Elévation chronique des transaminases
Introduction
Aux Etats-Unis, la prévalence de l’élé-vation des transaminases a été récemment évaluée à 7,9 %; dans 31 % des cas, il existait une consommation excessive d’alcool, une infection par le virus de l’hépatite B (VHB) ou le virus de l’hépatite C (VHC) ou des signes de surcharge en fer ; dans les autres cas (69 %), l’élévation des transaminases était significativement associée à la surcharge pondérale ou à d’autres critères du syndrome polymétabolique, suggérant qu’une proportion élevée de ces malades était atteinte de stéatose ou de stéato-hépatite non alcoolique [1].
Une élévation des transaminases est considérée comme chronique lorsqu’elle a été documentée pendant plus de 6 mois. Le diagnostic étiologique est, dans cette situation, bien codifié et a fait l’objet de recommandations consensuelles [2, 3]. L’élévation chronique des transaminases est dite « inexpliquée » lorsque les causes habituelles ont été éliminées (Tableau I) ; cette situation représente environ 10 % des cas [4-6] ; la littérature sur ce sujet est assez pauvre et les recommandations sont relativement divergentes, notamment en ce qui concerne le problème, essentiel en pratique, de l’indi-cation d’une biopsie hépatique. En France, la prévalence et les caractéristiques des cytolyses inexpliquées n’ont jamais été évaluées. Nous nous limiterons dans cet article à la prise en charge des malades asymptomatiques ayant une élévation chronique inexpliquée des transaminases, une activité des phosphatases alcalines ne dépassant pas 1,5 fois la limite supérieure des valeurs normales (N) et en échographie ni lésion tumorale ni anomalie des voies biliaires. Les buts seront : 1) de rappeler et discuter les causes inhabituelles et occultes, afin de définir les élévations chroniques des transaminases réellement inexpliquées ; 2) de discuter le problème particulier et très fréquent des cytolyses associées au syndrome polymétabolique (« faut-il biopsier tous les gros » ?) ; 3) d’es-sayer de définir une conduite à tenir lorsqu’un bilan étiologique exhaustif est négatif.
CRITÈRES DEVANT ÊTRE NÉGATIFS OU NORMAUX POUR DÉFINIR LE CARACTÈRE INEXPLIQUÉ D’UNE ÉLÉVATION CHRONIQUE DES TRANSAMINASES
Consommation d'alcool < 50 g/j Indice de masse corporelle, glycémie, HDL-cholestérol Antigène HBs Anticorps anti-VHC Anticorps anti-noyaux, anti-muscle lisse, anti-microsomes de foie et de rein Alpha-1-antitrypsinémie Céruloplasminémie, cuprurie des 24 h Coefficient de saturation de la transferrine, ferritinémie |
Causes inhabituelles d’élévation chronique des transaminases
Les tests diagnostiques permettant de les reconnaître figurent dans le Tableau II. Il peut s’agir de causes nonhépatiques (hyperhémolyse, atteintes musculaires et macro-ASAT), ayant en commun de donner lieu à une élévation préférentielle voire exclusive des ASAT, ou d’atteintes hépatiques dues à des affections endocriniennes, digestives ou nutritionnelles [7].
CAUSES INHABITUELLES D'ÉLÉVATION CHRONIQUE DES TRANSAMINASES
Affection |
Test diagnostique |
Hyperhémolyse Atteintes musculaires Macro-ASAT Hyper ou hypothyroïdie Insuffisance surrénale Maladie cliaque Anorexie mentale, boulimie Réalimentation,nutrition parentérale |
NFS, réticulocytes, haptoglobine CPK Electrophorèse TSH Test au Synacthène® Anticorps anti-endomysium |
Causes habituelles mais occultes d’élévation chronique des transaminases
» Infection occulte par le VHB
Définie par l’existence d’une infection par le VHB en l’absence de l’AgHBs, sa réalité a été prouvée par l’existence de la transmission du VHB lors de transfusions ou de transplantations, par son rôle dans la carcinogenèse hépatique et surtout par la mise en évidence par PCR de l’ADN du VHB chez des malades n’ayant pas l’AgHBs [8, 9] ; l’ADN du VHB est détectable chez 10 % des malades considérés comme « guéris » selon les critères sérologiques habituels (anticorps anti-HBc et anti-HBs positifs), chez 20 à 30 % des malades ayant un anticorps anti-HBc isolé, et chez moins de 5 % des malades n’ayant aucune trace sérologique d’infection par le VHB [10]. Une étude française a défini les caractéristiques de ces infections occultes par le VHB : charge virale faible, activité histologique minime, et fibrose plus sévère que chez les malades atteints d’hépatite cryptogénétique [11]. En pratique, une recherche de l’ADN du VHB doit faire partie de l’enquête étiologique d’une élévation inexpliquée des transaminases.
