Les critères de qualité de la coloscopie

Introduction

La coloscopie est un des deux plus fréquents gestes endoscopiques pratiqués par les hépatogastroentérologues. Elle se doit d'être effectuée le plus efficacement possible pour permettre le diagnostic et/ou le traitement des lésions précancéreuses et cancéreuses coliques. Son importance est directement liée à la fréquence du cancer colorectal qui touche 33 000 nouvelles personnes en France par an et dont le pronostic reste sombre avec 16 000 décès par an. L'ensemble de la procédure ne pouvant être traité de manière exhaustive, le sujet sera limité à la coloscopie dia­gnostique et ne prendra pas en compte les consignes habituelles de désinfection du matériel et la gestion des éventuelles complications. Aucune recommandation détaillée n'est actuellement proposée, que ce soit en France ou dans les autres pays occidentaux, pour la réalisation d'une co­loscopie. Un certain nombre de recommandations émises par la Société Française d'Endoscopie Digestive (SFED) sur des points spécifiques sont en revanche disponibles (antibioprophylaxie, gestion des traitements antithrombotiques, désinfection, techniques d'hémostase). Nous allons successivement détailler les points importants pour la réalisation d'une coloscopie de qualité.

 

Poser l'indication et informer le patient

Ce sont les deux problèmes à envisager avant la réalisation d'une coloscopie. Il y a quelques années, il était fréquent de ne pas voir en consul­tation préalable les patients adressés pour coloscopie. Cette approche se modifie progressivement. En effet, elle avait deux inconvénients ma­jeurs qui expliquent ce changement :

les indications sont moins pertinentes quand elles sont posées par le généraliste. Ainsi, sur une étude américaine, 87 % des indications po­sées par les GE étaient appropriées quand seulement 65 % des indications posées par le généraliste étaient correctes [1] ;

l'information au patient s'avère moins efficace. Ainsi, il s'agit d'une des principales causes de conflit (33 % des cas) entre les praticiens et les patients dans une étude anglaise récente [2]. En France, la loi Kouchner nous impose de pouvoir prouver que l'on a donné une informa­tion honnête au patient sur les risques et avantages de l'examen et que l'on a recueilli son consentement éclairé. Cette information doit être orale, éventuellement complétée par un document écrit comme la fiche d'information proposée par la SFED et remise à jour récemment (en collaboration avec la SNFGE et la société de coloproctologie). La signature, qui n'est pas obligatoire, ne met pas à l'abri d'un conflit. Elle peut juste valider le fait que le patient a reçu l'information et qu'il avait la possibilité de poser toutes les questions souhaitées. D'autres al­ternatives sont possibles comme de noter dans le dossier que l'information a bien été donnée. En cas de conflit, et en l'absence de toute trace écrite, il est également possible de justifier (avec des patients témoins par exemple), nos pratiques habituelles. L'évolution actuelle de la ju­risprudence fait penser que l'on pourra plus nous reprocher d'avoir fait signer un document d'information au patient sans l'avoir vu que de l'avoir vu en consultation sans l'avoir fait signer.

Si l'on admet qu'il est nécessaire de voir un nouveau patient en consultation avant une coloscopie, le problème est moins clair pour les pa­tients ayant déjà eu une coloscopie par nos soins et nécessitant un contrôle systématique. Il est cependant probablement souhaitable d'être maximaliste pour ne pas méconnaître d'éventuels changements de thérapeutique ou de terrain (allergie ?) ou des événements de santé inter­currents qui pourraient modifier l'indication de la coloscopie. Cela permettra également de réaliser l'interrogatoire indispensable concernant les risques de maladie de Creutzfeldt-Jakob et de remplir la fiche devant être présente dans le dossier.

La préparation

C'est un problème important, souvent sous-estimé.

» Les échecs de préparation

Ils sont fréquents, pouvant être retrouvés dans 22 % [3] des coloscopies. Dans l'étude de Ness et al., 80 % des patients avec échec de prépara­tion avaient pourtant bien suivi les consignes. Certains facteurs favorisant une mauvaise préparation ont pu être notés : patient hospita­lisé, prise d'antidépresseurs tricycliques, sexe masculin, coloscopie indiquée pour une constipation, antécédents de cirrhose, d'infarctus ou de démence. Dans ces populations, des protocoles alternatifs pourraient être proposés d'emblée.

