Traitement par radiofréquence des tumeurs du foie
Définition et principe
Le courant de radiofréquence est un courant sinusoïdal de 400 à 500 KHz. Les régions traversées par ce courant subissent une agitation ionique, qui induit par friction entre les particules un échauffement tissulaire [1]. Le but est d’exposer les cellules tumorales à une température supérieure à 60° C qui provoque de façon quasi immédiate une dénaturation cellulaire irréversible. Par contre, il n’est pas souhaitable d’atteindre une température supérieure à 100° C qui, en provoquant une ébullition et une carbonisation des tissus, augmente leur résistance électrique et altère les possibilités de diffusion du courant de radiofréquence, diminuant ainsi la taille de la lésion RF induite.
Optimisation du principe
Le diamètre maximum de la zone de destruction tissulaire induite par une électrode nue de RF n’est que de 1 à 1,5 cm, ce qui n’est pas adapté au traitement des tumeurs hépatiques. Les électrodes bipolaires permettent d’augmenter la taille des zones de destruction RF, mais sont difficiles à utiliser [2]. L’injection de liquide autour de l’électrode, aussi appelé » électrode humide « , augmente la taille des lésions de RF en diminuant la résistance électrique des tissus, ce qui favorise la diffusion du courant [3]. Une telle approche délivre l’énergie RF de façon préférentielle dans les régions où le liquide diffuse ; or, on sait qu’une des raisons de l’inefficacité de l’alcoolisation ou de l’injection de chimiothérapie dans le traitement des métastases hépatiques est justement la mauvaise diffusion du liquide à l’intérieur de celles-ci [4]. Alors qu’électrode bipolaire et électrode perfusée restent des axes de recherche, en pratique clinique, 2 artifices techniques ont été retenus [5]. Ce sont :
- Une aiguille contenant plusieurs électrodes (4 à 12) qui peuvent être déployées dans le parenchyme hépatique après ponction (Fig. 1). Le but est de sélectionner autant de lésions RF unitaire de petites tailles que d’électrodes, pour in fine en former une plus grande par sommation. La taille et la forme de la lésion finalement obtenue dépendent donc, entre autres, du nombre d’électrodes déployées, et de leur disposition dans l’espace.
- Le refroidissement de l’électrode qui limite l’accumulation de chaleur à son voisinage, permet de délivrer une énergie électrique plus importante sans atteindre des températures supérieures à 100° C dans les tissus très proches de l’électrode qui sont soumis à une plus grande énergie RF que les tissus plus distants.
Les différents systèmes adaptent le temps de traitement et l’intensité de courant délivré, soit en monitorant la température, soit en monitorant les variations de résistance tissulaire entre l’électrode et les plaques de dispersion. La durée de traitement moyenne pour une position de l’électrode est de 10 à 15 minutes.
Indications
La RF est utilisée aussi bien dans le traitement des tumeurs primitives que dans celui des tumeurs secondaires hépatiques. Elle peut être utilisée en percutané ou en per-opératoire, que ce soit lors d’une laparotomie [6] ou lors d’une laparoscopie [7]. Elle peut constituer un traitement exclusif de la maladie hépatique ou être associée à une chirurgie de résection. La plupart des équipes se limitent à des tumeurs de moins de 5 cm de diamètre, en sachant que les indications idéales concernent des tumeurs de moins de 3 cm, et que le taux d’échec est élevé au-delà de 4 cm. La localisation idéale est à distance de la capsule hépatique, à distance des gros vaisseaux et de la convergence biliaire. La proximité de la capsule hépatique n’induit pas de risque supplémentaire, mais rend le geste plus douloureux et augmente l’intensité et la durée des douleurs post traitement.
Limitations
Les localisations sous capsulaires au contact de structures digestives creuses posent le problème d’éventuelles lésions thermo-induites de ces organes lors de l’utilisation percutanée (en fait, un seul cas de perforation digestive a été rapporté à ce jour). Il n’est pas exceptionnel après traitement par RF d’une tumeur d’induire une dilatation des voies biliaires en amont de la zone traitée par sténose induite de la voie biliaire de proximité. Cette » complication » est habituellement bien tolérée pour les tumeurs périphériques. Par contre, une destruction RF au contact du hile hépatique présente un risque, au moins théorique, de sténose biliaire secondaire de la convergence.
