Tumeurs du pancréas et des voies biliaires
Les cancers des voies biliaires et du pancréas, essentiellement des adénocarcinomes, sont de pronostic très sombre du fait d'un diagnostic très tardif mais également d'un « génie évolutif » marqué par une agressivité particulière. Leur traitement est dominé par la chirurgie qui n'est hélas que rarement réalisable et de résultats souvent décevants du fait de la grande fréquence des récidives post-opéra-toires. Quelques progrès actuels redonnent de l'espoir et laissent envisager une meilleure prise en charge dans le futur. Néanmoins, dans l'im-médiat, il est important d'inclure ces patients dans les essais thérapeutiques en cours, de façon à progresser plus vite vers une meilleure prise en charge thérapeutique.
Cancer du pancréas
Le cancer du pancréas est un cancer fréquent, septième cause de décès par cancer en France, responsable de plus de 40 000 décès par an en Europe ! Sa fréquence a régulièrement augmenté jusqu'au début des années 1990 pour se stabiliser depuis, voire diminuer aux USA. Cette diminution pourrait être en rapport avec la diminution du tabagisme. En effet, le tabac, principal facteur de risque, serait responsable de 1/3 des cancers du pancréas ; d'autres facteurs interviendraient [1] comme l'alcool, les organochlorés et certaines pathologies comme le diabète et la pancréatite chronique ; enfin, il existerait quelques rares cas de formes familiales ou héréditaires (pancréatites familiales, mélanomes familiaux, syndrome HNPCC, ) représentant moins de 3 % de ces cancers.
La principale caractéristique de ce cancer est son pronostic catastrophique. En effet, l'espérance de vie à 5 ans, tous stades confondus est minime, inférieure à 5 % voire à 1 %. En ce sens, la lecture des registres qui a usuellement l'avantage de rendre modeste, est ici très déprimante En Suède, dans la population de Malmö [2], 575 patients ont eu, entre 1977 et 1991 un diagnostic de cancer du pancréas (95 % de preuves histologiques ou cytologiques) ; une chirurgie curative était tentée chez 24 patients (4,2 %) avec 2 survivants à 5 ans ; la survie à 5 ans de l'ensemble de la population était de 0,5 % (3 survivants) Ce mauvais pronostic n'est pas uniquement dû à un diagnostic tardif puisque si la survie médiane des patients traités au stade métastatique ne dépasse pas 6-8 mois, le pronostic des patients opérés à visée curative est également sombre même pour les petites tumeurs de moins de 2 cm de diamètre. Des facteurs plus spécifiquement tumoraux avec une agressivité particulière de ces tumeurs entrent certainement en jeu.
Des progrès sont bien évidemment nécessaires et plusieurs axes de recherche sont développés, essentiellement autour de 3 grandes questions : 1) est-il possible grâce à un traitement adjuvant de diminuer le risque de récidive après une chirurgie curative ; 2) est-il possible de rendre résécable une tumeur localement avancée et 3) quels sont les meilleurs traitements des formes métastatiques et quels bénéfices apportent-ils ?
Que faire après une résection complète pour diminuer le risque de récidive ?
La survie à long terme après résection à visée curative [3] ne dépassant pas 20-30 % ; améliorer ces chiffres est indispensable, ce qui pose avec force la question des traitements adjuvants. La réponse est loin d'être évidente avec deux pistes qui pour l'instant tiennent peu leurs promesses. La première piste nous vient des USA avec une association radio-chimiothérapique ; le travail princeps du GITSG [4] montrait un avantage en survie globale (survie à 2 ans 18 % vs 43 %) en faveur d'une association de radiothérapie (2 X 20 Gy) et de 5FU (hebdomadaire pendant 2 ans) par rapport à un simple suivi post-opératoire, cependant l'effectif de cet essai était très faible (43 patients) et sa qualité méthodologique médiocre.
Un essai de confirmation européen avait alors été initié par l'EORTC [5] en 1987 avec le même schéma de radiothérapie et une chimiothérapie par 5FU plus « moderne », car en perfusion continue. Malgré un plus grand nombre de patients inclus, aucune différence en survie médiane ou à 5 ans n'était notée malgré une tendance non significative en faveur du bras traité. Malgré les résultats décevants de ces deux études, aux USA, cette option radio-chimiothérapique post-opéra-toire reste proposée dans les recommandations.