» Quel est l'impact d'une mauvaise préparation ?

Les conséquences d'une mauvaise préparation sont doubles :

Des lésions peuvent être méconnues. Cela concerne surtout des lésions < 1 cm [4]. Les volumineuses lésions sont rarement masquées. Si l'in-dication de la coloscopie est avant tout la recherche d'un néoplasme chez un patient difficile à préparer (maladie mentale), il pourra être lo­gique de poursuivre l'examen et de ne pas le reprogrammer. En revanche, si l'indication est un dépistage de polypes chez un patient qui n'a aucune raison d'avoir une mauvaise préparation, l'arrêt de l'examen sera à envisager. Un nouvel examen sera à programmer en fonction de la proportion de côlon bien exploré et du risque relatif de lésion. Aucune recommandation ne peut cependant être faite dans de telles situa­tions.

L'impact économique est loin d'être négligeable [5]. Il repose sur la nécessité de faire un contrôle plus rapproché ou de reprendre l'examen.

 

» Quelle préparation ?

Une information écrite sur la préparation est en général délivrée, et plus ou moins bien expliquée par une secrétaire ou une infirmière. Il est important de vérifier que celle-ci est bien sensibilisée sur l'importance de son rôle et qu'elle est toujours motivée (lassitude des informations répétitives). Il faut nous-mêmes alerter le patient de l'importance de la préparation.

Deux grandes classes de produits sont généralement utilisées en France : le polyéthylène-glycol (PEG) et le phosphate de sodium. Au moins 16 études randomisées ont comparé les deux classes de produits. Treize d'entre elles retrouvent une efficacité comparable. La com­pliance et la tolérance étaient plutôt améliorées avec le phosphate de sodium [6]. Un impact sur les électrolytes pouvait en revanche faire préférer les PEG dans certaines populations à risque.

Des études sont en cours avec des préparations moins importantes en volume de liquide ingéré. Il peut s'agir de répartir les 4 litres de PEG sur 2 jours (2 litres et 2 litres) ou de réduire le volume de PEG en associant du bisacodyl [7] ou de la vitamine C (études en cours).
Si certaines de ces alternatives sont prometteuses, des études complémentaires restent nécessaires.

Aucune étude n'a montré un avantage objectif à l'addition d'un régime sans résidu. Un choix peut donc être de le réserver à des patients à risque d'échec de préparation.

La vérification de la qualité de la préparation par l'infirmière est recommandée. En cas de persistance de selles ou de liquide sombre, diffé­rentes options peuvent être envisagées, allant d'un traitement complémentaire, en particulier par lavement, à un examen différé de 24 heures avec la prise d'un complément de purge per os .

Les cas particuliers (préparation chez le dément, en réanimation, en cas d'hémorragie digestive) seront à discuter avec le service pour être réalisable en pratique. Prendre en compte les difficultés spécifiques de préparation dans ces contextes est toujours plus constructif que de critiquer le résultat.

Bilan sanguin précoloscopie

Aucune recommandation n'est rédigée sur les explorations sanguines à réaliser avant une coloscopie. En l'absence de prise de traitement an­tithrombotique, le bilan à la recherche d'un trouble de coagulation peut être minimal, voire se limiter à un interrogatoire orienté, ce qui est souvent considéré comme le plus fiable pour les hémostaticiens.

 

Prise en charge des traitements du patient

» Traitements antithrombotiques

Une fiche de recommandations sur la prise en charge des traitements anticoagulants et antiagrégants plaquettaires est actuellement finalisée après une concertation de 4 sociétés savantes (SFED, SFAR, SF de Cardiologie, Groupe d'étude de l'Hémostase et de la Thrombose). Pour la co­loscopie, la réalisation de biopsies est possible quel que soit le traitement antithrombotique en cours et la polypectomie à l'anse (pied < 1 cm) a été retenue comme possible sous AINS et sous aspirine.

