Lésions pancréatiques de découverte fortuite. Comment les explorer ? Quels malades opérer ou ne pas opérer ?

Abréviations : TIPMP : tumeur intra-canalaire papillaire et mucineuse du pancréas.

Découverte fortuite d’une lésion pancréatique: une situation loin d’être exceptionnelle

Une lésion pancréatique «de découverte fortuite», kystique ou solide, est diagnostiquée lorsqu’un examen d’imagerie (échographie, scanographie) est réalisé pour explorer un autre organe ou dans le cadre d’un «débrouillage» pour des douleurs abdominales atypiques. L’enjeu diagnostique est très importantcar il faut déterminer si on est en présence d’une lésion bénigne mais à potentiel malin (cystadénome mucineux, tumeur intra-canalaire papillaire et mucineuse (TIPMP) bénigne, tumeur endocrine…) ou d’une lésion bénigne qui a toute chance de le rester (pseudokyste, cystadénome séreux, foyer de pancréatite quelle qu’en soit l’origine…). Rarement, une authentique tumeur maligne (petit adénocarcinome ou cystadénocarcinome, TIPMP maligne, métastase pancréatique…) peut être découverte fortuitement [1]. Enfin, certaines variations anatomiques de l’organe peuvent poser des problèmes diagnostiques tels qu’un pancréas aberrant, une rate accessoire, une lipomatose…

Définition – Mode de découverte

Un dossier de FMC a récemment été consacré aux tumeurs pancréatites de découverte fortuite dans la revue Gastroentérologie Clinique et Biologique [2]. Le diagnostic fortuitde ces lésions pancréatiques tient au fait que la plupart d’entre elles sont bénignes au moment de leur découverte. Trois facteurs peuvent intervenir dans leur identification: 1) leurs caractéristiques propres (grande taille, échogénicité ou densité distincte de celle du parenchyme pancréatique, calcifications, dilatation canalaire d’amont…) ; 2) la qualité de l’imagerie du pancréas disponible; 3) l’habitude du radiologue, du gastroentérologue ou du chirurgien d’examiner systématiquement le pancréas lors de tout examen d’imagerie abdominale.

Les lésions pancréatiques de découverte fortuite sont-elles fréquentes ?

Dans une série japonaise [3], la réalisation d’une échographie abdominale permettait d’identifier de façon fortuite une tumeur kystique pancréatique potentiellement maligne chez 5000 sujets asymptomatiques. Les tumeurs pseudo-papillaires et solides sont découvertes fortuitement dans 10% à 40% des cas [2]. Les TIPMP sont plus fréquemment symptomatiques que les autres tumeurs kystiques car l’obstruction du canal de Wirsung par du mucus peut entraîner des douleurs ou une pancréatite. En revanche, les cystadénomes ou les tumeurs solides, de nature endocrine notamment, communiquent rarement avec les canaux pancréatiques et n’entraînent donc des symptômes que lorsque leur taille est suffisante pour comprimer le canal de Wirsung ou la voie biliaire principale.

Les tumeurs malignes, telles que les cystadénocarcinomes, sont rarement découvertes de façon fortuite [1]. Cependant, près de 15% d’entre elles seraient asymptomatiques [2]. Les métastases pancréatiques sont asymptomatiques dans 30% à 80% des cas, mais le contexte aide souvent au diagnostic (antécédent de cancer du rein, du sein ou des bronches) [4]. Les tumeurs endocrines non fonctionnelles sont souvent découvertes de façon fortuite, y compris à un stade métastatique [5].

La détection de ces tumeurs pancréatiques rares, notamment kystiques, semble augmenter régulièrement [6]. Dans une étude américaine portant sur près de 700 malades ayant une tumeur pancréatique, les auteurs notaient une augmentation de la proportion des lésions de type rare entre les périodes 1977-1990 (8,8%) et 1990-1998 (11,9%) [7]. Dans le groupe des 40 malades n’ayant pas d’adénocarcinome, on notait une prédominance féminine (66%), un taux élevé de tumeurs kystiques (50%) et une grande taille des lésions (diamètre moyen: 5,5 cm). Les chirurgiens français ont fait la même constatation au cours des années passées [2].

