Maladie coeliaque : faut-il dépister ?

La maladie cœliaque (MC) est caractérisée, dans sa forme classique, par une atrophie villositaire totale ou subtotale prédominant au niveau de l’intestin grêle proximal, secondaire à l’ingestion de gluten. Considérée encore récemment comme rare et affectant essentiellement l’enfant, la prévalence de la maladie a été réévaluée. Celle-ci est maintenant estimée à 1/300 (entre 1/100 et 1/500) en Europe et aux USA avec une majorité de cas diagnostiqués à l’âge adulte [1]. Plus de 150 000 Français, plus de 2 millions d’Européens et d’Américains du Nord seraient donc affectés par cette intolérance au gluten (blé, seigle, orge). Deux études séro-épidémiologiques récentes réalisées chez l’adulte en France confirment ces données avec des prévalences de 1/388 (cohorte MONICA du Nord de la France) et 1/643 (cohorte SU. VI. MAX) [2, 3]. La majorité des sujets avec une MC sont cependant asymptomatiques, peu symptomatiques ou encore présentent des symptômes atypiques. Ainsi la forme classique de la maladie avec la triade diarrhée, douleurs abdominales et syndrome de malabsorption du grêle ne représente probablement que moins de 20% des cas diagnostiqués à l’âge adulte actuellement [1]. On peut à titre d’exemple noter que 30% des nouveaux cas de MC diagnostiqués aux USA présentent une surcharge pondérale [1].

Depuis 10 ans, la présentation clinique de la MC a donc été bouleversée et la fréquence de la maladie multipliée par 10 depuis la réalisation d’études séro-épidémiologiques (recherche des anticorps sériques anti-gliadine, anti-endomysium et anti-transglutaminase) dans des populations non sélectionnées. Les symptômes conduisant actuellement au diagnostic d’une authentique MC sont polymorphes, avec fréquemment des manifestations extra-digestives [1]. Devant cette maladie protéiforme ou asymptomatique, le corps médical en général et les gastro-entérologues en particulier, restent perplexes. Quand faut-il dépister et traiter cette pathologie si fréquente, mais si peu symptomatique?

Quels sont les sujets à risque de MC ?

Si un syndrome de malabsorption du grêle reste un tableau classique évocateur de la MC, le diagnostic doit maintenant, et en particulier chez l’adulte, être évoqué devant des symptômes minimes, des manifestations extra-digestives ou dans des groupes à risque.

Symptômes mineurs ou extra-intestinaux

Pour le gastro-entérologue, le diagnostic de MC peut être évoqué devant une augmentation inexpliquée des transaminases, voire une hépatopathie sévère inexpliquée [4, 5], une anémie par carence en fer, en folates ou en vitamine B12 isolée [1], une aphtose buccale récidivante [1] ou encore des troubles fonctionnels intestinaux [6].

Des manifestations essentiellement extra-intestinales sont également fréquemment révélatrices de la maladie : déminéralisation osseuse inexpliquée, arthralgies, troubles neurologiques (épilepsie, neuropathie périphérique d’origine carentielle, migraine ou ataxie), cardiomyopathie dilatée idiopathique ou encore troubles de reproduction (amenhorrée, infertilité, hypotrophie fœtale ou fausses couches à répétition) [1].

Groupes à risque de Maladie Cœliaque

La MC est une maladie auto-immune dont le déterminisme génétique est important, puisque 95% des malades expriment un HLA de classe II de type DQ2 ou plus rarement de type DQ8. De ce fait, il existe un risque accru de MC chez les apparentés au premier degré de malades cœliaques (10%), chez les diabétiques de type I (5%) et chez les sujets atteints d’autres maladies auto-immunes (thyroïdite, cirrhose biliaire primitive, dermatite herpétiforme, alopécie, urticaire, psoriasis, vitiligo, ataxie….). Le risque de MC est d’autant plus grand chez les sujets atteints de maladies auto-immunes multiples (de 5% à 30%). Un dépistage et un traitement précoce de la MC pourraient prévenir, pour certains auteurs, l’émergence de maladies auto-immunes associées [7], mais ces données restent controversées (cf infra). Le régime sans gluten ne permet pas habituellement la guérison des maladies auto-immunes associées, hormis pour la dermatite herpétiforme, l’urticaire, le psoriasis, l’alopécie ou l’ataxie [1, 7, 8].

Une MC asymptomatique peut être également observée chez 1 à 5% des patients souffrant d’une ostéoporose idiopathique qui peut être la seule manifestation de la malabsorption intestinale du calcium et de la vitamine D [1, 8]. Un risque accru de fractures [9] et de petite taille à l’âge adulte chez les enfants cœliaques non traités a été rapporté [9, 10].

