Place des marqueurs sériques en cancérologie digestive

En pratique médicale, la prescription du dosage de marqueurs tumoraux est fréquente, coûteuse et n'est pas tou­jours appropriée. De multiples publi­cations rappellent régulièrement leurs limites et leurs indications. Malgré cela, on assiste souvent à une multiplica­tion des prescriptions de ces dosages entraînant un surcoût financier non négligeable. Cette multiplication des demandes de dosages de marqueurs a conduit les pouvoirs publics à intégrer plusieurs paragraphes concernant les marqueurs tumoraux dans les textes des références médicales opposables (RMO). Dans le domaine de la cancé­rologie digestive, ces RMO sont les sui­vants :

« Il n'y a pas lieu de doser l'ACE dans le dépistage ou le diagnostic précoce du cancer colo-rectal, dans le bilan initial d'un cancer colo-rectal, dans le suivi thérapeutique d'une reprise évo­lutive » ;

« Il n'y a pas lieu de faire des dosages répétés l'ACE en post-opératoire d'un cancer colo-rectal » ;

« Il n'y a pas lieu de doser l'Antigène Ca 19.9 dans le cancer colo-rectal, dé­pistage y compris ».

Dans cet exposé, nous verrons les in­dications validées de ces marqueurs et les moyens utilisés pour permettre une prescription plus adaptée de ces mar­queurs dans un souci, non pas de res­trictions de moyens médicaux mais dans le but d'une amélioration des pra­tiques. En pratique quotidienne, le do­sage des marqueurs se pose dans dif­férentes situations : le dépistage des cancers digestifs, la sélection de po­pulation à risque de cancers digestifs, le diagnostic du cancer, le pronostic du cancer et enfin celui du suivi du traitement (chirurgical ou médical des cancers digestifs).

Marqueurs disponibles

L'antigène carcino-embryonnaire (ACE), initialement décrit par Gold et Freeman en 1965, est exprimé normalement par le ftus durant les 6 premiers mois de la gestation. L'ACE est une glycopro­téine jouant un rôle dans l'adhésion et la reconnaissance cellulaire. L'ACE est sécrété chez l'individu normal où on le retrouve en faible concentration, il est synthétisé essentiellement par le tube digestif est peut être retrouvé au pole apical des cellules épithéliales. Dans le cancer colorectal (CCR), l'ACE est surexprimé et on peut alors le re­trouver distribué sur toute la surface de la cellule. Les valeurs normales se situent entre 2,5 et 5 µg/l, sachant que 84 % à 87 % des malades ont des valeurs inférieures à 2,5 µg/l et que 95 à 98 % ont une concentration infé­rieure 5 µg/l [1]. L'ACE est en moyenne plus élevé chez l'homme, chez les per­sonnes âgées et chez le fumeur ; par contre, l'âge et la race n'influencent pas sa concentration [2]. Une aug­mentation est possible dans les ma­ladies chroniques inflammatoires du poumon et de l'intestin, dans la cir­rhose et en cas d'insuffisance rénale chronique et d'hémodialyse [3, 4]. Sa demie-vie est de 2,8 jours et son éli­mination est hépatique [4]. L'ACE n'est donc pas spécifique du CCR. De plus, il n'est pas spécifique du tube digestif puisqu'on retrouve une concentration sérique élevée dans le cancer du sein,le cancer médullaire de la thyroïde, le cancer du poumons et des ovaires. Le CA-19-9 pour Carbohydrate Anti­gen 19-9, décrit pour la première fois en 1979, est un ligand des E-selectin qui joue un rôle important dans l'ad-hésion des cellules cancéreuses à l'en-dothélium. Le seuil généralement admis est de 37 U/ml et la concentration n'est pas influencée par le tabagisme.

Le prix du dosage de l'ACE, du CA19­9 et de l'alphafoetoprotéine est fixé à 18,9 euros.
 

Intérêt des marqueurs sériques pour le dépistage des cancers digestifs

Aucun marqueur sérique disponible en cancérologie digestive n'a montré son efficacité dans le dépistage du cancer. Seule l'alphafoetoprotéine (AFP) est couramment utilisée dans la pratique quotidienne. Néanmoins, une récente méta analyse, a montré les limites et les biais des études consacrées au dé­pistage par l'AFP, surtout lorsqu'on considère le dépistage des petits hé­patocarcinomes accessibles à un trai­tement chirurgical ou percutané. Dans l'état actuel des connaissances, l'AFP n'a aucune place dans le dépistage sys­tématique de l'hépatocarcinome (CHC) et des études prospectives sont néces­saires pour déterminer le place de ce marqueur dans cette indication [5].