» Infection chronique par le VHC
En raison de l’excellente sensibilité des tests sérologiques actuels, sa constatation, définie par la présence de l’ARN du VHC en l’absence d’anticorps antiVHC, est tout à fait exceptionnelle chez les patients immunocompétents et elle est rare chez les patients hémodialysés ou atteints d’immunodépression profonde [12]; parmi 247 donneurs de sang ayant une élévation des transaminases et une sérologie du VHC négative, il n’a été constaté aucune PCR positive [13]. Toutefois, 4 études ont constaté la présence d’une infection occulte par le VHC chez 9 à 33 % de patients atteints d’hépatopathie inexpliquée [4, 14-16]; cette infection occulte semble plus fréquente chez les patients ayant un anticorps anti-HBc isolé [17]. En pratique, la recherche de l’ARN du VHC par PCR qualitative doit faire partie de l’enquête étiologique d’une élévation chronique inexpliquée des transaminases.
» Hépatite auto-immune
Le diagnostic d’hépatite auto-immune peut être difficile lorsqu’il n’existe pas d’élévation franche des gamma-globulines et surtout pas de titre significatif d’auto-anticorps. Bien que la fréquence en soit indéterminée, l’existence de ces hépatites auto-immunes séronégatives a été démontrée par la mise en évidence de caractéristiques communes avec les hépatites auto-immunes classiques, en particulier la démonstration d’un effet bénéfique du traitement immunosuppresseur [18] ; un score permettant de faire le diagnostic d’hépatite auto-immune avec un bon degré de certitude a été publié en 1999 par un groupe international (Tableau III), mais son utilisation est relativement complexe et fait appel à des critères histologiques [19]. La mise en évidence d’anticorps anti-antigène soluble de foie (« anti-SLA ») pourrait définir un type III d’hépatite auto-immune permettant de classer un certain nombre d’hépatites séronégatives [20] ; en fait, ces hépatites paraissent très proches des hépatites auto-immunes de type I (associées aux anticorps anti-actine), et la recherche des anticorps anti-SLA ne fait pas (encore ?) l’objet d’une large diffusion. En pratique en cas de négativité de la recherche des auto-anticorps habituels, le diagnostic d’hépatite auto-immune : a) doit être évoqué en cas de début aigu et/ou de forme sévère, en présence de maladies auto-immunes chez le patient ou sa famille, ou de phénotypes marqueurs d’auto-immunité (HLA A1/B8/DR3 ou DR4) ; et b) nécessite le recours à un examen histologique du foie (recherche de nécrose parcellaire, d’hépatocytes géants, d’infiltration plasmocytaire) [7].
Une cholangite sclérosante primitive au stade initial peut donner lieu à une élévation préférentielle des transaminases. L’intérêt diagnostique de la présence d’anticorps anti-cytoplasme de polynucléaires à un titre > à 1/50 a été suggéré (sensibilité : 0,49, spécificité : 0,89) [21] ; l’examen histologique du foie permet d’affirmer le diagnostic, encore que les lésions biliaires caractéristiques puissent également manquer [22] ; dans ce cas, c’est la cholangiographie-IRM, et éventuellement la répétition de celle-ci dans le suivi, qui permettent le diagnostic.
