Endoscopie de l’hypopharynx

Il y a entre l’hypopharynx et l’œsophage une connivence telle qu’elle mérite que l’on s’arrête, «au passage», quelques secondes dans l’hypopharynx pour l’examiner au lieu de le franchir en trombe. En effet, les pathologies néoplasiques ORL et œsophagiennes sont fréquemment associées et certaines dysphagies sont liées à des pathologies organiques ou fonctionnelles de l’hypopharynx ou du sphincter supérieur de l’œsophage.

Si les conditions de franchissement de la région rétro-crico-aryténoïdienne et de la bouche œsophagienne ne permettent pas toujours un examen de bonne qualité par le fibroscope, le dépistage aura été réalisé, conduisant vers une investigation plus spécialisée au tube rigide.

L’hypopharynx normal, sa physiologie

L’hypopharynx qui fait suite à l’oropharynx et se termine par la bouche œsophagienne (sphincter supérieur de l’œsophage) est un conduit musculo-membraneux en forme de fer à cheval, ouvert en avant, hébergeant dans sa concavité, le larynx. La partie médiane de l’hypopharynx postérieur, reposant directement sur le plan prévertébral, n’est visible que dans sa partie supérieure. En effet, la moitié inférieure de l’hypopharynx dans cette région, ne s’ouvre très brièvement que lors des mouvements de déglutition, lorsque l’élévation du larynx entraîne sa paroi antérieure vers le haut et vers l’avant.

Dans le repos, sa cavité est virtuelle, écrasée par le contact entre la face postérieure du chaton cricoïdien et le plan prévertébral. En bas, elle s’ouvre directement sur la bouche œsophagienne, elle aussi fermée en dehors des mouvements de déglutition. Cette région n’est accessible au fibroscope que sous anesthésie générale. Lors des fibroscopies sous anesthésie locale, elle est rapidement franchie, profitant d’un mouvement de déglutition.

Ce sont les parties latérales de l’hypopharynx, les sinus piriformes, qui sont les plus faciles à examiner. Les sinus piriformes, comme leur nom le suggère, ont la forme d’une pyramide à sommet inférieur. Ils présentent un angle antérieur qui se termine en haut au niveau du repli entre la partie externe de l’épiglotte et la paroi pharyngée latérale. Cet angle antérieur se termine au fond du sinus piriforme. En dehors, la muqueuse repose sur le périchondre de la face interne du cartilage thyroïde. En dedans, la muqueuse tapisse la paroi externe du vestibule laryngé, constituant, jusqu’au niveau du repli ary-épiglottique où la muqueuse, de digestive devient respiratoire, le mur pharyngo-laryngé. Si l’on examine le patient sous anesthésie locale, il faut lui faire prononcer une voyelle afin que les aryténoïdes et les replis ary-épiglottiques se rapprochent, ce qui ouvre les sinus piriformes et permet leur examen dans sa totalité. Sous anesthésie générale, il faut faire béquer le fibroscope, de telle sorte qu’il pénètre dans l’un puis dans l’autre sinus piriforme. Au niveau des sinus piriformes, la muqueuse est lisse, rosée, sans repli. En revanche, dans la région rétro-aryténoïdienne qui est, nous l’avons signalé, difficile à examiner, l’investigation est rendue encore plus difficile par l’existence de replis muqueux transversaux.

La musculature de l’hypopharynx est constituée par les constricteurs inférieurs du pharynx dont l’innervation motrice est fournie par le plexus pharyngé, réunion des fibres motrices du glosso-pharyngien (IX) et du pneumo-gastrique (X). Les constricteurs inférieurs du pharynx qui se réunissent en arrière sur la ligne médiane et s’insèrent latéralement sur la partie postérieure des ailes thyroïdiennes (le cartilage thyroïde est le principal cartilage du larynx, celui qui forme en haut la pomme d’Adam), jouent le rôle essentiel dans la propulsion du bol alimentaire.

Au début du temps réflexe de la déglutition, lorsque les aliments glissent depuis la base de langue vers les vallécules puis l’hypopharynx, ils sont pris en charge à ce moment-là par la contraction des constricteurs du pharynx qui en se contractant sur eux-mêmes vont les expulser. Cette expulsion se ferait dans de multiples directions non orthodoxes, s’il n’y avait des mécanismes de protection. Le premier est réalisé par la propulsion vers l’arrière, jusqu’au contact de la paroi postérieure de l’oropharynx, du voile du palais qui empêche le reflux des aliments vers le rhinopharynx et le nez. Le deuxième mécanisme de protection est réalisé par l’ascension du larynx qui se propulse en haut et en avant sous la base de langue. Dans le même temps, divers mécanismes concourent à l’occlusion du larynx. Les aryténoïdes se rapprochent, l’épiglotte bascule, les cordes vocales se ferment, le larynx se met littéralement en boule empêchant l’irruption des aliments dans les voies respiratoires. Dès lors, une seule issue est possible pour le bol alimentaire expulsé par la contraction des constricteurs du pharynx, c’est vers le bas en direction de la bouche œsophagienne qui s’ouvre opportunément par relaxation du muscle crico-pharyngien juste au moment où les constricteurs se contractent.

