Hépato-toxicité de la phytothérapie

Introduction

La phytothérapie revient à la mode depuis quelques années dans les pays occidentaux et s'appuie sur des traditions millénaires. Une des prin­cipales origines vient de l'Asie où l'utilisation de plantes médicinales constitue une partie très importante de la médecine traditionnelle [1-5]. En Chine, plus de 7000 préparations sont couramment utilisées. La phytothérapie constitue également un des fondements de la médecine po­pulaire en Afrique et en Amérique du Sud. En Occident, les plantes médicinales connaissent un succès accru [1-5]. Divers facteurs favorisent la popularité des plantes médicinales, en particulier : le mouvement écologique qui se développe depuis plusieurs années dans les pays indus­trialisés ; l'idée que ce qui est naturel ne peut être que bénéfique ; la notion que les plantes médicinales, à défaut d'être très efficaces, sont au moins complètement inoffensives à l'inverse des médicaments traditionnels ; le fait que certaines maladies telles que le SIDA, les hépatites B et C ou le cancer bénéficient actuellement de traitements dont l'efficacité n'est pas totale et s'accompagnent d'effets secondaires notables.

Les 15 dernières années ont montré que la phytothérapie n'est pas sans risque. Les atteintes toxiques concernent la plupart des organes. On peut citer notamment l'insuffisance rénale liée aux plantes chinoises, les atteintes cardiaques par intoxication à l'aconit ou des atteintes pul­monaires liées à certaines menthes [1-5]. Mais ce sont certainement les atteintes hépatiques qui sont les plus marquantes [1-6].

Cette brève revue vise à préciser les connaissances actuelles sur les aspects épidémiologiques, les méthodes diagnostiques permettant d'identi-fier le rôle des produits de phytothérapie et de décrire les principales préparations d'herbes médicinales ayant des effets hépatotoxiques. Pour une plus ample information, le lecteur peut se référer aux trois mises au point détaillées récentes [3-5].

 

Aspects épidémiologiques sur l'utilisation des plantes médicinales dans les pays [3-5]

Comme d'autres médecines alternatives ou thérapeutiques traditionnelles, la phytothérapie est considérée comme particulièrement attractive.
Aux Etats-Unis, les utilisateurs de plantes sont passés de 2,5 % en 1990 à 12,1 % en 1998, représentant un marché de 5 milliards de dollars. Si on considère les patients atteints de troubles fonctionnels intestinaux, deux enquêtes nord-américaines indiquent que 3 à 5 % des patients utilisent des plantes médicinales comme principal mode thérapeutique. En ce qui concerne les maladies hépatiques, on ne dispose que de données limitées provenant de deux enquêtes. La première, américaine, repose sur une centaine de malades et indique que 31 % des patients atteints d'hépatopathies chroniques utilisent des plantes médicinales [3]. La seconde enquête, française, a été réalisée sur une période d'un an (2000­2001), sur la base d'une étude prospective exhaustive des patients consultant pour maladie chronique du foie [3]. Une consommation de plantes médicinales était retrouvée chez 31 % des 524 patients inclus [3]. Cette consommation était plus fréquente chez les patients atteints d'hépatite chronique C comparativement aux patients atteints d'hépatite chronique B ou d'autre hépatopathies chroniques. La prise de plantes médicinales était plus importante chez les femmes que chez les hommes. Les principales plantes consommées étaient la sylimarine, la valériane et le Desmodium ascendens [3].

La prise de plantes médicinales peut se faire sous différents types. Il peut s'agir de gélules, de comprimés, d'infusions, de teintures, d'extraits, de plantes brutes ou de différentes formes y compris des lavements ou d'applications sous forme de cataplasme [2-4].
Il faut enfin souligner les risques particuliers qui contribuent à l'hépatotoxicité des plantes médicinales : ceux-ci sont liés essentiellement à la mauvaise identification de la plante, son stockage ou son conditionnement (Tableau I) [1].

Aspects diagnostiques de l'hépatotoxicité de la phythothérapie [1, 3]

La démarche diagnostique est particulièrement difficile. Les règles sont celles habituellement utilisées pour établir l'imputabilité d'un médicament devant un effet secondaire hépatique comme indiqué dans le tableau II [7].

