Prise en charge des pancréatites Bilan diagnostique et utilisation des antibiotiques

Introduction

Les lésions observées au cours des pancréatites aiguës (PA) sont très variables d’un sujet à l’autre. La conférence de Consensus conduite en 2001 a permis de préciser les éléments diagnostiques dont la place de la tomodensitométrie, les critères de gravité à retenir chez ces patients et de préciser les attitudes thérapeutiques [1].

Diagnostic de l’infection de nécrose

Place des critères diagnostiques d’infection de nécrose

L’infection de la nécrose est la complication majeure des pancréatites qui survient dans 30 à 70% des formes graves [2]. Elle marque un tournant évolutif de la maladie et triple la mortalité [2]. En dépit d’une symptomatologie riche, chacun des critères usuels (cliniques, biologiques, radiologiques) pris isolément, est insuffisant pour établir ce diagnostic d’infection de la nécrose.
Les signes cliniques (fièvre, défaillances multiviscérales) ont une sensibilité et une spécificité médiocres pour ce diagnostic. A la phase précoce de la maladie, les signes toxémiques peuvent prendre le masque d’une infection évolutive. Dans un groupe de 214 patients présentant une défaillance polyviscérale en moyenne 8 jours après le début de la pancréatite aiguë, Isenman et al. ont retrouvé une défaillance viscérale dans 73% des patients avec une nécrose stérile et 89% des patients avec une nécrose infectée [3].
Les critères biologiques usuels (hyperleucocytose, syndrôme inflammatoire…) sont également insuffisants. Ainsi, pour Beger et al., la Protéine C-Reactive bien que bon marqueur de la nécrose ne permet pas de distinguer les formes infectées des nécroses stériles [4]. L’utilisation de marqueurs tels que la procalcitonine ou certaines interleukines (IL-6, IL-8) a également été proposée. Bien que la valeur discriminante entre inflammation et infection fût considérée satisfaisante par certains auteurs [5], la diffusion restreinte de ces dosages et l’impossibilité de les obtenir en temps réel conduisent à ne pas les retenir en pratique courante.
L’imagerie ne permet pas de définir des critères d’infection, sauf lorsqu’elle montre des bulles gazeuses. La présence de telles bulles signe une infection à germes gazogènes tels que les anaérobies ou une fistule digestive. Cependant, ces images sont loin d’être constantes et d’être d’apparition immédiate.

Place de la ponction guidée

Du fait des conséquences thérapeutiques très lourdes qu’elle implique (exérèse chirurgicale, antibiothérapie prolongée, drainage…), l’établissement de la preuve de l’infection est indispensable. Seule l’étude microbiologique des prélèvements obtenus par ponction percutanée guidée par imagerie permet d’affirmer le diagnostic d’infection et d’identifier le germe. La ponction a une spécificité estimée au moins égale à 92% et une sensibilité au moins égale à 94% pour le diagnostic d’infection de la nécrose. Une ponction systématique n’est pas justifiée et le geste n’est indiqué que lorsqu’un faisceau d’arguments cliniques, tomodensitométriques et biologiques fait suspecter l’infection. Il convient de noter qu’aucune étude n’a évalué de manière satisfaisante la valeur respective de ces critères dans l’indication de la ponction.
Le geste porte sur les zones péri-pancréatiques contenant des plages liquidiennes, et a fortiori des bulles gazeuses, et non sur le tissu pancréatique sain. Gerzof et al. recommandent d’éviter de ponctionner le pancréas même lorsqu’il est lui-même le siège d’une nécrose [6]. Le prélèvement est immédiatement traité pour identification du germe par examen direct, cultures aérobies, anaérobies avec antibiogramme et recherche de levures. Parfois, les caractéristiques macroscopiques du prélèvement sont très évocatrices (pus franc, liquide louche, malodorant…) et permettent de transformer immédiatement le geste diagnostique en geste thérapeutique de drainage.

Antibiothérapie de la nécrose pancréatique infectée

Circonstances d’infection de la nécrose pancréatique

Le pancréas normal est peu sensible à l’infection. A l’opposé, lors d’une pancréatite aiguë avec nécrose pancréatique, une surinfection survient dans 40 à 70% des cas, associée à une mortalité de l’ordre de 80% [2]. L’infection pancréatique peut être précoce; sa fréquence est corrélée à l’étendue de la nécrose et augmente avec le temps. Les experts sont unanimes pour recommander le traitement antibiotique d’une nécrose surinfectée [2].