Tout ceci a été partiellement remis en cause par les résultats d'une étude européenne, l'ESPAC-1 [6]. Cette étude ayant inclus 541 patients éligibles comparait quatre grandes possibilités : chirurgie seule, chimiothérapie adjuvante (schéma FUFol mensuel sur 6 mois), radio-chimiothérapie adjuvante (20 Gy X 2 avec bolus de 5FU de J1 à J3) et radio-chimiothérapie adjuvante suivie de chimiothérapie. Les praticiens pouvaient inclure les patients dans ce schéma factoriel 2 X 2 pur ou dans 2 autres options : chimioradiothérapie ou non (chimiothérapie libre) ou chimiothérapie ou non (chimioradiothérapie libre). Deux grandes questions étaient posées : intérêt du traitement radio-chimiothérapique et intérêt de la chimiothérapie post-opératoire. Deux grands types d'analyses ont été effectués : à partir des groupes du plan factoriel (randomisation pure) et en associant ces patients à ceux randomisés entre : 1) radiochimiothérapie ou non (qu'ils aient reçu ou non de la chimiothérapie) ou 2) chimiothérapie ou non (qu'ils aient reçu une radiochimiothérapie ou non). Les résultats montrent que la réalisation d'une radio-chimiothérapie n'améliore pas la survie, que l'analyse soit faite à partir des patients du plan factoriel ou plus globale, la tendance allant (p = 0,09) même contre cette hypothèse avec un effet délétère (non significatif) de cette association ! Les résultats sont plus intéressants en ce qui concerne la chimiothérapie : aucune différence (survie médiane 17,4 mois vs 15,9 mois) si l'on se limite aux patients inclus dans le plan factoriel (285 patients, p = 0,19), différence nette (473 patients ; p = 0,0005) si l'on prend l'ensemble des patients (survie médiane : 19,7 mois vs 14 mois). Les conclusions sont donc difficiles à tirer de façon formelle et, avec les auteurs, nous pouvons dire que des essais randomisés complémentaires sur les chimiothérapies adjuvantes sont nécessaires du fait de l'absence de bénéfice clair de la chimiothérapie dans l'analyse des résultats du schéma 2 X 2 . Pour ce groupe de travail, ces résultats n'ont pas incité à garder un bras radiochimiothérapie dans le nouvel essai ESPAC-3 qui garde un bras contrôle chirurgie seule et 2 bras expérimentaux de chimiothérapie : FUFol et gemcitabine. Notons que dans une analyse s'intéressant à l'influence de l'état de la tranche de section [7], le possible bénéfice de la chimiothérapie n'était retrouvé que chez les patients R0 et non pas chez ceux ayant une marge envahie (médiane de survie 11 mois vs 10,3 mois avec ou sans chimiothérapie) Les perspectives européennes de traitement adjuvant des cancers du pancréas se tournent donc plus vers la chimiothérapie adjuvante [8] mais dans l'immé-diat, aucun traitement adjuvant n'est à recommander.
Peut-on rendre résécable une tumeur pancréatique localement avancée ?
La chirurgie, seule option curatrice, n'est réalisable que chez 5 à 20 % des patients lors du diagnostic soit du fait d'une maladie déjà métastatique soit du fait d'une extension loco-régionale (notamment vasculaire) contre-indi-quant un tel geste. Chez ces patients ayant une tumeur localement avancée, sans métastases, il semblerait intéressant de tenter, par un traitement initial, de rendre ces tumeurs résécables et donc possiblement curables. Il n'existe pas d'études randomisées sur ce sujet mais plusieurs séries rétrospectives ou de phase II de qualité très variable. Globalement, une revue de Néoptolémos et al. [8] considère que cette option permettrait de réaliser une chirurgie potentiellement curable chez 19 à 64 % des patients ayant une tumeur considérée initialement comme localement avancée mais non résécable. En fait, les séries sont très disparates, tant en terme de définition de tumeur localement avancé, qu'en terme de schéma de chimioradiothérapie, et qu'en terme de résultats. Dans les séries sans Gemcitabine, le pourcentage de patients pouvant bénéficier d'une chirurgie seconde va de moins de 10 % [9, 10], à 29 % [11], plusieurs séries se situant autour de 20 % [12-14]. Une analyse rétrospective des nouveaux schémas à base de Gemcitabine [15] constate que 9 parmi 67 patients (13 %) ayant une résection considérée initialement comme limite ou impossible, ont pu avoir une chirurgie de qualité après un schéma associant radiothérapie et gemcitabine. Il faut cependant noter que dans plusieurs séries, il existait quelques patients en réponse histologique complète et que plusieurs d'entre eux devenaient des « longs survivants ». Il semble pour l'instant difficile de considérer une radio-chimio-thérapie comme un standard pouvant transformer une lésion localement avancée en opérable ; cependant, la réalisation d'un bilan est nécessaire en post-radiochimiothérapie pour ne pas passer à côté des quelques patients pour lesquels une chirurgie de résection est devenue possible et qui devraient alors bénéficier d'une résection chirurgicale à visée curative [16].