 

» Autres traitements

Ils peuvent interférer avec l'anesthésie. Il sera utile de dire au patient de bien amener tous ses documents et ordonnances à l'anesthésiste. Il est par ailleurs logique de prévenir le patient de l'impact possible de la préparation sur l'absorption de certains traitements, comme ce peut l'être pour les pilules faiblement dosées. Dans le cas particulier du diabète, on se méfiera de la prise des traitements antidiabétiques du soir qui pour­raient rendre dangereux le jeûne matinal. La mise sous glucosé peut se discuter dans les cas difficiles. Le plus souvent, il suffira de conseiller l'absence d'injection d'insuline ou de prise d'antidiabétiques oraux tant que le patient est à jeun.

Antibioprophylaxie

Il sera bon de s'assurer que les procédures habituelles chez les patients à risque ont bien été prises en collaboration avec l'anesthésiste. On pourra se référer à la fiche SFED [8].

 

Anesthésie

L'étude des 2 jours de l'endoscopie en France réalisée en 2001 montre que 91,8 % des coloscopies se pratiquent sous anesthésie générale (AG) faite par un anesthésiste, 2,3 % sous sédation faite par le gastroentérologue et 5,8 % sans sédation. Cette répartition est caractéristique de la France. La plupart des autres pays européens utilisent la sédation, certains pays nordiques ne réalisant le plus souvent aucune sédation ou anes­thésie. Il est intéressant de constater que si les praticiens et les patients d'un pays adhèrent au choix fait, le pourcentage de coloscopie réussie (intubation coecale) est très proche. Ainsi, dans une étude européenne multicentrique portant sur 200 patients par pays, le taux d'intubation coecale était de 97 % sous AG en France, de 96 % sous sédation en Hollande et de 92 % sans aucun traitement en Finlande. La discussion de la meilleure procédure reste très théorique. Les ardents défenseurs de chaque technique sont nombreux. En pratique cependant, les deux points les plus importants sont le pourcentage de coloscopie totale réussie et le pourcentage de patients susceptibles de refaire l'examen dans les mêmes conditions. Ces pourcentages vont dépendre de l'habileté de l'opérateur et de la tolérance du patient à la douleur. Il est clair que l'évo-lution dans notre pays s'est naturellement faite vers le tout anesthésie. Les options alternatives possibles sont à bien peser. L'absence de toute sédation est envisageable mais seulement avec un patient bien informé des possibles douleurs et des alternatives existant. La réalisation d'une sédation par le non-anesthésiste reste un choix à risque tant que des recommandations claires ne sont pas données sur la manière de la réa­liser. Des recommandations françaises pourraient bientôt voir le jour sur ce sujet.

 

La technique de progression

La technique de progression est un point important pour la qualité de la coloscopie. Elle permet : a) d'augmenter le pourcentage d'examens complets ; b) de diminuer le temps de montée qui est peu utile au diagnostic ; c) de limiter les complications et la nécessité d'une anesthésie prolongée (ou d'une sédation dans d'autres pays).

» Les facteurs d'échec

Un certain nombre de critères ont été retrouvés comme étant significativement des facteurs favorisants d'échec. Ainsi pour Anderson et al. [9], le sexe féminin, un âge avancé, une anxiété importante, la présence d'une diverticulose chez la femme ou d'une constipation chez l'homme, l'hystérectomie ou un BMI bas < 25 étaient des facteurs prédictifs d'échec.

 

» La technique habituelle de progression

La technique de progression est importante. Il est recommandé de ne pas appliquer de poussée trop forte en particulier à l'aveugle. Une bonne pratique est de stopper la poussée en cas de blanchiment de la muqueuse. D'une manière générale, il est souhaitable de progresser en visuali­sant la lumière, en débouclant, avec une insufflation limitée et en aspirant au fur et à mesure le liquide éventuellement présent. L'aspiration de l'air sera également un moyen de progression en particulier quand on est proche d'une angulation non franchissable en poussée ou pour progresser dans le côlon droit. Sauf cas particulier, il est recommandé de réaliser soi-même la progression du tube.

