Cancers gastriques et Helicobacter pylori

Introduction

Helicobacter pylori (H. pylori) est une bactérie spiralée à Gram négatif découverte il y a 20 ans, chef de file du nouveau genre Helicobacter, qui comporte de nombreux micro-organismes infectant le tube digestif de l’homme ou des mammifères [1, 2]. C’est l’infection la plus répandue dans le monde, touchant environ le tiers de la population des pays développés et plus des deux tiers dans les pays en voie de développement. L’infestation gastrique entraîne une gastrite aiguë rapidement suivie, en cas de persistance de l’infection, d’une gastrite chronique active, qui peut persister pendant plusieurs décennies et évoluer de façon variable sous l’influence de facteurs liés à l’hôte, à la bactérie ou à l’environnement [1, 2]. La gastrite chronique à H. pylori est associée à de nombreuses affections digestives. Son rôle dans la maladie ulcéreuse gastroduodénale a été bien précisé, débouchant sur des recommandations consensuelles de recherche et d’éradication systématiques de l’infection gastrique à H. pylori [3, 4]. Les relations avec les cancers gastriques sont connues depuis le début des années 90, H. pylori ayant été classé dès 1994 par l’OMS parmi les agents carcinogènes gastriques. Depuis lors, les relations entre l’infection à H. pylori et le développement des adénocarcinomes gastriques et des lymphomes gastriques dérivés du MALT (mucosa associated lymphoid tissue) ont fait l’objet de nombreux travaux cliniques ou expérimentaux [1, 2]. Les très grands progrès accomplis au cours de la décennie écoulée ont permis de mieux cerner la pathogénie de ces néoplasies gastriques et d’apporter des précisions utiles en pratique clinique pour la prise en charge des malades.

Relations entreH. pyloriet adénocarcinome gastrique

Données épidémiologiques

A l’échelle mondiale, le cancer gastrique demeure un problème de santé publique majeur, constituant la deuxième cause de mortalité par cancer. En 2000, le nombre de nouveaux cas en France était d’environ 8000 et le nombre de décès de 6323 cas, ce qui représentait respectivement 3,1% et 4,2% de l’ensemble des cancers [5]. En France, comme dans la plupart des pays développés, son incidence a fortement diminué au cours des dernières décennies, cette baisse ayant été évaluée annuellement à 3,5% chez les hommes et à 4,6% chez les femmes de 1976 à 1995 en Côte d’Or [6]. On considère que cette diminution de l’incidence est à la fois en relation avec la diminution de l’incidence de l’infection à H.pylori [1, 2] et avec la modification des habitudes alimentaires (augmentation de l’apport alimentaire en anti-oxydants et diminution de la richesse en sel des aliments) [7], ces 2 conditions étant elles-mêmes reliées à l’augmentation du niveau de vie. A partir d’études prospectives récentes, le risque relatif de cancer gastrique lié à l’infection à H.pylori a été estimé à 5,9 (IC95%: 3,4–10,3) [8]. Si l’on prend en considération la séropositivité CagA, plus représentative de l’exposition réelle à l’infection à H.pylori en raison de sa persistance même en cas de disparition de l’infection au stade de cancer, l’odds ratio atteint le chiffre de 21 (IC 95%: 8,3–53,4) [9]. Cette augmentation du risque est semblable pour les 2 types anatomopathologiques, intestinal et diffus de l’adénocarcinome [9]. Plus de 70% des adénocarcinomes gastriques distaux peuvent être attribués à H. pylori [9]. Il n’en est pas de même pour la localisation cardiale ni pour les autres types histologiques (cancers indifférenciés) [8]. Il est maintenant démontré que H. pylori n’est pas un facteur de la survenue d’un cancer cardial [8].