Quel est le bénéfice du dépistage et du traitement pour les sujets cœliaques peu symptomatiques ou asymptomatiques ?

Le dépistage des formes peu symptomatiques ou silencieuses de la MC peut se justifier soit par l’amélioration de manifestations même mineures, mais invalidantes soit par la prévention de complications telles le lymphome, les maladies auto-immunes ou la déminéralisation osseuse.

Amélioration des symptômes

Chez les patients avec une atrophie villositaire, le régime sans gluten (RSG) permet habituellement la rémission de symptômes liés à l’intolérance au gluten en particulier les troubles digestifs mimant une pathologie fonctionnelle banale (diarrhée, douleurs abdominales, ballonnements…), l’anémie ou les aphtes [1, 6].

Les liens entre pathologie fonctionnelle intestinale et intolérance au gluten pourraient dans l’avenir être revisités. Ainsi une étude réalisée en Allemagne, a suggéré que certains cas de syndromes de l’intestin irritable avec diarrhée, répondant aux critères de Rome II et un bilan endoscopique et histologique (biopsies duodénales et coliques) normal pouvaient être secondaires à une MC latente (ou potentielle). Parmi les sujets atteints de troubles fonctionnels, 35% avaient le génotype HLA-DQ2 (95% chez les cœliaques), 23% une lymphocytose intra-épithéliale. Aucun n’avait des anticorps sériques détectables (AGA ou tTG), mais 30% avaient des anticorps présents dans le liquide duodénal. Après un RSG, une diminution significative des symptômes a été observée chez les sujets avec un génotype HLA-DQ2 et des anticorps AGA et/ou tTG présents dans le suc duodénal [11]. Ces données, si elles se confirment, suggèreraient qu’un sous groupe de sujets souffrant de diarrhée étiquetée fonctionnelle pourrait en fait avoir une MC latente ou plutôt une intolérance au gluten «a minima» [12].

L’augmentation des transaminases associée à la MC, se normalise dans 90% des cas après 1 an d’éviction du gluten et une biopsie hépatique n’est requise qu’en cas d’échec du régime bien suivi [5]. Quelques cas d’hépatopathies sévères justifiant d’une transplantation hépatique et associées à une MC ont été spectaculairement améliorés par un RSG [4].

Les troubles neurologiques associés à l’intolérance au gluten soit centraux, à type d’ataxie ou de migraine, soit périphériques à type de neuropathie, semblent bénéficier de l’éviction du gluten [8].

Une MC méconnue a été détectée chez près de 1,2% des femmes enceintes et était responsable de fausses couches à répétition ou d’une hypotrophie fœtale. Le bénéfice du RSG dans ce contexte n’est pas démontré, mais a été rapporté [13].

Prévention des complications secondaires à une MC non diagnostiquée

Le dépistage de sujets cœliaques asymptomatiques ne se justifie que s’il existe un bénéfice en terme de prévention des complications dues à la MC : lymphome, maladie auto-immune ou ostéopénie.

La survenue d’un lymphome invasif ou d’une sprue réfractaire (forme de lymphome T intra-épithélial de bas grade [4] est une complication grave de la MC. Le risque de lymphome de haut grade avait été initialement estimé à 80 fois supérieur à celui d’une population contrôle pour les sujets ne suivant pas le RSG et ce risque était significativement diminué par un RSG bien suivi (? 20) [15]. Le risque de lymphome ou de cancer a été récemment réévalué sur une étude du registre suédois comportant plus de 24 000 cas de MC hospitalisées et ce risque apparaît significativement moindre avec un risque relatif de 6 pour le lymphome intestinal et de 1,3 pour tout type de cancer [16]. De plus, dans une série comportant un suivi longitudinal de plus de 1 000 cœliaques sur 30 ans, les cas de lymphome invasif (1%) ont été observés uniquement chez les sujets symptomatiques au moment du diagnostic et jamais chez les patients asymptomatiques diagnostiqués lors d’un dépistage [17]. Cependant seulement 50% des lymphomes associés à la MC surviennent sur une MC préalablement diagnostiquée et 50% révèlent une MC silencieuse. Le bénéfice d’un dépistage pour prévenir ces cas de lymphome compliquant une MC asymptomatique n’est pas connu, mais le risque de lymphome associé à la MC est si faible qu’il ne peut à lui seul justifier un dépistage généralisé.

La MC est associée à un excès d’autres maladies auto-immunes (MAI), parfois multiples dans 5 à 30% des cas. Une étude italienne a montré, chez des enfants et des adultes jeunes, que l’âge tardif au diagnostic de la MC était significativement lié à fréquence accrue d’autres maladies auto-immunes [7]. Ces données pourraient donc constituer un argument pour un dépistage de la MC afin de prévenir l’émergence d’autres pathologies auto-immunes, mais d’autres études et notamment chez l’adulte, n’ont pas confirmé ces données [10].

