Place des marqueurs sériques en cancérologie digestive
En pratique médicale, la prescription du dosage de marqueurs tumoraux est fréquente, coûteuse et n'est pas toujours appropriée. De multiples publications rappellent régulièrement leurs limites et leurs indications. Malgré cela, on assiste souvent à une multiplication des prescriptions de ces dosages entraînant un surcoût financier non négligeable. Cette multiplication des demandes de dosages de marqueurs a conduit les pouvoirs publics à intégrer plusieurs paragraphes concernant les marqueurs tumoraux dans les textes des références médicales opposables (RMO). Dans le domaine de la cancérologie digestive, ces RMO sont les suivants :
« Il n'y a pas lieu de doser l'ACE dans le dépistage ou le diagnostic précoce du cancer colo-rectal, dans le bilan initial d'un cancer colo-rectal, dans le suivi thérapeutique d'une reprise évolutive » ;
« Il n'y a pas lieu de faire des dosages répétés l'ACE en post-opératoire d'un cancer colo-rectal » ;
« Il n'y a pas lieu de doser l'Antigène Ca 19.9 dans le cancer colo-rectal, dépistage y compris ».
Dans cet exposé, nous verrons les indications validées de ces marqueurs et les moyens utilisés pour permettre une prescription plus adaptée de ces marqueurs dans un souci, non pas de restrictions de moyens médicaux mais dans le but d'une amélioration des pratiques. En pratique quotidienne, le dosage des marqueurs se pose dans différentes situations : le dépistage des cancers digestifs, la sélection de population à risque de cancers digestifs, le diagnostic du cancer, le pronostic du cancer et enfin celui du suivi du traitement (chirurgical ou médical des cancers digestifs).
Marqueurs disponibles
L'antigène carcino-embryonnaire (ACE), initialement décrit par Gold et Freeman en 1965, est exprimé normalement par le ftus durant les 6 premiers mois de la gestation. L'ACE est une glycoprotéine jouant un rôle dans l'adhésion et la reconnaissance cellulaire. L'ACE est sécrété chez l'individu normal où on le retrouve en faible concentration, il est synthétisé essentiellement par le tube digestif est peut être retrouvé au pole apical des cellules épithéliales. Dans le cancer colorectal (CCR), l'ACE est surexprimé et on peut alors le retrouver distribué sur toute la surface de la cellule. Les valeurs normales se situent entre 2,5 et 5 µg/l, sachant que 84 % à 87 % des malades ont des valeurs inférieures à 2,5 µg/l et que 95 à 98 % ont une concentration inférieure 5 µg/l [1]. L'ACE est en moyenne plus élevé chez l'homme, chez les personnes âgées et chez le fumeur ; par contre, l'âge et la race n'influencent pas sa concentration [2]. Une augmentation est possible dans les maladies chroniques inflammatoires du poumon et de l'intestin, dans la cirrhose et en cas d'insuffisance rénale chronique et d'hémodialyse [3, 4]. Sa demie-vie est de 2,8 jours et son élimination est hépatique [4]. L'ACE n'est donc pas spécifique du CCR. De plus, il n'est pas spécifique du tube digestif puisqu'on retrouve une concentration sérique élevée dans le cancer du sein,le cancer médullaire de la thyroïde, le cancer du poumons et des ovaires. Le CA-19-9 pour Carbohydrate Antigen 19-9, décrit pour la première fois en 1979, est un ligand des E-selectin qui joue un rôle important dans l'ad-hésion des cellules cancéreuses à l'en-dothélium. Le seuil généralement admis est de 37 U/ml et la concentration n'est pas influencée par le tabagisme.
Le prix du dosage de l'ACE, du CA199 et de l'alphafoetoprotéine est fixé à 18,9 euros.
Intérêt des marqueurs sériques pour le dépistage des cancers digestifs
Aucun marqueur sérique disponible en cancérologie digestive n'a montré son efficacité dans le dépistage du cancer. Seule l'alphafoetoprotéine (AFP) est couramment utilisée dans la pratique quotidienne. Néanmoins, une récente méta analyse, a montré les limites et les biais des études consacrées au dépistage par l'AFP, surtout lorsqu'on considère le dépistage des petits hépatocarcinomes accessibles à un traitement chirurgical ou percutané. Dans l'état actuel des connaissances, l'AFP n'a aucune place dans le dépistage systématique de l'hépatocarcinome (CHC) et des études prospectives sont nécessaires pour déterminer le place de ce marqueur dans cette indication [5].