Les critères chronologiques sont semblables à ceux des médicaments classiques. Les critères cliniques visant à éliminer une autre cause sont également semblables. En revanche, les critères positifs ont certaines spécificités. En effet, parmi ces critères, on retrouve le plus souvent une femme adulte, volontiers attirée par les traitements par médecine douce, la prise d'un produit de phytothérapie qu'il faudra rechercher de façon systématique et qu'il n'est pas toujours facile de faire exprimer par le patient. Dans les signes histologiques, lorsque une biopsie hépatique est disponible, on peut noter un infiltrat éosinophile qui oriente vers une forme d'atteinte allergique, donc une cause médicamenteuse. On peut noter également l'existence de signes vasculaires sous forme de maladie veino-occlusive qui doivent faire rechercher systématiquement une cause médicamenteuse notamment la prise de dérivés d'alcaloïdes de la pyrrolizidine [8]. En effet, les médicaments et en particulier les plantes médicinales constituent une des principales causes de maladie veino-occlusive en dehors de la chimiothérapie [1]. Il existe une forme d'anti-corps spécifiques constituant un véritable sérodiagnostic. Il s'agit d'un anticorps anti-microsome dirigé contre l'époxyde hydrolase retrouvé spécifiquement dans les hépatites à la Germandrée petit-chêne [9].

Enfin, dans certaines circonstances, le dosage dans le sang de certains produits peut contribuer au diagnostic. C'est le cas pour la recherche des métabolites de la pyrrolizidine, la pulégone ou le méthofurane [3]. Les difficultés habituelles sont encore accrues quand il s'agit de phytothérapie [1-3] : l'automédication très fréquente et la réputation d'inno-cuité font que le patient omet souvent de mentionner la prise de plantes médicinales au médecin traitant ; l'absence ou le peu de contrôle exercé sur la toxicité de nombreuses plantes utilisées en phytothérapie ; la multiplicité des produits végétaux contenus dans certaines prépa­rations rendant très difficile de déterminer quelle plante est responsable de l'effet indésirable.

Plantes médicinales responsables d'hépatotoxicité

Les principales plantes impliquées sont décrites ci-dessous et indiquées dans le tableau IV [1-5].

» Alcaloïdes de la pyrrolizidine [1-3, 5]

L'hépatotoxicité de ces alcaloïdes présents dans plus de 350 espèces végétales est connue depuis plus de 40 ans. Les principaux genres incri­minés sont Heliotropium, Senecio, Crotalaria et plus récemment avec Symphytum officinale (consoude). L'empoisonnement à la pyrrolizidine est endémique en Afrique et en Amérique centrale où les alcaloïdes toxiques sont ingérés sous forme d'infusions, de décoctions ou même de lavements. Une intoxication endémique a également été notée en Inde et en Afghanistan, résultant d'une contamination de farines par des plantes contenant ces alcaloïdes toxiques. Quelques rares cas d'atteintes hépatiques ont aussi été observés après contamination de lait de vache ou de miel par les alcaloïdes de la pyrrolizidine. Récemment, plusieurs cas d'hépatites ont été observés dans les pays occidentaux chez des patients utilisant des plantes contenant ces alcaloïdes sous forme d'infusions de capsules ou de compléments alimentaires [8].
 

TABLEAU I FACTEURS SPÉCIFIQUES À LA PHYTOTHÉRAPIE FAVORISANT SON HÉPATOTOXICITÉ

Mauvaise identification botanique

Sélection d'une mauvaise partie de la plante

Stockage inapproprié

Contamination de la plante par divers agents chimiques, métaux lourds, microorganismes

Altération du produit végétal lors du conditionnement

Erreur d'étiquetage du produit final

La principale lésion induite par les alcaloïdes de la pyrrolizidine est la maladie veino-occlusive. La symptomatologie peut être aiguë, se carac­térisant par une douleur abdominale brutale, une ascite, une hépatomégalie et une augmentation marquée des transaminases. La biopsie hé­patique à ce stade montre une nécrose centro-lobulaire hémorragique sans inflammation, liée à une atteinte aiguë des veines centro-lobulaires. Lorsque les lésions restent limitées, l'évolution se fait vers une guérison complète. A l'inverse, lorsqu'elles sont étendues, on peut observer une insuffisance hépato-cellulaire pouvant être mortelle. L'évolution peut se faire de façon plus insidieuse et aboutir à une hépatopathie chronique simulant une cirrhose. Un cas de maladie veino-occlusive mortelle a été constaté chez un nouveau-né dont la mère prenait régulièrement des plantes contenant des alcaloïdes de la pyrrolizidine pendant sa grossesse. La toxicité des alcaloïdes de la pyrrolizidine est reproductible et dose­dépendante chez l'animal. Elle est liée à la transformation d'alcaloïdes insaturés en métabolites réactifs toxiques, probablement des dérivés pyr­roliques (Fig. 1) [2-4]. Les métabolites sont formés dans les hépatocytes mais aussi dans les cellules endothéliales qui sont particulièrement sen­sibles. Il en résulte une atteinte vasculaire prédominante, secondairement responsable de la nécrose hépatocytaire [2-4]. Ce mécanisme pourrait expliquer l'histoire naturelle des lésions hépatiques observées chez l'homme. Les atteintes aiguës paraissent résulter d'une exposition courte à de fortes doses alors que des lésions chroniques sont liées à une exposition prolongée à dose plus faible d'alcaloïdes [1-3, 5]. Bien que la toxi­cité paraisse habituellement dose-dépendante, il pourrait y avoir très rarement une atteinte hépatique avec des préparations conventionnelles contenant des dérivés du séneçon à petite dose [8].

