Métastases hépatiques d’origine indéterminée

Les carcinomes de site primitif inconnu (CUP) représentent une entité à part en cancérologie, autant sur le plan clinique que biologique. Les métastases hépatiques seront présentes dans 20 à 30% des CUP [1] et sont le second mode de révélation des CUP [2].

La démarche aboutissant au traitement doit être systématique et en 3 étapes

Affirmer la malignité

Devant des lésions hépatiques, la preuve histologique par biopsie constitue la première étape afin:

  • de prouver le caractère malin et métastatique;
  • d’éliminer des tumeurs primitives relevant de traitements plus spécifiques (mélanome, lymphome) ou de déterminer l’histologie de la tumeur;
  • d’orienter vers un site primitif probable.

L’immunohistochimie permettra ensuite de préciser la différenciation épithéliale des carcinomes en carcinome indifférencié, adénocarcinome peu à moyennement différencié, et parfois en tumeurs neuroendocrines [3].
Les immunomarqueurs les plus utiles sont alors les ACE, PSA, TTF1, cytokératines CK7, CK20, les thyroglobuline et thyrocalcitonine, la synaptophysine, sérotonine, le NSE et la chromogranine ou les récepteurs hormonaux, la liste n’étant pas exhaustive.
Parfois au terme de cette examen anatomo-pathologique, un site primitif peut-être suspecté sans que l’on puisse l’affirmer.
L’examen anatomo-pathologique peut permettre d’identifier des tumeurs potentiellement curables dont le pronostic est modifié par une prise en charge particulière.

Examens paracliniques à la recherche du site primitif

Devant une maladie métastatique hépatique pour laquelle l’examen histologique n’apporte pas d’orientation, deux éléments sont déterminants: l’absence d’impact sur le pronostic de l’identification du site primitif (en dehors de quelques sous-types), et le faible rendement (1% par exploration) des examens réalisés en dehors du bilan minimal [4, 5]. Ces tumeurs ont en commun un faible développement local et un fort potentiel métastatique liés à leur caractéristiques biologiques encore mal connues, expliquant l’absence de site primitif détectable.

Les examens effectués tenteront de retrouver les tumeurs primitives relevant d’un traitement spécifique influant sur le pronostic, sans retarder inutilement la prise en charge thérapeutique. De façon générale, pour tout carcinome de primitif inconnu, l’attitude standard est donc de réaliser un examen clinique complet comprenant les touchers pelviens, l’examen dermatologique, la palpation thyroïdienne et testiculaire. Les recommandations actuelles et récentes sont de compléter les explorations par une tomodensitométrie thoraco-abdominale, une imagerie pelvienne (échographique ou scanographique) et une mammographie chez la femme en cas d’adénocarcinome ou de carcinome indifférencié. Le dosage des marqueurs sériques tumoraux se limitera au PSA, à l’?FP et à l’HCG si le tableau clinique est compatible avec une tumeur germinale ou prostatique [4, 6, 7].

Par ailleurs, la coloscopie n’est recommandée qu’en cas de point d’appel clinique. En l’absence de symptomatologie, elle reste toutefois une option compte-tenu de l’émergence récente de stratégies médico-chirurgicales depuis le développement de chimiothérapies améliorant le pronostic du cancer colorectal. Plus spécifiquement, devant des métastases hépatiques de primitif inconnu, la coloscopie est justifiée en cas de métastase(s) résécable(s) ou dans un contexte familial [1].

Tout autre examen complémentaire ne trouvera pas sa place en l’absence d’orientation clinique [6]. Notamment les données concernant la tomographie à émission de positons (PET-Scan) sont encore trop récentes pour qu’elle trouve sa place dans cette situation. Enfin, une tumeur indifférenciée entraînera le dosage systématique de l’alpha fœto-protéine afin d’identifier un carcinome hépatocellulaire, et la recherche d’inflexion neuroendocrine [2].