La valeur diagnostique de l'ACE dans le CCR semble insuffisante avec une sensibilité évaluée suivant les études entre 11 et 40 % pour les tumeurs Dukes A et B et entre 52 et 89 % pour les tumeurs de stade C et D de Dukes [6]. Les résultats sont encore plus décevants pour le CA-19-9 avec une sensibilité de 4 à 9 % pour les tumeurs stade A et B de Dukes et de 22 à 50 % pour les stades C et D de Dukes. Une étude ayant comparé les performances des deux principaux marqueurs sur une même population montre que l'ACE a une sensibilité supérieure à celle du CA19-9 pour le diagnostic du cancer du colon et pour un seuil de spécificité identique, les VPP, VPN et l'efficacité diagnostique de l'ACE sont meilleures [7]. En outre, la combinaison des deux marqueurs n'augmente pas leur sensibilité. Ni l'ASCO ni l'ANAES ni la FNCLCC ne recommandent de doser ces deux marqueurs ni dans la cadre d'un dépistage ni dans celui du diagnostic précoce des cancers colorectaux. De par leur manque de spécificité ni l'ACE ni le CA-19-9 ne peuvent constituer un test de dépistage de masse ; ils n'ont par ailleurs, aucune place dans le diagnostic précoce du cancer colorectal.
Intérêts des marqueurs dans la sélection de population à risque
Les marqueurs sériques ont peu d'indications dans ce registre. Le CA 19.9 n'a pas d'intérêt dans le dépistage des tumeurs du pancréas d'autant que sa sensibilité dans le diagnostic des petites tumeurs est mauvaise. Ainsi, si la tumeur a un diamètre < 3 cm, sa sensibilité est de 12 à 70 % (moyenne = 50 %). Le CA19-9 n'a pas d'indications dans la surveillance des exceptionnelles formes familiales de cancer du pancréas.
Le seul marqueur utile est l'AFP qui dans un travail de l'équipe de Beaugrand et coll a permis, avec d'autres paramètres cliniques et histologiques, d'isoler au sein des patients cirrhotiques, un groupe de patients particulièrement à risque de CHC [8]. L'intérêt de l'AFP réside surtout dans la détermination d'un sous groupe à risque au même titre que le sexe, l'âge, l'existence d'une cirrhose ou d'une infection par le virus C.
Intérêts des marqueurs sériques dans le diagnostic des cancers digestifs
Les marqueurs sériques n'ont pas ou peu d'intérêt dans le diagnostic des cancers digestifs. L'intérêt diagnostique des marqueurs tumoraux est faible en cancérologie digestive. Ainsi devant des métastases hépatiques, l'augmentation de l'ACE ou du CA 19.9 orientent plutôt vers une origine digestive. Le CA 19.9 peut être augmenté au cours des cancers de la vésicule biliaire ou des cholangiocarcinomes (même en dehors d'une cholestase). Le CA 19.9 est augmenté dans 10 à 70 % des hépatocarcinomes [9]. Les adénocarcinomes extradigestifs peuvent aussi augmenter le CA 19.9. En présence de métastase d'un adénocarcinome, l'augmentation même importante du CA 19.9, ne peut suffire à affirmer la localisation d'une tumeur. Les seuils de sensibilité et de spécificité du CA 19.9 en pathologie tumorale pancréatique sont indiqués dans le tableau I. La sensibilité du CA 19.9 est supérieure à celle de l'ACE dans cette pathologie mais reste modeste (comprise entre 16 et 46 %). La spécificité du dosage du CA19-9 est moins bonne lorsqu'il existe une cholestase ou une affection pancréatique bénigne [10].
