Traitement chirurgical de la rectocèle antérieure de la femme

La rectocèle antérieure  » haute « , sus-lévatorienne, est donc une hernie de la face antérieure du rectum qui déforme la cloison recto-vaginale et bombe dans la cavité vaginale, le plus souvent sans lésion des sphincters de l’anus ni du noyau fibreux central du périnée. C’est une anomalie anatomique fréquente chez la femme après 50 ans, en particulier après un ou plusieurs accouchements par voie basse [1, 2]. Elle peut être associée à d’autres troubles de la statique pelvi-périnéale, ou rester isolée. Lorsque les symptômes paraissent clairement en relation avec la rectocèle, que les autres causes de constipation ont été éliminées ou dissociées, et que les traitements médicaux et/ou la rééducation ano-périnéale ne donnent pas d’amélioration, un traitement chirurgical est indiqué. S’agissant de la correction d’un trouble fonctionnel, principalement la dyschésie, le traitement chirurgical doit être simple, et ne pas entraîner de risque vital ni de complication secondaire, comme la décompensation d’un autre trouble de la statique pelvi-périnéale, ou de récidive [2]. La rectocèle peut être abordée par 3 voies : abdominale, périnéale ou trans-anale.

Techniques chirurgicales

Les interventions par voie abdominale sont des rectopexies au promontoire ou au sacrum par l’intermédiaire de prothèses non résorbables. Elles peuvent être réalisées par incision médiane sous-ombilicale, par voie horizontale sus-pubienne plus esthétique, ou par voie clioscopique, et éventuellement associées à des pexies du vagin (colpo-rectopexies) [5]. Ces interventions donnent de bons résultats anatomiques, les plus stables à moyen terme.

Les interventions par voie périnéale dérivent de la traditionnelle  » colpo-périnéorraphie postérieure  » utilisée en chirurgie gynécologique [3]. L’opération comporte : abord par incision cutanée transversale inter-ano-vulvaire ou colpectomie, dissection de la cloison recto-vaginale jusqu’au cul-de-sac de Douglas, plicature de la musculeuse rectale, myorraphie des muscles releveurs de l’anus, et réfection du périnée superficiel. Lehur [6] a décrit une variante plus spécifiquement destinée au traitement de la rectocèle, appelée  » plicature rectale par voie périnéale « . Une équipe du Saint Mark’s Hospital a proposé une technique de réparation de la cloison recto-vaginale avec mise en place d’une prothèse non résorbable par voie périnéale [7].

Les interventions par voie trans-anale ont pour principe commun l’abord de la face antérieure du rectum au-dessus de la ligne pectinée (le plus souvent en position ventrale dite  » de Depage « , à l’aide d’un écarteur autostatique type Parks ou de valves), et la plicature de la musculeuse du rectum sur 8 cm de hauteur. De nombreuses variantes techniques ont été décrites. La description princeps de Sullivan [4] mentionnait le décollement d’un lambeau cutanéo-muqueux depuis la marge anale, une suture à points séparés de la musculeuse rectale en 2 plans, longitudinal (selon l’axe du rectum, les points supérieurs prenant le faisceau pubo-rectal du muscle releveur de l’anus) puis transversal, et une reconstitution muqueuse en  » Y « . Sehapayak décrivait, sous anesthésie caudale, une incision longitudinale de la muqueuse rectale sans résection, une suture de la musculeuse à points séparés accrochant les releveurs, sous couvert d’un doigt intra-vaginal, et un temps complémentaire latéral gauche dont la justification restait assez mystérieuse [8]. Block prônait une technique assez sommaire de suture transfixiante sans dissection muqueuse, qui durait en moyenne 6 minutes, sous anesthésie locale en chirurgie ambulatoire [9]. Ce principe était repris par des auteurs français, qui utilisaient le matériel de viscéro-synthèse [10, 11]. Sarles publiait une technique comportant un seul plan de suture transversal, sous anesthésie loco-régionale [12]. La technique la plus utilisée actuellement est celle de Kubchandani, qui comporte une suture longitudinale puis transversale, avec résection du lambeau muqueux [13].

On ne dispose pas de données sur les résultats en termes de récidives à long terme après ces cures par voie trans-anale, mais les résultats fonctionnels à court et moyen termes sont considérés comme très bons dans 80 à 93 % des cas [4, 8, 12-16]. Deux études ont cherché à définir des critères de sélection prédictifs d’un bon résultat fonctionnel après cure de rectocèle par voie trans-anale [14, 15]. Les critères tirés de la manométrie pré-opératoire et de la défécographie n’avaient pas de valeur prédictive, y compris la taille de la rectocèle. Dans l’étude de Karlbom [15], le seul critère retenu était un critère clinique, à savoir l’existence de manuvres digitales d’éxonération. Dans les deux études, la comparaison des résultats de la défécographie avant et après la cure par voie trans-anale confirme la disparition ou la diminution significative de la taille de la rectocèle, ce facteur anatomique étant corrélé à un bon résultat fonctionnel.