La valeur diagnostique de l'ACE dans le CCR semble insuffisante avec une sensibilité évaluée suivant les études entre 11 et 40 % pour les tumeurs Dukes A et B et entre 52 et 89 % pour les tumeurs de stade C et D de Dukes [6]. Les résultats sont encore plus dé­cevants pour le CA-19-9 avec une sen­sibilité de 4 à 9 % pour les tumeurs stade A et B de Dukes et de 22 à 50 % pour les stades C et D de Dukes. Une étude ayant comparé les performances des deux principaux marqueurs sur une même population montre que l'ACE a une sensibilité supérieure à celle du CA19-9 pour le diagnostic du cancer du colon et pour un seuil de spécificité identique, les VPP, VPN et l'efficacité diagnostique de l'ACE sont meilleures [7]. En outre, la combinaison des deux marqueurs n'augmente pas leur sensibilité. Ni l'ASCO ni l'ANAES ni la FNCLCC ne recommandent de doser ces deux marqueurs ni dans la cadre d'un dépistage ni dans celui du diagnostic précoce des cancers colo­rectaux. De par leur manque de spé­cificité ni l'ACE ni le CA-19-9 ne peu­vent constituer un test de dépistage de masse ; ils n'ont par ailleurs, aucune place dans le diagnostic précoce du cancer colorectal.

Intérêts des marqueurs dans la sélection de population à risque

Les marqueurs sériques ont peu d'indications dans ce registre. Le CA 19.9 n'a pas d'intérêt dans le dépistage des tumeurs du pancréas d'autant que sa sensibilité dans le diagnostic des petites tumeurs est mauvaise. Ainsi, si la tumeur a un diamètre < 3 cm, sa sensibilité est de 12 à 70 % (moyenne = 50 %). Le CA19-9 n'a pas d'indications dans la surveillance des exceptionnelles formes familiales de cancer du pancréas.

Le seul marqueur utile est l'AFP qui dans un travail de l'équipe de Beaugrand et coll a permis, avec d'autres paramètres cliniques et histologiques, d'isoler au sein des patients cirrhotiques, un groupe de patients particu­lièrement à risque de CHC [8]. L'intérêt de l'AFP réside surtout dans la détermination d'un sous groupe à risque au même titre que le sexe, l'âge, l'existence d'une cirrhose ou d'une infection par le virus C.

Intérêts des marqueurs sériques dans le diagnostic des cancers digestifs

Les marqueurs sériques n'ont pas ou peu d'intérêt dans le diagnostic des cancers digestifs. L'intérêt diagnostique des marqueurs tumoraux est faible en cancérologie digestive. Ainsi devant des métastases hépatiques, l'augmentation de l'ACE ou du CA 19.9 orientent plutôt vers une origine digestive. Le CA 19.9 peut être augmenté au cours des cancers de la vésicule biliaire ou des cholangiocarcinomes (même en dehors d'une cholestase). Le CA 19.9 est augmenté dans 10 à 70 % des hépatocarcinomes [9]. Les adénocarcinomes extradigestifs peuvent aussi augmenter le CA 19.9. En présence de métastase d'un adénocarcinome, l'augmentation même importante du CA 19.9, ne peut suffire à affirmer la localisation d'une tumeur. Les seuils de sensibilité et de spécificité du CA 19.9 en pathologie tumorale pancréatique sont indiqués dans le tableau I. La sensibilité du CA 19.9 est supérieure à celle de l'ACE dans cette pathologie mais reste modeste (comprise entre 16 et 46 %). La spécificité du dosage du CA19-9 est moins bonne lorsqu'il existe une cholestase ou une affection pancréatique bénigne [10].