La sensibilité et les concentrations d'ACE augmentent avec le stade d'extension des CCR. Cependant, sa valeur ne permet pas de différencier les stades d'extension tumorale compte tenu des écarts types de valeurs moyennes trop importants [6]. Dans le cadre d'un bilan initial, la sensibilité de l'ACE est élevée pour les stades D de Dukes. Une élévation supérieure à 5 ng/ml est associée trois fois sur quatre à la présence de métastases viscérales. C'est le paramètre biologique le plus sensible pour la détection de métastases hépa tiques sachant que l'ACE est plus sen sible pour détecter des métastases hépatiques et rétro-péritonéales que ganglionnaires et pulmonaires [11]. S'il est utilisé en test unique, sa sensibilité est estimée entre 56 et 93 %, sa VPP entre 30 et 60 % et sa VPN entre 71 et 98 %. Deux études prospectives portant sur 71 et 305 patients ont retrouvé une sensibilité proche de 100 % si le dosage de l'ACE était associé à une échographie hépatique et au dosage des ?GT [12, 13]. Pour la FNCLCC une échographie hépatique normale associée à une concentration sérique pathologique de l'ACE est une indication pour des investigations. Pour l'ASCO, le dosage de l'ACE est recommandé s'il peut aider à établir le stade d'extension ou à prendre la décision opératoire. Pour les experts de l'ANAES, le dosage de l'ACE ne modifie pas l'attitude thérapeutique et n'est donc pas recommandé.
Là encore, seule l'AFP a une valeur diagnostique et on considère que l'existence d'une image nodulaire du foie associée à un dosage d'AFP > 400 ng/ml est très évocatrice d'un CHC.
SEUIL DE SENSIBILITÉ ET DE SPÉCIFICITÉ DU CA19-9
DANS LE DIAGNOSTIC DU CANCER DU PANCRÉAS [10]
Sensibilité (%) | Spécificité (%) | |
Seuil > 37 UI/ml |
81 % | 90 % |
Seuil > 100 UI/ml |
68 % | 98 % |
Seuil > 300 UI/ml |
54 % | 99 % |
Seuil > 1 000 UI/ml |
41 % | 99,8 % |
Intérêts des marqueurs dans le pronostic des cancers digestifs
Au cours du cancer du pancréas, 7? % des patients ayant un CA 19-9 > 1 000 UI/ml pourront bénéficier d'une chirurgie à visée curative. Concernant le CCR, plusieurs études prospectives ont démontré qu'une concentration initiale élevée d'ACE était un facteur de mauvais pronostic de survie [14]. Une étude menée pendant dix ans sur 428 patients retrouve un taux de survie significativement moins élevé, 53 % versus 64 %, chez les patients ayant un taux de d'ACE initialement élevé [15]. Une autre étude portant sur 318 patients va dans le même sens avec un taux de survie de 55 % versus 85 % [11]. Le pourcentage des récidives de CCR est augmenté et leur délai de survenue est plus court en cas d'ACE initialement élevé. La survie est raccourcie et le risque relatif de décès augmente [11, 16, 17]. L'extension tumorale pariétale, l'envahissement ganglionnaire et le nombre de ganglions envahis restent, cependant, les facteurs pronostiques standards et largement démontrés de survie et de récidive et l'indé-pendance des marqueurs tumoraux par rapport à ces facteurs n'est pas toujours démontrée. L'ACE ne semble pas être un facteur indépendant de l'ex-tension pariétale. Dans une étude prospective portant sur 277 patients opérés d'un CCR et suivis pendant 5 ans, la survie était significativement plus faible chez les patients ayant un ACE initialement élevé (39 % versus 57 %) mais de façon dépendante du stade [14]. En outre, il semble que l'éléva-tion de l'ACE ne soit pas indépendante de l'envahissement ganglionnaire [18]. Par contre, un taux d'ACE supérieur à 5 est un facteur pronostique indépendant défavorable sur la survie des patients qui ont eu une exérèse complète d'une tumeur et qui n'avaient pas d'en-vahissement ganglionnaire [19]. Pour la FNCLCC, la valeur préopératoire de l'ACE peut être utile pour distinguer, parmi les patients sans envahissement ganglionnaire, ceux qui sont à haut risque de récidive [6].
L'ACE a une valeur pronostique chez les patients opérés de métastases hépatiques de CCR. Une étude prospective portant sur 166 patients opérés à visée curative de métastases hépatiques a montré, en analyse multivariée, qu'un taux anormal d'ACE en préopératoire n'avait pas de valeur pronostique. Un taux d'ACE supérieur à 5 ng/ml, en post opératoire, était par contre corrélé à une survie diminuée [20]. Une importante étude rétrospective, portant sur 1088 patients opérés de métastases hépatiques, montre, en analyse multivariée, que la concentration sérique d'ACE en préopératoire est un facteur pronostique indépendant de survie [21]. Une autre étude rétrospective portant sur 111 patients métastatiques arrive à la même conclusion pour un taux d'ACE préopératoire supérieur à 5ng/ml [10]. La normalisation de l'ACE après une chirurgie hépatique alors que le taux était élevé en préopératoire, est un facteur de bon pronostic.
