La recherche d’informations médicales sur le «Net»

A moins d’être un spécialiste hors pair de la recherche documentaire, l’exploration des espaces médicaux de la Toile est décevante. Entre le trop plein de liens d’une grande banalité fournis par Google et la frustration générée par les «notices sans le texte» de MEDLINE/PubMed, le médecin a de quoi rester sur sa faim. Quelques outils du 3e type (comme TRIPdatabase ou SUMsearch) proposent une alternative à la banalité et à la frustration, sans convaincre entièrement.

L’état des lieux

Sur la Toile, l’information médicale est disséminée dans deux espaces la Toile visible et la Toile invisible.

La Toile visible

Cet espace documentaire est une brocante (pour ne pas dire une décharge) de quelques milliards de documents. Il est exploré à l’aide de deux types d’outils les répertoires et les moteurs de recherche.
Les répertoires sont l’aboutissement du travail de fourmi accompli par les documentalistes pour caractériser chaque document à l’aide de mots clés. Résultat une bonne adéquation des réponses, mais un «silence» parfois pesant. Il faudrait, en effet, plusieurs armées de documentalistes pour venir à bout (indexer) des milliards de pages de la Toile visible. Si les répertoires n’explorent qu’une partie infime de la Toile, cette partie est souvent extraite de ce qui se fait de mieux dans le domaine. C’est le cas pour le catalogue du CHU de Rouen (CISMeF) qui rassemble 11500 documents médicaux francophones en provenance des sites des institutions, des universités ou des sociétés savantes.
Les moteurs de recherche indexent tout, non seulement tous les sujets (l’académique comme le marginal, l’institutionnel comme l’alternatif, le meilleur comme le pire), mais aussi tous les mots. C’est le robot qui fait le travail et on ne peut lui demander de choisir les bons mots clés, ni d’avoir l’esprit critique. La médecine fait partie des domaines les plus mal «servis». Dans un article du Jama*, maintes fois commenté, Gretchen Berland révèle que, dans la première page de résultat d’un moteur de recherche, un document sur cinq répond à la requête de l’internaute. Par ailleurs, 80% des documents sont destinés à l’information médicale du grand public. Autant dire que dans l’interrogation d’un moteur de recherche sur un thème médical, le médecin fait figure de «laissé pour compte».

La Toile invisible

Cet espace documentaire, «Google indépendant», héberge des banques de données qui ne peuvent être interrogées que par des outils spécifiques. Google conduit l’internaute jusqu’à la porte d’entrée de la banque, mais pour récupérer des données, il faut solliciter un autre outil de recherche. Les banques de données sont de deux types documentaires et bibliographiques.

Les banques de données documentaires délivrent des documents dans leur intégralité (documents primaires). Elles sont souvent payantes et nord-américaines (Stat Ref!, Dynamed, Cochrane Library… ), parfois gratuites et plutôt orientées «evidence-based» (Abstracts of Cochrane Reviews, Database of Abstracts of Reviews of Effects).

Les banques de données bibliographiques délivrent des notices appelées documents secondaires et constituées de simples «notes» sur les documents primaires. Ces banques recensent les articles d’une large gamme de revues biomédicales (MEDLINE, fonds documentaire de l’Inist) ou, à l’inverse, ceux d’un secteur très restreint (Nosobase, Pediadol, Toxibase…). Leur interrogation exige le recours à un vocabulaire contrôlé (thesaurus) et à une syntaxe d’une grande richesse (champs, qualificatifs, opérateurs booléens…). Leur accès est généralement gratuit.

Les objectifs

Les données médicales hébergées sur la Toile ont pour objectif d’informer, d’apprendre ou d’aider à prendre une décision.

L’information médicale

L’information de qualité est plus facile à trouver en passant par le catalogue CISMeF ou par un portail comme la bibliothèque médicale Lemanissier qu’en jetant trois mots clés dans la fenêtre d’interrogation de Google. Les initiatives prises par atoute.com (la page du médecin) ou par l’open directory project (avec une autre philosophie) montrent la voie de la sagesse il est plus judicieux d’avoir sa propre liste de sites-annuaires que de perdre son temps à tamiser les pages de liens de Google à la recherche d’une pépite.

La formation médicale

Les facultés de médecine n’ont pas attendu la mise sur les rails de l’Université médicale virtuelle francophone (UMVF) pour prendre des initiatives dans le domaine de la formation médicale initiale. Jusqu’à présent, c’est le second cycle qui est le plus favorisé. En témoignent le réseau pédagogique de la faculté de médecine de Rennes, les polycopiés de santé (Lyon 1) et le minimum vital du CHU Pitié-Salpétrière.
En revanche, le champ de la formation médicale continue est resté en jachère. Seuls deux espaces émergent du néant. Le premier, remarquable en tous points, est à mettre sur le compte de la Section rachis de la Société Française de Rhumatologie. Le second, récent, consacré à la nutrition est l’œuvre d’une équipe de l’Unaformec.

