Condylomes anaux

Introduction

Le cancer de l'anus est l'un des cancers rares de la sphère digestive. Toutefois, son incidence augmente régulièrement depuis ces trente dernières années. Les maladies sexuellement transmissibles (MST), en pleine expansion dans les deux dernières décennies du siècle passé, en sont l'une des explications. Parmi les MST, les virus du papillome humain appelé plus couramment human papilloma virus (HPV) et celui de l'immunodéficience acquise (VIH) sont impliqués dans l'ap-parition de lésions précancéreuses et dans la survenue du cancer anal. L'altération de l'immunité systémique et tissulaire est le mécanisme le plus étudié dans ce domaine. Nous allons voir comment dépister et reconnaître les condylomes, quel bilan lésionnel effectuer avant de proposer un traitement et à quel rythme surveiller les patients porteurs de condylomes anaux.

 

Condylome anal, lésion induite par HPV

Dans la plupart des cancers invasifs, l'ADN viral est le plus souvent intégré dans le génome de la cellule hôte, et demeure à l'état épisomal. Cependant, le mécanisme d'action du virus reste peu clair et la place des co-facteurs non viraux de plus en plus importante. Les conditions socio-économiques dé­favorables et la multiplicité des par­tenaires occasionnels, le tabac et les infections locales par d'autres agents viraux tels le virus herpès de type 2, sont identifiés. Le rôle de l'altération de l'immunité tissulaire telle que nous avons eu l'occasion de le rapporter, est à prendre en considération : l'infesta-tion par le HPV induit une stimulation des cellules dendritiques, présentatrices d'antigène, dans la muqueuse anale. La densité de ces cellules augmente et s'accompagne, sur le plan phénoty­pique, d'un développement de lésions bénignes appelées « condylomes ». Les condylomes peuvent prendre diffé­rentes formes cliniques. Elles consti­tuent des états pré-cancéreux.

» Aspect macroscopique

L'infestation de l'assise basale par HPV peut demeurer longtemps asympto­matique. L'infection à HPV infra cli­nique est fréquente dans la population générale, variant dans la littérature de 5 à 70 %. Ces estimations dépendent de la population examinée et surtout du type de méthode de biologie molécu­laire employée. Une recherche systé­matique par la technique de PCR montre que plus de 50 % des sujets homosexuels masculins ont un test d'HPV positif. Le taux de positivité at­teint 100 % en cas de co-infection par le virus VIH. On estime que les lésions macroscopiques peuvent être indivi­dualisées seulement chez 10 à 25 % des sujets infectés. Les lésions planes peuvent prendre un aspect blanchâtre après badigeonnage par acide acétique. On parlera alors de condylome plan. En cas d'activité proliférative importante, des lésions deviennent de plus en plus végétante prenant l'aspect de « crêtes de coq » dans la marge anale alors que de simples lésions accuminées peu­vent aller jusqu'à constituer de véri­tables plages polypoïdes en relief. Les condylomes accuminés ou végétations vénériennes sont les lésions les plus fréquemment observées. Il s'agit d'élé-ments exophytiques plus ou moins kératosiques en fonction de leur localisation clinique. Leur aspect est blan­châtre, papillomateux, hérissé de mul­tiples excroissances. Les lésions peu­vent être multiples et sont parfois confluentes en nappe. Le diagnostic différentiel ne pose en général guère de problème. L'examen à la loupe ou au colposcope permet de visualiser l'as-pect caractéristique de ponctuations vasculaires au sommet des papilles. Dans de rares cas, ces lésions prennent un aspect géant avec une forme particulière décrite par Buschke et Lowenstein .

» Aspect microscopique

La présence de koïlocytes dans de larges cellules épithéliales avec un halo périnucléaire et des nucléoles denses et pycnotiques suggère l'infestation à HPV et les modifications cellulaires telles qu'une hyperpapillomatose et une hyperacanthose traduisant l'exis-tence d'une néoplasie intra épithéliale ou condylome. On y distingue plu­sieurs grades allant d'un simple condy­lome à un véritable cancer in situ ou invasif. Les lésions de bas grade in­cluent les transformations cellulaires bénignes avec une orthokératose ou parakératose superficielle parfois constatée. Lorsque cette dernière prend un aspect d'acanthose glycogénique, on parlera de condylome plan.