L'ACE préthérapeutique a une valeur pronostique chez les patients traités par chimiothérapie. Pour la FNCLCC, la concentration sérique initiale de l'ACE a une valeur pronostique indépendante sur la survie des patients traités par chimiothérapie. Cependant, il est à noter que deux études, rapportées depuis, n'arrivent pas aux mêmes conclusions. Dans l'étude rétrospective de Kohne et al. qui a revu 3 825 patients avec métastases de CCR et traités par chimiothérapie à base de 5FU, seuls le stade ECOG, le taux de polynucléaires, le taux de PAL et le nombre de sites métastatiques ressortaient en analyse multivariée comme étant des facteurs pronostiques indépendants de survie [22]. Dans une étude parue en 2002, Wang et al. ont revu 128 patients au stade métastatique, traités par chimiothérapie à base de 5FU. En analyse multivariée, le taux de CA19-9 avec un cut-off à 37 U/ml et le performance status était les deux seuls facteurs pronostiques indépendants de survie qui ressortaient [23].
Intérêts des marqueurs dans le suivi des cancers digestifs
L'intérêt du suivi dans les cancers digestifs ne se pose que si un diagnostic plus précoce est réalisé et si ce diagnostic plus précoce aboutit à l'éven-tualité d'un nouveau traitement curateur. Afin de pouvoir évaluer au mieux l'efficacité d'un traitement par le dosage d'un marqueur sérique, il est nécessaire de disposer d'un dosage préthérapeutique et de réaliser les dosages successifs dans le même laboratoire tout au long de la surveillance.
» Cas du cancer colorectal
Si un marqueur est initialement élevé, on doit observer sa normalisation 4 semaines après la chirurgie. Une élévation persistante du marqueur après 6 semaines indique la persistance d'un reliquat tumoral aussi bien après chirurgie colique que chirurgie hépatique [6]. Si une tumeur est initialement sécrétante, la récidive s'accompagnera la plupart du temps d'une élévation de l'ACE. Cependant, il est à noter que 30 % des récidives de CCR ne produisent pas d'ACE quel qu'ait été le taux initial, normal ou élevé, de l'ACE [24]. De plus, un faux négatif est possible, plus particulièrement en cas de tumeur peu différenciée [1]. On estime par ailleurs que 44 % des patients ayant un ACE préopératoire normal peuvent avoir une augmentation d'ACE en cas de récidive [25]. Une tumeur initialement non sécrétante avec un ACE normal doit donc être surveillée par des dosages itératifs d'ACE [6]. La valeur diagnostique de l'ACE varie en fonction du site de récidive, la sensibilité étant meilleure pour la détection de métastases hépatiques et rétropéritonéales que pulmonaires et meilleure en cas de récidives multiples comparéé à une récidive unique.
Le CA-19-9 peut être utilisable si l'ACE est peu ou pas augmenté [6]. Dans l'étude de Filella et al., le CA 19-9 et l'ACE ont été comparés pour la détection précoce des récidives tumorales. L'augmentation du CA 19-9 précédait la récidive dans seulement 25 % des cas contre 84 % pour l'ACE [16]. L'augmentation de l'ACE est dans 64 % à 58 % des cas, le premier signe de récidive qui peut précéder de 1,5 à 6 mois la récidive clinique ou radiologique [26, 27]. L'ACE est le premier signe de récidive dans 38,2 % des cas si un dosage est fait tous les 3 mois pendant un an, puis tous les 6 mois pendant 2 ans [28]. Une méta-analyse incluant 7 essais non randomisés indique qu'une surveillance stricte, spécialement lorsque celle-ci inclut un dosage d'ACE, permet de détecter des récidives à un stade précoce et augmente la survie [29]. En termes de coût/efficacité, l'ACE est le meilleur test pour détecter des récidives résécables de cancers du colon stade B2 ou C comparé à la coloscopie et à la radio de thorax. La conférence de consensus du CCR de 1998 précise qu'en l'absence d'études randomisées démontrant l'efficacité de l'ACE, il ne peut être préconisé pour la surveillance après exérèse curative d'un cancer du colon. La conférence de consensus de la SNFGE sur le CCR de 1998 ne recommande pas de surveillance par l'ACE. Pour la FNCLCC, la surveillance biologique de l'ACE permet de prédire une récidive avec une avance de quelques semaines à quelques mois sur le diagnostic clinique et radiologique ce qui permet un diagnostic à un stade ou l'opérabi-lité est la meilleure, cependant le bénéfice en terme de survie reste controversé [6]. La surveillance de l'ACE n'est donc recommandée que si un traitement est envisageable en cas de récidive tumorale.
