Tumeurs stromales digestives

Introduction

Les tumeurs stromales digestives ( » GIST  » des auteurs anglo-saxons) sont les tumeurs mésenchymateuses les plus fréquentes du tube digestif [1, 2]. Ces tumeurs ont fait l’objet de nombreuses controverses en termes d’histogenèse et de classification. Elles s’intègrent maintenant dans un cadre nosologique précis depuis la découverte de l’expression par les cellules tumorales de la protéine c-kit [1, 2]. Leur potentiel de malignité est souvent difficile à évaluer. Ces tumeurs sont particulièrement d’actualité depuis la découverte d’un traitement non  » chimiothérapie  » des formes malignes par un inhibiteur de tyrosine kinase (STI 571 ou Glivec*).

Historique – Classification

Dans les années 80, la classification des tumeurs conjonctives reposait sur leur histogenèse présumée, c’est-à-dire sur le concept que chaque constituant du tube digestif pouvait donner naissance à des tumeurs dont l’aspect histologique était assez proche du tissu d’origine [3]. On distinguait ainsi des léiomyomes dérivés a priori du tissu musculaire lisse, des schwannomes et des neurofibromes dérivés du tissu nerveux, des lipomes dérivés du tissu adipeux. En fait, la majorité des tumeurs étaient peu différenciées et les rattacher à une origine précise était difficile. Les progrès de l’immuno-histochimie ont fait penser pouvoir préciser l’origine exacte de ces tumeurs (expression de l’actine en cas d’origine musculaire lisse, expression de la protéine S-100 en cas de d’origine schwannienne … ). Cela ne s’est pas confirmé, certaines tumeurs n’exprimant aucun de ces marqueurs, d’autres ont un marquage hétérogène, enfin certaines ont des aspects histologiques typiques d’un type de tumeur mais n’expriment aucun des marqueurs de la lignée présumée. La majorité des tumeurs mésenchymateuses digestives exprime néanmoins souvent un marqueur commun, le CD 34. Le terme de tumeur stromale digestive, relativement récent, a été utilisé initialement pour des tumeurs conjonctives qui expriment le CD 34, mais pas de marqueur de lignée [4].

Plus récemment, la protéine c-kit, un récepteur de facteur de croissance, a pris une place prépondérante dans la définition des tumeurs stromales [5-7]. En effet, la quasi-totalité de celles-ci expriment la protéine c-kit, alors que les autres tumeurs avec lesquelles elles étaient auparavant confondues, et qui sont en fait beaucoup plus rares dans le tube digestif, ne l’expriment pas : léiomyomes (exprimant la desmine, la caldesmone ou la calponine), léiomyosarcomes, et schwannomes (exprimant la protéine S-100) [8, 9].

Qu’est-ce que c-kit ?

Il s’agit d’un récepteur trans-membranaire ayant une activité tyrosine-kinase, dont le ligand est un facteur de croissance ( » stem cell factor « ). Dans les cellules exprimant le gène c-kit, cette liaison est responsable d’une stimulation d’effecteurs intra-cellulaires impliqués dans la prolifération cellulaire. Des mutations du gène c-kit ont été mises en évidence dans des formes sporadiques et familiales de tumeurs stromales, se traduisant le plus souvent par une activation constitutionnelle de la protéine correspondante et une stimulation de la prolifération cellulaire [1, 2]. Dans le tube digestif normal, la protéine c-kit est, en dehors des mastocytes, spécifiquement exprimée par les cellules interstitielles de Cajal. Ce sont des cellules pace-maker de la paroi, responsables de l’induction et de la régulation de l’activité péristaltique de la musculature cellulaire lisse. Ces cellules expriment de plus CD 34, suggérant qu’elles pourraient être à l’origine des tumeurs stromales [4].

Epidémiologie

L’incidence exacte des tumeurs stromales digestives est inconnue, probablement inférieure à 5000 cas par an aux Etats-Unis et à 1000 cas par an en France [10]. Elles représentent moins de 1 % des tumeurs malignes du tube digestif. Dans l’intestin grêle, si l’on exclut les lymphomes, elles représentent 20 % des tumeurs malignes. Elles surviennent chez les adultes de tout âge, le plus souvent après 50 ans, avec un sexe ratio voisin de 1 [11]. Les facteurs étiologiques sont inconnus.