Identifier les facteurs pronostiques

Dans la littérature, on ne dispose que de séries rétrospectives avec des effectifs allant de 57 à 927 patients traités pour carcinomes de primitif inconnu [5, 8, 9, 10, 11]. Les facteurs de bon pronostic retrouvés fréquemment sont:

  1. Performance Status = 0
  2. Sexe féminin
  3. Nombre de sites métastatiques < 3 ou unique
  4. Carcinome neuroendocrine ou épidermoïde
  5. Primitif retrouvé
  6. PAL < 1,25 fois la normale
  7. Absence de tabagisme et âge jeune

Les facteurs de mauvais pronostic sont par opposition:

  1. Performance Status >1
  2. Nombres de sites >3
  3. Métastases hépatiques
  4. Adénocarcinomes
  5. PAL > 1,25 fois la normale
  6. Sexe masculin

Une étude du M.D. Anderson reprenant rétrospectivement 365 patients traités pour des métastases hépatiques de primitifs inconnus, a retrouvé trois facteurs pronostiques: l’origine neuroendocrine, l’âge et le nombre de sites métastatiques; la survie médiane étant alors de 7 mois [2].
Plus récemment, une revue rétrospective de 150 patients traités pour un carcinome de primitif inconnu au Centre Réginal de Lutte Contre le Cancer de Montpellier a permis d’identifier deux facteurs pronostiques indépendants: l’état général et l’élévation des LDH sériques. Secondairement, ces données ont été confirmées par une étude du GEFCAPI (Groupe d’Etude Français sur les CArcinomes de Primitifs Inconnus) [14].

La présence de métastases hépatiques, retenue comme facteur de mauvais pronostic dans plusieurs séries [2, 9, 11, 12, 13], n’a pas été retrouvée en analyse multivariée.

Le GEFCAPI a donc développé un modèle pronostique basé sur ces deux caractères séparant:

  1. Les patients de bons pronostic présentent un Performance Status (PS) à 0 ou 1 et des LDH sériques normales. La survie moyenne est alors de 11,7 mois.
  2. Les patients de mauvais pronostic avec une altération de l’état général (PS = 2) ou des LDH sériques augmentées, la survie moyenne chutant alors à 3,9.

 

Le traitement

De la classification pronostique précédente découle le choix thérapeutique.
Dans le groupe «bon pronostic», il n’existe pas de standard de chimiothérapie, bien que le cisplatine soit le plus souvent utilisé en association, permettant des réponses objectives allant de 10 à 73% selon les études [15]. Ces données font recommander, en l’absence d’essai thérapeutique, l’instauration d’une bi-thérapie à base de cisplatine [6]. Par ailleurs, aucune étude de qualité de vie n’est disponible pour ces patients dont le pronostic reste, malgré tout, sombre.

Pour les patients de «mauvais pronostic» d’emblée, la supériorité de la chimiothérapie n’est pas prouvée sur un traitement palliatif symptomatique.
LE GEFCAPI a donc développé un essai thérapeutique séparant les deux populations pronostiques. Les patients de mauvais pronostic recevront après randomisation, de la gemcitabine, de la capécitabine ou de l’acétate de mégestrol (correspondant au bras «traitement symptomatique»).

Le groupe «meilleur pronostic» sera randomisé en un bras cisplatine seul ou l’association gemcitabine-cisplatine.

Les métastases hépatiques de tumeurs neuroendocrines dont la chimiosensibilité est supérieure aux adénocarcinomes indifférenciés, forment un groupe à part. Leur traitement est pluridisciplinaire et peut faire appel à la chirurgie, la chimio-embolisation et la chimiothérapie systémique. Les protocoles les plus répandus associant étoposide et cisplatine ou streptozotocine et adriamycine, le premier restant le standard pour les formes peu différenciées qui apparaissent de meilleur pronostic avec des médianes de survie allant jusqu’à 26 mois [10]. La survie médiane reste cependant globalement modeste (de 8 mois environ) malgré des taux de réponses atteignant parfois 80%.