SCORE CLINICO-BIOLOGIQUE DE L'INTERNATIONAL AUTOIMMUNE HEPATITIS GROUP [19]
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» Maladie de Wilson
Deux constatations récentes ont montré que les critères classiques du diagnostic pouvaient être pris en défaut. En premier lieu, il est maintenant admis que le diagnostic de maladie de Wilson peut être fait chez des sujets de plus de 50 voire 60 ans [23]. En second lieu, les critères clinico-biologiques manquent de sensibilité : la présence d’anneaux de Kayser-Fleischer, l’élévation de la cuprurie et la baisse de la céruloplasminémie sont absentes dans respectivement 23 %, 14 % et 23 % des cas ; surtout, dans 9 % des cas, aucun de ces signes n’est présent [24] ; malgré la rareté de cette affection, et compte-tenu des implications thérapeutiques du diagnostic, il est important de répéter les dosages et surtout de mesurer la concentration de cuivre hépatique à l’aide d’une biopsie, surtout chez les sujets jeunes et lorsqu’un bilan exhaustif par ailleurs a éliminé les autres diagnostics.
» Déficit en alpha-1-antitrypsine
Il est bien connu que le phénotype « homozygote » PiZZ est associé à des maladies du foie de l’adulte et à une concentration effondrée de l’alpha-1-anti-trypsine sérique ; mais il est aussi admis que les phénotypes « hétérozygotes » PiMZ, SZ et FZ peuvent être associés à l’existence d’une cirrhose du sujet âgé ; en ce cas, la concentration sérique d’alpha-1-antitrypsine est généralement à la limite inférieure des valeurs normales ; le diagnostic repose sur la caractérisation par focalisation iso-électrique de l’alpha-1-anti-tryspine circulante ou l’immuno-histochimie sur la biopsie hépatique [25].
» Atteinte vasculaire
Une insuffisance cardiaque congestive peut entraîner une élévation chronique des transaminases mais il y a généralement aussi des signes biologiques de cholestase et, surtout, il est exceptionnel qu’il n’y ait pas de signe clinique évocateur [7]. Une atteinte vasculaire primitive du foie peut se révéler par une élévation chronique des transaminases ; il peut s’agir de sclérose hépato-portale, de fibrose sinusoïdale ou de cirrhose septale incomplète, associées à l’administration de substances toxiques (chlorure de vinyle, arsenic, thorotrast) ou à des états prothrombotiques [26]. Seul l’examen histologique du foie permet le diagnostic de ces affections.
» Alcool
Deux situations posent en pratique un problème en cas d’élévation des transaminases. En premier lieu, il s’agit des consommations modérées d’alcool (< 50 g/j). La méta-analyse de 15 études a montré que l’odds ratio pour l’existence d’une cirrhose est de 1,5 à 3,6 pour une consommation < 50 g/j, alors qu’il est de 14 pour 50 à 100 g/j et de 45 pour plus de 100 g/j [27]. Un risque d’hépatopathie existe donc bien en cas de consommation modérée, et il est d’autant plus grand qu’il s’agit d’une femme ou s’il existe un (ou des) co-facteur(s) d’hépatopathie, notamment une obésité [28, 29].
En second lieu, il y a la situation difficile de l’alcoolisation niée par le patient (et parfois son entourage). Les marqueurs classiques, rapport ASAT / ALAT > 1, VGM et Gamma-GT, manquent de sensibilité, et, en ce qui concerne la Gamma-GT, de spécificité (Tableau IV) [30], en particulier en cas de cirrhose. Une valeur diagnostique particulière doit être accordée à la diminution franche des ces anomalies lors d’un sevrage, par exemple pendant une hospitalisation. Il a été montré que le dosage de la transferrine désialylée (ou CD-tect) avait une valeur diagnostique meilleure que celle des autres marqueurs de consommation à risque (Tableau IV) [30] ; il faut toutefois remarquer d’une part que son interprétation nécessite de connaître le statut martial du patient (une carence martiale entraîne une élévation du CD-tect et inversement) [31], d’autre part que la sensibilité du test est nettement diminuée en cas de cirrhose [32]. En pratique, le CD-tect doit faire partie, en seconde intention compte-tenu de son coût relativement élevé, du bilan d’une élévation inexpliquée des transaminases. Il reste en fait une grande part à l’expérience du clinicien, à la mise en confiance du malade lors d’entrevues répétées afin d’ob-tenir un sevrage volontaire. Il faut enfin rappeler que l’interrogatoire ne doit pas se limiter à la consommation actuelle d’alcool, mais doit aussi porter sur la consommation antérieure, qui peut constituer un risque de cirrhose même lorsqu’elle est ancienne [33].