L'ASCO recommande, pour les patients ayant des tumeurs stade II ou III qui pourraient bénéficier ultérieurement de résections de métastases hépatiques métachrones, la mesure de l'ACE en pré-opératoire et tous les deux à trois mois en post opératoire. Si l'augmen-tation du marqueur est confirmée sur deux tests successifs, cela doit amener à la recherche de maladie métastatique. Cependant, l'augmentation de l'ACE seule ne doit pas conduire à l'initiali-sation d'un traitement. L'ACE ne peut, en outre, constituer un test unique de surveillance [3, 24].
Si la concentration de l'ACE est initialement élevée, les dosages itératifs de ce même marqueur au cours du traitement du cancer du colon représentent une mesure de l'efficacité du traitement. Le dosage est particulièrement indiqué en cas d'absence de cible mesurable cliniquement ou radiologiquement. Il faut connaître la possibilité d'une augmentation transitoire et paradoxale du marqueur au début de la chimiothérapie reflétant un largage du marqueur dans la circulation sanguine par destruction et nécrose tumorale. Dans une étude parue en 2002, Wang et al. ont étudié la cinétique de l'ACE chez 40 malades avec métastases mesurables de CCR et traités par 5FU et acide folinique. L'augmentation de l'ACE était corrélée à une progression dans 70 % des cas et la cinétique du marqueur prédisait la progression ou la réponse au traitement dans respectivement 65 % et 85 % des cas [30]. L'étude de Moertel qui a étudié les valeurs de l'ACE chez 1017 patients inclus dans un protocole de chimiothérapie adjuvante a retrouvé une augmentation de l'ACE dans 4,6 % des récidives contre 3,7 % en cas d'éva-luation clinique [31].
Selon la FNCLCC, sauf éventuellement en début de traitement par chimiothérapie palliative, l'augmentation contrôlée des concentrations sériques d'ACE traduit une progression de la maladie. L'ACE peut être utilisé en complément de l'imagerie et de l'examen clinique pour apprécier la réponse à la chimiothérapie [6]. L'ACE est particulièrement indiqué en cas de maladie non mesurable. Selon l'ASCO, l'aug-mentation de la concentration sérique sur deux prélèvements successifs est suffisante pour démontrer une progression sous chimiothérapie et devrait faire interrompre le traitement même en l'absence de confirmation clinique ou radiologique [3].
Intérêt d'une prescription dirigée des marqueurs tumoraux
Dans une étude prospective effectuée à l'hôpital Cochin, nous avons pu démontrer l'intérêt d'une prescription dirigée des dosages de marqueurs tumoraux afin d'éliminer les indications erronées et de diminuer le coût des prescriptions ; nous avons aussi évalué l'impact pédagogique de ce nouveau mode de prescription sur les médecins prescripteurs [32]. Cette étude s'est déroulée de façon prospective sur 7 mois consécutifs dans l'ensemble des services cliniques de l'hôpital. Elle a concerné 1 600 patients soit 3 395 dosages. Les marqueurs tumoraux étudiés étaient l'ACE, le CA 19.9 et l'AFP, marqueurs habituellement utilisés en hépato-gastroentérologie. Dans un premier temps, une grille a été élaborée de façon consensuelle et qui semblait être adaptée à la demande des marqueurs de tumeurs digestives
( Tableau II ).