La taille et la forme des zones de destruction induites par RF sont grandement influencées par la proximité de gros vaisseaux et l’importance de la perfusion hépatique. En effet, il est très difficile de détruire les tissus les plus proches de la paroi du vaisseau en raison du refroidissement induit par le flux à l’intérieur de ceux-ci. L’avantage est de ne pas induire de thrombose ou de lésion thermique sur la paroi des gros vaisseaux qui sont ainsi protégés. En revanche, le risque est celui de ne pas détruire des cellules tumorales en contact étroit avec la paroi des vaisseaux [8], comme cela a été rapporté dans plusieurs séries [9, 10]. Cet inconvénient peut être contourné par des manipulations endovasculaires percutanées [11], ou le clampage per-opératoire du pédicule hépatique [7].
La perfusion tissulaire hépatique module très directement la taille des zones de destruction induites. Ainsi les lésions induites ex-vivo sont de taille supérieure aux lésions produites in-vivo sur le même organe, toute autre constante restant identique [12]. De la même façon, nous avons retrouvé cette majoration de taille des lésions induites lorsque la radiofréquence était utilisée en per-opératoire lors du clampage pédiculaire hépatique, par rapport à son utilisation percutanée sans modification de l’apport vasculaire [13]. Le clampage vasculaire associé au traitement par RF semble donc offrir des possibilités pour traiter des tumeurs plus volumineuses, qu’il s’agisse de clampage obtenu par abord percutané [11], ou du clampage per-opératoire du pédicule hépatique [13, 14].
Résultats
Les résultats des 5 plus grandes séries publiées sont résumés dans le tableau ci-dessous.
La taille des tumeur-cibles influence directement l’efficacité du traitement. En effet, nous ne retrouvons aucune récidive pour les tumeurs de moins de 25 mm [9]. Aujourd’hui, l’amélioration des systèmes de RF peut permettre d’espérer traiter avec un fort taux de succès des tumeurs jusqu’à 35 mm. Un essai randomisé comparant la RF et l’alcoolisation dans le traitement des petits CHC rapporte des taux de stérilisation comparables pour alcoolisation (80 %) et radiofréquence (90 %) [15]. Ces résultats ont été obtenus avec 1,2 traitements par RF alors qu’il faut 4,8 sessions d’alcoolisation. Dans une étude plus récente portant sur des CHC de plus grande taille, Livraghi et al soulignent encore une fois l’importance de la sélection d’une taille appropriée de tumeurs avec une stérilisation de 71 % des tumeurs de 3 à 5 cm de diamètre, et de seulement 25 % des tumeurs de 5 à 9 cm de diamètre [16].
Complications
Sur une expérience de plus de 150 sessions pour traiter plus de 180 tumeurs nécessitant plus de 250 positionnements d’aiguille-électrode, nous avons rencontré 9 complications majeures et 11 complications mineures. Il s’agissait d’un décès dû à une thrombose portale, de 6 abcès hépatiques, dont 2 ont nécessité une hospitalisation en unité de soins intensifs et 4 ont été drainés en percutané avec 48 à 72 heures d’hospitalisation. Ces 4 abcès étaient de découverte quasi fortuite sur l’imagerie à 2 mois. Les deux autres complications majeures sont un hémo-boliopérotoine et une pneumopathie d’inhalation. Quatre brûlures cutanées modérées, 3 dilatations biliaires segmentaires, 2 épanchements pleuraux, un faux anévrisme artériel hépatique, et un hématome sous capsulaire de faible abondance constituent les complications mineures.
Imagerie de guidage
L’ultrasonographie est la technique d’imagerie la plus utilisée pour guider la mise en place des aiguille-électrodes dans les tumeurs cibles en raison de son caractère temps réel, des possibilités d’angulation du trajet de ponction dans toutes les directions de l’espace et de sa disponibilité tant pour le traitement percutané que per-opératoire.
Les remaniements induits par la RF correspondent à une zone hyper-échogène très marquée, qui est censée correspondre à la zone détruite par le traitement (Fig. 2). Il faut d’emblée retenir que même si cette zone hyper-échogène est utile pour monitorer le traitement, elle ne permet pas d’affirmer formellement la destruction des tissus qui ont vu leur échostructure se modifier. En effet, cette modification d’échostructure n’est pas due à l’apparition de nécrose tissulaire mais à la libération de gaz, principalement du CO2, sous l’effet de la chaleur. Par ailleurs, cette zone d’hyperéchogénicité est totalement opaque aux ultrasons ne laissant voir que la partie proche de la sonde d’ultrasonographie. La face opposée à la sonde d’échographie aussi bien que la partie centrale de la zone de remaniement post-thérapeutique n’est pas visible. Cette opacité aux ultrasons rend en pratique délicats, les positionnements multiples d’électrodes dans le but de traiter des tumeurs de grande taille.