Anatomopathologie

Macroscopiquement, les tumeurs stromales se développent principalement à partir de la musculeuse du tube digestif [7, 11]. Elles sont habituellement bien limitées, formées d’un tissu fasciculé, parfois entourées d’une pseudo-capsule. Elles peuvent avoir une croissance endophytique vers la lumière, ou exophytique ou mixte. Leur taille varie de quelques millimètres à plus de 30 cm.

La tumeur est constituée le plus souvent d’une prolifération de cellules fusiformes, plus rarement épithélioïdes. Les degrés de différenciation sont variables : tumeurs différenciées d’allure myoïde, neurogène ou de type plexus ganglionnaire, tumeurs de différenciation incomplète, ou indifférenciées [2, 7]. Ces aspects variés peuvent être mélangés au sein d’une tumeur. Les tumeurs ayant un aspect de différenciation de type système nerveux autonome sont dénommées par certains auteurs GANT ( » Gastrointestinal Autonomic Nervous Tumors « ).

En cas de tumeur digestive d’aspect macroscopique et histologique compatible avec le diagnostic de tumeur stromale, un immuno-marquage CD 34 (positif dans 50 à 80 % des cas) et CD 117 (c-kit) doit être recherché [4]. L’expression de CD 117 dans la tumeur est typiquement cytoplasmique, présente généralement dans la majorité des cellules. Les tumeurs à cellules fusiformes CD 117 négatives peuvent être positives pour la desmine ou la protéine S-100, arguments respectivement en faveur du diagnostic de léiomyome et de tumeur nerveuse. Ces deux marqueurs sont généralement négatifs dans les tumeurs stromales. En cas de tumeur atypique protéine S-100 et c-kit positifs, le diagnostic de métastase digestive de mélanome doit être évoqué. L’immuno-marquage ne remplace donc pas l’analyse histologique et la corrélation clinique, mais est un outil supplémentaire pour la caractérisation tumorale. D’autres tumeurs extra-digestives ont une positivité marquée pour le CD 117, comme par exemple les carcinomes pulmonaires à petites cellules ou les séminomes [4].

Facteurs prédictifs de malignité

Les tumeurs stromales digestives ont la particularité d’avoir un potentiel de malignité qui n’est pas toujours aisé à déterminer [11]. L’invasion d’organes de voisinage ou la présence de métastases signent le caractère malin. Dans les autres cas, les deux facteurs les plus prédictifs de malignité sont l’index mitotique et la taille de la tumeur. L’index mitotique est généralement mesuré en comptant le nombre de mitoses pour 50 champs à fort grossissement (X 400). Le terme  » faible risque  » de malignité semble préférable au terme de tumeur bénigne. Les tumeurs de moins de 2 cm de diamètre, sans mitose visible, ont en effet un très faible risque de développer des métastases, alors que les tumeurs de plus de 5 cm, avec un index mitotique élevé (> 5 mitoses pour 50 champs) métastasent fréquemment. Il n’existe cependant pas de consensus sur les critères de taille et d’index mitotique pour clairement distinguer une tumeur stromale maligne, d’une tumeur à faible risque de malignité ou de risque évolutif indéterminé. L’index mitotique considéré comme évocateur de malignité varie de plus en fonction de la localisation tumorale. Les tumeurs stromales du grêle ont une évolution maligne plus fréquente, à taille et index mitotique équivalents à une tumeur de l’estomac. Une cellularité élevée, une nécrose intra-tumorale, des remaniements kystiques, ou des atypies nucléaires sont plus fréquents dans les tumeurs à fort potentiel de malignité. Cependant, ces différents critères ne sont pas des facteurs pronostiques indépendants en analyse multivariée. Les mutations du gène c-kit seraient plus fréquentes en cas de tumeur stromale ayant un potentiel de malignité [1].