Un certain nombre d'artifices peuvent être ponctuellement utiles que ce soit la mobilisation du patient ou la compression de boucles par un aide. En cas de compression, il est important de se représenter où le tube est en train de boucler pour orienter la position des mains.

 

» Les innovations techniques récentes

Des innovations techniques ont été développées ces dernières années pour augmenter le taux de réussite des coloscopies.

ADAPTATION DE LA FLEXIBILITÉ / RIGIDITÉ DE L ' ENDOSCOPE

L'utilisation de coloscopes pédiatriques peut être ainsi préférée. Leur souplesse permet en effet de progresser plus aisément qu'avec un coloscope standard malgré la formation de boucles. L'inconvénient est qu'il est alors plus difficile de franchir l'angle droit. Un coloscope avec rigidité variable a été développé ces dernières années par Olympus. Le but est de modifier, en cours de coloscopie, la rigi­dité du corps de l'endoscope. Les possibilités vont d'une souplesse plus importante que les endoscopes habituels à une rigidité beaucoup plus importante susceptible de limiter la formation de boucle en transmettant mieux la force de poussée. Quelques études ont été réalisées compa­rant le coloscope à rigidité variable à un coloscope habituel. Dans l'étude multicentrique Européenne randomisée portant sur 1 200 patients, le coloscope à rigidité variable était significativement plus performant pour le temps d'intubation coecale (9 mn vs 10 mn) et pour moins utiliser la compression abdominale. Le taux d'échec et la douleur induite étaient moindres dans le groupe coloscope à rigidité variable mais sans dif­férence significative. Soixante-quinze % des opérateurs considéraient cette évolution technique comme un plus. Les autres études réalisées sur des nombres de patients plus faibles étaient concordantes avec un taux d'échec non modifié et le plus souvent une simple diminution du temps de progression et du nombre de compressions abdominales [10, 11]. L'utilisation de tels endoscopes en pratique courante ne peut donc pas être recommandée comme un nouveau standard. Une attitude non évaluée pourrait être de réserver ce type d'endoscope à des patients ayant eu au­paravant un échec avec un endoscope habituel.

SUIVI EXTERNE DU TRAJET DE L ' ENDOSCOPE PAR LE S COPE GUIDE

Le principe est d'utiliser un coloscope avec des marqueurs électromagnétiques qui permettront d'imager la position de l'endoscope sur un écran. Les études réalisées montrent que la progression de l'endoscope se fait sans boucle chez seulement 9 % des patients. Les études réalisées avec le Scope guide sont rares mais concordent quant aux résultats : pour les endoscopistes expérimentés il n'y a pas d'amélioration significative que ce soit pour le temps d'intubation coecale ou pour la douleur induite [12, 13]. C'est en revanche un outil idéal pour la formation et pour expliquer aux opérateurs et aux aides endoscopistes le principe des boucles et des artifices techniques pour les supprimer.

L'examen de la muqueuse

C'est l'objectif final et le seul réellement important. Il faut garder à l'esprit que si la montée au caecum représente la partie la plus technique du geste et celle qui est souvent considérée comme « l'épreuve » au cours de la formation, c'est en fait l'examen de la muqueuse lors de la des­cente qui est le vrai challenge. Il faut le replacer au centre de l'examen. C'est d'autant plus important que cette descente comporte un certain nombre de pièges.

» Les limites de la coloscopie occidentale

Si la coloscopie est le gold standard pour la détection des cancers colorectaux, les études montrent que l'on méconnaît un pourcentage im­portant de lésions. Les études de suivi de patients ayant eu des coloscopies montrent qu'un cancer pourrait être méconnu toutes les 250 à 1 250 coloscopies soit 5 à 20 % des cancers [14]. L'importance des lésions polypoïdes omises est également conséquente chiffrée à 6 % pour les adé­nomes > 1 cm [15] et entre 15 et 24 % pour l'ensemble des adénomes [16, 17]. Un rapport direct avec le temps passé à redescendre était noté par Rex [17].

 

» Quels éléments pourraient influer pour expliquer ces limites ?