La sensibilité et les concentrations d'ACE augmentent avec le stade d'extension des CCR. Cependant, sa valeur ne permet pas de différencier les stades d'extension tumorale compte tenu des écarts types de valeurs moyennes trop importants [6]. Dans le cadre d'un bilan initial, la sensibilité de l'ACE est élevée pour les stades D de Dukes. Une élévation supérieure à 5 ng/ml est associée trois fois sur quatre à la présence de métastases viscérales. C'est le paramètre biologique le plus sensible pour la détection de métastases hépa tiques sachant que l'ACE est plus sen sible pour détecter des métastases hépatiques et rétro-péritonéales que ganglionnaires et pulmonaires [11]. S'il est utilisé en test unique, sa sensibilité est estimée entre 56 et 93 %, sa VPP entre 30 et 60 % et sa VPN entre 71 et 98 %. Deux études prospectives portant sur 71 et 305 patients ont retrouvé une sensibilité proche de 100 % si le dosage de l'ACE était associé à une échographie hépatique et au dosage des ?GT [12, 13]. Pour la FNCLCC une échographie hépatique normale associée à une concentration sérique pathologique de l'ACE est une indication pour des investigations. Pour l'ASCO, le dosage de l'ACE est recommandé s'il peut aider à établir le stade d'extension ou à prendre la décision opératoire. Pour les experts de l'ANAES, le dosage de l'ACE ne modifie pas l'attitude thé­rapeutique et n'est donc pas recommandé.

Là encore, seule l'AFP a une valeur diagnostique et on considère que l'existence d'une image nodulaire du foie associée à un dosage d'AFP > 400 ng/ml est très évocatrice d'un CHC.
 

TABLEAU I
SEUIL DE SENSIBILITÉ ET DE SPÉCIFICITÉ DU CA19-9
DANS LE DIAGNOSTIC DU CANCER DU PANCRÉAS [10]

  Sensibilité (%) Spécificité (%)

Seuil > 37 UI/ml

81 % 90 %

Seuil > 100 UI/ml

68 % 98 %

Seuil > 300 UI/ml

54 % 99 %

Seuil > 1 000 UI/ml

41 % 99,8 %

 

Intérêts des marqueurs dans le pronostic des cancers digestifs

Au cours du cancer du pancréas, 7? % des patients ayant un CA 19-9 > 1 000 UI/ml pourront bénéficier d'une chirurgie à visée curative. Concernant le CCR, plusieurs études prospectives ont démontré qu'une concentration initiale élevée d'ACE était un facteur de mauvais pronostic de survie [14]. Une étude menée pendant dix ans sur 428 patients retrouve un taux de survie significativement moins élevé, 53 % versus 64 %, chez les patients ayant un taux de d'ACE initialement élevé [15]. Une autre étude portant sur 318 patients va dans le même sens avec un taux de survie de 55 % versus 85 % [11]. Le pourcentage des récidives de CCR est augmenté et leur délai de sur­venue est plus court en cas d'ACE ini­tialement élevé. La survie est raccourcie et le risque relatif de décès augmente [11, 16, 17]. L'extension tumorale pa­riétale, l'envahissement ganglionnaire et le nombre de ganglions envahis res­tent, cependant, les facteurs pronos­tiques standards et largement démon­trés de survie et de récidive et l'indé-pendance des marqueurs tumoraux par rapport à ces facteurs n'est pas tou­jours démontrée. L'ACE ne semble pas être un facteur indépendant de l'ex-tension pariétale. Dans une étude pros­pective portant sur 277 patients opérés d'un CCR et suivis pendant 5 ans, la survie était significativement plus faible chez les patients ayant un ACE initialement élevé (39 % versus 57 %) mais de façon dépendante du stade [14]. En outre, il semble que l'éléva-tion de l'ACE ne soit pas indépendante de l'envahissement ganglionnaire [18]. Par contre, un taux d'ACE supérieur à 5 est un facteur pronostique indépen­dant défavorable sur la survie des pa­tients qui ont eu une exérèse complète d'une tumeur et qui n'avaient pas d'en-vahissement ganglionnaire [19]. Pour la FNCLCC, la valeur préopératoire de l'ACE peut être utile pour distinguer, parmi les patients sans envahissement ganglionnaire, ceux qui sont à haut risque de récidive [6].

L'ACE a une valeur pronostique chez les patients opérés de métastases hépa­tiques de CCR. Une étude prospective portant sur 166 patients opérés à visée curative de métastases hépatiques a montré, en analyse multivariée, qu'un taux anormal d'ACE en préopératoire n'avait pas de valeur pronostique. Un taux d'ACE supérieur à 5 ng/ml, en post opératoire, était par contre corrélé à une survie diminuée [20]. Une im­portante étude rétrospective, portant sur 1088 patients opérés de métastases hépatiques, montre, en analyse mul­tivariée, que la concentration sérique d'ACE en préopératoire est un facteur pronostique indépendant de survie [21]. Une autre étude rétrospective portant sur 111 patients métastatiques arrive à la même conclusion pour un taux d'ACE préopératoire supérieur à 5ng/ml [10]. La normalisation de l'ACE après une chirurgie hépatique alors que le taux était élevé en préopératoire, est un facteur de bon pronostic.