Caractéristiques cliniques

Soixante pour cent environ des tumeurs stromales digestives siègent dans l’estomac, 25 % dans l’intestin grêle, 5-10 % dans le côlon-rectum. Les autres localisations sont rares (sophage, pancréas, épiploon et mésentère). Les tumeurs stromales gastro-intestinales sont généralement asymptomatiques, jusqu’à ce qu’elles deviennent volumineuses ou donnent lieu à une complication.

Les symptômes les plus fréquents sont un saignement digestif (lorsque la tumeur est ulcérée) ou des douleurs abdominales non spécifiques, plus rarement une masse palpable. Les autres symptômes possibles sont une anorexie, une dysphagie, un syndrome obstructif, une perforation, de la fièvre ou un ictère obstructif [11].

Des associations pathologiques ont été décrites. Dans la triade de Carney, il existe classiquement des tumeurs stromales gastriques multiples, un chondrome pulmonaire et un paragangliome extra-surrénalien, ou plus souvent en fait deux de ces tumeurs [11]. Elle intéresse les adolescentes et les femmes jeunes. Dans la neurofibromatose, 5 % des patients développent des tumeurs stromales digestives symptomatiques souvent multiples. Enfin, des cas de formes familiales de tumeurs stromales multiples ont été rapportés.

Diagnostic

Dans les localisations gastriques, le diagnostic peut être évoqué lors d’une endoscopie devant une tumeur d’allure sous-muqueuse éventuellement ulcérée. Le diagnostic de tumeur stromale du grêle est souvent fait à un stade plus tardif. L’écho-endoscopie est le meilleur examen pour caractériser les tumeurs sous-muqueuses so-gastro-duodénales ou rectales [12]. L’aspect écho-endoscopique des tumeurs stromales digestives est très évocateur quand elles se développent à partie de la quatrième couche hypo-échogène. Certains critères écho-endoscopiques prédictifs de potentiel malin des tumeurs stromales ont été établis par plusieurs études [13, 14] : la taille de la lésion (> 3 cm), l’existence d’une nécrose centrale, des contours mal limités, un envahissement d’organes de voisinage, la présence de zones kystiques intra-tumorales. La présence d’adénopathies est rare.

Le scanner abdominal permet de mettre en évidence les tumeurs suffisamment volumineuses, un éventuel envahissement d’organe de voisinage, ou la présence de métastases hépatiques. L’entéroscopie et l’entéro-scanner sont les examens les plus sensibles pour visualiser une petite tumeur du grêle. Seule l’analyse histologique (généralement de la pièce opératoire), permettra de confirmer le diagnostic de tumeur stromale. Les biopsies endoscopiques, trop superficielles, sont en effet généralement négatives. La sensibilité de la ponction sous écho-endoscopie pour le diagnostic de malignité les lésions sous-muqueuses est décevante [15]. Une biopsie per-cutanée pré-opératoire est rarement discutée. Elle comporte un risque théorique d’essaimage péritonéal en cas de forme maligne. Elle n’est indiquée qu’en cas de tumeur inextirpable, ou surtout, en cas de doute sur la nature histologique de la tumeur qui pourrait faire discuter une approche non chirurgicale, en particulier un lymphome.

Pronostic

L’histoire naturelle des tumeurs stromales demeure imparfaitement connue, en particulier du fait de la variété des dénominations, des critères diagnostiques et pronostiques utilisés dans le temps et selon les auteurs. Dans certaines séries, environ un quart des tumeurs stromales gastriques et la moitié des tumeurs stromales du grêle sont considérés comme malignes.

Les critères de malignité reconnus sont tout d’abord cliniques : envahissement d’organes de voisinage, récidive loco-régionale, ou apparition de métastases. Les métastases ganglionnaires des tumeurs stromales gastro-intestinales malignes sont rares (< 10 % des cas) comme dans les autres sarcomes [11]. Le diagnostic de malignité ne peut être porté initialement sur ces critères cliniques que dans moins de la moitié des cas [16]. Les récidives locales, en dehors des extensions mésentériques et péritonéales, surviennent principalement en cas de tumeurs pour lesquelles les marges de résection sont macroscopiquement envahies [17]. Environ les 2/3 des tumeurs malignes récidivent ou métastasent dans les deux ans après l’exérèse. Des récidives peuvent néanmoins survenir plus de 10 ans après l’exérèse initiale. Les métastases sont principalement hépatiques et péritonéales [18].