VALEUR DIAGNOSTIQUE DES MARQUEURS D'ALCOOLISATION EXCESSIVE [d'après 30]
Marqueurs |
Sensibilité |
Spécificité |
ASAT > ALAT |
0,54 |
1 |
Gamma-GT |
0,69 |
0,55 |
VGM |
0,73 |
0,79 |
CD-tect |
0,81 |
0,98 |
» Toxicité hépatique
Schématiquement, 4 types de substances peuvent entraîner des lésions du foie, les médicaments, la phytothérapie et autres médecines « alternatives », les substances illicites et les toxiques industriels et environnementaux [2, 3] ; faute de test diagnostique positif, leur responsabilité est toujours difficile à retenir ou éliminer et le diagnostic repose essentiellement sur une enquête dite « policière », le suivi et l’exclusion des autres causes d’hépa-topathie. L’interprétation de l’enquête est particulièrement difficile en cas d’exposition épisodique au toxique suspecté.
La toxicité hépatique est-elle une cause fréquente d’élévation chronique inexpliquée des transaminases ? Une étude récente a montré que, parmi 354 malades dans cette situation, 7,6 % étaient atteints d’hépatopathie médicamenteuse et que, dans la grande majorité des cas (24/27), seule la biopsie du foie avait permis le diagnostic en montrant des signes évocateurs (cholestase, granulomes, présence d’éosinophiles, atteinte mixte hépatocytaire et cholestatique) [34]. En fait, la prévalence des hépatopathies médicamenteuses a été probablement surestimée dans cette étude, peut-être en raison d’un biais de recrutement; le nombre de substances capables d’entraîner une hépatopathie chronique est relativement réduit (Tableau V) par rapport à celui des substances entraînant des atteintes hépatiques aiguës [35] ; il est admis que seulement 5 % des atteintes hépatiques médicamenteuses sont de type chronique [36] ; enfin dans une étude française, il n’a été retrouvé aucun cas d’hépatopathie médicamenteuse parmi 357 cas d’hépatites chroniques [14].
En pratique, le diagnostic est fait de façon pragmatique en accordant une valeur essentielle au suivi des anomalies biologiques après retrait de l’ex-position, par suppression du ou des médicaments suspectés ou par éloignement du toxique environnemental supposé (changement de poste de travail). En suivant les recommandations [2, 3], les éléments importants sont donc les suivants: établir une chronologie la plus précise possible des prises médicamenteuses et de leur rapport avec l’évolution des anomalies des tests hépatiques, exclure les autres causes d’hépatopathie, s’informer sur les données de la littérature concernant les médicaments suspectés (imputabilité extrinsèque), supprimer tous les médicaments non essentiels pour le patient et suivre la biologie hépatique, et en ce qui concerne les médicaments essentiels, maintenir une simple surveillance si les anomalies restent modérées (en pratiques ALAT < 3N) ou régressent, et, si les anomalies se majorent, évaluer au mieux le rapport bénéfice–risque pour le patient, ce qui passe nécessairement par la réalisation d’une biopsie hépatique.
PRINCIPAUX MÉDICAMENTS RESPONSABLES DE MALADIES CHRONIQUES DU FOIE [d'après 35]
Hépatite chronique et cirrhose |
Stéato-hépatite non alcoolique
Connue depuis environ 20 ans et parfois encore négligée par le clinicien, l’association, dans un contexte de syndrome polymétabolique, de lésions inflammatoires voire de fibrose à une « banale » stéatose, est connue sous le nom de stéato-hépatite non alcoolique (SHNA, ou NASH des anglo-saxons) ; c’est une réalité dont l’importance, maintenant bien admise, justifie de s’intéresser de près à ces malades malgré l’absence de thérapeutique spécifique (« qu’est-ce que cela change en pratique pour le malade ? »).
En terme de fréquence, la SHNA atteint selon les pays de 10 à 24 % de la population, et représente environ 30 % des cas d’élévation des transaminases, 10 % des indications de biopsie hépatique, une part importante des cas de cirrhose cryptogénétique ou de mortalité par cirrhose [37-41] ; on estime que la SHNA est un motif de consultation 2 fois plus fréquent que l’hépa-tite due au VHC.