Germes responsables de l’infection de nécrose

La flore isolée lors des infections de la nécrose pancréatique est le reflet de la flore digestive des patients [7, 8]. Les germes les plus courants sont les bacilles à Gram négatif de type entérobactéries et les entérocoques [6, 8-11]. Parmi ces germes, Escherichia coli est la bactérie la plus fréquemment isolée de la nécrose pancréatique [8-11]. Dans une revue de la littérature conduite sur 1100 cas de nécrose pancréatique infectée, les germes les plus souvent isolés ont été E. coli, Klebsiella spp, Enterococcus spp, Staphylococcus aureus, Pseudomonas aeruginosa, Proteus spp, et Enterobacter spp [9]. La plupart de ces infections étaient plurimicrobiennes [10].
La présence dans les prélèvements de staphylocoques, et particulièrement de souches coagulase négative ou epidermidis, est un sujet de controverse. La localisation cutanée de ces germes laisse en effet planer le doute de contamination lors des prélèvements [12]. Un typage moléculaire des souches isolées des différents prélèvements a été proposé permettant d’identifier une souche à l’origine de l’infection de la nécrose pancréatique et de la bactériémie [13]. La série rapportée récemment par Büchler est intéressante car les cas d’infection de nécrose se sont développés pendant ou après un traitement préventif par imipénème d’une durée de 14 jours (délai moyen de 17 jours avant la ponction de la nécrose) [14]. Dans cette série, les auteurs rapportent une prédominance de cocci à Gram positif (55% des cultures positives dont 36% de staphylocoques) [14] qui pourrait être influencée par les traitements antibiotiques administrés.
Dans des études récentes, les candidas sont devenus des germes importants [14-16], représentant jusqu’à 29% des germes isolés [14]. Il s’agit principalement de Candida albicans, mais d’autres levures peuvent être isolées [14]. La chronologie de l’apparition des levures a été précisée dans une petite série monocentrique. Candida spp peut être isolé dans 12% des interventions initiales ou être retrouvé secondairement à la suite de gestes de drainage (18% des cas) ou lors de ré-interventions (47% des cas) [16].
Les profils de résistance des germes isolés au cours des pancréatites ont été peu étudiés. Une seule étude indienne de qualité très discutable a été publiée dont les résultats ne permettent de tirer aucune conclusion [17]. L’usage large d’antibiotiques à large spectre dans les hôpitaux a entraîné la modification des phénotypes de résistance de nombreuses bactéries. De telles constatations dans les prélèvements des patients opérés de nécrose surinfectée ne seraient pas très étonnantes, surtout en cas de séjour hospitalier prolongé, mais ces données ne sont pas disponibles. Lors d’une antibiothérapie «préventive» par imipénème ou péfloxacine [18], Bassi et al. ont constaté que les germes isolés dans la nécrose étaient résistants aux agents administrés ou hors de leur spectre d’activité.

Antibiotiques potentiellement adaptés

Les éléments pharmacocinétiques et pharmacodynamiques usuels conditionnent la diffusion de l’antibiotique au site de l’infection et son activité. Un point important à noter est l’ignorance de la cible optimale de cette antibiothérapie (tissu pancréatique, nécrose pancréatique, graisse rétropancréatique, espace rétropéritonéal, liquide extracellulaire…) [19]. Le degré de pénétration des antibiotiques est directement fonction du degré d’inflammation [20].
Plusieurs auteurs ont établi la mauvaise diffusion des pénicillines (aminopénicillines et uréidopénicillines) [20-22], des céphalosporines de première et seconde génération [22, 23] et des aminosides [20, 21]. Les résultats concernant la pharmacocinétique du céfotaxime paraissent contradictoires, satisfaisants pour certains auteurs [24, 25], insuffisants pour d’autres [20]. Enfin, les auteurs sont en accord pour souligner une diffusion satisfaisante des fluoroquinolones (ofloxacine [20, 26] ou ciprofloxacine [20, 26]), de l’imipénème [20, 21] et du métronidazole [20, 21].
En résumé, sur des bases pharmacologiques, seules les fluoroquinolones, l’imipénème, le métronidazole et certaines céphalosporines de troisième génération paraissent être des candidats possibles.
En ce qui concerne les antifongiques, les éléments disponibles sont très restreints. Une étude évaluant la diffusion pancréatique du fluconazole chez des patients sans pancréatite a conclu à une concentration satisfaisante [27].