Plus récemment, il a été montré que les récidives et le décès étaient plus fréquents chez des patients ayant une tumeur stromale avec une mutation sur l’exon 11 du gène c-kit que sans mutation de c-kit [19].

Particularités selon la localisation anatomique

Il existe selon la localisation des différences en termes de fréquence et de pronostic des tumeurs stromales [7]. sophage Les tumeurs stromales sont rares dans l’sophage, où la plupart des tumeurs à cellules fusiformes sont des léiomyomes n’exprimant pas c-kit. Ces léiomyomes sont souvent asymptomatiques, et surviennent chez des sujets plus jeunes (âge moyen 35 ans). Des léiomyosarcomes de haut grade, exprimant les marqueurs musculaires mais pas CD 117, sont possibles. Estomac Les tumeurs mésenchymateuses de l’estomac étaient auparavant considérées le plus souvent comme des léiomyomes, alors que les tumeurs stromales sont en fait les plus fréquentes. Leur développement peut être sous-muqueux, sous-séreux ou intra-mural. Environ la moitié des tumeurs se développent dans le fundus, 25 % dans l’antre, et 20 % dans la région pylorique. Les principaux facteurs de mauvais pronostic sont une taille > 8 cm, 5 mitoses ou plus pour 50 champs à fort grossissement, des marges de résection macroscopiquement envahies, a fortiori une tumeur inextirpable. Intestin grêle Malgré la longueur de l’intestin grêle, 1 à 2 % seulement des tumeurs digestives s’y développent. Le diagnostic est souvent plus tardif, et les métastases sont plus fréquentes au moment du diagnostic. Les tumeurs stromales malignes du grêle prédominent au niveau de l’iléon. Une taille supérieure à 5 cm est généralement considérée comme associée à la malignité. Certains auteurs proposent le nombre de 2 mitoses pour 50 grands champs comme index mitotique prédictif de malignité. Côlon et rectum Les tumeurs stromales du rectum sont rares. Dans le côlon, une taille inférieure à 2 cm et un index mitotique inférieur à une mitose pour 50 grands champs sont considérés comme des facteurs prédictifs de tumeurs à faible risque de malignité, alors qu’une taille supérieure à 5 cm et un index mitotique supérieur à 5 pour 50 grands champs sont généralement considérés comme prédictifs de malignité.

Prise en charge thérapeutique

» Chirurgie

La résection chirurgicale est le seul traitement curatif des tumeurs stromales localisées. En cas de tumeur gastrique sans signe manifeste de malignité, la résection coelioscopique est de plus en plus pratiquée [20]. Néanmoins, les localisations péricardiales ou pré-pyloriques sont des obstacles à ce type d’intervention. S’il s’agit d’une tumeur gastrique d’allure maligne a priori résécable, une laparotomie est justifiée. Une exérèse gastrique réglée est alors justifiée. Un curage ganglionnaire extensif n’est pas indiqué du fait de la rareté des métastases ganglionnaires. La survie est liée au caractère complet de la résection [11].

Pour les tumeurs du grêle, si un diagnostic précis n’a pas été obtenu en pré-opératoire, des biopsies per-opératoires peuvent être réalisées pour distinguer les tumeurs stromales d’autres tumeurs si cela est susceptible de modifier la procédure opératoire. En cas d’envahissement d’organes de voisinage, une résection en bloc peut être pratiquée telle qu’une duodéno-pancréatectomie céphalique par exemple pour une tumeur duodénale. Dans l’sophage, la procédure de choix en cas de tumeur bénigne est, contrairement aux autres localisations, l’énucléation (sous thoracoscopie). Dans les tumeurs malignes résécables, une oesophagectomie peut être discutée.