Cette grille était inspirée de celle mise au point par Durand-Zaleski mais était plus restrictive, le clinicien pouvant choisir 1 ou au plus 2 marqueurs pour un type de cancer et comportait plus de marqueurs et plus de types de cancers [33]. Sur ces grilles apparaissaient les marqueurs tumoraux et les indications validées. Les cases noires correspondaient aux indications inadéquates et ne pouvaient pas être cochées, les cases blanches correspondaient aux indications utiles, les cases grises indiquaient les marqueurs qui pouvaient être prescrits dans le cadre d'une surveillance, les marqueurs correspondant aux cases hachurées étaient utiles pour le bilan d'exten-sion. Seuls un ou deux marqueurs pouvaient être prescrits par organe. Enfin, dans tous les cas, le médecin gardait la possibilité de prescrire le marqueur de son choix, pour l'organe de son choix, s'il n'était pas d'accord avec les recommandations des experts.
L'étude comportait deux étapes : au cours de la 1 re période, une feuille de prescription blanche ouverte (Tableau II) a été distribuée à l'ensemble des services de l'hôpital. Pendant la deuxième période de l'étude, une nouvelle feuille de demande de marqueurs tumoraux (Tableau III) était distribuée aux différents services de l'hôpital. Cette feuille était faite de telle manière que la prescription était en quelque sorte dirigée. Sur cette feuille préétablie était noté le prix de chaque marqueur. Le nombre total de dosages prescrits pendant la 1 re période était de 329 pour l'ACE. Pour le CA 19.9 et l'AFP, il s'élevait respectivement à 149 et à 310. Par comparaison avec l'année précédente, la seule apparition de la feuille de prescription « blanche » a entraîné une diminution du nombre de prescriptions de 20 % en moyenne (extrême : 16 à 27 %) alors que le laboratoire de biochimie a augmenté son activité totale de 2 % pendant la même période. La mise en place de la feuille de prescription préétablie a permis de diminuer le nombre de demandes de 32 à 62 % suivant le marqueur considéré comparativement à l'année précédente (- 45 % pour l'ACE, – 62 % pour le CA 19.9 et – 32 % pour l'AFP). Le nombre de dosages de marqueurs prescrits par patient a également diminué d'une valeur médiane de 3.1 à 1.5. Notre travail démontre qu'il est possible de diminuer de façon importante la demande des dosages de marqueurs ( 45 %) fréquemment utilisés en hé-pato-gastroentérologie. Nos résultats montrent également une réduction supérieure à celle rapportée par l'équipe de Durand-Zaleski ou de Pariente et coll. [33, 34]. A l'hôpital Henri-Mondor, une diminution de 25 % du nombre de marqueurs avait été obtenue grâce à une feuille de demande préétablie similaire à celle utilisée dans notre étude mais dont les indications étaient plus larges (3 à 4 marqueurs pouvaient être prescrits par organe). Par ailleurs et à la différence du protocole choisi pour notre étude, le simple fait de mettre en circulation une nouvelle feuille n'avait pas été testé. Notre travail démontre que le seul fait de mettre en circulation une nouvelle feuille est responsable d'une diminution d'environ 10 % de la demande des dosages des trois marqueurs étudiés. La diminution de la demande de dosage des marqueurs était variable en fonction du marqueur considéré. Les indications de dosage du CA 19.9 dont la diminution est la plus marquée ( 62 %), sont moins bien codifiées. Comparée à celle des autres marqueurs, la baisse du nombre de dosages d'AFP prescrits était moins importante ( 31 %). En effet, les indications de l'AFP sont simples et bien codifiées dans la littérature, ce qui explique le faible taux d'erreurs et donc la faible réduction des prescriptions.
Nos résultats montrent néanmoins que la mise en place d'une feuille de demande dirigée a permis d'améliorer la pertinence de demande des dosages de marqueurs. Cela témoigne du fait que l'intérêt de cette nouvelle forme de prescription n'est pas uniquement économique mais qu'elle participe à la formation et à l'éducation des médecins prescripteurs, surtout dans les centres hospitaliers universitaires ayant un nombre important de médecins en formation. Il n'est pas possible de prédire le devenir à long terme de ce mode de prescription.
RÉFÉRENCES
- 1. Fletcher RH. Carcinoembryonic antigen. Ann Intern Med 1986 ; 104 : 66-73.
- 2. Patel PS, Raval GN, Rawal RM, Patel GH, Balar DB, Shah PM et al. Comparison between serum levels of carcinoembryonic antigen, sialic acid and phosphohexose isomerase in lung cancer. Neoplasma 1995 ; 42 : 271-4.