En terme de gravité, des lésions de fibrose sont constatées dans 66 % des cas, des lésions de fibrose au moins septale dans 25 % des cas, une cirrhose dans 15 % des cas [37] ; de plus, il s’agit de lésions potentiellement évolutives: dans 2 séries de patients suivis pendant 8 ans, 10 à 16 % ont développé une cirrhose [42]. Sur un plan pratique, la mise en évidence chez un malade de lésions de fibrose sévère est une donnée pronostique importante, renforce la nécessité d’une prise en charge efficace du problème métabolique, et surtout implique la mise en place d’un dépistage systématique du carcinome hépatocellulaire et de l’hy-pertension portale, ainsi que la prise en compte des co-facteurs de risque d’hé-patopathie (alcool, virus, surcharge en fer, tabac ?).
Les caractéristiques de ces malades sont bien connues et rendent en théorie le diagnostic positif facile lorsque s’as-socient 4 types d’arguments [37, 39, 41] : 1) une obésité sévère associée à un diabète de type 2 et/ou un syndrome polymétabolique avéré (Tableau VI)
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES DU SYNDROME POLYMÉTABOLIQUE [d'après 43]
Tour de taille =102 cm chez l'homme, =88 cm chez la femme |
[43] ; 2) une consommation d’alcool < 30 g/j chez l’homme et < 20 g/j chez la femme ; 3) un foie hyperéchogène de façon diffuse et 4) les critères cli-nico-biologiques suivants : hépatomégalie avec souvent douleurs spontanées ou provoquées de l’hypochondre droit, élévation modérée (2 à 3N) des transaminases prédominant sur les ALAT, élévation modérée de la Gamma-GT alors que les phosphatases alcalines sont normales ou sub-normales, et dans 50 % des cas environ des signes de surcharge en fer (saturation de la transferrine de 40 à 50 % et /ou élévation de la ferritinémie < 1 000 µg/L).
En réalité, le diagnostic peut être difficile, principalement en raison du caractère incomplet du syndrome polymétabolique, qui peut être réduit à un seul facteur de risque ; pourtant il est admis que cette circonstance peut être associée à des anomalies des tests hépatiques, en particulier en cas d’état d’insulinorésistance isolé [44], dont le meilleur marqueur est l’augmentation de la graisse abdominale appréciée par le tour de taille. Le dosage du C-pep-tide, de l’insulinémie voire la détermination de l’index HOMA (insulinémie à jeun x glycémie à jeun / 22,5 ; insulinorésistance avérée si index > 1,64) sont des moyens diagnostiques reconnus, mais peu utilisables en pratique, pour faire le diagnostic d’état d’insulinorésistance [44, 45]. On doit avoir aussi à l’esprit les performances de l’échographie pour faire le diagnostic de SHNA : sensibilité : 0,89 à 0,95, spécificité : 0,85 à 0,89 [37, 46]. Ces difficultés diagnostiques ont bien été mises en évidence dans diverses études: dans l’une, la valeur prédictive positive des données clinicobiologiques pour le diagnostic de stéatose n’était que de 56 % [47] ; dans une autre, sur 24 malades considérés avant biopsie du foie comme ayant une SHNA, 3 avaient en fait un foie normal et 1 une cholangite sclérosante [6]. Ces données ont conduit de nombreux auteurs à considérer que seule la biopsie du foie permettait d’affirmer en toute rigueur le diagnostic de SHNA [37, 42, 45, 48]. Dixon et coll. ont proposé un index HAIR (Hypertension, ALAT et insulinorésistance) ayant une spécificité de 0,80 et une spécificité de 0,89 pour le diagnostic de SHNA [49].