Dans des formes plus avancées, des traitement de type résection de carcinose péritonéale avec chimiothérapie intra-péritonéale ou résection de métastases hépatiques ont été évalués dans de petites séries ; leur bénéfice n’est pas établi.

» Endoscopie – Echo-endoscopie

L’exérèse endoscopique de lésions sous-muqueuses est de plus en plus rapportée dans la littérature, mais elle concerne surtout d’autres types histologiques de tumeurs se développant moins dans la profondeur de la paroi (en particulier les tumeurs carcinoïdes). Cette technique n’est pas à recommander pour les tumeurs stromales, même si certaines équipes asiatiques l’ont pratiquée dans certains cas [21].
L’écho-endoscopie a un intérêt dans la surveillance de patients non opérés, du fait du terrain ou du souhait du patient. Cette attitude est parfois retenue même si elle n’a pas été validée par des essais contrôlés. Il n’est licite de la proposer que dans des cas précis : patient asymptomatique, tumeur non ulcérée de moins de 3 cm de diamètre, sans caractéristique écho-endoscopique suspecte de malignité, et dont la taille et l’aspect se modifient peu au cours du temps [13, 14].

» Chimiothérapie – Radiothérapie

Du fait du taux de récidive élevé après exérèse, un traitement adjuvant pourrait être utile en cas de tumeur ayant des critères histologiques de mauvais pronostic. Il n’existe cependant aucune preuve d’efficacité de la radiothérapie ou de la chimiothérapie adjuvante [11]. Le peu de données

dont on dispose dans la littérature montre que la radiothérapie est inefficace à visée palliative. La chimiothérapie palliative est peu active dans les tumeurs stromales digestives malignes, avec des taux de réponse inférieurs à 10 % [18].

» Le STI 571 (Glivec*)

Le STI 571 est un inhibiteur sélectif de tyrosines kinases, en particulier de

c-abl, bcr-abl, c-kit et du récepteur du PDGF, au niveau de leur site de fixation de l’ATP [22]. Ceci a conduit à l’utiliser tout d’abord dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique avec des taux de réponses élevés [23]. Le STI 571 est administré par voie orale. La justification de l’utilisation du STI 571 dans les tumeurs stromales digestives est liée à son action inhibitrice de la protéine c-kit qui est activée indépendamment de son ligand dans ce type de tumeur.

Le premier cas rapporté de tumeur stromale digestive maligne traitée par STI 571 était celui d’une femme de 50 ans atteinte d’une tumeur gastrique métastatique, multiopérée, et résistante à plusieurs lignes de traitement [24]. Après deux semaines de traitement par STI 571 à la dose de 400 mg/j en une prise (dose préconisée dans la leucémie myéloïde chronique), la taille des métastases hépatiques avait diminué de moitié et après 8 mois de traitement bien toléré, la réponse majeure était maintenue.

Les résultats d’une étude de phase I et d’une étude de phase II ont été présentés au Congrès Américain d’Oncologie en 2001. L’étude de phase I a été réalisée par l’EORTC, chez 36 patients atteints d’une tumeur stromale digestive (CD117+) en progression clinique et 4 d’autres sarcomes ; 30 avaient des métastases hépatiques [25]. Une chimiothérapie préalable avait été administrée chez 24 patients, et une radiothérapie chez 4. Quatre paliers de dose de STI 571 ont été évalués dans cette étude (400 mg X 1/j ; 300 mg X 2/j ; 400 mg x 2/j, 500 mg X 2/j). Pour les patients atteints de tumeur stromale digestive, 13 (36 %) ont eu une réponse partielle, 12 (33 %) une réponse mineure, 7 (20 %) une stabilisation, et 4 (11 %) une progression tumorale sous traitement. En revanche, 3 des 4 patients ayant un autre sarcome ont progressé sous traitement. Les principaux effets secondaires sévères (grade III-IV) ont été un rash cutané, une dyspnée et une neutropénie respectivement chez 1 patient, et des nausées et des vomissements chez 4 patients, dont 2 recevaient la dose maximale. Une diminution de la dose de STI 571 a été nécessaire chez seulement 11 patients. La dose toxique limitante était de 500 mg X 2/j et la dose maximale tolérée était de 400 mg X 2/j.