Les anomalies fonctionnelles

Les anomalies fonctionnelles de l’hypopharynx et du sphincter supérieur de l’œsophage, à l’origine éventuelle d’une dysphagie voire d’une aphagie, ne sont examinables que sous anesthésie locale si l’on demande au patient de prononcer une voyelle, cela peut permettre la mise en évidence d’une paralysie unilatérale des constricteurs, sous la forme d’un signe du rideau (la muqueuse du côté paralysé est attirée par le côté sain comme des rideaux que l’on tire). L’achalasie de la bouche œsophagienne ne peut pas être mise en évidence endoscopiquement.

Les anomalies muqueuses

Ce sont elles qui vont être dépistées par l’endoscopie. Les pathologies organiques sont les plus fréquentes et les plus accessibles à l’examen endoscopique. Il s’agit essentiellement de pathologies tumorales, accessoirement de pathologies infectieuses.

LES PATHOLOGIES TUMORALES

  • Les carcinomes épidermoïdes représentent l’essentiel des tumeurs de l’hypopharynx. Dans le cadre de l’infection VIH, mais cela se rencontre beaucoup moins depuis l’avènement de la trithérapie, on pouvait observer des sarcomes de Kaposi.
  • Les carcinomes épidermoïdes siègent par ordre de fréquence décroissante: au niveau des sinus piriformes, de la région rétro-cricoïdienne, de la paroi postérieure de l’hypopharynx. Les cancers strictement limités à la bouche œsophagienne sont exceptionnellement dépistés à ce stade de début. Habituellement, ils sont suffisamment étendus pour que l’on ne sache pas s’il s’agit de cancer rétrocricoïdien, descendu vers la bouche ou de cancer de l’œsophage cervical remonté vers la bouche œsophagienne voire au-delà.
  • Les cancers du sinus piriforme peuvent siéger sur la paroi externe, sur l’angle antérieur ou sur la paroi interne (mur pharyngo-laryngé). Ils sont bourgeonnants, ulcéro-bourgeonnants ou ulcéreux. Bien souvent, ils atteignent deux régions: l’angle antérieur et la paroi externe ou l’angle antérieur et le mur pharyngo-laryngé voire l’ensemble du sinus piriforme avec une extension plus ou moins importante vers le larynx qui présente alors des troubles de mobilité.
  • Au niveau de la paroi postérieure, il peut y avoir soit un bourgeonnement, soit une ulcération susceptible de dénuder le ligament prévertébral. La taille de ces tumeurs de la paroi postérieure est bien entendu variable pouvant au maximum concerner la totalité de la paroi postérieure jusqu’au niveau de la bouche œsophagienne, voire en dessous. Parfois, il n’y a qu’un granité hémorragique qui apparaît au contact du tube, faisant suspecter un carcinome serpigineux qui doit faire l’objet de plusieurs biopsies.
  • Les cancers rétro-cricoïdiens sont difficiles à explorer en fibroscopie. Il y a un bourgeonnement ou une ulcération bourgeonnante, l’ensemble est hémorragique et s’oppose plus ou moins au passage du fibroscope.
    Bien entendu, toutes ces lésions devront être ultérieurement explorées lors d’une panendoscopie sous anesthésie générale avec des tubes rigides. Cependant, ce sont les lésions rétro-cricoïdiennes et de la bouche œsophagienne qui vont être les plus justiciables de ce type d’endoscopies complémentaires.
    Le sarcome de Kaposi est facilement reconnaissable par sa coloration violacée angiomateuse. Au minimum, il s’agit d’une tuméfaction sous muqueuse violette en noyau de cerise, à un stade plus évolué, il prend un aspect plus franchement tumoral mais la coloration violette reste caractéristique. Il peut siéger en n’importe quel point de l’hypopharynx.
    La pathologie infectieuse au niveau de l’hypopharynx est essentiellement virale, représentée surtout par des lésions herpétiques fébriles et hyperalgiques, la douleur est telle qu’elle rend l’alimentation quasi impossible. Les lésions exulcérées sont confluentes, polycycliques bordées d’une aréole rouge. Elles peuvent s’étendre à l’œsophage. Elles doivent faire pratiquer, si l’on n’en a pas déjà la notion, une sérologie HIV.
  • Le diverticule pharyngo-œsophagien de Zenker
    Evoqué surtout chez un sujet très âgé qui se plaint de blocages alimentaires intermittents, mais surtout de régurgitations post-prandiales plus ou moins tardives qui ramènent des reliefs des repas précédents, il ne devrait pas conduire en principe à la réalisation d’une endoscopie. En effet, le fibroscope empruntant le trajet des aliments va buter dans le fond de la poche diverticulaire et ne trouvera pas toujours voire rarement la bouche œsophagienne. Le danger de l’endoscopie est représenté par le risque de perforation du bas-fond diverticulaire. Dans une telle circonstance, il est préférable de demander en priorité un transit baryté qui va immédiatement faire le diagnostic en montrant l’image arrondie de la baryte piégée, au-dessus du défilé cervico-thoracique ou descendant franchement dans le médiastin supérieur.

En conclusion, l’examen de l’hypopharynx par le gastro-entérologue au cours d’une fibroscopie œso-gastrique peut permettre le dépistage de lésions essentiellement tumorales et leur traitement à un stade précoce.