L'ACE préthérapeutique a une valeur pronostique chez les patients traités par chimiothérapie. Pour la FNCLCC, la concentration sérique initiale de l'ACE a une valeur pronostique indépendante sur la survie des patients traités par chimiothérapie. Cependant, il est à noter que deux études, rapportées de­puis, n'arrivent pas aux mêmes conclu­sions. Dans l'étude rétrospective de Kohne et al. qui a revu 3 825 patients avec métastases de CCR et traités par chimiothérapie à base de 5FU, seuls le stade ECOG, le taux de polynucléaires, le taux de PAL et le nombre de sites métastatiques ressortaient en analyse multivariée comme étant des facteurs pronostiques indépendants de survie [22]. Dans une étude parue en 2002, Wang et al. ont revu 128 patients au stade métastatique, traités par chimio­thérapie à base de 5FU. En analyse multivariée, le taux de CA19-9 avec un cut-off à 37 U/ml et le performance status était les deux seuls facteurs pro­nostiques indépendants de survie qui ressortaient [23].

 

Intérêts des marqueurs dans le suivi des cancers digestifs

L'intérêt du suivi dans les cancers digestifs ne se pose que si un diagnostic plus précoce est réalisé et si ce dia­gnostic plus précoce aboutit à l'éven-tualité d'un nouveau traitement cura­teur. Afin de pouvoir évaluer au mieux l'efficacité d'un traitement par le dosage d'un marqueur sérique, il est nécessaire de disposer d'un dosage pré­thérapeutique et de réaliser les dosages successifs dans le même laboratoire tout au long de la surveillance.

» Cas du cancer colorectal

Si un marqueur est initialement élevé, on doit observer sa normalisation 4 se­maines après la chirurgie. Une éléva­tion persistante du marqueur après 6 semaines indique la persistance d'un reliquat tumoral aussi bien après chi­rurgie colique que chirurgie hépatique [6]. Si une tumeur est initialement sécrétante, la récidive s'accompagnera la plupart du temps d'une élévation de l'ACE. Cependant, il est à noter que 30 % des récidives de CCR ne produi­sent pas d'ACE quel qu'ait été le taux initial, normal ou élevé, de l'ACE [24]. De plus, un faux négatif est possible, plus particulièrement en cas de tumeur peu différenciée [1]. On estime par ailleurs que 44 % des patients ayant un ACE préopératoire normal peuvent avoir une augmentation d'ACE en cas de récidive [25]. Une tumeur initiale­ment non sécrétante avec un ACE normal doit donc être surveillée par des dosages itératifs d'ACE [6]. La va­leur diagnostique de l'ACE varie en fonction du site de récidive, la sensi­bilité étant meilleure pour la détection de métastases hépatiques et rétro­péritonéales que pulmonaires et meil­leure en cas de récidives multiples comparéé à une récidive unique.

Le CA-19-9 peut être utilisable si l'ACE est peu ou pas augmenté [6]. Dans l'étude de Filella et al., le CA 19-9 et l'ACE ont été comparés pour la détec­tion précoce des récidives tumorales. L'augmentation du CA 19-9 précédait la récidive dans seulement 25 % des cas contre 84 % pour l'ACE [16]. L'augmentation de l'ACE est dans 64 % à 58 % des cas, le premier signe de ré­cidive qui peut précéder de 1,5 à 6 mois la récidive clinique ou radiologique [26, 27]. L'ACE est le premier signe de récidive dans 38,2 % des cas si un dosage est fait tous les 3 mois pendant un an, puis tous les 6 mois pendant 2 ans [28]. Une méta-analyse incluant 7 essais non randomisés indique qu'une surveillance stricte, spécialement lors­que celle-ci inclut un dosage d'ACE, permet de détecter des récidives à un stade précoce et augmente la survie [29]. En termes de coût/efficacité, l'ACE est le meilleur test pour détecter des récidives résécables de cancers du colon stade B2 ou C comparé à la coloscopie et à la radio de thorax. La conférence de consensus du CCR de 1998 précise qu'en l'absence d'études randomisées démontrant l'efficacité de l'ACE, il ne peut être préconisé pour la surveillance après exérèse curative d'un cancer du colon. La conférence de consensus de la SNFGE sur le CCR de 1998 ne recommande pas de sur­veillance par l'ACE. Pour la FNCLCC, la surveillance biologique de l'ACE permet de prédire une récidive avec une avance de quelques semaines à quelques mois sur le diagnostic cli­nique et radiologique ce qui permet un diagnostic à un stade ou l'opérabi-lité est la meilleure, cependant le bé­néfice en terme de survie reste contro­versé [6]. La surveillance de l'ACE n'est donc recommandée que si un traite­ment est envisageable en cas de réci­dive tumorale.