Données physiopathologiques

Les facteurs pathologiques gastriques, induits par l’infection à H. pylori et associés au risque de cancer, sont principalement l’atrophie muqueuse [10], l’hypochlorhydrie [11], l’augmentation de la prolifération cellulaire et une concentration basse en vitamine C [12]. La gastrite chronique atrophique induite par H.pylori constitue la première étape fondamentale de la séquence gastrite – atrophie – métaplasie intestinale – dysplasie – cancer [13]. Le pouvoir pathogène de la bactérie, l’évolution propre des lésions de gastrite, et des facteurs alimentaires (excès d’apport en sel, diminution de la consommation de légumes et de produits frais à action anti-oxydante…) interviennent à des degrés divers tout au long du processus de cancérogenèse gastrique [12, 13]. Dans différentes populations, la prévalence de l’atrophie gastrique augmente de 1 à 3% par an et les facteurs associés à son développement sont l’infection à un âge précoce, la production de cytotoxine VacA par les souches infectantes et la diminution de la sécrétion acide [13]. Dans une étude menée chez des malades colombiens et portugais, les génotypes de H. pylori vacAs1, vacAm1, et cagA étaient significativement associés à un infiltrat inflammatoire muqueux plus intense à lymphocytes et à neutrophiles, et à des degrés plus élevés d’atrophie, de métaplasie intestinale et de lésions épithéliales [14]. Le stress oxydatif, principalement induit par les polynucléaires neutrophiles peut endommager l’ADN (micro-arrangements…), conduisant à l’altération de gènes de fonction [15]. Une des conséquences de cette action concerne les gènes suppresseurs de tumeur, tel que p53. La perte de leur fonction peut contribuer à la transformation maligne [15, 16]. Ces données encore préliminaires signifient que la persistance de l’infection à H.pylori est un facteur déterminant de la transformation maligne à partir des lésions pré-cancéreuses que sont l’atrophie et la métaplasie intestinale [17]. Dans le modèle animal de la gerbille de Mongolie, exposée à une nitrosourée (MNU), le développement rapide d’un cancer gastrique a été observé après induction d’une gastrite suite à l’inoculation de H. pylori [18]. L’éradication de H.pylori prévient le développement du cancer dans ce modèle expérimental [18].
Des facteurs héréditaires prédisposent au cancer gastrique induit par l’infection à H.pylori, la fréquence de l’atrophie et de l’hypochlorhydrie étant nettement plus grande chez les patients ayant un antécédent familial de cancer gastrique [11]. Certains polymorphismes d’expression des cytokines (IL-1?, TNF?) augmentent la réponse inflammatoire de l’hôte. L’équipe de El-Omar a été la première à montrer que ces polymorphismes favorisent chez les patients infectés par H. pylori le développement de l’adénocarcinome gastrique et des états précancéreux: atrophie et hypochlorhydrie [19]. Ces données ont été confirmées dans d’autres populations et une étude portugaise a été récemment publiée montrant une association synergique entre les facteurs de virulence de la bactérie (gènes cagA et vacA) et certains polymorphismes des cytokines (IL-1B-511*T et IL-1RN*2/*2) [20]. L’association des facteurs de risque de l’hôte à ceux de la bactérie multiplie d’un facteur 1,6 (combinaison cagA/IL-1B-511*T) à 5 (combinaison vacAs1/IL-1B-511*T) le risque de développement d’un adénocarcinome gastrique (odds ratios respectifs de 25 au lieu de 15 et de 87 au lieu de 17, par rapport à cagA et à vacAs1 pris isolément) [20].

Faut-il éradiquer H. pylori en cas d’adénocarcinome gastrique?