A cette proposition optimiste, certains ajoutent que chez des patients potentiellement résécables, un traitement préopératoire permet de réévaluer les patients à peu de distance du diagnostic ce qui permettrait, dans un nombre non négligeable de cas, d'éviter d'opérer un patient ayant une maladie très évolutive. Les résultats tendent à démontrer que, lorsque les tumeurs étaient initialement considérées comme résécables, un traitement néoadjuvant (par radio-chimiothérapie) permettait de réaliser une résection dans 45 à 100 % des cas c'est-à-dire pour White et al. [14] d'éviter la morbidité d'une chirurgie chez de nombreux patients, le bilan post-traitement néoadjuvant / préopératoire permettant de récuser ce geste du fait d'une évolution rapidement défavorable sous traitement.
Donc, si le but premier d'une association radio-chimiothérapique en cas d'adénocarcinome pancréatique localement avancé reste, hélas palliatif, il ne faut pas passer à côté des patients qui ont répondu à ce traitement et qui peuvent bénéficier d'une chirurgie seconde avec, peut-être quelques cas de guérisons. Une réévaluation après ce traitement est donc indispensable et en cas d'amélioration, le dossier doit être rediscuté avec le chirurgien.
Quels sont les meilleurs traitements des formes métastatiques ?
Les adénocarcinomes pancréatiques qui surexpriment nombre de gènes de chimiorésistance (MDR, GST) sont peu sensibles aux chimiothérapies systémiques. Le taux de réponse objective, en utilisant des critères stricts, ne dépasse qu'exceptionnellement les 15 % ! et la médiane de survie n'est qu'ex-ceptionnellement supérieure à 8 mois. La littérature est assez homogène, hélas, sur ces points, malgré l'inclu-sion fréquente dans les essais de patients ayant un meilleur pronostic comme des tumeurs ampullaires ou des lésions localement avancées non métastatiques ; il nous faut ici rappeler la difficulté d'appréciation de la réponse tumorale d'une maladie pancréatique localement avancée.
Il semble important de rappeler tout d'abord qu'une polychimiothérapie est en terme de survie préférable à un simple traitement de confort, avec dans les études les plus récentes, un bénéfice en survie de l'ordre de 3,5 à 4 mois, celle-ci passant de 2,5-4 mois sans traitement à 6-8 mois sous chimiothérapie [17, 18]. Dans une de ces études, cette amélioration de la survie allait de pair avec une amélioration de la qualité de vie.
En 1997, l'essai de Burris et al. [19] démontrant l'intérêt de la gemcitabine dans cette indication, allait stimuler l'intérêt pour la chimiothérapie ; tenant compte de la rareté des réponses objectives et de la dissociation entre réponse tumorale et amélioration clinique avec la gemcitabine, les auteurs avaient défini le concept de bénéfice clinique en prenant en compte deux paramètres principaux, l'évaluation de la douleur (EVA et consommation d'an-talgiques) et l'évaluation de l'état général, et un critère accessoire (le poids). Etaient considérés comme répondeurs sur le plan du bénéfice clinique, les patients ayant soit une amélioration de la douleur (diminution des antalgiques ou de l'intensité mesurée de la douleur) soit une amélioration de l'état général (+ 20 points de Karnofsky) soit une stabilité de ces deux paramètres avec une prise pondérale (+ 7 %). Cette étude comparant le 5FU en bolus hebdomadaire à de la gemcitabine à la dose de 1 000 mg/m 2 de façon hebdomadaire (7 semaines sur 8 puis 3 semaines sur 4) randomisait 126 patients ; le pourcentage de patients ayant une réponse clinique était largement supérieur avec la gemcitabine (23,8 %) qu'avec le 5FU (4,8 %), le taux de réponse objective nul sous 5FU, était très faible (5,4 %) sous gemcitabine mais il existait un gain en terme de survie médiane (5,6 mois vs 4,4 mois), de survie à 1 an (18 % vs 2 %) et de survie sans progression (9 semaines vs 4 semaines) en faveur de la gemcitabine. Ces données ont été confirmées lors de l'analyse de la cohorte de patients traités en compassionnel.