Antibiothérapie probabiliste

Le traitement chirurgical est une indication formelle dès que le diagnostic d’infection de la nécrose est effectué. Un traitement antibiotique «adapté» est également recommandé. Cependant, aucune étude n’a, à notre connaissance, fait état des choix thérapeutiques effectués.
Il est à noter que le dogme de la nécrosectomie chirurgicale est remis en cause dans quelques travaux récents, les auteurs proposant un traitement conservateur associé à une antibiothérapie [28, 29]. Le traitement antibiotique administré dans ces publications a été l’imipénème [28, 29], une association d’ampicilline+gentamicine+métronidazole dans une observation [28], une association de céfoxitine+gentamicine dans une observation [28].
Le Jury de la Conférence de Consensus «pancréatite aiguë» organisée par la Société Nationale Française de Gastroentérologie a conclu en soulignant le fait que «…Le traitement antibiotique est justifié en cas d’infection documentée de la nécrose. De même, une antibiothérapie est indiquée devant un choc septique, une angiocholite, ou au cours de toute infection nosocomiale documentée. Enfin, une antibioprophylaxie doit encadrer les gestes invasifs selon les recommandations établies…» [1].

En pratique

Aucun travail, à notre connaissance, n’a évalué le bénéfice d’une antibiothérapie probabiliste adaptée comparée à une antibiothérapie inadaptée. De plus, il convient d’insister sur les modifications importantes des volumes de distribution chez ces patients. L’utilisation de posologies antibiotiques élevées est indispensable. Au vue des éléments microbiologiques, et pharmacologiques disponibles, deux propositions peuvent être formulées en fonction du contexte clinique.
Chez les patients n’ayant reçu aucun traitement antibiotique, l’antibiothérapie doit prendre en compte en premier lieu les entérobactéries et les anaérobies. Du fait des éléments pharmacocinétiques énoncés, l’imipénème (1g ? 3/j), une fluoroquinolone (ciprofloxacine (400mg ? 3/j) ou lévofloxacine (500 mg ? 2 /j) voire le céfotaxime (2 g ? 3/j, seule céphalosporine de troisième génération évaluée dans ce contexte) paraissent possibles. L’adjonction d’un imidazolé (métronidazole 500 mg ? 3/j) est nécessaire en cas de prescription de ces dernières familles antibiotiques. L’usage d’un aminoside ne paraît pas utile du fait de la très mauvaise diffusion de ces agents dans la nécrose pancréatique. Comme mentionné ci-dessus, un traitement antibiotique «adapté» après résultat de l’antibiogramme est indispensable.
Chez les patients ayant reçu des antibiotiques pour une infection extrapancréatique ou un traitement préventif, les patients hospitalisés de manière prolongée, les patients ayant subi des manœuvres endoscopiques ou une première intervention pour nécrosectomie, l’antibiothérapie probabiliste doit non seulement prendre en compte les entérobactéries et les anaérobies mais aussi les cocci à Gram positif, les bacilles à Gram négatif non fermentant type pseudomonas et les levures. Le traitement probabiliste à proposer serait donc une association d’imipénème (1 g ??3/j), de vancomycine (15 mg/kg en dose de charge puis administration continue ou discontinue pour atteindre une concentration à l’équilibre ou en résiduelle d’environ 20 mg/l) et d’un antifongique (fluconazole 400 mg ? 3 /j).

Place de l’antibiothérapie préventive

La question d’une antibiothérapie préventive ou prophylactique reste vivement controversée. Les résultats des études cliniques publiées ne permettent pas de conclure [2]. En effet, ces travaux présentent des carences méthodologiques importantes. Une tendance à la réduction de la mortalité paraît possible, néanmoins les molécules idéales, leur posologie et les durées de traitement restent à définir pour justifier cette attitude. Le risque écologique pour le malade et l’environnement doivent également être pris en compte (du fait du risque d’émergence de germes multirésistants) [2]. Ce risque est souligné par la survenue d’infections candidosiques induites par une antibiothérapie large au cours des PA.
Il convient donc d’être particulièrement prudent quant à l’instauration d’une antibiothérapie préventive dans les PA nécrosantes. Le Jury de la Conférence de Consensus «pancréatite aiguë» organisée par la Société Nationale Française de Gastroentérologie a conclu «…Les résultats des études cliniques actuellement disponibles prêtent à discussion sur de nombreux points méthodologiques et incitent à une réserve prudente. Les risques en matière d’écologie, liés à des prescriptions s’écartant des bonnes pratiques de l’antibiothérapie doivent être pris en considération. Pour toutes ces raisons, dans l’état actuel des connaissances, une antibiothérapie précoce préventive systématique ne peut être recommandée…» [1].

 

REFERENCES

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