La décision médicale

L’Evidence-based medicine (EBM) a pris possession de la Toile. A juste titre, si l’on considère que les banques de données permettant de conforter la décision médicale sont hébergées dans cet espace.
Pourtant, plusieurs obstacles se dressent devant le praticien français

  • le peu de cas qui est fait de l’EBM dans l’Hexagone, n’incitant pas à s’investir dans une démarche professionnelle inhabituelle (quand elle n’est pas décriée);

  • le temps à passer pour trouver «l’evidence-based attitude» d’une situation clinique donnée quand cette «attitude» n’existe pas déjà dans la littérature;

  • le coût des articles en texte intégral (quand le praticien n’a que la notice et qu’il n’habite pas en face de la bibliothèque universitaire);

  • le coût des abonnements aux banques de données documentaires payantes (Cochrane library = 225 € par an).

Certaines de ces difficultés peuvent être contournées par une parfaite connaissance des revues mettant leurs archives en libre accès sur la Toile, par le recours aux abstracts des «Cochrane Reviews» et par l’exploration des ressources des sites «evidence-based» comme BestBETS ou Bandolier.
Le retard pris par les revues médicales pour entrer dans la mouvance de l’open access s’explique difficilement. Crainte de tuer la «poule aux œufs d’or» ou attitude passéiste de dirigeants qui continuent de faire comme si la Toile n’existait pas? Après la lettre ouverte de «Public Library of Science» en faveur de l’Open Access, signée par plus de 30000 scientifiques, un frémissement a été perçu du côté de The New England Journal of Medicine ou de Annals of Internal Medicine. Mais, depuis quelques mois, l’Open access marque le pas dans les publications médicales.

Les stratégies

La recherche documentaire en médecine ne peut s’appuyer en première intention (et parfois quasi exclusivement) sur les outils de type Google. L’excès de «bruit» (c’est-à-dire le nombre élevé de liens inadéquats) suffit à écarter l’éventualité d’une sollicitation prioritaire de ces outils. Ce n’est qu’après avoir épuisé les autres solutions qu’il faudra se résoudre à «trier dans la décharge».
La recherche documentaire en médecine doit faire appel, en fonction du thème et de l’objectif de la requête

  • aux outils «MeSH dépendants» (CISMeF et MEDLINE/PubMed);

  • aux outils du 3e type (TRIPdatabase et SUMsearch);

  • aux sites-annuaires (ou portails) sélectionnés par le médecin lui-même et placés dans un environnement type «la page du médecin».

La recherche d’une information médicale «pour savoir»

La stratégie consiste à interroger successivement jusqu’à l’obtention d’un résultat satisfaisant

  • le catalogue CISMeF en utilisant l’index alphabétique (si un seul mot clé) et la recherche avancée (si plusieurs mots clés ou un mot clé et un qualificatif);

  • les sites-annuaires (type Open directory project) ou portails (type bibliothèque Lemanissier) sélectionnés par le médecin en fonction de ses pôles d’intérêt;

  • le fonds documentaire de l’Inist, qui ne fournit malheureusement que des notices mais peut orienter la requête suivante;

  • MEDLINE/PubMed, en privilégiant les notices des revues dont le texte intégral est en accès gratuit.

La recherche d’une information médicale «pour décider»

La stratégie fait appel successivement

  • aux outils du 3e type

    • TRIPdatabase, très orienté «evidence-based», interroge Cochrane Database of Systematic Reviews;

    • DARE, Evidence-Based Pediatrics, BestBETS, POEMs, Bandolier et bien d’autres ressources EBM;

    • SUMsearch, plus éclectique, sélectionne (entre autres) les systematic reviews et les articles originaux de MEDLINE/PubMed;

  • aux ressources «evidence-based» disséminées sur la Toile et qui peuvent être plus faciles à explorer individuellement que simultanément;

  • à MEDLINE/PubMed quand les documents de la Toile n’ont pas traité la question et qu’il faut élaborer une conduite evidence-based à partir des données de la littérature médicale.

 

La bulle Internet a éclaté parce qu’on a « survendu » la rentabilité du réseau des réseaux.
Les ressources médicales du « Net » ont déçu les professionnels de santé parce qu’on a survendu leur facilité d’accès.
L’information de qualité ne peut venir de l’exploration d’une décharge (la Toile visible) à l’aide d’un bulldozer (Google) en laissant à l’internaute le soin de tamiser la boue pour récupérer les pépites. C’est pourtant ce qu’on n’a cessé de « vendre » aux médecins depuis des années.
Qu’elle se fasse à la bibliothèque universitaire ou sur la Toile, la recherche documentaire relève d’une sensibilité particulière qui va du besoin d’errer dans les espaces du savoir à l’envie de maîtriser les composantes d’une requête. Cela ne va pas sans efforts pour apprendre la syntaxe ni temps pour apprivoiser les outils. Quand ce message aura été entendu, l’exploration des espaces médicaux de la Toile aura quelques chances d’être plus gratifiante pour le praticien.