L’incidence accrue des tumeurs pancréatiques de découverte fortuite résulte d’une augmentation de la sensibilité de détection et de la diffusion des techniques d’imagerie (échographie, scanographie spiralée ou multi-détecteurs, imagerie par résonance magnétique (IRM) et échoendoscopie) et de l’amélioration des connaissances des médecins prenant en charge les malades atteints d’affections pancréatiques [2]. Ainsi, le diagnostic erroné de pseudokyste chez les malades ayant une tumeur kystique a chuté de 30%-50% dans les séries anciennes à moins de 10% dans une étude récente [1]. La prévalence du diagnostic des petites lésions kystiques ou solides, en particulier les TIPMP avec atteinte exclusive et débutante des canaux secondaires ou les tumeurs endocrines bien vascularisées, semble en augmentation [2].

Approche diagnostique

Nous analyserons séparément les lésions kystiques et solides dont l’approche diagnostique est différente.

Lésions kystiques

IL FAUT D’ABORD DISTINGUER UN PSEUDOKYSTE D’UNE LESION PLUS RARE

Il faut toujours garder à l’esprit que les pseudokystes sont dix fois plus fréquents que autres lésions kystiques. Le contexte clinique (âge, sexe, consommation alcoolique) et l’imagerie (présence ou absence de signes de pancréatite chronique) permettent d’orienter le diagnostic différentiel. Chez un homme de la quarantaine ayant une consommation alcoolique importante et des antécédents de douleurs abdominales ou de poussées de pancréatite documentées, la probabilité qu’une lésion kystique soit autre chose qu’un pseudokyste est très faible. A l’inverse, une lésion kystique chez une femme de la cinquantaine n’ayant jamais eu de douleurs d’allure pancréatique est un cystadénome, bien plus probablement qu’un pseudokyste développé après une hypothétique poussée de pancréatite nécrosante passée inaperçue!

S’IL S’AGIT D’UNE TUMEUR KYSTIQUE: A-T-ELLE UN POTENTIEL MALIN?

Parmi les tumeurs kystiques, il faut savoir distinguer les lésions bénignes (cystadénome séreux ou kyste vrai) et celles qui sont potentiellement malignes ou malignes (cystadénome mucineux, TIPMP, tumeur pseudo-papillaire et solide). Pour cela, on doit réaliser un bilan d’imagerie détaillé comprenant une scanographie réalisée selon un protocole rigoureux avec coupes sans injection et après injection comprenant un temps précoce (artériel) et un temps tardif (portal), une pancréato-IRM – très utile si on suspecte une communication canalaire –, et une échoendoscopie en seconde intention. Ce bilan doit impérativement apporter les informations suivantes: caractère isolé ou multiple de la lésion kystique, épaisseur et régularité de la paroi, présence de calcifications, contenu homogène ou hétérogène, présence de végétations et existence d’anomalies du canal de Wirsung.
Une tumeur kystique unique est un cystadénome plus de trois fois sur 4 [1]. Les critères radiologiques de Johnson et al. [8] permettent de distinguer les cystadénomes mucineux, lésions uni ou pauci-loculaires (n < 6), dont les kystes mesurent tous plus de 2 cm de diamètre, des cystadénomes séreux qui contiennent habituellement d’innombrables kystes, souvent millimétriques. Le diagnostic exact de la tumeur kystique peut être précisé plus de huit fois sur 10 lorsque les examens diagnostiques sont réalisés et interprétés par des équipes ayant une expertise dans le domaine [9]; le pourcentage chute à 40% dans les centres moins entraînés [6].