Conclusion

Les carcinomes de primitifs inconnus sont des tumeurs hétérogènes et mal connues sur le plan biologique. En cas de présentation hépatique, il convient de réaliser un bilan minimal à la recherche des seuls sites primitifs dont l’identification modifiera la thérapeutique et le pronostic. Ces explorations seront guidées par l’examen anatomo-pathologique et les immunomarquages. Sinon, le choix thérapeutique reste difficile et flou; et l’inclusion dans des essais thérapeutiques permettrait des progrès dans la prise en charge.

 

RÉFÉRENCES

1. MOUSSEAU M, SCHAERER R, LUTZ JM, MENEGOZ F, et al. – Hepatic metastasis of unknown primary site. Bull Cancer 1991; 78 (8): 725-736.
2. AYOUB JP, HESS KR, ABBRUZZESE MC, et al. – Unknown primary tumors metastatic to liver. J Clin Oncol 1998; 16 (6): 2105-2112.
3. DeYOUNG BR, WICK MR. – Immunohistologic evaluation of metastatic carcinomas of unknown origin: an algorithmic approach. Semin Diagn Pathol 2000; 17 (3): 184-193.
4. ABBRUZZESE JL, ABBRUZZESE MC, LENZI R, et al. – Analysis of a diagnostic strategy for patients with suspected tumors of unknown origin. J Clin Oncol 1995; 13 (8): 2094-2103.
5. CULINE S, GAZAGNE L, YCHOU M, et al. – Carcinoma of unknown primary site. Apropos of 100 patients treated at the Montpellier regional center of cancer prevention. Rev Med Interne 1998; 19 (10): 713-719.
6. BUGAT R, BATAILLARD A, LESIMPLE T, et al. – Standards, Options and Recommendations for the management of patient with carcinoma of unknown primary site. Bull Cancer 2002; 89 (10): 869-875.
7. FIZAZI K, CULINE S. – Metastatic carcinoma of unknown origin. Bull Cancer 1998; 85 (7): 609-617.
8. LORTHOLARY A, ABADIE-LACOURTOISIE S, et al. – Cancers of unknown origin: 311 cases. Bull Cancer 2001; 88 (6): 619-627.
9. Van DER GAAST A, VERWEIJ J, PLANTING AS, et al. – Simple prognostic model to predict survival in patients with undifferentiated carcinoma of unknown primary site. J Clin Oncol 1995; 13 (7): 1720-1725.
10. LENZI R, HESS KR, ABBRUZZESE MC, et al. – Poorly differentiated carcinoma and poorly differentiated adenocarcinoma of unknown origin: favorable subsets of patients with unknown-primary carcinoma? J Clin Oncol 1997; 15 (5): 2056-2066.
11. KAMBHU SA, KELSEN DP, FIORE J, et al. – Metastatic adenocarcinomas of unknown primary site. Prognostic variables and treatment results. Am J Clin Oncol 1990; 13 (1): 55-60.
12. ABBRUZZESE JL, ABBRUZZESE MC, HESS KR, et al. – Unknown primary carcinoma: natural history and prognostic factors in 657 consecutive patients. J Clin Oncol 1994; 12 (6): 1272-1280.
13. HAINSWORTH JD, JOHNSON DH, GRECO FA. – Cisplatin-based combination chemotherapy in the treatment of poorly differentiated carcinoma and poorly differentiated adenocarcinoma of unknown primary site: results of a 12-years experience. J Clin Oncol 1992; 10 (6): 912-922.
14. CULINE S, KRAMAR A, SAGHATCHIAN M, et al. – Development and validation of a prognostic model to predict the length of survival in patients with carcinomas of an unknown primary site. J Clin Oncol 2002; 20 (24): 4679-4683.
15. HAINSWORTH JD, GRECO FA. – Treatment of patients with cancer of an unknown primary site. N Engl J Med 1993; 329 (4): 257-263.