L'ASCO recommande, pour les patients ayant des tumeurs stade II ou III qui pourraient bénéficier ultérieurement de résections de métastases hépatiques métachrones, la mesure de l'ACE en pré-opératoire et tous les deux à trois mois en post opératoire. Si l'augmen-tation du marqueur est confirmée sur deux tests successifs, cela doit amener à la recherche de maladie métastatique. Cependant, l'augmentation de l'ACE seule ne doit pas conduire à l'initiali-sation d'un traitement. L'ACE ne peut, en outre, constituer un test unique de surveillance [3, 24].

Si la concentration de l'ACE est ini­tialement élevée, les dosages itératifs de ce même marqueur au cours du trai­tement du cancer du colon représen­tent une mesure de l'efficacité du trai­tement. Le dosage est particulièrement indiqué en cas d'absence de cible me­surable cliniquement ou radiologi­quement. Il faut connaître la possibi­lité d'une augmentation transitoire et paradoxale du marqueur au début de la chimiothérapie reflétant un largage du marqueur dans la circulation san­guine par destruction et nécrose tu­morale. Dans une étude parue en 2002, Wang et al. ont étudié la cinétique de l'ACE chez 40 malades avec métastases mesurables de CCR et traités par 5FU et acide folinique. L'augmentation de l'ACE était corrélée à une progression dans 70 % des cas et la cinétique du marqueur prédisait la progression ou la réponse au traitement dans respec­tivement 65 % et 85 % des cas [30]. L'étude de Moertel qui a étudié les valeurs de l'ACE chez 1017 patients inclus dans un protocole de chimio­thérapie adjuvante a retrouvé une augmentation de l'ACE dans 4,6 % des récidives contre 3,7 % en cas d'éva-luation clinique [31].

Selon la FNCLCC, sauf éventuellement en début de traitement par chimio­thérapie palliative, l'augmentation contrôlée des concentrations sériques d'ACE traduit une progression de la maladie. L'ACE peut être utilisé en com­plément de l'imagerie et de l'examen clinique pour apprécier la réponse à la chimiothérapie [6]. L'ACE est parti­culièrement indiqué en cas de maladie non mesurable. Selon l'ASCO, l'aug-mentation de la concentration sérique sur deux prélèvements successifs est suffisante pour démontrer une pro­gression sous chimiothérapie et devrait faire interrompre le traitement même en l'absence de confirmation clinique ou radiologique [3].

 

Intérêt d'une prescription dirigée des marqueurs tumoraux

Dans une étude prospective effectuée à l'hôpital Cochin, nous avons pu démontrer l'intérêt d'une prescription dirigée des dosages de marqueurs tumoraux afin d'éliminer les indica­tions erronées et de diminuer le coût des prescriptions ; nous avons aussi évalué l'impact pédagogique de ce nouveau mode de prescription sur les médecins prescripteurs [32]. Cette étude s'est déroulée de façon prospective sur 7 mois consécutifs dans l'ensemble des services cliniques de l'hôpital. Elle a concerné 1 600 patients soit 3 395 do­sages. Les marqueurs tumoraux étu­diés étaient l'ACE, le CA 19.9 et l'AFP, marqueurs habituellement utilisés en hépato-gastroentérologie. Dans un pre­mier temps, une grille a été élaborée de façon consensuelle et qui semblait être adaptée à la demande des marqueurs de tumeurs digestives

( Tableau II ).