DYSPLASIE DE BAS GRADE (AIN1-2 OU SIL 1-2)

Les lésions intra épithéliales de faible grade (I et II) appelée AIN1-2 (anal in­traepithelial neoplasia 1 et 2) ou en­core squamous intra epithelial lesion (SIL) sont constituées d'épithélium épaissi avec des cellules de l'assise ba­sale modérément atypiques à noyaux irréguliers et hyperchromatiques mais sans anomalie de mitose. Cet épithé­lium est caractéristique aussi par le re­tard de maturation glycogénique.

DYSPLASIE DE HAUT GRADE (AIN-3 OU SIL-3)

La lésion précédemment décrite est marquée de plus par une perte de l'ar-chitecture tissulaire, en particulier, la stratification des cellules avec des aty­pies cytoplasmiques (basophiles et dyskératosiques) et nucléaires (multi­formes, hyperchromatiques avec ano­malies de mitoses).

Carcinome invasif

Il s'agit d'une tumeur avec des caractères cellulaires de malignité et extension à la lamina propria marquant ainsi une infiltration tumorale à tra­vers la paroi anale.

CAS PARTICULIER DE LA MALADIE DE BOWEN

Il s'agit de lésions péri-anales asso­ciées ou non à de véritables condy­lomes de la marge ou des lésions condylomateuses intra canalaires. Sur le plan macroscopique, ce sont des lé­sions planes, érythémateuses et hy­perkératosiques discrètement en relief, isolées ou confluentes, restant à dis­tance de la marge anale. Sur le plan histologique, ces lésions sont marquées par une dyskératose et une hyperké­ratose associées à des koïlocytes.

 

Interaction HPV et VIH

L'infection par VIH entraîne une alté­ration de l'immunité locale et tissu­laire. Les lésions anales liées à HPV sont plus fréquentes chez les patients infectés par le VIH. Ceci s'explique sans doute par une caractéristique épi­démiologique commune (sodomie, par­tenaires multiples, etc.). De plus, lors d'une double infestation HPV- VIH, les lésions liées à HPV se transforment probablement plus facilement en lé­sions dysplasiques. Cette surincidence de dysplasie, étape précancéreuse, est liée à un défaut de stimulation de cel­lules présentatrices d'antigène, tel que l'on voit chez le patient non infecté par le virus VIH. On peut alors sup­poser que ce virus favorise la survenue du cancer en altérant l'immunité tis­sulaire et en particulier, la phase de présentation antigénique. Une fois le processus carcinogène établi, l'immu-nodéficience peut encore influer sur l'évolution de la tumeur. Le pronostic des cancers de l'anus est d'autant pé­joratif que l'immunodéficience est pro­fonde. L'immunodépression semble di­minuer l'activité anti-tumorale et favoriser l'évolution des cancers. Outre la fréquence anormalement élevée du cancer anal chez le patient infecté par le virus VIH, le retard diagnostique et la probable résistance à la chimio- ou radiothérapie, explique au moins en partie le pronostic péjoratif de ce cancer chez le patient atteint du SIDA. L'amélioration du pronostic de ce cancer passe par un dépistage précoce. En cas de co-infection par VIH, les lé­sions condylomateuses récidivent plus précocement. Après la cure des lésions macroscopiques, une anuscopie systé­matique doit être pratiquée tous les 6 mois, en l'absence de DHG et tous les 3 mois en cas de DHG. Le rythme de surveillance de sujet VIH négatif n'est pas bien établi. Le risque est dans ce cas déterminé par l'existence d'une DHG. Une surveillance trimestrielle sera de règle au cours de la première année et sera espacée si plusieurs exa­mens successifs sont normaux [4].

 

Aspects pratiques

» Quelles sont les lésions pré-cancéreuses anales ?

Plus de 95 % des cancers de l'anus sont des cancers épidermoïdes du canal anal pour 75 % d'entre eux et de la marge pour le reste. Les lésions condyloma­teuses anales, induites par le virus HPV sont des lésions pré-cancéreuses et leur récidive après une cure chirurgicale peut s'accompagner d'un état de dé­générescence lésionnelle vers le cancer invasif comme le carcinome épider­moïde du canal anal.

 

» Devant des lésions condylomateuses de la marge anale, faut-il systématiquement examiner le canal anal ?

Oui, s'il existe une suspicion de so­domie. Dans cette situation, il est im­portant d'être systématique car les lé­sions condylomateuses canalaires sont asymptomatiques et ont un risque de transformation maligne. Il faut adopter la même attitude devant la découverte d'une maladie de Bowen de la marge anale ou du périnée.