Le diagnostic de cystadénome séreux peut être difficile dans deux circonstances: 1) lorsque les kystes sont très nombreux et de très petite taille et que la superposition des cloisons donne l’aspect d’une tumeur solide en échographie ou en scanographie; 2) dans 10% des cas environ, le cystadénome séreux se présente sous la forme d’un macrokyste en imagerie, impossible à distinguer d’un cystadénome mucineux [10].
Quand on suspecte une tumeur à développement intra-canalaire (TIPMP, tumeur oncocytaire ou endocrine), on doit disposer, en plus des trois examens d’imagerie cités plus haut, d’une pancréatographie. Celle-ci peut être obtenue par opacification rétrograde endoscopique ou pancréato-IRM. Ces examens permettent d’affirmer la communication des images kystiques, correspondant aux canaux secondaires dilatés, avec le canal de Wirsung. Ceci est particulièrement utile lorsqu’on hésite entre le diagnostic de TIPMP et de cystadénome séreux du crochet du pancréas ou de polykystose. En outre, elle donne des renseignements complémentaires de l’échoendoscopie en faveur d’une transformation maligne de TIPMP (nodules, sténose canalaire pancréatique et/ou biliaire).

La place de l’opacification rétrograde endoscopique (CPRE) des canaux pancréatiques dans l’exploration des lésions kystiques est néanmoins limitée. En effet, les kystes vrais ou polykystoses et les cystadénomes ne communiquent habituellement pas avec le canal de Wirsung. Faut-il encore systématiquement explorer les TIPMP par CPRE? Il est clair que la pancréato-IRM entre en concurrence avec cette technique car elle paraît très performante pour le diagnostic de dilatation des canaux secondaires tout en étant moins invasive. Si on manque encore de données pour affirmer qu’elle doit remplacer la CPRE, elle doit systématiquement être proposée en première intention. Au demeurant, la duodénoscopie précédant une éventuelle opacification du canal de Wirsung reste fondamentale car elle permet de voir un écoulement pathognomonique de mucus à travers la papille présent chez 30% des malades atteints de TIPMP [10]. La réalisation de biopsies intra-canalaires per-endoscopiques peut être utile en cas de doute pour le diagnostic TIPMP sans écoulement trans-papillaire de mucus surtout si la lésion touche une zone facilement accessible (canal pancréatique juxta-papillaire). Enfin, une analyse optimale des canaux est exigée avant de prendre une décision chirurgicale souvent lourde de conséquences, la résection pouvant aller jusqu’à la pancréatectomie totale. La disponibilité d’une opacification par un gastroentérologue connaissant bien cette affection est précieuse. Dans notre expérience, le taux d’erreurs diagnostiques chez les malades opérés pour TIPMP était de 11%.

DOSAGE DE MARQUEURS SERIQUES

Les marqueurs tumoraux sériques (ACE, Ca 19.9) ont une utilité limitée pour le diagnostic des tumeurs kystiques. L’ACE et le Ca 19.9 sérique sont élevés moins d’une fois sur deux en cas de cystadénocarcinome ou de TIPMP maligne [2]. Dans ce cas, il s’agit rarement de tumeurs de découverte fortuite.

PLACE DE LA PONCTION

La ponction sous échoendoscopie d’une tumeur kystique, avec analyse cytologique ou histologique et biochimique du liquide, doit être discutée principalement pour les lésions uni- ou pauci-loculaires d’allure bénigne dont la nature est souvent impossible à préciser avec l’imagerie [2]. La ponction n’est pas indiquée en cas de cystadénome séreux typique en imagerie. Elle ne l’est pas non plus en cas de lésion suspecte d’être maligne du fait de la présence d’une paroi épaisse et irrégulière ou nodulaire, de végétations intra-kystiques, d’un envahissement d’un organe de voisinage ou d’adénopathies suspectes. Dans ce cas, une résection chirurgicale doit être discutée d’emblée. En effet, une biopsie négative ou des concentrations «rassurantes» de marqueurs tumoraux intra-kystiques n’éviteront pas le recours à la chirurgie. L’utilité d’une ponction pré-opératoire en cas de suspicion de TIPMP reste à préciser. En cas de TIPMP maligne ou cystadénocarcinome à l’évidence non résécable en raison d’un envahissement loco-régional, l’objectif est de recueillir du tissu tumoral – plutôt que du liquide – afin d’obtenir une preuve du cancer et d’orienter le traitement palliatif.