Cette grille était inspirée de celle mise au point par Durand-Zaleski mais était plus restrictive, le clinicien pouvant choisir 1 ou au plus 2 marqueurs pour un type de cancer et comportait plus de marqueurs et plus de types de can­cers [33]. Sur ces grilles apparaissaient les marqueurs tumoraux et les indica­tions validées. Les cases noires cor­respondaient aux indications inadé­quates et ne pouvaient pas être cochées, les cases blanches corres­pondaient aux indications utiles, les cases grises indiquaient les marqueurs qui pouvaient être prescrits dans le cadre d'une surveillance, les marqueurs correspondant aux cases hachurées étaient utiles pour le bilan d'exten-sion. Seuls un ou deux marqueurs pou­vaient être prescrits par organe. Enfin, dans tous les cas, le médecin gardait la possibilité de prescrire le marqueur de son choix, pour l'organe de son choix, s'il n'était pas d'accord avec les recommandations des experts.

L'étude comportait deux étapes : au cours de la 1 re période, une feuille de prescription blanche ouverte (Tableau II) a été distribuée à l'ensemble des ser­vices de l'hôpital. Pendant la deuxième période de l'étude, une nouvelle feuille de demande de marqueurs tumoraux (Tableau III) était distribuée aux diffé­rents services de l'hôpital. Cette feuille était faite de telle manière que la pres­cription était en quelque sorte dirigée. Sur cette feuille préétablie était noté le prix de chaque marqueur. Le nombre total de dosages prescrits pendant la 1 re période était de 329 pour l'ACE. Pour le CA 19.9 et l'AFP, il s'élevait respectivement à 149 et à 310. Par com­paraison avec l'année précédente, la seule apparition de la feuille de pres­cription « blanche » a entraîné une di­minution du nombre de prescriptions de 20 % en moyenne (extrême : 16 à 27 %) alors que le laboratoire de bio­chimie a augmenté son activité totale de 2 % pendant la même période. La mise en place de la feuille de pres­cription préétablie a permis de dimi­nuer le nombre de demandes de 32 à 62 % suivant le marqueur considéré comparativement à l'année précédente (- 45 % pour l'ACE, – 62 % pour le CA 19.9 et – 32 % pour l'AFP). Le nombre de dosages de marqueurs prescrits par patient a également diminué d'une va­leur médiane de 3.1 à 1.5. Notre tra­vail démontre qu'il est possible de di­minuer de façon importante la de­mande des dosages de marqueurs ( 45 %) fréquemment utilisés en hé-pato-gastroentérologie. Nos résultats montrent également une réduction su­périeure à celle rapportée par l'équipe de Durand-Zaleski ou de Pariente et coll. [33, 34]. A l'hôpital Henri-Mondor, une diminution de 25 % du nombre de marqueurs avait été obtenue grâce à une feuille de demande préétablie si­milaire à celle utilisée dans notre étude mais dont les indications étaient plus larges (3 à 4 marqueurs pouvaient être prescrits par organe). Par ailleurs et à la différence du protocole choisi pour notre étude, le simple fait de mettre en circulation une nouvelle feuille n'avait pas été testé. Notre travail démontre que le seul fait de mettre en circula­tion une nouvelle feuille est respon­sable d'une diminution d'environ 10 % de la demande des dosages des trois marqueurs étudiés. La diminution de la demande de dosage des marqueurs était variable en fonction du marqueur considéré. Les indications de dosage du CA 19.9 dont la diminution est la plus marquée ( 62 %), sont moins bien codifiées. Comparée à celle des autres marqueurs, la baisse du nombre de dosages d'AFP prescrits était moins importante ( 31 %). En effet, les in­dications de l'AFP sont simples et bien codifiées dans la littérature, ce qui explique le faible taux d'erreurs et donc la faible réduction des prescriptions.

Nos résultats montrent néanmoins que la mise en place d'une feuille de de­mande dirigée a permis d'améliorer la pertinence de demande des dosages de marqueurs. Cela témoigne du fait que l'intérêt de cette nouvelle forme de prescription n'est pas uniquement éco­nomique mais qu'elle participe à la formation et à l'éducation des méde­cins prescripteurs, surtout dans les centres hospitaliers universitaires ayant un nombre important de médecins en formation. Il n'est pas possible de pré­dire le devenir à long terme de ce mode de prescription.
 

TABLEAU III
GRILLE DE DEMANDE DES MARQUEURS UTILISÉE LORS DE LA PÉRIODE 2

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