- 3. Bast RC Jr, Ravdin P, Hayes DF, Bates S, Fritsche H, Jr, Jessup JM et al. 2000 update of recommendations for the use of tumor markers in breast and colorectal cancer: clinical practice guidelines of the American Society of Clinical Oncology. J Clin Oncol 2001 ; 19 : 1865-78.
- 4. Carl J, Bentzen SM, Norgaard-Pedersen B, Kronborg O. Modelling of serial carcinoembryonic antigen changes in colorectal cancer. Scand J Clin Lab Invest 1993 ; 53 : 751-5.
- 5. Gupta S, Bent S, Kohlwes J. Test characteristics of alpha-fetoprotein for detecting hepatocellular carcinoma in patients with hepatitis C. A systematic review and critical analysis. Ann Intern Med 2003 ; 139 : 46-50.
- 6. Eche N, Pichon MF, Quillien V, Gory-Delabaere G, Riedinger JM, Basuyau JP et al. [Standards, options and recommendations for tumor markers in colorectal cancer]. Bull Cancer 2001 ; 88 : 1177-206.
- 7. Frenette PS, Thirlwell MP, Trudeau M, Thomson DM, Joseph L, Shuster JS. The diagnostic value of CA 27-29, CA 15-3, mucin-like carcinoma antigen, carcinoembryonic antigen and CA 199 in breast and gastrointestinal malignancies. Tumour Biol 1994 ; 15 : 24754.
- 8. Ganne-Carrie N, Christidis C, Chastang C, Ziol M, Chapel F, Imbert-Bismut F et al. Liver iron is predictive of death in alcoholic cirrhosis: a multivariate study of 229 consecutive patients with alcoholic and/or hepatitis C virus cirrhosis: a prospective follow up study. Gut 2000 ; 46 : 277-82.
- 9. Ychou M, Rougier P, Bidart JM, Bellet D, Tigaud JM, Bohuon C. [The value of tumor markers in digestive oncology]. Ann Chir 1989 ; 43 : 517-23.
- 10. Nouts A, Levy P, Voitot H, Bernades P. [Diagnostic value of serum Ca 19-9 antigen in chronic pancreatitis and pancreatic adenocarcinoma]. Gastroenterol Clin Biol 1998 ; 22 : 152-9.
- 11. Wang JY, Tang R, Chiang JM. Value of carcinoembryonic antigen in the management of colorectal cancer. Dis Colon Rectum 1994 ; 37 : 272-7.
- 12. Arnaud JP, Thibaud D, Leguillou A, Bergamaschi R, Adloff M. A prospective study of current diagnostic procedures for assessment of hepatic metastases in colorectal cancers. Eur J Surg Oncol 1987 ; 13 : 355-8.
- 13. Ohlsson B, Tranberg KG, Lundstedt C, Ekberg H, Hederstrom E. Detection of hepatic metastases in colorectal cancer: a prospective study of laboratory and imaging methods. Eur J Surg 1993 ; 159 : 275-81.
- 14. Chapman MA, Buckley D, Henson DB, Armitage NC. Preoperative carcinoembryonic antigen is related to tumour stage and long-term survival in colorectal cancer. Br J Cancer 1998 ; 78 : 1346-9.
- 15. Slentz K, Senagore A, Hibbert J, Mazier WP, Talbott TM. Can preoperative and postoperative CEA predict survival after colon cancer resection? Am Surg 1994 ; 60 : 528-31 ; discussion 531 2.
- 16. Filella X, Molina R, Pique JM, Grau JJ, Garcia-Valdecasas JC, Biete A et al. CEA as a prognostic factor in colorectal cancer. Anticancer Res 1994 ; 14 : 705-8.
- 17. Lindmark G, Bergstrom R, Pahlman L, Glimelius B. The association of preoperative serum tumour markers with Duke' s stage and survival in colorectal cancer. Br J Cancer 1995 ; 71 : 1090 4.
- 18. Moertel CG, O'Fallon JR, Go VL, O'Connell MJ, Thynne GS. The preoperative carcinoembryonic antigen test in the diagnosis, staging, and prognosis of colorectal cancer. Cancer 1986 ; 58 : 603-10.
- 19. Harrison LE, Guillem JG, Paty P, Cohen AM. Preoperative carcinoembryonic antigen predicts outcomes in nodenegative colon cancer patients: a multivariate analysis of 572 patients. J Am Coll Surg 1997 ; 185 : 55-9.