Arguments pour l’éradication

Les arguments épidémiologiques et physiopathologiques démontrent une association forte entre cancer gastrique distal et H. pylori. Une importante étude prospective a été menée chez des patients japonais présentant une gastrite à H. pylori [21]. le taux de développement d’un adénocarcinome gastrique était de 2,9% après un suivi de 7,8ans [21]. Il était nul en cas d’ulcère duodénal et après éradication de H. pylori. En revanche, il était élevé à 4,8% en cas de dyspepsie fonctionnelle associée à l’infection à H.pylori [21]. Le risque de cancer gastrique était significativement élevé en cas d’atrophie sévère, de gastrite fundique et de pangastrite. Si de telles données étaient confirmées en Europe, où l’incidence du cancer gastrique est moindre qu’au Japon, la réalisation de biopsies gastriques lors de l’endoscopie réalisée pour symptômes dyspeptiques, pourrait être systématiquement proposée afin de rechercher la gastrite à H. pylori et de réaliser un traitement d’éradication préventif.
L’éradication de H. pylori entraîne la régression de l’inflammation muqueuse, principalement la disparition rapide des signes d’activité, avec dans certains cas, restitution d’une muqueuse gastrique normale [1, 2, 22]. L’évolution de l’atrophie et de la métaplasie intestinale est difficile à évaluer du fait de leur caractère multifocal et donc des difficultés d’échantillonnage. Des résultats contradictoires ont été publiés, parfois liés à une durée insuffisante du suivi pour juger valablement de l’évolution de l’atrophie. Les résultats d’études récentes sont en faveur d’une telle éventualité [11, 23–26]. Le contrôle un an après éradication de H.pylori chez 40/63 patients apparentés au premier degré avec des patients ayant eu un cancer gastrique non cardial a montré une diminution de la prévalence de l’atrophie antrale et fundique de 63% à 38% [11]. L’équipe de P. Sipponen [26] en Finlande a suivi 22 sujets âgés présentant une gastrite atrophique fundique modérée ou sévère pendant 7,5 ans avant et 2,5 ans après éradication de H. pylori. Alors que les scores histologiques restaient inchangés au cours de la période pré-thérapeutique, l’éradication de H. pylori s’accompagnait d’une diminution significative des scores moyens d’inflammation (de 2,2 à 0,5), d’atrophie (de 2,2 à 1,2) et de métaplasie intestinale (1,6 à 1,1). De plus, le taux moyen de pepsinogène I sérique augmentait dans le même temps de 16,3 à 25,7 ng/ml (p =0,007), confirmant la probable régression de l’atrophie [26]. Une tendance se dégage donc en faveur de la régression de l’atrophie après éradication de H. pylori, particulièrement dans la muqueuse fundique. Concernant le devenir de la métaplasie intestinale, les études publiées sont contradictoires. Il faut souligner les difficultés d’apprécier l’évolution de ce paramètre en raison de sa distribution variable dans l’estomac. Des études prolongées sur un grand nombre de biopsies sont requises.
L’éradication de H. pylori au stade de cancer n’a pas d’effet bénéfique sur l’évolution de la tumeur, à l’inverse de ce qui a été observé dans les lymphomes gastriques du MALT. En revanche dans l’expérience japonaise, le traitement d’éradication semble bénéfique pour prévenir l’apparition d’un nouveau cancer après résection endoscopique d’un cancer gastrique précoce [27].
Les patients avec antécédents familiaux de cancer gastrique constitue une population à haut risque de cancer gastrique, les cancers familiaux représentant environ 15% des cancers gastriques [28]. Par rapport aux individus non infectés par H. pylori et sans antécédents familiaux, le risque d’adénocarcinome gastrique distal est 16 fois plus élevé pour les patients infectés ayant une sérologie CagA positive et des antécédents familiaux [29].

Arguments contre l’éradication

Les principaux arguments contre l’éradication de H. pylori sont représentés par le nombre faible de patients infectés qui développeront un cancer gastrique (environ 1%), la quasi-absence d’études d’intervention et les contraintes liées au dépistage et au traitement systématique des personnes infectées.
Il n’existe pas d’essai contrôlé randomisé et il est à craindre qu’un tel essai ne voit jamais le jour en raison de la difficulté d’inclure des patients dans le groupe contrôle [30]. Mis à part ses effets collatéraux potentiellement bénéfiques (réduction de l’incidence des ulcères gastroduodénaux…), la supériorité du traitement d’éradication dans la prévention du développement de l’atrophie et de la métaplasie intestinale n’a pas été mise en évidence par rapport à la supplémentation de l’alimentation en acide ascorbique et en béta-carotène, dans une étude menée en Colombie [31].
L’éradication de H. pylori est susceptible d’induire des effets collatéraux tels que la survenue d’un reflux gastro-œsophagien (RGO), ce risque paraissant d’autant plus important que la sécrétion acide est diminuée sous l’influence d’une gastrite fundique ou d’une pangastrite à H. pylori [32]. Cependant, ce traitement ne semble pas aggraver un RGO préexistant [33]. Plus inquiétante est la survenue d’adénocarcinomes gastriques métachrones après rémission complète de lymphomes du MALT induite par l’éradication de H.pylori [34]. La coexistence possible des 2 types de néoplasies gastriques, bien que rare, était déjà connue. Peut-être faut-il y voir une certaine limite au traitement d’éradication préventif des cancers gastriques, nécessitant de déterminer avec précision à quel moment le processus de cancérogenèse échappe au stimulus microbien qui l’a induit. De tels événements imposent de toute manière une surveillance endoscopique et anatomopathologique prolongée en cas d’éradication de la bactérie au stade d’atrophie sévère.
Dans l’état actuel de nos moyens, la détection d’une atrophie gastrique par une méthode non invasive est limitée au dosage du pepsinogène, qui n’a pas encore été validé dans cette indication. Les marqueurs de virulence de la bactérie accessibles au dépistage de masse (sérologie CagA…) restent trop grossiers pour être performants. Il en va de même de la mise en évidence des génotypes pro-inflammatoires de l’hôte, auxquels on peut certes attribuer près de 50% des cancers [35], mais qui semblent aussi très répandus dans la population générale européenne.