 

 

Les applications

(à partir de thèmes de requêtes, suggérés par Paul Dieterling)

Note
Les requêtes ont été faites le 28 décembre 2002.

Traitement endoscopique du reflux œsophagien

CISMeF (recherche avancée)
Mot clé MeSH —> reflux gastro-œsophagien
Qualificatif —> thérapeutique
Mot clé —> endoscopie
—> Deux résultats dont un article de Hepato-gastro en texte intégral qui répond à la demande.

Capsule endoscopique

CISMeF —> rien (endoscopie, endoscopie digestive, endoscopie gastro-intestinale)
article@inist (entrée de capsule endoscopique dans la fenêtre «tous les champs»)
—> deux notices datant de 2002
MEDLINE/PubMed (entrée de «wireless capsule [tw] AND endoscopy [mh])
—> 11 notices

Traitement de la maladie de Crohn par l’azathioprine, le methotrexate et l’infliximab

CISMeF (recherche avancée)
Mot clé MeSH —> Crohn, maladie
Qualificatif —> thérapeutique
—> pas de documents
article@inist entrée de Crohn AND azathioprine AND methotrexate;
sélection de 2001 et 2002)
—> 9 notices
—> entrée de Crohn AND infliximab; sélection de 2001 et 2002 et de «articles en Français»)
—> 12 notices

Traitement du cancer du rectum selon le stade du cancer

CISMeF (recherche avancée)
Mot clé MeSH Æ tumeur rectum
Qualificatif —> thérapeutique
—> 10 documents dont le «Standard Options and Recommandations» (SOR) sur la prise en charge des patients atteints de cancer du rectum qui répond très exactement à la requête.

Protocoles actuels du traitement de l’hépatite C

CISMeF (recherche avancée)
Mot clé MeSH —> hépatite C
Qualificatif —> thérapeutique
—> Le premier document affiché (sur 30) est le bon.

Suspicion de parasitose au retour d’un pays exotique quels examens demander en fonction du pays?

CISMeF (recherche avancée)
Mot clé MeSH —> parasitoses
Qualificatif —> diagnostic
Mot clé —> voyage
—> un document ne répondant pas exactement à la question (et ne concernant que l’enfant)
Open Directory Project (France)
—> Rien
article@inist (entrée de parasitose AND diagnostic AND voyage)
—> Rien
MEDLINE/PubMed (entrée de parasitic diseases/diagnosis [m noexp] AND travel [mh] AND french [la])
—> 5 notices dont «argument of a geographic nature in digestive parasitology» (notice sans résumé).
Google (en dernier recours) va fournir la «pépite», après avoir examiné un très grand nombre de liens.
—> Une partie de la réponse est au CHU de Besançon à l’adresse
http://www.chu-besancon.fr/anabio/Parasitologie.htm

REFERENCES

* Berland GK, Elliott MN, Morales LS, Algazy JI, Kravitz RL, Broder MS, Kanouse DE, Munoz JA, Puyol JA, Lara M, Watkins KE, Yang H, McGlynn EA. – Health information on the Internet accessibility, quality, and readability in English and Spanish. JAMA 2001 May 23-30; 285 (20) 2612-2621.

ADRESSES

PubMED (MEDLINE)

TRIPDatabase

SUM Search

CISMeF

Fonds documentaire de l’Inist

Open directory project (pages France)

Bibliothèque médicale A.F. Lemanissier

La page du médecin (atoute. org)

Google

UMVF

Réseau pédagogique (Rennes)

Polycopiés de santé (Lyon)

Minimum Vital (Paris)

Section rachis de la SFR

(Unaformec)

Abstracts of Cochrane Reviews

Database of Abstracts of reviews of Effects

BestBets

Bandolier

Public Library of Science

 
http://www.ncbi.nih.gov/entrez/query.fcgi
 
http://www.tripdatabase.com/
 
http://sumsearch.uthscsa.edu/searchform4.htm
 
http://www.chu-rouen.fr/cismef/
 

http://services.inist.fr/public/fre/conslt.htm

 

http://dmoz.org/World/Fran%e7ais/

 

http://www.bmlweb.org/

 

http://www.atoute.org/page_du_medecin/spe/mg/mg_1024.htm

 

http://www.google.fr/

 

http://www.umvf.prd.fr/

 

http://www.med.univ-rennes1.fr/resped/

 

http://cri-cirs-wnts.univ-lyon1.fr/Polycopies/

 

http://www.chups.jussieu.fr/polys/nivA/

 

http://www.med.univ-rennes1.fr/section_rachis/CoCoNUT

 

http://www.unaformec.org/efmc/qcm_theme.php?idtheme=3

 

http://www.cochrane.org/cochrane/revabstr/mainindex.htm

 

http://nhscrd.york.ac.uk/darehp.htm

 

http://www.bestbets.org/

 

http://www.jr2.ox.ac.uk/bandolier/

 

http://www.publiclibraryofscience.org/