Lorsque les tumeurs ne sont pas, ou mal vues en échographie, le guidage tomodensitométrique peut être utilisé.
L’imagerie par résonance magnétique pourrait être utile pour aborder des lésions qui ne sont vues qu’avec cette technique. Cependant, beaucoup de points restent délicats, tels que l’absence de compatibilité actuelle de la plupart des sondes et des générateurs de radiofréquence avec l’IRM (matériel non amagnétique). De plus, la radiofréquence détériore la qualité l’image en induisant des perturbations du champ magnétique de l’imageur. On doit donc interrompre temporairement l’émission de la RF pendant l’acquisition des images. Dans un avenir proche, le guidage par résonance magnétique devrait permettre des progrès importants en terme de monitoring du traitement, grâce à l’utilisation combinée d’une imagerie de température avec courbes isothermiques, montrant avec précision les zones tissulaires effectivement détruites, venant se superposer à une imagerie anatomique.
Imagerie de suivi
Le but du traitement par ponction directe est de détruire la tumeur mais aussi une couronne de tissu hépatique sain afin d’obtenir des » marges de sécurité « , Ces tissus détruits resteront nécessairement en place et formeront une » cicatrice » plus grande que la tumeur initiale. Cette cicatrice ne diminue de taille que tardivement. Il est donc impossible d’utiliser les critères O.M.S. habituels d’évaluation de réponse tumorale basés sur la seule diminution de taille de la tumeur. La cicatrice laissée en place après le traitement est composée de tissu nécrotique, de fibrose de tissu inflammatoire, de tissu de granulations, et de tumeur active si le traitement n’est pas complet. Le but de l’imagerie de suivi est d’identifier la présence de tumeur viable au sein de cette cicatrice. La tomodensitométrie et l’IRM sont les deux techniques les plus communément utilisées pour ce suivi. Elles permettent des acquisitions rapidement répétées dans le temps, à la recherche de zones présentant un rehaussement précoce après injection de produit de contraste, correspondant le plus souvent à de la tumeur [17] (Fig. 3). Cependant, le suivi iconographique ne doit pas être réalisé trop précocement, au risque de faire interpréter à tort comme résidu tumoral du tissu de granulation richement vascularisé lié au traitement, se développant principalement en périphérie de la zone détruite, et persistant pendant au moins 3 à 5 semaines [18]. C’est pourquoi, il est habituellement recommandé de ne débuter une imagerie de suivi qu’au moins 6 semaines après le traitement (Fig 3).
En IRM, l’absence de rehaussement vasculaire sur des séquences en pondération T1 acquises de façon dynamique après injection de produit de contraste a une fiabilité proche de 100 % pour affirmer la destruction tumorale, mais un rehaussement peut dans 25 % des cas correspondre à des réactions inflammatoires [19, 20]. D’après notre expérience récente, l’IRM dynamique en pondération T1 couplée à l’imagerie T2 semble une technique plus sensible que la tomodensitométrie pour le suivi post RF. En effet, 8 des 9 récidives que nous avons rencontrées étaient visibles au deuxième mois en IRM, alors que la tomodensitométrie n’en détectait que 5. Il est à noter que les 5 récidives non vues par la tomodensitométrie à 2 mois étaient toutes vues 2 mois plus tard par cette même technique d’imagerie [21]. Les régressions volumétriques des régions traitées sont beaucoup plus tardives, et donc inutilisables en pratique clinique.
REFERENCES
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Abord | Nbr patients | Diamètre tumeurs (cm) | % CHC | Suivi (mois) | Echec local | Tumeur à distance | |
Siperstein | C | 43 | 4 | 26% | 14 | 12% | 39% |
de Baère | L + P | 68 | 3,1 | 19% | 14 | 9% | 65% |
Bilchik | L + P | 68 | 3 | 29% | 12 | 7% | 41% |
Livraghi | P | 42 | 1,2 | 100% | 10 | 10% | – |
Curley | L+P | 110 | 1,3 | 100% | 12 | 3,6% | 46% |
TOTAL | 454 | 50% | 12 | 5,7 |
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