Un dépistage de la MC pourrait se concevoir chez les patients atteints de MAI, surtout si elles sont multiples pour celles susceptibles d’être améliorées par un RSG (tableau) ou comportant un risque important d’ostéopénie fracturaire (corticothéraphie prolongée par exemple…).

Le risque de déminéralisation osseuse, évaluée par ostéodensitométrie osseuse, est important (près de 50% des cas) que la MC soit symptomatique ou non [9, 18-20]. Il semble exister un risque de fracture au niveau des membres chez les malades cœliaques non diagnostiqués [9], mais les données concernant le risque fracturaire de la MC doivent être consolidées. Le RSG permet une régression partielle de la déminéralisation osseuse et constitue incontestablement un argument pour justifier et motiver un régime contraignant chez des sujets asymptomatiques [20]. Inversement, une recherche systématique d’une MC méconnue semble justifiée chez les patients atteints d’ostéoporose inexpliquée ou atypique, puisqu’une MC silencieuse y a été diagnostiquée comme la cause de la déminéralisation osseuse dans 5% des cas [1, 20].

Quel est le risque de ne pas traiter une MC asymptomatique ?

La seule possibilité de répondre formellement à cette question serait d’évaluer prospectivement sur une durée très prolongée, le devenir de deux groupes (régime sans gluten et régime normal) de MC asymptomatique diagnostiquée par dépistage. Cette étude est difficile, voire impossible à mettre en place. Pour obtenir un début de réponse à cette question, nous avons étudié le devenir à l’âge adulte de sujets chez qui un diagnostic de MC avait été fait dans l’enfance et qui avaient repris un régime normal, sans réapparition de symptômes. Après 14 ans en moyenne de régime normal, aucun cas de lymphome ou de MAI n’a été observé. Cependant parmi les 45 patients, plus de 80% avaient une atrophie villositaire associée à des carences biologiques et 50% avaient une déminéralisation osseuse [21]. Avec le même objectif, Cosnes et al. ont montré que les patients cœliaques avec des symptômes dans l’enfance, mais diagnostiqués à l’âge adulte, avaient une plus petite taille et un risque accru d’infertilité qu’une population contrôle appariée [10].

Comment dépister ?

A l’échelon individuel, la recherche de la MC peut s’envisager dans 2 situations distinctes. La première est celle où une endoscopie haute est réalisée, par exemple devant des troubles digestifs apparemment fonctionnels, une anémie ou un amaigrissement… Des biopsies duodénales systématiques doivent être réalisées pour recherche d’une atrophie villositaire, même en présence d’un aspect endoscopique normal de la muqueuse duodénale. La seconde situation est celle où les symptômes ne justifient pas la réalisation d’une endoscopie haute (par exemple une augmentation inexpliquée des transaminases) ou devant un sujet asymptomatique, mais appartenant à un groupe à risque (apparenté d’un patient cœliaque par exemple). Une étude sérologique sera réalisée en première intention comportant un dosage pondéral des immunoglobulines (pour rechercher un déficit sélectif en IgA, présent chez 2 à 3% des MC) et une recherche d’anticorps sériques anti-endomysium (AEM) de type IgA. En cas de déficit en IgA, cette recherche sera complétée par une recherche d’AEM de type IgG ou d’anticorps antigliadine (AGA) de type IgG [1-3]. Une biopsie duodénale ne sera proposée qu’en cas de positivité des AEM IgA ou des AEM et/ou AGA de type IgG associés à un déficit sélectif en IgA. L’utilisation des nouveaux anticorps anti-transglutaminase n’est pas actuellement recommandée en raison d’un taux important de faux positifs [3].

Conclusion

L’émergence d’un nombre très important de cas de MC asymptomatique ou peu symptomatique pose maintenant le problème du dépistage et du bénéfice attendu. Un dépistage à grande échelle n’est pas souhaitable et nécessiterait des études avec un suivi à très long terme pour évaluer le bénéfice en terme de santé publique. Actuellement, le dépistage doit être ciblé et porter sur des groupes à risque, tels les patients souffrant de symptômes digestifs minimes ou avec des manifestations extra-intestinales (anémie, troubles fonctionnels intestinaux, ostéopénie…). Il semble également licite de le proposer aux sujets asymptomatiques à haut risque (enfants des sujets atteints de MC, maladies auto-immunes, ostéoporose inexpliquée) chez qui un dépistage et un régime sans gluten peuvent prévenir ou corriger les complications osseuses, telles l’ostéopénie.

 

 

REFERENCES

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