés il y a 10 ans. Nous connaissons encore mal le devenir de ces lymphomes et leur physiopathologie, bien que les progrès de la biologie moléculaire nous apportent chaque année des données nouvelles sur la lymphomagenèse. Ceci explique la nécessité d’étudier et de suivre ces patients dans le cadre de protocoles comme celui du GELD (Groupe d’Etude des Lymphomes Digestifs) /FFCD en cours. Toutefois le diagnostic, le traitement et le suivi de ces lymphomes sont maintenant bien codifiés par toutes les équipes internationales impliquées dans ce domaine.

Bien qu’il s’agisse d’une affection rare, tout gastro-entérologue est susceptible d’avoir à prendre en charge un lymphome gastrique du MALT.

Le diagnostic

L’aspect endoscopique au moment du diagnostic est aspécifique et peut aller du simple érythème aux érosions ou à l’ulcération creusante entourée de gros plis, plus évocatrice. Bien que non confirmées, certaines études ont suggéré que l’importance de l’ulcération et l’aspect exophytique pouvait faire craindre une transformation en haute malignité [5, 6]. Les biopsies devront être nombreuses et porter sur la lésion (au moins 10 au total) et à distance. Les prélèvements fixés dans le liquide de Bouin permettent une analyse morphologique de bonne qualité mais fixés dans le formol à 10 %, ils autorisent le plus souvent des études immuno-histochimiques et de biologie moléculaire, en particulier les techniques d’amplifications. Dans la mesure du possible, des prélèvements doivent aussi être congelés pour les études protocolaires.

Les caractères histologiques des lymphomes de la zone marginale du MALT sont stéréotypés, associant une infiltration du chorion par des cellules lymphoïdes de petite taille,  » centrocyte-like « , des lésions lymphoépithéliales définies par une infiltration et une destruction de l’épithélium des glandes et/ou des cryptes par ces cellules et une hyperplasie lymphoïde folliculaire. Des cellules blastiques, à type de centroblastes ou immunoblastes sont souvent présentes en petit nombre. L’étude immunohistochimique démontre le phénotype B (CD20+, CD79a+) de la population tumorale, exprimant le plus souvent une IgM (plus rarement IgA ou IgG) monoclonale, retrouvée ou non dans la population plasmocytaire, ainsi que l’absence d’expression de certains anticorps (IgD, CD5, CD10, CD23), utiles au diagnostic différentiel avec d’autres lymphomes B à petites cellules.

Les techniques de biologie moléculaire avec amplification génique (PCR) peuvent permettre la mise en évidence rapide d’un réarrangement clonal du gène de la chaîne lourde des immunoglobulines. Les anomalies cytogénétiques les plus fréquemment retrouvées dans ces lymphomes de la zone marginale du MALT, sont la trisomie 3 (50 à 60 % des cas) et une translocation t (11 ;18) (30 % des cas). Pour l’instant, ces études moléculaires ne sont pas de pratique courante et n’ont aucune incidence sur la décision thérapeutique.

La recherche de Helicobacter pylori est systématique. Elle se fait sur les biopsies en histologie (la coloration Giemsa améliorant la sensibilité). La culture sur milieu Portagerm est parfois licite pour antibiogramme en cas de résistance au traitement. La sérologie doit être systématique en l’absence de Helicobacter pylori en histologie. Le statut Helicobacter pylori positif, permettant d’établir un lien probable entre la bactérie et le lymphome, est défini comme une histologie et/ou sérologie positives [4].

Hormis la sérologie de Helicobacter pylori, la biologie n’apporte aucune aide au diagnostic. On vérifiera néanmoins la négativité de la sérologie HIV, la normalité de la biologie hépatique et l’absence d’élévation du taux de LDH.

Le bilan d’extension

L’écho-endoscopie gastrique est essentielle dans l’évaluation initiale de l’extension locorégionale du lymphome et aidera au suivi du lymphome après traitement médical. Ses résultats ont une valeur pronostique et prédictive de la réponse à l’éradication de Helicobacter pylori (cf infra).

Le reste du bilan d’extension permettra de confirmer le caractère habituellement localisé du lymphome gastrique du MALT. Il doit comprendre la recherche des atteintes ganglionnaires périphériques et abdominales ou thoraciques par tomodensitométrie ; un examen ORL avec tomodensitométrie du cavum et/ou endoscopie et une biopsie médullaire. Des endoscopies digestives haute et basse avec biopsies systématiques, en particulier, au niveau iléal rechercheront une atteinte au niveau du reste du tube digestif.

Le traitement

Une fois le diagnostic de lymphome de la zone marginale du MALT et son caractère localisé confirmés, ainsi que son lien avec Helicobacter pylori établi (statut positif), le traitement d’éradication de la bactérie est entrepris. Les sept jours habituellement préconisés dans la maladie ulcéreuse duodénale suffisent a priori, mais on a souvent recours dans les protocoles pour lymphomes à 14 jours de traitement. Cette attitude a permis dans la dernière étude du GELD un taux d’éradication de première intention de 96 % et de 100 % en deuxième ligne [4].

Après l’antibiothérapie, on poursuit habituellement les antisécrétoires gastriques qui sont arrêtés quelques jours avant le prochain contrôle endoscopique.