L'autre alternative est le 5FU en association avec le CDDP ; ce schéma a été testé dans un essai de la FNCLCC [20] qui a inclus 207 patients. Le schéma de 5FU en association avec le CDDP (FUP) était le schéma classique, lourd, associant 5FU 1 g/m 2 /j pendant 5 jours à du CDDP 100 mg/m 2 à J1 ou J2 ce qui explique que la toxicité avec ce schéma était majeure (48 % de toxicité grade 3 ou 4). Le schéma FUP était meilleur que le 5FU seul, en terme de réponse objective (nul dans le bras 5FU seul et d'à peine 12 % dans le bras FUP) et de survie sans progression, mais les chiffres de survie globale étaient semblables (médiane 112 j vs 102 j) et médiocres. L'avenir de cette association réside peut-être plus dans le schéma LV5FU2-P qui semble mieux toléré [21] et probablement actif sur la tumeur et sur l'état général. Une étude de phase III sous l'égide de la FFCD comparant ce schéma à la gemcitabine en monothérapie devrait débuter en 2004.
Dans l'immédiat, le schéma le plus séduisant est l'association gemcitabine oxaliplatine développée par le GERCOR. En phase II, ce schéma donnait 30 % de réponses objectives avec une survie médiane légèrement supérieure à 9 mois. Une étude de phase III menée par ce groupe a comparé ce schéma à la gemcitabine seule. Les résultats, encore préliminaires [22], semblent très intéressants. En 2 ans, 326 patients ont été inclus, 313 ont été traités ; les patients des 2 groupes étaient comparables. Le schéma d'association donnait plus de réponse tumorale (28 % vs 17 %), plus de bénéfice clinique (39 % vs 28 %) et une meilleure survie sans progression (25 semaines vs 16 semaines) que la gemcitabine. Les résultats de survie globale sont attendus avec impatience pour prouver qu'enfin, le traitement des adénocarcinomes pancréatiques peut sortir du trou noir dans lequel disparaissaient tous les essais jusqu'à présent et pour faire mentir un radiothérapeute américain qui disait que « les essais thérapeutiques dans le cadre des cancers du pancréas ressemblaient un peu à réarranger les chaises longues sur le pont du Titanic »
La chimiothérapie palliative des adénocarcinomes du pancréas doit, pour l'instant viser, bien sûr à améliorer le pronostic des patients en améliorant leur médiane de survie mais surtout à améliorer leur confort ; la notion de bénéfice clinique, quoique discutée, est particulièrement raisonnable dans cette pathologie gravissime sans espoir de guérison.
Cancers des voies biliaires
Les cancers des voies biliaires (arbre biliaire et vésicule) sont plus rares (7 000 cas par an aux USA dont plus de 5 000 cas de cancers de la vésicule). Ces adénocarcinomes ont en commun avec les cancers du pancréas un pronostic catastrophique (survie à 5 ans des cancers de la vésicule, inférieure à 5 %) en rapport avec un diagnostic très souvent tardif. Les facteurs favorisants sont dominés par la lithiase biliaire ; plus rarement, sont incriminés les kystes cholédociens, la cholangite sclérosante, des infections parasitaires Leur traitement curatif est chirurgical et les séries de la littérature concernant les traitements médicaux (hors traitements instrumentaux) sont rares, disparates et de petits effectifs. Il semble plus raisonnable de limiter ici notre propos à rapporter les propositions de la FFCD (hors essais thérapeutiques). Ces propositions, concernant les cancers des voies biliaires extra-hépatiques sont également valables pour les cancers de la vésicule biliaire.
En cas de résection chirurgicale, aucun traitement adjuvant n'est recommandé. Si la lésion est non résécable, le premier geste doit être un drainage biliaire, une association radiochimiothérapique est actuellement en cours d'essai et est raisonnable chez les patients en bon état général. Devant une forme métastatique, chez les patients en bon état général, une chimiothérapie doit se discuter notamment avec une association 5FU Cisplatine, probablement plutôt en utilisant le schéma LV5FU2-P.
Les cancers du pancréas et des voies biliaires sont des affections redoutables. Leur traitement est dominé par la chirurgie mais les résultats restent médiocres. Quelques progrès sont notés en chimiothérapie palliative, notamment grâce à l'utilisation de la gemcitabine et de l'oxaliplatine ; il est à espérer qu'ils se confirmeront et que l'utilisation de ces schémas en adjuvant permettra une amélioration du pronostic global.
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