Recommandations pratiques

Il est recommandé de recourir à l’endoscopie systématique pour explorer les symptômes dyspeptiques dans les groupes de patients particulièrement à risque de présenter un adénocarcinome gastrique, ceci afin de ne pas méconnaître l’existence d’une telle lésion. En Europe, il s’agit principalement dans la population générale des sujets âgés de plus de 45 ans, chez qui la prévalence du cancer gastrique augmente de façon significative [4]. L’éradication de H. pylori au stade de cancer n’est utile qu’en cas de résection gastrique partielle ou après mucosectomie endoscopique pour cancer gastrique superficiel. La recherche de H. pylori par la réalisation de biopsies à distance de la lésion cancéreuse doit faire partie du bilan. L’éradication systématique de H. pylori est recommandée en pareil cas [4] et ne dispense pas d’un suivi endoscopique et anatomopathologique, nécessaire en raison du risque potentiel de récidive.
L’autre groupe à risque identifié est celui des parents au premier degré d’un malade ayant présenté un adénocarcinome gastrique, en raison des études ayant mis en évidence le rôle des facteurs génétiques dans la survenue d’une atrophie et d’une hypochlorhydrie en cas d’infection à H. pylori. Chez ces personnes s’appliquent les recommandations actuelles des experts européens de rechercher l’infection à H. pylori et d’en pratiquer l’éradication à titre préventif [4]. Dans ce cas, il paraît licite de conseiller le traitement d’éradication le plus tôt possible afin d’éviter le développement éventuel de lésions gastriques irréversibles (atrophie sévère, métaplasie intestinale, voire dysplasie). Pour la même raison, la pratique d’une endoscopie avec biopsies destinées à l’examen anatomopathologiqueest fortement recommandée: au moins 2 par site, dans l’antre, le fundus et le cas échéant, au niveau de l’angle gastrique (zone transitionnelle d’apparition précoce de l’atrophie) [36]. Les objectifs sont de rechercher H. pylori et d’établir le statut de la gastrite chronique associée en s’aidant du système de Sydney [36]. Le contrôle de l’éradication est nécessaire avec traitement de seconde ligne en cas d’échec du traitement, soit en renouvelant les biopsies per endoscopiques, soit par une méthode non invasive validée, comme le test respiratoire à l’urée13C [3, 4]. Bien qu’il n’y ait actuellement aucune étude disponible pour en préciser les modalités, un suivi endoscopique et histologique est souhaitable, à définir en fonction des résultats initiaux. De principe, une nouvelle endoscopie avec biopsies un an plus tard paraît une attitude raisonnable.
Les patients présentant une dyspepsie fonctionnelle avec endoscopie normale posent un problème particulier, suite aux résultats de l’étude d’Uemura et al. [21]. Certes, les résultats de cette étude ne sont pas directement transposables dans notre pays. Ils justifient à notre avis d’envisager la pratique des biopsies gastriques, même en cas d’aspect endoscopique normal, afin de préciser la présence éventuelle d’une gastrite à H. pylori et de définir ses caractéristiques. Rappelons au passage le bénéfice potentiel, bien que limité, du traitement d’éradication sur les symptômes de la dyspepsie fonctionnelle [37]. Dans tous les cas, une information claire du patient sur les avantages et les inconvénients des différentes attitudes est souhaitable, au mieux réalisée par le gastroentérologue. Si le patient souhaite recevoir un traitement d’éradication, il est recommandé d’accéder à sa demande [3, 4].
Laissons à un futur proche la mise au point de méthodes nouvelles permettant d’identifier de la manière la moins invasive possible les marqueurs de risques de cancer, identifiés ou à découvrir, qu’ils concernent la bactérie ou l’hôte.