» Chardon à glu et impila (Atractylis gummifera-L et Callilepsa laureola) [1-3, 5, 10]

La toxicité du chardon à glu (Atractylis gummifera-L) est bien connue dans les pays méditerranéens. Les intoxications ont été observées prin­cipalement dans trois circonstances : 1) lors d'utilisation du chardon à glu comme plante médicinale en raison de ses propriétés anti-pyrétiques, diurétiques, abortives, purgatives et émétiques ; 2) lorsque les enfants utilisent la substance blanchâtre sécrétée par la plante et ressemblant à de la glu comme chewing-gum ; 3) et lorsqu'il existe une confusion entre le chardon à glu et l'artichaut sauvage. L'intoxication est saisonnière survenant surtout au printemps. Elle se manifeste par des douleurs abdominales, des vomissements, une hépatite aiguë associant à la fois une nécrose hépatocytaire et une stéatose micro-vésiculaire. Il peut s'y associer une hypoglycémie, une insuffisance rénale, des troubles neuro-vé-gétatifs. L'évolution est souvent mortelle. La toxicité du chardon à glu est liée à deux substances, l'atractylate de potassium, et la gummiférine, qui sont capables d'inhiber la phosphorylation oxydative mitochondriale et le cycle de Krebs [1-3].

Impila (Callilepsis laureola) est très voisine du chardon à glu en terme de toxicité car elle contient des composés chimiques très voisins de l'atrac-tylate de potassium. De nombreux cas d'hépatite ou de nécrose tubulaire rénale ont été décrits chez des Zoulous du Natal et d'Afrique australe plus généralement par l'effet d'une utilisation de cette plante en médecine traditionnelle (1-5).

 

» Germandrée petit-chêne (Teucrium chamaedrys) [1, 6, 11, 12]

La germandrée petit-chêne est utilisée depuis plus de 2000 ans comme antipyrétique sédatif des douleurs abdominales ainsi que pour des pro­priétés diurétiques, cholérétiques et cicatrisantes. Cette plante a reçu une autorisation de mise sur le marché de la phytothérapie en 1986 comme amaigrissant. Rapidement, plus de 30 cas d'hépatites ont été collectés dans les centres de pharmacovigilance en France principalement chez les femmes de la quarantaine. Les atteintes étaient observées lors de prises à doses thérapeutiques ( 600-1600 mg/j) et ceci sous diverses présen­tations commerciales : infusions, capsules, préparations magistrales, etc. L'atteinte hépatique est principalement caractérisée par une hépatite aiguë cytolytique survenant en moyenne au bout de deux mois de traitement. Quelques cas d'hépatites fulminantes ont été observés dont cer­tains avec une évolution fatale. La guérison a été observée dans tous les autres cas après interruption du traitement. Un cas de cholangite d'évo-lution prolongée mais régressive a été aussi observé (cas personnel). Chez quelques malades, l'atteinte hépatique a eu une évolution plus insi­dieuse et a été découverte au stade d'hépatite chronique voire de cirrhose surtout lors de traitements prolongés ou de prise de larges doses. Chez tous les malades ré-exposés accidentellement à la germandrée, l'atteinte hépatique a récidivé dans un délai relativement court. Le mécanisme de l'hépatotoxicité de la germandrée a été reproduit de façon dose-dépendante chez la souris. La toxicité de cette plante est liée à la présence de diterpénoïdes transformés par des cytochromes P-450, en particulier ceux de la famille 3A en des métabolites réactifs [9, 11, 12]. Les méta­bolites toxiques formés déplètent le glutathion et altèrent le cyto-squelette et la membrane cellulaire. De plus, les lésions pourraient aussi faire intervenir des phénomènes d'apoptose. Enfin, récemment, il a été démontré que des métabolites de la germandrée petit-chêne induisent la for­mation d'un anticorps anti-microsomes correspondant à un anticorps anti-époxyde hydrolase [9]. C'est le premier exemple d'auto-anticorps dirigés contre cette enzyme de détoxification du métabolisme hépatique. Cet auto-anticorps constitue un sérodiagnostic pour la toxicité avec cette plante [9]. Il n'existe pas en effet d'autres exemples connus de présence de cet auto-anticorps dans d'autres situations d'hépatotoxicité médicamenteuse ou de pathologie auto-immune [7, 9].
En raison de cette hépatotoxicité, la germandrée petit-chêne a été retirée du marché des plantes médicinales en France et sa vente libre a été interdite. Cependant, son utilisation persiste dans d'autres pays comme au Canada où des cas récents d'hépatite ont été observés [1].