LE TYPE DE LÉSIONS RECHERCHÉES

Habituellement, ce sont essentiellement des lésions polypoïdes que l'on recherche. Pourtant, si celles-ci sont prédominantes, les lésions non po­lypoïdes sont également fréquentes. Ainsi pour Kudo, sur 14 436 cancers superficiels coliques vus en 13 ans, les formes étaient développées sur des adénomes polypoïdes dans 57 % des cas, sur des adénomes plans dans 40 % des cas et sans tissu adénomateux reconnu dans 3 % des cas. Longtemps, les européens ont considéré que cette proportion était représentative du Japon mais non de l'Europe. Pourtant, un certain nombre de données sont venues finalement confirmer que nous n'étions pas différents de la population japonaise. La proportion de lésions dé­générées non polypoïdes a été secondairement retrouvée comparable en Europe (63 % / 36 % / 1 %) par Rembacken [18]. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que le taux de découverte de lésions dégénérées était largement plus élevé quand les coloscopies étaient réalisées par des techniciens formés à l'école japonaise, que ce soit des Japonais travaillant en Europe [19] ou des endoscopistes occidentaux formés au Japon.

Des formes méconnues de lésions non polypoïdes à potentiel malin ont été également décrites ces dernières années. Ainsi, les « laterally sprea­ding tumors » développées sur des adénomes plans > 20 mm peuvent avoir un taux de dégénérescence de 20 % au moment de leur découverte. Les adénomes « serrated » incluant des composantes hyperplasiques et adénomateuses ont le même risque que les adénomes plans habituels.

LA TECHNIQUE D ' EXAMEN

Quels sont finalement les éléments qui expliquent les meilleures performances des opérateurs japonais ? Il ne s'agit pas d'une acuité visuelle particulière puisque les opérateurs occidentaux formés au Japon acquièrent les mêmes capacités de détection. Trois éléments peuvent en re­vanche intervenir :

a) la méthode d'exploration : le temps accordé à la redescente, l'utilisation d'insufflation et de déflation successive, la recherche systématique derrière les plis, en alternant descente et remontées sont autant de points importants peu soulignés en Occident ;

b) l'objectif visuel : ils ne s'attachent pas qu'à la recherche de lésions polypoïdes. Un examen soigneux de la muqueuse est réalisé en étudiant la coloration, la mobilité avec les ondes péristaltiques, les petites anomalies de relief ;

c) l'objectif intellectuel : ils sont convaincus de l'importance de trouver des petites lésions.

 

» Y a t-il des évolutions techniques susceptibles d'améliorer nos performances ?

LA CHROMOENDOSCOPIE

Elle peut avoir pour but d'augmenter le dépistage des petites lésions chez les patients à risque. Elle se fait avec de l'indigo carmin injecté en spray sur la muqueuse. Deux passages seront nécessaires car il faudra débuter par une coloscopie standard pour ne pas méconnaître des ano­malies de coloration qui pourraient être masquées par le bleu. Trois situations ont été étudiées où elle pourrait présenter un intérêt : a) le dé­pistage dans des populations à très haut risque comme la rectocolite hémorragique (RCH) ou b) le syndrome de Lynch ; c) le dépistage chez les patients à haut risque (antécédents personnels ou familiaux de cancers coliques).

Deux études récentes sur le dépistage des dysplasies chez les patients porteurs d'une RCH ont souligné les performances de la coloration. Kiesslich en 2003 [20] a dépisté significativement plus de néoplasie intraépithéliale en réalisant un deuxième passage avec chromoendoscopie (10 vs 32). Rutter en 2004 [21] a confirmé ce résultat et a montré également une nette supériorité de cette approche par rapport à l'attitude ha­bituelle de biopsies multiples étagées non orientées malgré le nombre élevé de biopsies réalisées (29 par patient). Cellier et al. notaient égale­ment une augmentation significative du nombre de polypes dépistés chez des patients porteurs d'un syndrome de Lynch.