La rentabilité de l’analyse cytologique ou histologique du matériel de ponction dépend du type de la lésion kystique. Dans la plupart des séries de la littérature, elle ne dépassait pas 25% en cas de cystadénome séreux, en raison de la pauci-cellularité habituelle du liquide. Elle est supérieure (30%-75%) en cas de cystadénome mucineux bénin ou de cystadénocarcinome [11]. Les performances de cette analyse sont susceptibles d’être améliorées en suivant les recommandations suivantes [12]: 1) l’anatomo-pathologiste doit disposer de toutes les informations cliniques et d’imagerie pertinentes et connaître les conditions de réalisation du prélèvement; 2) il faut prélever une quantité suffisante de liquide (> 2-3 mL); 3) une analyse couplée cytologique (en cytologie conventionnelle et en milieu liquide selon la technique d’étalement monocouche ou méthode Thinprep®) et histologique doit être réalisée.
Les performances diagnostiques de l’analyse de certains marqueurs biochimiques et tumoraux sont très bonnes. Dans notre expérience, une élévation intra-kystique de l’ACE > 400 ng/mL ou du Ca 72,4 >40 U/mL est quasiment spécifique de tumeur mucineuse, bénigne ou maligne [2, 10, 11]. A l’inverse, un ACE < 5 ng/mL suggère fortement un cystadénome séreux. Ces éléments sont très utiles pour le diagnostic de lésion uniloculaire, qu’il s’agisse d’un cystadénome mucineux à réséquer ou d’un cystadénome séreux à forme macrokystique à surveiller. De fortes concentrations de Ca 19.9 peuvent être rencontrées dans les pseudo kystes. Néanmoins, au seuil de 50000 U/mL, ce marqueur reste utile pour le diagnostic de cystadénome mucineux. Une concentration en mucines M1 évoque fortement un cystadénome mucineux, mais des valeurs très élevées ont été notées dans certains cystadénomes séreux (données non publiées).

Comme pour tout examen endoscopique, le patient doit être averti du risque de complication d’une ponction sous échoendoscopie. Dans notre expérience, le taux de complications de ce geste était 1,2% pour les lésions kystiques (douleurs, infection) et nul pour les tumeurs solides du pancréas [13].

Lésions solides

Les tumeurs endocrines non fonctionnelles uniques sont souvent sporadiques. Les tumeurs endocrines multiples s’intègrent habituellement dans une affection génétique (néoplasie endocrine multiple de type 1 ou maladie de von Hippel-Lindau). En imagerie, elles se présentent sous l’aspect d’une masse iso- ou modérément hypodense, se rehaussant nettement après injection de produit de contraste. L’échoendoscopie est très utile pour le diagnostic en montrant une masse hypoéchogène homogène, bien limitée et parfois calcifiée. La scintigraphie des récepteurs de la somatostatine a une sensibilité et une spécificité de 80-90% pour le diagnostic [14]. Elle est moins performante pour les tumeurs de petite taille et l’insulinome (mais cette lésion est rarement de découverte fortuite!). Son principal intérêt est d’éviter le recours à une biopsie pour affirmer le diagnostic de tumeur endocrine.

Les métastases pancréatiques compliquent les cancers bronchiques, du rein ou du sein, les mélanomes, ou d’autres tumeurs variées (cancers colo-rectaux, sarcomes…). Elles seraient diagnostiquées de façon fortuite dans 30% à 80% des cas. Le délai entre le traitement du cancer primitif et la découverte des métastases pancréatiques peut être très long, dépassant 20 ans en cas de cancer du rein. Elles sont uniques ou multiples. Leur localisation exclusivement pancréatique est fréquente en cas de cancer primitif rénal (80%). En scanographie, ces lésions sont iso- ou hypodenses avant injection et se rehaussent en périphérie après injection de produit de contraste iodé. L’hypervascularisation des métastases de cancer du rein est notée à la phase artérielle précoce de l’injection. En IRM, ces tumeurs apparaissent généralement hypointenses sur les séquences pondérées en T1, et hyperintenses et hétérogènes sur les séquences T2. L’échoendoscopie est très utile pour le diagnostic en montrant des lésions souvent multiples, peu hypoéchogènes ou isoéchogènes, homogènes, arrondies et bien limitées, entourées d’un parenchyme peu ou pas remanié [15]. L’adénocarcinome canalaire pancréatique de petite taille n’est qu’exceptionnellement découvert de façon fortuite à l’occasion d’un bilan d’imagerie.