 

» Phytothérapie asiatique [2-5]

Il s'agit principalement de préparations médicinales chinoises. Celles-ci sont souvent complexes avec de nombreuses plantes. Il est donc sou­vent très difficile d'identifier dans les préparations médicinales, les composés botaniques ayant une efficacité thérapeutique et ceux qui ont une toxicité. Une efficacité thérapeutique a été mise en évidence par des études cliniques dans les maladies cutanées, en particulier l'eczéma et les dermatoses atopiques. Ces essais ont aussi révélé un nombre de cas anormalement élevé d'atteintes hépatiques. La toxicité des plantes médici­nales chinoises peut être également liée à la contamination par d'autres plantes, en particulier celles contenant des alcaloïdes de la pyrrolizi­dine. Elle peut être également secondaire à une pollution par des métaux lourds, des dérivés chimiques, en particulier des insecticides et des pesticides, voire par des médicaments traditionnels ou une erreur de conditionnement. Un exemple récent est lié à la prise de JIN BU HUAN (Lycopodium serratum) [13]. Cette préparation est utilisée depuis plus de mille ans en Chine et depuis une quinzaine d'années aux Etats-Unis comme sédatif et analgésique. Depuis son introduction en Amérique du Nord, plus d'une dizaine de cas d'hépatites ont été observés dont plu­sieurs avec des réadministrations accidentelles positives [13]. La toxicité semble liée à un surdosage dans le principal agent du JIN BU HUAN, la tétrahydropalmitine qui a des analogies structurales avec les alcaloïdes de la pyrrolizidine.

Récemment, d'autres exemples d'hépatotoxicité avec des plantes asiatiques de médecine traditionnelle chinoise ou japonaise ont été décrits [2­5]. En particulier des hépatites aiguës ont été observées avec une préparation appelée Xiao Chai-Chu-Tang en Chine ou Scho-saiko-to ou TJ9 au Japon. Quelques cas d'atteinte hépatique aiguë cytolytique ont aussi été rapportés avec la préparation Chaso et Onshido [2-5].

 

» Essence de pennyroyal [2, 3, 14]

Celle-ci est utilisée comme abortif et déclencheur de la menstruation. Elle est contenue dans diverses variétés de menthes, par exemple Mentha pulegium , utilisées chez les populations hispaniques pour traiter les douleurs abdominales mineures des enfants. La toxicité de l'essence de pen­nyroyal se manifeste par des troubles mentaux et neurologiques et des hépatites aiguës parfois fulminantes. Le mécanisme de toxicité com­mence à être mieux connu : 90 % de l'essence de pennyroyal est composé de pulégone, un terpène oxydé par des cytochromes P-450 en dé­rivés méthofuranes. Le traitement consiste en l'administration précoce de N-acétylcystéine comme pour les intoxications aiguës au paracétamol.

 

» Chélidoine (Chelidonium majus) [15]

Cette plante est utilisée de plus en plus en Europe du Nord pour le traitement de la dyspepsie et de la lithiase vésiculaire. Plusieurs cas d'hé-patite aiguë cytolytique viennent d'être décrits dont un d'évolution fulminante et d'autres avec apparition d'une fibrose précoce. Une cholan­gite aiguë a également été observée. Ces atteintes surviennent entre 1 à 3 mois après le début du traitement. Des cas avec récidive lors d'une réexposition confirme la toxicité de cette plante. Les molécules végétales en cause sont encore inconnues. Celles qui sont soupçonnées sont la chélidonine, la sanguinérine et la berbérine.