- 20. Hohenberger P, Schlag PM, Gerneth T, Herfarth C. Pre- and postoperative carcinoembryonic antigen determinations in hepatic resection for colorectal metastases. Predictive value and implications for adjuvant treatment based on multivariate analysis. Ann Surg 1994 ; 219 : 135-43.
- 21. Nordlinger B, Guiguet M, Vaillant JC, Balladur P, Boudjema K, Bachellier P et al. Surgical resection of colorectal carcinoma metastases to the liver. A prognostic scoring system to improve case selection, based on 1568 patients. Association Française de Chirurgie. Cancer 1996 ; 77 : 1254-62.
- 22. Kohne CH, Cunningham D, Di CF, Glimelius B, Blijham G, Aranda E et al. Clinical determinants of survival in patients with 5-fluorouracil-based treatment for metastatic colorectal cancer: results of a multivariate analysis of 3825 patients. Ann Oncol 2002 ; 13 : 308-17.
- 23. Wang WS, Lin JK, Chiou TJ, Liu JH, Fan FS, Yen CC et al. CA19-9 as the most significant prognostic indicator of metastatic colorectal cancer. Hepatogastroenterology 2002 ; 49 : 160-4.
- 24. 1997 update of recommendations for the use of tumor markers in breast and colorectal cancer. Adopted on November 7, 1997 by the American Society of Clinical Oncology. J Clin Oncol 1998 ; 16 : 793-5.
- 25. Zeng Z, Cohen AM, Urmacher C. Usefulness of carcinoembryonic antigen monitoring despite normal preoperative values in node-positive colon cancer patients. Dis Colon Rectum 1993 ; 36 : 1063-8.
- 26. Castells A, Bessa X, Daniels M, Ascaso C, Lacy AM, Garcia-Valdecasas JC et al. Value of postoperative surveillance after radical surgery for colorectal cancer: results of a cohort study. Dis Colon Rectum 1998 ; 41 : 714-23; discussion 723-4.
- 27. McCall JL, Black RB, Rich CA, Harvey JR, Baker RA, Watts JM et al. The value of serum carcinoembryonic antigen in predicting recurrent disease following curative resection of colorectal cancer. Dis Colon Rectum 1994 ; 37 : 875-81.
- 28. Graham RA, Wang S, Catalano PJ, Haller DG. Postsurgical surveillance of colon cancer: preliminary cost analysis of physician examination, carcinoembryonic antigen testing, chest x-ray, and colonoscopy. Ann Surg 1998 ; 228 : 59-63.
- 29. Bruinvels DJ, Stiggelbout AM, Kievit J, van Houwelingen HC, Habbema JD, van de Velde CJ. Follow-up of patients with colorectal cancer. A meta-ana-lysis. Ann Surg 1994 ; 219 : 174-82.
- 30. Wang WS, Lin JK, Lin TC, Chiou TJ, Liu JH, Yen CC et al. Tumor marker CEA in monitoring of response to tegafururacil and folinic acid in patients with metastatic colorectal cancer. Hepatogastroenterology 2002 ; 49 : 388-92.
- 31. Moertel CG, Fleming TR, Macdonald JS, Haller DG, Laurie JA, Tangen C. An evaluation of the carcinoembryonic antigen (CEA) test for monitoring patients with resected colon cancer. Jama 1993 ; 270 : 943-7.
- 32. Durieux P, Ravaud P, Porcher R, Fulla Y, Manet CS, Chaussade S. Long-term impact of a restrictive laboratory test ordering form on tumor marker prescriptions. Int J Technol Assess Health Care 2003 ; 19 : 106-13.
- 33. Durand-Zaleski I, Rymer JC, Roudot-Thoraval F, Revuz J, Rosa J. Reducing unnecessary laboratory use with new test request form: example of tumour markers. Lancet 1993 ; 342 : 150-3.
- 34. Pariente A, Prevost J, Montaut N, Quesnel-Tueux N, Boulet JM, Gasnier Y et al. [Improvement of prescriptions for serum tumor markers in a general hospital]. Presse Med 1998 ; 27 : 153 6.
FMC HGE : Organisme certifié Qualiopi pour la catégorie ACTIONS DE FORMATION