AUTRES EXPLORATIONS

Les marqueurs tumoraux ont un intérêt limité pour le diagnostic d’une lésion solide de découverte fortuite. La chromogranine A sérique est élevée chez environ 60% des malades ayant une tumeur endocrine non fonctionnelle; dans ce cas, la tumeur est habituellement métastatique [16]. La sensibilité modeste de ce marqueur dans les petites tumeurs en limite l’intérêt diagnostique en regard des techniques d’imagerie. Une élévation de l’ACE ou du Ca 19.9 évoque un adénocarcinome pancréatique. La recherche de mutations de l’oncogène ki-ras dans le sérum, très spécifique du diagnostic d’adénocarcinome, n’est pas de pratique courante.

La scintigraphie au 18-fluorodéoxyglucose pourrait être utile pour le diagnostic de tumeur solide. La sensibilité de cet examen est supérieure à 80% pour l’adénocarcinome mais chute en cas de diabète (69%) [17]. Elle est nettement moins bonne en cas de tumeur endocrine. En outre, une pancréatite bénigne de type auto-immune peut occasionner un faux positif du fait de l’hypermétabolisme cellulaire de cette affection. Les performances diagnostiques de la ponction sous écho-endoscopie du pancréas sont très bonnes en cas de tumeur solide, dépassant 80%- 90% dans la plupart des séries [18]. La valeur prédictive positive pour distinguer une tumeur pancréatique maligne d’un foyer de pancréatite approche 100% dans notre expérience [19]. En cas de pancréatite auto-immune à forme pseudo-tumorale, la «négativité» d’une biopsie est un argument très utile pour écarter une tumeur maligne, à défaut de donner des éléments formels pour le diagnostic de l’affection: l’infiltrat lymphocytaire et la destruction des canaux est difficile à affirmer avec un prélèvement de petite taille, d’autant que les lésions typiques peuvent être focales et situées en dehors de la zone biopsiée [20].

Les indications de la CPRE sont très limitées pour le diagnostic des tumeurs solides de découverte fortuite, sauf pour celles qui sont à développement purement intra-canalaire telles que certaines tumeurs endocrines ou de type oncocytaire.

Lésions mixtes

Certaines lésions pancréatiques de découverte fortuite sont dites mixtes avec composantes solides et kystiques [1]. La tumeur pseudo-papillaire et solide en est le principal représentant. Cette tumeur rare (< 5% des tumeurs kystiques), qui touche très souvent la femme avant l’âge de 30 ans, se présente sous la forme d’une volumineuse masse solide associant à des degrés divers des zones d’hémorragie, de nécrose et des calcifications bien démontrées par l’IRM. Lorsqu’elle se présente sous la forme d’une lésion uniloculaire d’allure entièrement kystique, on note une paroi très épaisse, visible au mieux en IRM, qui permet de la distinguer d’un cystadénome mucineux bénin ou séreux macrokystique [21]. Enfin, la plupart des tumeurs solides (adénocarcinome, tumeur endocrine…) peuvent se nécroser et prendre un aspect mixte, kystique et solide [1].

Quelle prise en charge proposer aux malades ayant une lésion pancréatique de découverte fortuite?