 

» Kava-Kava (Piper methysticum rhizoma) [15, 16]

Il s'agit d'une plante cérémoniale provenant des Iles du Pacifique et utilisée depuis plusieurs siècles comme produit relaxant. Elle a été ramenée en Europe à l'occasion des grands voyages européens autour du monde à la fin du XVIII e siècle. Ses propriétés relaxantes et anxiolytiques ont suscité un très fort regain d'intérêt en Europe en particulier en Allemagne ces dernières années. Ainsi plus de 70 cas d'hépatite ont été re­censés au cours des 3 ou 4 dernières années. Il s'agit essentiellement d'hépatites aiguës cytolytiques survenant dans un délai variable de 15 jours à un an suivant la quantité consommée. Au moins une quinzaine de cas d'hépatite fulminante ont été recensés, aboutissant à 11 cas de transplantation et 4 décès [5]. Le mécanisme n'est pas connu. Il est néanmoins intéressant de constater qu'une corrélation entre le risque de toxicité de cette plante et le déficit en cytochrome P450 2D6 (6 à 8 % de la population occidentale) a été récemment suggéré [17]. Ce point mérite d'être confirmé.

 

» Thé vert (Camellia sinensis) [5, 18, 19]

Le thé est probablement une des boissons les plus consommées au niveau mondial avant d'être une plante médicinale. Son utilisation remonte à plus de 4 000 ans en Orient. On distingue le thé vert (séché rapidement), le thé noir (fermenté et séché) et peu connu en Europe, le thé Oolong qui est à moitié fermenté. La phytothérapie s'est surtout intéressée au thé vert pour ses vertus amaigrissantes. Il entre en France dans la com­position d'une dizaine de spécialités pharmaceutiques sous différentes formes soit extrait hydro-alcoolique, extrait aqueux ou poudre de feuille. Ce n'est que depuis 1999, que des atteintes hépatiques ont été reliées à la consommation de produit de phytothérapie à base de thé vert. Le pro­duit incriminé est un extrait hydro-alcoolique commercialisé sous le nom d'Exolise ® (laboratoires Arkopharma). Entre 1999, date de la com ­mercialisation en France et avril 2003, 13 cas d'atteinte hépatique ont été collectés par la pharmacovigilance dont 9 cas en France et 4 en Espagne. La prévalence est estimée à 1/80 000 traitements. L'atteinte était observée essentiellement chez des femmes d'âge en moyenne de 40 à 45 ans. La durée moyenne de consommation était comprise entre 9 jours et 5 mois. L'hépatite était de type mixte dans 10 des 13 cas. L'évolution a été le plus souvent favorable dans les deux mois suivants. Un cas de réadministration positive a été noté. Seul un cas d'hépatite grave avec évo­lution fulminante a justifié la réalisation d'une transplantation hépatique. Devant ces constatations, l'AFSSAPS a décidé de suspendre l'AMM de ce produit en avril 2003. Le mécanisme reste inconnu. Il est à noter néanmoins que l'Exolyse ® est un extrait hydro-alcoolique de thé vert qui contient 25 % de catéchines dont du gallate d'épigallocatéchol (GEPC) [5]. Le GEPC, de nature flavanique propose 60 % des composés phé ­noliques du thé vert issu du Camellia sinensis . L'hépatotoxicité du GEPC n'est pas connue. Il n'y a pas pour l'instant d'argument permettant de montrer que ce produit peut être toxique directement ou par voie immuno-allergique. Il est souligné que seul l'extrait hydro-alcoolique a été incriminé. Il est donc possible que dans la préparation, d'autres produits différents aient été extraits alors qu'ils ne sont normalement pas présents dans les extraits hydriques habituellement utilisés. Des travaux sont en cours pour essayer de déterminer le mécanisme de toxicité de l'Exolyse ® .

 

» Senné (Cassia angustifolia) [2-4]

Le senné, une plante utilisée pour ses propriétés laxatives, peut-être aussi responsable d'atteintes hépatiques. En particulier, une hépatite aiguë a été observée avec récidive lors d'une ré-exposition à une préparation contenant des extraits de feuilles et de fruits de senné. La quantité in­gérée était 10 fois supérieure aux doses recommandées habituellement. L'hépatotoxicité pourrait être liée à des sennosides, des alcaloïdes laxa­tifs qui sont les principaux constituants des feuilles et des fruits de senné. Les sennosides sont métabolisés en anthrone dans l'intestin par Escherichia coli et d'autres bactéries intestinales. L'anthrone peut être absorbée par la muqueuse intestinale, glucuronoconjuguée et sulfatée, puis excrétée dans les urines et les matières fécales. Il est noter que l'anthrone a une structure chimique très proche de celle de la danthrone, une hépato­toxine bien connue.