Le suivi (Fig 1)

Un mois après la fin du traitement d’éradication de Helicobacter pylori , un contrôle endoscopique devra donc être effectué afin de vérifier l’éradication effective de la bactérie et l’absence d’extension de la lésion.

Le patient sera ensuite suivi tous les 4 mois par endoscopie et écho-endoscopie gastriques associées à des biopsies. La rémission du lymphome se définit comme la disparition des lésions endoscopiques et histologiques. Elle doit être confirmée sur au moins deux contrôles successifs [4]. Elle peut être observée à partir du sixième mois et jusqu’à 18 mois après la fin du traitement. Généralement l’écho-endoscopie se normalise aussi. Une fois la rémission affirmée, les contrôles s’effectueront tous les six mois la première année puis tous les ans ultérieurement. Dans la littérature, le recul maximal du suivi des patients en rémission est de six ans [7]. Les vraies rechutes sont classiquement précoces et rares et sont surtout associées à la persistance d’une population monoclonale dans la muqueuse gastrique après régression histologique du lymphome [7-9].

Facteurs prédictifs de régression du lymphome après éradication de Helicobacter pylori

Le statut Helicobacter pylori positif, l’absence de ganglion pathologique à l’écho-endoscopie initiale sont de bons facteurs pronostiques et laissent espérer un taux de rémission du lymphome de 80 % [4]. Indépendamment de l’atteinte ganglionnaire, les chances de régression du lymphome diminuent nettement lorsque l’atteinte initiale objectivée en écho-endoscopie s’étend au-delà de la muqueuse. Les masses tumorales importantes avec infiltration pariétale massive a fortiori dont l’aspect endoscopique n’a pas en partie régressé au premier contrôle endoscopique après traitement, doivent faire suspecter une transformation en haute malignité. Les biopsies endoscopiques généralement superficielles peuvent ignorer des territoires infiltrés par les grandes cellules.

Une étude européenne a récemment rapporté les critères histologiques et immunohistochimiques permettant de prévoir l’évolution du lymphome après antibiothérapie [10]. Les récentes études de biologie moléculaire ont aussi montré le lien entre la présence de la translocation t (11 ;18) dans les cellules lymphomateuses et la résistance du lymphome à l’éradication de la bactérie [11]. Il faudra néanmoins attendre les résultats sur des séries plus importantes pour valider ce marqueur biologique qui pourrait avoir un intérêt dans la prise en charge des patients.

Que faire si le lymphome ne régresse pas après éradication de Helicobacter pylori ?

En cas de persistance du lymphome ou pour les cas statut Helicobacter pylori négatif, on doit envisager soit un traitement chirurgical soit une radiothérapie, voire parfois une chimiothérapie.

Les résultats de la chirurgie radicale montrent selon les séries 88 à 100 % de survie à 5 ans (avec un recul de suivi de 40 à 96 mois) [6, 12-20]. La chirurgie paraît donc le traitement de référence des lymphomes gastriques de faible malignité mais la nécessité d’une gastrectomie totale (lymphomes multifocaux et explorations endoscopiques et écho-endoscopiques pas assez sensibles pour juger de son extension [21]) doit faire envisager d’autres alternatives thérapeutiques.

Les résultats de la radiothérapie exclusive en cas d’échec du traitement antibiotique sont en cours d’évaluation. Deux séries non randomisées et récemment publiées ont encore des effectifs limités ou un recul insuffisant, interdisant des conclusions définitives [22, 23]. Cependant, elles donnent d’excellents résultats (100 % de survie à 5 ans sans rechute) avec des une radiothérapie à faible dose. Celles habituellement recommandées sont de 30 Gy en fractionnement classique (5 X 1,8Gy/semaine) sur le volume gastrique et les aires ganglionnaires périgastriques.

Quant aux résultats de la chimiothérapie, ils sont à long terme décevants pour les lymphomes ganglionnaires de faible malignité à petites cellules ; ils ont de ce fait rarement été évalués dans les lymphomes gastriques localisés. Les rares études (moins de 20 patients) rapportent des rémissions initiales allant de 34 à 75 % sur un suivi encore trop court compte tenu de l’histoire naturelle de l’affection [6, 24]. Il n’y a donc pour l’instant aucun argument permettant de la recommander. Aucun essai thérapeutique n’est actuellement en cours.

Le choix entre ces différentes options va donc dépendre pour l’instant du patient (son âge et le terrain) et de la présentation clinique du lymphome. En effet, pour les masses gastriques importantes, le choix d’une gastrectomie totale permettra, outre la guérison, de vérifier l’absence de transformation en haute malignité. Pour les infiltrats lymphoïdes persistants sans extension importante pariétale gastrique, la radiothérapie moins invasive pourra être proposée mais il reste à l’évaluer dans le cadre de protocoles prospectifs. Pour ces formes, une monochimiothérapie orale par un agent alkylant (chlorambucil ou cyclophosphamide) peut aussi être envisagé compte tenu de l’évolution indolente du lymphome, en particulier chez le sujet âgé et en cas de contre-indication aux traitements loco-régionaux.

En cas de conservation de l’estomac, une surveillance régulière endoscopique devra se poursuivre, non seulement pour vérifier la non récidive du lymphome, mais aussi l’absence de survenue d’adénocarcinome gastrique ultérieure comme il a été récemment rapporté.

 

RÉFÉRENCES

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