Les principales difficultés pour la prise en charge de ces malades sont les suivantes: 1) la plupart de ces tumeurs sont bénignes mais à potentiel évolutif incertain. En corollaire, la décision du mode de prise en charge est souvent délicate en l’absence de certitude diagnostique: simple surveillance ou exérèse chirurgicale; 2) le diagnostic différentiel entre une infiltration pseudo-tumorale du pancréas, telle qu’on la rencontre dans les pancréatites chroniques auto-immunes ou éosinophiles, et une authentique tumeur solide, est souvent difficile. Dans ce cas, on doit s’aider du contexte (absence d’altération de l’état général et d’élévation des marqueurs tumoraux, affection auto-immune, maladie chronique inflammatoire de l’intestin ou hyperéosinophilie associée) et de l’imagerie (infiltration diffuse du pancréas, hypointensité T1 en IRM et prise de contraste tardif en scanographie et en IRM), test aux corticoïdes (voire biopsie pancréatique?) peuvent contribuer au diagnostic [20]; 3) des lésions kystiques de taille inférieure à 20 mm sont de plus en plus souvent découvertes à l’occasion d’un examen d’imagerie et le diagnostic en est particulièrement difficile. Par exemple, en présence d’une lésion kystique du pancréas apparemment uniloculaire mesurant 10 mm de diamètre, la distinction entre un cystadénome séreux sans contingent microkystique individualisable, un kyste vrai et un cystadénome mucineux, qui ne répond pas stricto sensu aux critères radiologiques définis par Johnson et al. [8] est impossible.

Dans tous les cas, rien ne presse à prendre une décision thérapeutique pour une tumeur pancréatique de découverte fortuite. Une confrontation des données cliniques, d’imagerie voire d’histologie avec des équipes ayant une expertise dans les affections pancréatiques rares est toujours utile.

Quelles lésions réséquer et comment?

Une résection doit théoriquement être proposée en cas de tumeur maligne, potentiellement maligne ou douteuse, qu’elle soit solide ou kystique. C’est le cas lorsqu’on suspecte un adénocarcinome, une tumeur endocrine de grande taille (> 2 cm de diamètre), une tumeur pseudo-papillaire et solide ou une tumeur kystique mucineuse. La décision est plus difficile en cas de lésion de petite taille < 2 cm, qu’il s’agisse d’un probable cystadénome mucineux, d’une tumeur endocrine ou d’une dilatation isolée d’un petit canal secondaire correspondant à une TIPMP débutante, car le risque de transformation maligne de ces lésions est assez faible. La prise en compte du terrain est alors essentielle (âge du malade, état général). Le bénéfice supposé de l’exérèse de la lésion et les risques d’une résection pancréatique, même limitée, doivent être mis en balance. Le type de résection doit être discuté en réunion multi-disciplinaire en fonction de la nature supposée de la lésion, sa taille et sa localisation, et de l’expertise des chirurgiens présents. Une tumeur a priori maligne doit être enlevée par une intervention réglée (duodéno-pancréatectomie céphalique, pancréatectomie gauche avec ou sans splénectomie). Une pancréatectomie médiane peut être envisagée en cas de lésion isthmique d’allure bénigne [2]. Une énucléation pancréatique peut également se discuter pour une tumeur d’allure bénigne située suffisamment à distance (> 2–3 mm) du canal de Wirsung et si les rapports avec les vaisseaux péri-pancréatiques et le duodénum le permettent. Outre les examens d’imagerie pré-opératoires (scanographie, IRM et échoendoscopie), la réalisation d’une échographie per-opératoire est souvent nécessaire. Une étude récente menée par le Club Français du Pancréas colligeait 76 observations de malades ayant eu une énucléation de tumeur pancréatique dans 12 centres. Il s’agissait d’une tumeur endocrine fonctionnelle dans 54 cas ou d’un autre type (tumeur kystique bénigne, tumeur endocrine non fonctionnelle) dans 22 cas [22]. Un décès était noté (1,3%). Une fistule survenait dans 29% des cas qui prolongeait le délai de réalimentation des malades (13 j ± 14 vs 5 j ± 4 en l’absence de fistule). L’administration préventive de somatostatine ou d’un de ses dérivés ne modifiait pas le taux de fistule. Dans une autre série [23], le taux de fistule était cinq fois plus élevé en cas d’énucléation que de résection (50% vs 10%).

Abstention thérapeutique et surveillance : quand et comment ?

L’abstention thérapeutique et la surveillance sont indiquées chez les patients ayant un cystadénome séreux bien documenté ou dont l’état général contre-indique une résection chirurgicale. En cas de TIPMP limitée aux canaux secondaires chez les sujets âgés et asymptomatiques, notre tendance actuelle est de proposer une simple surveillance.