 

» Comment examine-t-on le canal anal ?

En position genu-pectorale sous bon éclairage, en déplissant les plis radiaires, on expose la totalité de la muqueuse marginale. En plaçant un anuscope jetable, on explore la totalité du canal incluant la ligne des cryptes, la zone sus cryptique où la muqueuse est de type intermédiaire. La palpation bi-digitale, l'index intracanalaire, le pouce sur la marge, doit explorer toute induration canalaire ou marginaire. L'examen anuscopique permettra ensuite d'en préciser le siège exact par rapport à ligne des cryptes et orienter des biopsies ou son exérèse. L'utilisation de rectoscope n'est pas indispensable. Malgré de rares observations dans la littérature, le risque de contamination rectale par le virus HPV est théoriquement nul.

 

» Faut-il documenter histologiquement les lésions intra-canalaires ?

Oui, l'intérêt diagnostique est relatif tant les lésions canalaires sont aussi typiques. Toutefois, la recherche de dysplasie (DHG ou anal squamous intra-epithelial lesion-ASIL) justifie cette analyse en pratique. La recherche et le typage d'HPV oncogène n'ont qu'un intérêt relatif.

 

» Après la cure des lésions canalaires, faut-il faire des anuscopies systématiques ?

Oui, surtout s'il s'agit du sujet VIH po­sitif. Le rythme de surveillance dé­pendra du status initial du patient en terme de dysplasie, de l'état immuni­taire et du contrôle durable de la charge virale VIH. En cas de DHG ou carci­nome in situ totalement réséqué, une surveillance trimestrielle et en cas de DBG et charge virale HIV élevée, une surveillance semestrielle, s'imposent dans les deux premières années.

 

» Quels sont les sujets à risque de cancer anal ?

  • Tout sujet infecté par le virus HPV.
  • Toute femme ayant un antécédent de cancer du col, de la vulve ou du vagin.
  • Tout homosexuel masculin, VIH non traité par les anti VIH, ou traité avec un taux de CD4 circulant <250/ml ou une charge VIH détectable.

 

» Quels autres examens faut-il associer à l'examen proctologique ?

Un examen gynécologique incluant une colposcopie, un examen ORL si le canal anal est pathologique, un examen pénien du sujet et/ou du par­tenaire. Une recherche de co-infections locales associées doit être réalisée si une lésion ulcéreuse ou un écoulement de pus est noté. Cette recherche se fera au niveau de l'endocol, en cas de leucorrhée chez la femme.

 

» Comment traite-t-on les lésions intra canalaires ?

Le principe de traitement actuel est basé sur la destruction des lésions macroscopiquement visible. La méthode la plus utilisée est la des­truction thermique (bistouri, laser, aiguille ou lame d'électrocoagu-lation). Les substances chimiques (Imiquimode, 5FU, IFa, etc.) ne sont pas utilisées en l'absence d'autori-sation (AMM) due à une mauvaise tolérance et au coût exorbitant pour une efficacité transitoire (IF).

 

Conclusion

On connaît l'étroite relation entre les papillomavirus humains oncogènes et les lésions intraépithéliales à différents degrés allant jusqu'au cancer. Nous-mêmes, comme d'autres auteurs avons mis en exergue l'importance de l'im-munité tissulaire, faible au niveau du pénis, intermédiaire au niveau anal et élevée au niveau du col utérin qui seule, rend compte de la différence d'incidence des cancers épidermoïdes à leur niveau. D'importantes données suggèrent qu'une infection à HPV in­fraclinique avec certains types viraux oncogènes peut progresser vers une néoplasie intraépithéliale mais peut également rester totalement quiescente ou disparaître.

 

RÉFÉRENCES

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  • 3. Mork J, Lie K, Glattre E et al. Human pa­pilloma virus infection as a risk factor for squamous-cell carcinoma of the head and neck. N Engl J Med 2001 ; 344 : 1125-31.
  • 4. Sobhani I, Vuagnat A, Walker F et al. Prevalence of high grade dysplasia and cancer in the anal canal in human pa­pilloma virus-infected individuals. Gastroenterology 2001 ; 120 : 857-66
  • 5. Sobhani I. Virus et cancer de l'anus. Lett Hepatogastroenterol 2000, 5 : 235-40.
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  • 9. Holland JM, Swift PS. Tolerance of pa­tients with HIV and anal carcinoma to treatment with combined chemotherapy and radiation therapy. Radiology 1994 ; 193 : 251-4.