Relations entre H. pylori et lymphome gastrique du MALT

Données épidémiologiques et physiopathologiques

L’infection à H. pylori est la principale cause d’acquisition par l’estomac du système lymphoïde de type MALT [22]. Les lymphomes gastriques dérivant du MALT sont en majorité associés à l’infection à H.pylori [38]. La relation causale entre ces lymphomes et H.pylori repose également sur des données histologiques, expérimentales et thérapeutiques. La gastrite folliculaire, qui est un mode d’expression particulier de l’infection [22], est assez voisine du lymphome du MALT sur le plan anatomopathologique [39]. L’existence d’une monoclonalité des cellules B est plus fréquemment observée en cas de gastrite folliculaire associée à H. pylori (19/70, 32%) qu’en l’absence de gastrite folliculaire qu’il y ait ou non une infection à H. pylori (6/94, 6%) [39]. La gastrite folliculaire pourrait être une lésion prédisposant particulièrement au développement du lymphome du MALT. Ces lymphomes particuliers se développent sous l’influence de la stimulation antigénique chronique déclenchée par H. pylori dont on décrit schématiquement 2 phases: la première antigène dépendante et la seconde plus tardive, antigène indépendante [40]. La transition entre ces 2 phases se caractérise par des différences en termes d’infiltration pariétale et loco-régionale de la tumeur et de passage d’un bas grade à un haut grade histologique [40]. Les anomalies chromosomiques qui accompagnent la transformation lymphomateuse sont de découverte récente. Elles sont aussi déterminantes dans la survenue de la phase de développement échappant au contrôle de l’infection à H.pylori [40, 41]. Il s’agit principalement de la translocation t (11; 18) (q21; q21) observée dans les lymphomes de bas grade [40–42]. Cette translocation entre les chromosomes 11 et 18 est observée dans environ 50% des lymphomes du MALT toutes localisations confondues [43]. Elle a été retrouvée dans 40% des cas (44/111) de lymphomes gastriques [42] associés à l’infection par H.pylori, et dans 53% des cas (9/17) des lymphomes du MALT non associés à H.pylori [44]. Les clones lymphocytaires sans cette translocation restent dépendants de l’immunostimulation par H.pylori, mais peuvent acquérir d’autres anomalies génétiques [41]. A un stade tumoral évolué, l’échappement au contrôle de l’infection peut être lié à l’acquisition d’autres aberrations chromosomiques (translocations diverses, expression nucléaire du gène bcl-10) [41]. Finalement, la transformation en lymphome de haut grade de malignité peut résulter aussi de la perte des gènes suppresseurs de tumeur p53 et p16 [41].