L’histoire naturelle de ces lésions n’étant pas connue, les modalités d’une surveillance par l’imagerie ne sont pas bien définies. Une échographie abdominale trans-pariétale annuelle peut être proposée chez les sujets jeunes. On ne sait pas s’il est utile de poursuivre la surveillance pendant de nombreuses années pour un cystadénome séreux. En revanche, il faut sans doute être plus prudent pour les lésions canalaires. Lorsque la surveillance dure plusieurs années, les examens d’imagerie non irradiants doivent certainement être préférés à la scanographie. Les explorations plus coûteuses ou invasives, telles que l’échoendoscopie, ne doivent être discutées que lorsque la lésion se modifie ou qu’elle devient symptomatique [6].

La découverte fortuite d’une lésion pancréatique est génératrice d’anxiété pour les patients !

La découverte fortuite d’une tumeur pancréatique déclenche fréquemment des réactions d’anxiété importante chez les patients concernés. Même après avoir utilisé des arguments rassurants lorsque les examens d’imagerie évoquent une tumeur bénigne, cette annonce n’est jamais anodine [2]. Le pancréas est un organe un peu mystérieuxet mal connu du grand public. La notion de «tumeur pancréatique» est chargée d’une connotation très péjorative, l’extrême gravité du pronostic du cancer du pancréas étant souvent bien connue des patients. Par ailleurs, le caractère bénin d’une tumeur pancréatique ne peut être affirmé qu’après réalisation de plusieurs examens morphologiques, parfois invasifs (échoendoscopie, CPRE, biopsie…). La justification d’une intervention «prophylactique» visant à réséquer une lésion asymptomatique, a priori bénigne mais ayant un potentiel malin (cystadénome mucineux, TIPMP) est souvent délicate et requiert de la part du gastroentérologue, prudence et pédagogie. Il faut en effet naviguer entre les risques d’une transformation maligne, dans une proportion et un délai non chiffrés, et ceux d’une intervention chirurgicale. Concernant cette dernière, le risque élevé de fistule pancréatique post-opératoire pouvant prolonger l’hospitalisation d’une semaine ou plus doit être loyalement exposé, tout en indiquant que c’est à ce prix qu’on préservera le maximum de parenchyme pour éviter les séquelles fonctionnelles à long terme (insuffisance pancréatique exocrine ou diabète).

Lorsqu’on a décidé une abstention thérapeutique, par exemple pour un cystadénome séreux, une TIPMP limitée aux canaux secondaires ou une petite tumeur endocrine chez un sujet âgé, des explications rassurantes doivent être données au patient sur la nature de la lésion et son faible risque d’évolutivité. On doit enfin souligner l’absence de responsabilité de cette lésion dans la genèse de symptômes digestifs variés qu’il pourrait ressentir ultérieurementpour éviter une focalisation excessive pouvant le conduire à réclamer une intervention injustifiée [2].

Conclusions

Les progrès constants des techniques d’imagerie expliquent l’augmentation apparente de l’incidence des lésions pancréatiques de découverte fortuite. Une utilisation raisonnée des examens complémentaires permet d’aboutir le plus souvent au diagnostic précis du type de lésion et de choisir à bon escient le traitement adapté. Alors que certaines lésions sont de diagnostic relativement aisé lorsqu’elles ont une présentation typique (tumeur endocrine, cystadénome séreux, tumeur pseudopapillaire et solide…), d’autres posent des problèmes délicats: infiltrations pseudo-tumorales du pancréas, lésions kystiques uniloculaires ou lésions canalaires atypiques. Le recours à des explorations plus invasives (échoendoscopie avec ponction, CPRE) est alors souvent indispensable pour éviter des erreurs diagnostiques parfois lourdes de conséquences. L’anxiété qui découle de la découverte fortuite d’une lésion du pancréas, avec les doutes diagnostiques qui l’accompagnent, impose au gastroentérologue qui a en charge le malade, d’expliquer patiemment le choix progressif des explorations et la stratégie thérapeutique adaptée au type de lésion en cause.

 

RÉFÉRENCES

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