D’autre part, il est admis que les données clinico-biologiques et morphologiques sont insuffisantes pour différencier stéatose pure et SHNA, et surtout pour évaluer l’existence de lésions de fibrose [37, 39, 41, 42, 45, 48]. Trois études ont mis en évidence des facteurs prédictifs non-invasifs de fibrose permettant de guider l’indica-tion de la biopsie du foie, exposés dans le Tableau VII [49-51]. Il est toutefois difficile d’adopter à la lettre ces critères pour la pratique: les facteurs prédictifs sont en partie différents d’une étude à l’autre, il s’agissait d’études rétrospectives, 1 seule concernait des malades européens, 1 concernait exclusivement des malades atteints d’obé-sité majeure et les résultats n’ont pas été validés par d’autres équipes. Dans les recommandations et textes d’ex-perts, il existe des nuances sur les indications de la biopsie hépatique. Pour certains, la mise en évidence de facteurs prédictifs de fibrose peut aider à identifier les malades chez qui la biopsie peut fournir le plus d’infor-mations à caractère pronostique [37] ; pour d’autres, la biopsie est recommandée lorsqu’un contexte évocateur n’est pas clairement identifié ou lorsque l’élévation des transaminases persiste (plus de 6 mois ?) malgré tentative de suppression des facteurs de risque identifiés [41] ; pour d’autres encore, un patient jeune, asymptomatique et sans signe d’hépatopathie sévère peut d’abord faire l’objet d’une surveillance des tests biologiques pendant une période de tentative de traitement des facteurs de risque (réduction pondérale et exercice quotidien) [45]. En pratique, il semble raisonnable d’adopter les propositions des experts français : en cas de suspicion de SHNA une biopsie du foie est recommandée: 1) s’il existe des signes d’hépatopathie chronique sévère sur les critères cliniques biologiques et morphologiques habituels; 2) lorsqu’il n’y a pas d’as-pect évoquant une stéatose en échographie ; 3) lorsque le diagnostic de syndrome polymétabolique n’est pas clairement établi ; 4) lorsqu’il existe une autre cause d’hépatopathie ; 5) lorsqu’il n’est pas constaté d’amé-lioration nette des transaminases après une période de prise en charge adaptée du contexte métabolique (6 mois ?) ; la présence d’un ou a fortiori de plusieurs facteurs prédictifs de fibrose renforce l’indication de la biopsie hépatique (âge > 50 ans, IMC > 28, diabète de type 2, ALAT > 2N, ASAT/ ALAT > 1) [39, 48].
TABLEAU VII
FACTEURS PRÉDICTIFS DE FIBROSE AU COURS DES STÉATO-HÉPATITES NON ALCOOLIQUES
Dixon et al. [49] Ratziu et al. [51] Angulo et al. [50] |
Et quand on a vraiment rien trouvé, que faire ?
Au fait, il s’agissait du titre de l’article, mais il a paru important de rappeler les éléments qui définissent actuellement les élévations « réellement » inexpliquées des transaminases.
Un premier moyen d’appréhender le problème est d’analyser les publications concernant les affections hépatiques considérées comme cryptogénétiques. Il est en fait difficile de se faire une opinion sur les caractéristiques des cirrhoses cryptogénétiques pour 2 raisons : en premier lieu, les publications sont rares et de ce fait très étalées dans le temps, de sorte que les critères diagnostiques ont notablement évolué entre les différents travaux (apparition des marqueurs virologiques directs, découverte de l’identité SHNA) ; en second lieu, les résultats sont très divergents : pour certains, les cirrhoses cryptogénétiques ne ressemblent ni à des hépatopathies auto-immunes ni à des cirrhoses virales [52], pour d’autres, il existe des arguments en faveur d’une origine virale du fait d’antécédents de transfusion [53], pour d’autres encore, il s’agit en grande majorité d’hépato-pathies auto-immunes [18] ou de SHNA évoluées [54]. Dans une série française, 3,6 % des hépatites chroniques étaient d’étiologie indéterminée et il existait dans 69 % de ces cas des arguments en faveur d’une origine virale (transfusion ou origine méditerranéenne) [14]. Ces discordances correspondent certainement à des biais de recrutement.
Le second moyen est de s’intéresser aux publications évaluant les résultats de la biopsie du foie chez les malades ayant une élévation chronique inexpliquée des transaminases. Il a été publié, entre 1989 et 2003, 9 articles suffisamment documentés traitant de ce sujet, [4- 6, 34, 47, 55-58]. La compilation de leurs résultats suggèrent les caractéristiques suivantes : au total, 1 174 malades ont été inclus (130 par étude en moyenne, écarts : 36 à 354) ; cette situation représentait 10 % (7 à 13 %) des élévations chroniques des transaminases ; lors de la biopsie, le foie était normal dans 7 % des cas (0 à 11 %), il existait des lésions de fibrose dans 36 % des cas (10 à 67 %), et des lésions de fibrose sévère (au moins F3) dans 13 % des cas (3 à 34 %) ; le diagnostic final a été celui de stéatose ou de SHNA dans 53 % des cas (16 à 90 %) ; une modification de la prise en charge des malades après la biopsie a eu lieu, d’après 4 études, dans 12,5 % des cas (8 à 18 %).