Indications

  • Il n’y a pas d’indication précise au choix de la voie abdominale pour le traitement d’une rectocèle isolée, quelle qu’en soit la taille. En plus des complications secondaires possibles de toute cliotomie (éventrations, occlusions), la conséquence fonctionnelle principale des rectopexies étant une constipation parfois grave, il ne paraît pas souhaitable de recourir à la voie abdominale pour le traitement d’une rectocèle isolée responsable de dyschésie. La voie abdominale reste néanmoins indiquée lorsque coexistent d’autres troubles de la statique pelvi-périnéale pour lesquels une pexie par voie haute est la meilleure option chirurgicale (en particulier chez une femme jeune ayant déjà eu une hystérectomie), ou lorsque la rectocèle est associée à une procidence interne du rectum ou à une élytrocèle, qui devient l’indication prépondérante de la réparation [1, 5].
  • Quelles que soient les variantes techniques, les réparations par voie périnéale sont des interventions simples, rapides, bien codifiées, dont les résultats anatomiques et fonctionnels sont considérés comme bons [2]. La voie périnéale a néanmoins des complications spécifiques : douleurs, hématomes, suppurations, et surtout dyspareunie séquellaire, qui sont souvent passées sous silence dans l’analyse des résultats.
  • La voie trans-anale est indiquée pour le traitement des rectocèles à symptomatologie digestive, en général de taille moyenne et isolées (c’est-à-dire en l’absence d’autre trouble de la statique pelvi-périnéale) [1]. Les cures par voie trans-anale sont des interventions simples, reproductibles, rapides, sources d’une faible morbidité, bien acceptées par les patientes qui sont favorables à une intervention  » par voie naturelle  » qui respecte le périnée et le vagin et ne donne pas de dyspareunie post-opératoire. Leur bon résultat anatomique et fonctionnel est prouvé, au moins à court et moyen termes [16].

Conclusion

Le seul traitement d’une rectocèle symptomatique est chirurgical. La décision de traitement est surtout clinique. Le traitement repose sur la réparation de la cloison recto-vaginale. Les techniques de cure de rectocèle par voie trans-anale ou périnéale ont des avantages certains : simplicité, rapidité, bénignité. De bons résultats fonctionnels sont obtenus dans plus de 80 % des cas dans l’ensemble des séries : ces bons résultats dépendent certainement plus de la pertinence des indications opératoires que des raffinements de la technique chirurgicale.

Il n’y a pas actuellement dans la littérature d’étude comparative des résultats des différentes techniques de cure des rectocèles. Il s’agit de connaître les avantages et les inconvénients respectifs de ces techniques, et de trouver leurs meilleures indications en fonction des troubles fonctionnels et des lésions anatomiques chez chaque patiente, comme le propose Marti [1, 16].

RÉFÉRENCES

  • 1. Marti MC. – Pelvic floor disorders. In : Marti MC, Givel JC, Eds Surgery of ano-rectal diseases. 2e éd. Heidelberg : Springer Verlag, 1999 : 343-350.
  • 2. Lehur PA. – Statique pelvi-périnéale postérieure de la femme et ses troubles : données anatomiques et cliniques. Editions techniques – Encyclopédie médico-chirurgicale Gynécologie, Paris : Elsevier éd, 1996 : 290 – A 30.
  • 3. Barrat J, Pigné A, Marpeau L. – Le prolapsus génital et son traitement. Paris : Masson éd. 1988 ; 17-24.
  • 4. Sullivan ES, Leaverton GH, Hardwick CE. – Transrectal perineal repair : an adjunct to improved function after anorectal surgery. Dis Col Rect 1968 ; 11 : 106-114.
  • 5. Villet R, Morice P, Bech A, Salet-Lizée D, Zafiropulo M. – Approche abdominale des rectocèles et des élytrocèles. Ann Chir 1993 ; 47 : 626-630.
  • 6. Lehur PA, Bruley des Varannes S, Moyon J, Guiberteau-Canfrère V, Le Borgne J. – Rectocèles invalidantes : plicature rectale par voie périnéale. Chirurgie 1992 ; 118 : 516-521.
  • 7. Watson SJ, Loder PB, Halligan S, Bartram CI, Phillips RKS. – Transperineal repair of symptomatic rectocele with Marlex mesh : a clinical, physiological and radiologic assessment of treatment. J Am Coll Surg 1996 ; 183 : 257-261.
  • 8. Sehapayak S. – Transrectal repair of rectocele : an extended armamentarium of colorectal surgeons. Dis Col Rect 1985 ; 28 : 422-433.
  • 9. Block IR. – Transrectal repair of rectocele using obliterative suture. Dis Col Rect 1986 ; 29 : 707-711.
  • 10. Bresler L, Rauch P, Denis B, Grillot M, Tortuyaux JM, Regent D, Boissel P, Grosdidier J. – Traitement des rectocèles sus-lévatoriennes par voie endo-rectale : intérêt de la pince automatique à agrafage linéaire. J Chir 1993 ; 130 : 304-308.
  • 11. Maurel J, Gignoux M. – Traitement chirurgical des rectocèles sus-lévatoriennes : intérêt de l’excision par voie trans-anale à la pince automatique à agrafes linéaires. Ann Chir 1993 ; 47 : 326-330.
  • 12. Sarles JC, Arnaud A, Sielezneff I, Olivier S. – Endorectal repair of rectocele. Int J Colorect Dis 1989 ; 4 : 167-171.
  • 13. Kubchandani IT, Clancy JP, Rosen L, Riether D, Stasik JJ. – Endorectal repair of rectocele revisited. Brit J Surg 1997 ; 84 : 89-91.
  • 14. Janssen LW, Van Dijke CF. – Selection criteria for anterior rectal wall repair in symptomatic rectocele and anterior rectal wall prolapse. Dis Col Rect 1994 ; 37 : 1100-1107.
  • 15. Karlbom U, Graf W, Nilsson S, Pahlman l. – Does surgical repair of rectocele improve rectal emptying ? Dis Col Rect 1996 ; 39 : 1296-1302.
  • 16. Fabiani P, Benizri E, Gugenheim J, Mouiël J. – Traitement de la rectocèle antérieure de la femme : la voie trans-anale. Ann Chir 2000 ; 125 : 779-781.