L’étude de phase II multicentrique a été réalisée aux Etats-Unis, chez des patients atteints de tumeurs stromales exprimant c-kit, non résécables ou métastatiques, avec au moins une lésion mesurable [26]. Cette étude a évalué le STI 571 en termes de tolérance et d’efficacité. Elle randomisait deux doses : 400 mg j et 600 mg/j. En cas de progression à la dose de 400 mg/j, les patients recevaient 600 mg/j. Cent quarante-huit patients ont été inclus, dont 145 étaient évaluables pour la tolérance et 86 pour l’efficacité en mai 2001. Les patients avaient été préalablement traités par chirurgie dans 94 % des cas, chimiothérapie dans 55 % des cas, et radiothérapie dans 16 % des cas. Une réponse partielle a été observée chez 50 % des patients traités à la dose de 400 mg contre 68 % des patients à la dose de 600 mg/j (taux global de réponse : 58 %), une stabilité chez respectivement 27 % et 24 % des patients (taux global de stabilisation : 26 %), et une progression chez respectivement 21 % et 5 % des patients (taux global de progression : 13 %). Neuf patients ayant progressé à la dose de 400 mg/j n’ont pas progressé à la dose 600 mg/j. Aucun des patients répondeurs ou stables n’avaient progressé au moment de la présentation des résultats. Il semble exister un avantage en terme d’efficacité anti-tumorale pour les patients traités à la dose de 600 mg/j, bien que la différence soit non significative. Les taux de toxicité sévère (grade III-IV) pour les 145 patients évaluables étaient : 5 % d’hémorragie digestive, 3 % de neutropénie, 3 % de toxicité hépatique, 3 % de syndrome démateux et 2 % d’infection. Par ailleurs, il existait une relation entre le type de mutation observée sur c-kit et la réponse au traitement. Une réponse partielle a été observée chez 78 % des patients présentant un mutation de l’exon 11, 40 % des patients avec un mutation de l’exon 9 et 21 % chez les patients ayant la forme sauvage du gène c-kit. Il est intéressant de noter que les taux de réponses objectives variaient en fonction de la méthode d’évaluation utilisée : 86 % pour le PET-scan contre 59 % pour le scanner et/ou l’IRM.

Il n’existe pas encore de suivi à long terme de patients traités par STI 571 pour une tumeur stromale digestive, notamment en terme d’apparition d’une résistance au traitement, comme cela a été récemment rapporté au cours des hémopathies. D’autres questions sont en suspens telles que la dose optimale quotidienne ou l’intérêt
du STI 571 à titre adjuvant ou néoadjuvant. Des essais cliniques vont tenter de répondre à ces questions. Une étude multicentrique coordonnée par l’EORTC, et devant inclure 600 patients, compare la dose de 400 mg/j à celle de 800 mg/jour. Un étude de phase II doit être réalisée aux Etats-Unis afin de tester le bénéficie du STI571 en traitement adjuvant après résection d’une tumeur à haut risque de récidive chez des patients non métastatiques.

En résumé

Le diagnostic histologique des tumeurs stromales digestives a été amélioré par la mise en évidence de l’expression de c-kit. Leur potentiel de malignité demeure souvent difficile à évaluer. Il est au mieux estimé par plusieurs paramètres, en particulier leur taille, leur localisation dans le tube digestif, et leur index mitotique. La résection chirurgicale est le traitement à visée curative des tumeurs localisées. Après exérèse d’une tumeur stromale digestive, une surveillance prolongée est nécessaire du fait de la possibilité de récidive tardive d’une tumeur ayant un potentiel de malignité réduit. L’efficacité du STI 571 dans les tumeurs stromales malignes démontre pour la première fois, dans le cas des tumeurs solides, l’intérêt d’agent non  » chimiothérapique  » inhibant spécifiquement une voie de signalisation impliquée dans la transformation maligne. Le STI 571 va permettre d’envisager des modifications radicales dans la prise en charge et le pronostic de ces tumeurs résistantes à la chimiothérapie, et plus généralement en cancérologie [27].

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