Mais l’analyse attentive de ces articles, et en particulier du chapitre « malades et méthodes », montre que ces données ne s’appliquent en fait pas à la situation actuelle des cytolyses inexpliquées ; en effet, 3 études ont été réalisées alors que les marqueurs sérologiques de l’in-fection par le VHC n’étaient pas encore disponibles [47, 55, 56], dans 1 étude, 28 % des malades avaient en fait une infection occulte par le VHB ou le VHC reconnue a posteriori par PCR [4], dans 3 études ont été inclus des malades symptomatiques voire atteints d’hépa-topathie sévère [4, 5, 55], et surtout, dans 8 études sur 9, les critères du syndrome polymétabolique ne constituaient pas un motif de non-inclusion. Ces constatations expliquent probablement pourquoi plus de la moitié des malades avait une SHNA, avec un pourcentage élevé de lésions de fibrose et faible de foies normaux, et peut-être aussi la faible proportion de modifications de la prise en charge.
Le seul travail où les critères du syndrome polymétabolique étaient des motifs de non-inclusion est une étude espagnole récente concernant 101 malades [4] ; lors de l’examen histologique, il a été constaté des anomalies non-spécifiques dans 33 % des cas, une SHNA dans 16 % des cas, une hépatite chronique ou une cirrhose dans respectivement 39 % et 13 % des cas ; mais là non plus il n’est pas possible d’extrapoler ces résultats à notre problématique, car 28 % des patients avaient une infection virale occulte et 11 % étaient atteints de cirrhose décompensée. Finalement, le groupe de malades le plus proche du titre de notre article est celui des 74 patients de cette étude ayant une recherche négative de l’ADN du VHB et de l’ARN du VHCpar PCR ; lors de l’examen histologique, il y avait des lésions non spécifiques dans 38 % des cas, une SHNA dans 19 % des cas, une hépatite chronique ou une cirrhose dans respectivement 36 % et 7 % des cas ; ce sont les seules données de la littérature donnant une idée de ce que l’on peut attendre des résultats de la biopsie hépatique « quand on a rien trouvé ».
A quoi peut-on s’attendre sur le plan étiologique après la biopsie ? Peu d’études ont détaillé ce point et les résultats sont discordants ; en résumé, le diagnostic final de maladie alcoolique du foie a été retenu dans 3 à 34 % des cas, celui d’hépatite chronique présumée virale dans 8 à 24 % des cas, celui d’atteinte hépatique médicamenteuse évalué à 7,6 % dans une étude, à 4 % dans une autre et à 0 dans les 2 autres ; environ 20 % des cas constituent une rubrique « divers » où figurent principalement quelques cas de surcharge en fer, d’hépatite auto-immune, de maladies des voies biliaires intra-hépatiques ou de granulomatoses [6, 34, 47, 56].
On attend donc avec un particulière impatience les résultats d’une étude multicentrique française dénommée « Etude prospective observationnelle française des cytolyses chroniques inexpliquées » coordonnée actuellement par Victor de Lédinghen et Jean-François Cadranel.
Que faire en pratique ?
Muni de ces microscopiques informations sur le sujet, que faire en dehors des protocoles de recherche clinique et si le bilan initial ne conduit pas à proposer d’emblée une biopsie du foie ? Se référer à l’attitude classique voulant que toute cytolyse inexpliquée constitue par définition une indication de biopsie hépatique ? C’est aller à contre-courant de l’évolution actuelle en hépatologie qui est de restreindre les indications de la biopsie aux cas où elle est jugée indispensable pour déterminer la prise en charge du malade ; au cours de l’hémochromatose ou de l’infection par le VHC, on dispose de critères évitant le recours systématique à la biopsie hépatique, mais on attend à l’évidence la validation des marqueurs non-invasifs de fibrose au cours des cytolyses inexpliquées. Suivre les recommandations ? Elles sont bien laconiques à propos de cette situation ; dans un texte d’expert, il est recommandé de faire une biopsie hépatique si l’élévation des transaminases dépasse 2 N [3] et d’exercer une surveillance clinico-biologique rapprochée dans les autres cas ; cette attitude a été confortée par les résultats d’une étude française [57] mais une étude anglaise récente suggère que le risque de fibrose est identique si les ALAT sont ou non supérieures à 2N [58] ; dans un autre texte (Recommandations de l’American Gastroenterological Association), une simple surveillance et la correction d’éventuels facteurs de risque sont recommandées si le patient est asymptomatique [2].