Données thérapeutiques

Les arguments décisifs sont venus très tôt des résultats des traitements d’éradication de H.pylori, montrant de façon spectaculaire des régressions tumorales complètes même en cas de tumeurs patentes à l’endoscopie [38, 45]. On considère actuellement qu’une rémission complète histologique s’observe après éradication de H. pylori dans 70 à 80% des cas de lymphomes de bas grade classés I (E) [46]. Cependant, il existe un risque de rechute, estimé annuellement à 5% [46].
Les principaux facteurs influençant l’efficacité du traitement d’éradication ont été récemment identifiés. Il s’agit de l’extension gastrique loco-régionale et de l’existence de la translocation t (11; 18) [17]. L’échoendoscopie est la méthode de choix pour apprécier l’évolution locale, l’aspect endoscopique de même que les données anatomopathologiques habituelles ne permettant pas de distinguer entre les lymphomes de bas grade répondeurs et non répondeurs à l’éradication de H. pylori [47]. L’étude du GELA a bien montré que l’absence d’adénopathies périgastriques à l’échoendoscopie était prédictive d’une rémission complète (76% de succès), alors que la présence d’adénopathies était associée à un taux de guérison significativement inférieur (33%) [47]. La place du traitement d’éradication de H.pylori parmi les autres méthodes de traitement (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) des lymphomes du MALT est en cours de codification. Alors que la concordance des résultats entre observateurs paraît bonne avant traitement pour la recherche d’adénopathies, elle semble moins bonne pour les autres critères lors du bilan d’extension échoendoscopique [48]. L’absence de la translocation t (11; 18), recherchée par les techniques de RT-PCR, est associée à un taux de réponse au traitement d’éradication de H.pylori, évalué à 96% des cas dans l’étude la plus importante ayant concerné 111 cas de lymphomes du MALT [42]. Les 2/48 patients qui avaient répondu malgré la présence de cette translocation ont rechuté par la suite. Dans cette même étude, l’anomalie chromosomique avait été mise en évidence dans 67% des lymphomes (42/63, dont 26 de grade IE) n’ayant pas répondu à l’éradication de H.pylori [42]. Les 20 patients sauf un qui avaient un lymphome du MALT de grade supérieur à I (E) ont été en échec [42].
En cas de rémission incomplète ou absente, les alternatives thérapeutiques reposent sur la chimiothérapie, la radiothérapie ou la chirurgie [45]. Le chlorambucil semble efficace dans près de 60% des cas [47]. Certaines issues sont encore controversées ou insuffisamment étudiées. C’est le cas de l’intérêt de l’éradication de H.pylori dans les lymphomes de haut grade et aussi de la signification et du devenir de la persistance d’une monoclonalité des lymphocytes B muqueux après éradication efficace de H.pylori [17, 46].

Conclusions

La décennie 90 a été une véritable révolution dans la connaissance de l’adénocarcinome et du lymphome gastriques, grâce à l’implication de H. pylori et au développement de nouvelles techniques d’investigation (échoendoscopie, biologie moléculaire…). Le rôle de puissant carcinogène gastrique de H. pylori a été confirmé non seulement par l’accumulation de données épidémiologiques concordantes, mais par la démonstration de l’implication de cette bactérie à tous les stades de la séquence gastrite – adénocarcinome et dans la genèse des lymphomes gastriques dérivant du MALT, tissu lymphoïde développé dans la muqueuse en réponse à l’infection. Les données les plus récentes font état des capacités mutagènes de l’infection en plus de son implication dans l’évolution de la gastrite vers l’atrophie fundique et l’hypochlorhydrie. L’évolution vers l’adénocarcinome est sous la dépendance de nombreux facteurs. A côté des facteurs environnementaux bien connus, ont été individualisés les facteurs bactériens de l’îlot de pathogénicité cag. La mise en évidence de l’influence des polymorphismes génétiques pro-inflammatoires des cytokines (IL-1?, TNF?) dans le développement des états pré-cancéreux gastriques ouvre la voie au décryptage du rôle de l’hôte. Des modèles animaux confirment ces données pour l’adénocarcinome et montrent l’intérêt préventif de l’éradication de H. pylori. La régression de l’atrophie chez l’homme est de mieux en mieux documentée, celle de la métaplasie reste controversée après guérison de l’infection. La gastrite folliculaire pourrait dégénérer en lymphome du MALT. Bien que leurs physiopathologies soit distinctes, le lymphome et l’adénocarcinome peuvent survenir chez un même patient, témoignant de mécanismes communs liés H. pylori. Une des difficultés actuelles réside dans la distinction entre les stades d’évolution encore dépendants de l’infection et ceux qui lui échappent. Certaines données sont bien établies pour le lymphome du MALT: l’efficacité du traitement anti-bactérien dans la majorité des lésions de bas-grade, les échecs étant principalement dus à une extension locorégionale (adénopathies péri gastriques) ou à l’apparition d’une anomalie chromosomique, la translocation t (11; 18). L’éradication de H.pylori en prévention de l’adénocarcinome soulève de nombreux problèmes pratiques. L’individualisation des groupes à risque progresse, mais il faudra encore attendre pour disposer d’outils précis et maniables à l’échelle de la population générale. Le traitement d’éradication doit être appliqué en cas d’antécédents familiaux de cancer gastrique au premier degré et après résection des cancers gastriques superficiels. Il se discute en cas de dyspepsie fonctionnelle. Le contrôle d’éradication s’impose et il paraît justifié de maintenir une surveillance endoscopique et anatomopathologique dont les modalités doivent être précisées.

 

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