 

» Scutéllaire (Scutelleria) [2-4]

Plusieurs cas d'atteintes hépatiques ont été rapportés récemment chez des patients prenant des préparations (en particulier sous forme de com­primés) d'herbes médicinales à base de scutellaire pour soulager le stress. Ces préparations contenaient également d'autres composés végétaux dont de la valériane. Une enquête britannique récente a confirmé l'existence de cas d'atteinte hépatique chez des malades recevant de la scu­tellaire.

 

» Teucrium polium [20]

C'est une espèce botanique très proche de Teucrium chamaedrys (germandrée petit-chêne) qui est proposée pour traiter les hypercholestérolé­mies modérées. Cette plante a été impliquée dans la survenue d'une hépatite fulminante conduisant à une transplantation hépatique.

 

» Prostata (Serenoa) [21]

Serenoa fait partie d'une préparation de phytothérapie complexe comprenant de multiples produits, commercialisée sous le nom de Prostata. Cette préparation est supposée avoir des propriétés estrogéniques et anti-androgéniques. Un cas d'hépatite cholestatique vient d'être observé avec ce produit.

 

» Feuille de Chaparral (Larrea tridentata) [1]

Les feuilles de cet arbuste sont utilisées depuis longtemps par les Indiens du sud-ouest américain pour divers petits maux et récemment par les occidentaux comme anti-oxydant et « régénérateur ». Une enquête vient de recenser une quinzaine de cas d'hépatites aiguës, et quelques cas de cirrhose et de cholangite imputables à cette plante.

 

» Huile de Margosa (Azadirachta indica) [3]

Des extraits de graines d' Azadirachta indica ont été impliquées dans la survenue de stéatoses microvésiculaires avec un syndrome clinique si­mulant un syndrome de Reye.

Interactions médicamenteuses liées à l'utilisation de plantes médicinales [3]

En marge de l'hépatotoxicité, il est important de souligner que certaines plantes ou préparations médicinales peuvent interférer avec le métabolisme de médicaments classiques et entraîner ainsi des effets indésirables (Tableau V). Le premier exemple est le millepertuis ( Hypericum perforatum ) qui est un inducteur du cytochrome P450 3A4, la principale forme des enzymes de cytochrome P450 dans le foie humain mais également présente dans l'intestin. Il a été démontré que le millepertuis pouvait interférer avec le métabolisme de la ciclosporine et favoriser ainsi des phénomènes de rejet chez des malades transplantés du fait de la réduction de l'immu-nosuppression. D'autres exemples sont l'effet de la réglisse qui diminue l'élimination de la prednisolone et facilite ainsi la rétention hydrosodé ou diminue l'action de la spironolactone. Le pamplemousse interfère avec le métabolisme de la ciclosporine. Le Gingko biloba favoriserait les saignements en altérant les fonctions plaquettaires. Les extraits de papaye pourraient accroître le risque de saignement en augmentant l'INR. A l'inverse, le ginseng semble diminuer les effets anticoagulants et diminue l'INR.

 

Conclusions

L'hépatotoxicité des plantes médicinales est maintenant largement documentée. Le spectre des lésions et manifestations induites est très varié reproduisant une large part des maladies hépato-biliaires non iatrogènes Le diagnostic est particulièrement difficile. De nouveaux produits s'ajoutent chaque année à la liste de l'hépatotoxicité de la phytothérapie. Par ailleurs, diverses préparations de phytothérapie peuvent inter­férer avec le métabolisme de médicaments « classiques », en particulier en induisant ou en inhibant certains systèmes enzymatiques hépa­tiques. Il peut en résulter des effets indésirables sérieux. Il est donc nécessaire de mieux informer les usagers d'autant que l'automédication est fréquente, d'améliorer l'évaluation des effets thérapeutiques et toxiques réels des produits de phytothérapie et de renforcer les contrôles pour éviter les risques d'erreurs aux différentes étapes depuis le recueil des plantes jusqu'à la distribution du produit final pharmaceutique ou artisanal.

 

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