Faute de mieux et en particulier de données objectives de la littérature, on fera les propositions suivantes :
1. Définir aussi rigoureusement quepossible chez un malade donné le caractère inexpliqué de l’élévation des transaminases ; cela suppose un interrogatoire pointilleux, et si possible répété, sur les événements récents et passés concernant l’alcool, la famille, les médicaments, le poids, un examen clinique à visée hépatologique, (car des patients venant pour hypertransaminasémie peuvent très bien repartir avec le diagnostic quasi-certain de cirrhose sur des critères cliniques et biologiques simples !), une échographie hépatobiliaire, un bilan biologique exhaustif (Tableau VIII) dont il convient peut-être de garder un exemplaire sur le bureau de consultation (moi, c’est fait !) et qui peut permettre d’éliminer facilement des causes rares non hépatiques ou d’orienter d’emblée la suite des investigations (adiposité abdominale, forme sévère ou à début aigu orientant vers une hépatite auto-immune, rapport ASAT/ALAT > 1 orientant vers une hyperhémolyse, une atteinte musculaire ou une alcoolisation chronique). Qu’une orientation étiologique ait été constatée ou non, l’existence d’argu-ments cliniques, biologiques ou morphologiques en faveur d’une hépatopathie sévère conduit à conseiller la réalisation d’une biopsie hépatique.
2. En cas d’incertitude diagnostique persistante, expliquer au patient, en tenant compte de caractères individuels liés au terrain (âge, pathologie sévère associée, contexte psychologique, qui peuvent rendre secondaire l’évaluation de la cytolyse), et en insistant sur le fait qu’il n’y a aucune urgence à prendre une décision quant à la suite des investigations :
- qu’il s’agit d’une situation de dépistage et non d’une maladie du foie avérée ;
- que dans l’état actuel des connaissances, la situation pose le problème de l’indication d’une biopsie du foie en précisant que l’examen a peu de chances de répondre au problème étiologique, mais que c’est le seul moyen de déterminer la sévérité des lésions, qu’il y a dans cette situation une grande proportion de lésions minimes ou nulles dans le foie (par définition, 2,5 % des sujets normaux ont une élévation modérée des transaminases!) et très peu de changements d’attitude thérapeutique après la biopsie, mais qu’il y a aussi une proportion plus faible de cas où la biopsie révèle des lésions plus importantes nécessitant une modification de la prise en charge, sans oublier bien sûr un exposé, appuyé par un document écrit, sur les modalités et les complications de la biopsie.
Il n’existe dans la littérature aucune donnée concernant le devenir de ces malades; faute de mieux encore, et en se fondant sur le bon sens et les recommandations concernant d’autres situations, on peut conseiller un suivi clinico-biologique (semestriel ?) aux patients ayant des lésions histologiques nulles ou minimes et envisager une nouvelle biopsie hépatique 3 à 5 ans plus tard pour les patients ayant des lésions de fibrose modérée.
Au fond, il s’agit de faire implicitement part au patient des incertitudes qui nous conduisent à considérer, avec un certain regret sans doute, qu’il est difficile de ne pas recommander actuellement une biopsie du foie dans cette situation. Moralité, en consultation d’hépatologie, il faut prendre du temps, celui d’expliquer au patient nos recommandations, celui permettant d’explorer le cas du patient de façon méthodique et rigoureuse et de suivre l’évolution des anomalies et celui, enfin, donnant au malade la possibilité d’exercer son choix de façon «éclairée». Finalement, que faire quand on a rien trouvé ? Beaucoup de choses encore …
PROPOSITION DE BILAN « TYPE » EN CAS D'ÉLÉVATION CHRONIQUE DES TRANSAMINASES INEXPLIQUÉE (SELON LES CRITÈRES DU TABLEAU I)
Tour de taille, pression artérielle |