L'intérêt de cette technique sur des populations à haut risque reste en revanche matière à débats. Kiesslich en 2002 (DDW, non publié) retrou­vait sur 1 000 patients, significativement plus d'adénomes détectés avec la chromoendoscopie. Un biais de la méthode était cependant repré­senté par le nombre de coloscopies réalisées : dans le groupe chromoscopie, deux coloscopies avaient été pratiquées (1 sans et 1 avec bleu) vs 1 seule dans le groupe contrôle. Le pourcentage d'adénomes méconnus lors d'une première coloscopie pourrait suffire à expliquer la différence obtenue. Dans une étude randomisée plus récente de la SFED, étaient comparées une double coloscopie standard à une coloscopie standard + une chromoendoscopie. Sur 360 patients, il existait une différence significative pour détecter les polypes hyperplasiques ou des petits adénomes < 5 mm, en particulier du côlon droit. La différence n'était pas significative pour le nombre de patients avec adénome ou le nombre total d'adé-nomes. Ces résultats étaient concordants avec l'étude de Brooker [22]. Seul Hurlstone [23] retrouvait une différence significative sur le nombre total d'adénomes. Au total, s'il paraît prématuré de recommander une chromoscopie systématique de tout le côlon dans les populations à haut risque, l'emploi de celle-ci peut être conseillé dans les populations à très haut risque. Des études complémentaires sont cependant en attente pour définir de vraies recommandations.

L' ENDOSCOPIE AVEC GROSSISSEMENT

Basée sur la classification des « pit patterns », l'endoscopie avec grossissement pourrait prétendre à modifier nos habitudes. Deux questions se dégagent pour justifier son utilisation : Peut-on différencier un adénome d'un polype hyperplasique (et ainsi s'abstenir de biopsier ou de résé­quer un polype) ? Peut-on prédire le caractère dégénéré ou en dysplasie de haut grade (DHG) d'une lésion (et ainsi éventuellement privilégier une chirurgie à une mucosectomie ou une mucosectomie en piece-meal à une mucosectomie en-bloc) ?

Les études japonaises donnent des performances très élevées pour la différence polype adénomateux/polype hyperplasique pouvant atteindre une sensibilité de 98 % et une spécificité de 97 % [24]. Si ces performances sont très encourageantes, on ne peut cependant pas considérer qu'elles ont un réel impact pratique. Même pour Kudo, les pit-pattern II et III sont trop peu spécifiques pour envisager de laisser la lésion en place. Il est également impossible d'exclure une lésion en DHG dans le pit-pattern III. Les rares études européennes [25, 26] confirment que si les performances sont bonnes pour différencier polype hyperplasique de polype adénomateux (sensibilité de 82 à 98 %, spécificité de 82 à 92 %), elles ne peuvent suffire à conseiller l'absence de biopsies ou de résection des polypes en fonction de leur « pit patterns ». Les indications de l'utilisation de l'endoscopie avec grossissement restent donc à préciser.

 

» Le rapport final

C'est lui qui va être l'élément clé pour mettre en relief la qualité de la procédure. Il pourra comporter outre le texte, quelques clichés pour mon­trer la qualité de la préparation, l'objectif atteint et les éventuelles lésions. Sa rédaction est souvent incomplète. Ainsi, l'étude américaine de Robertson [27] sur 122 centres, notait des carences multiples : sur les données démographiques dans 69 % des cas, sur l'histoire du patient dans 57 % des cas, sur la qualité de la procédure dans 40 % des cas, et sur l'interprétation ou la description des anomalies dans 58 % des cas. Des recommandations pourraient être également émises sur les éléments qui devraient être retrouvés dans un compte-rendu idéal.

Les critères de qualité d'une coloscopie sont finalement multiples. La sélection des indications, l'information du patient et une préparation de qualité sont les préalables à l'examen. Si la technique de montée est importante pour augmenter le taux de coloscopie réussie, c'est la tech­nique d'examen à la descente et l'aspect des lésions recherchées qui représente le principal challenge des endoscopistes occidentaux. L'utilisation de la chromoendoscopie dans des situations précises devrait par ailleurs se confirmer comme un atout essentiel pour augmenter la détection des petits polypes plans. C'est enfin la qualité du compte-rendu qui rendra compte de la qualité globale de la coloscopie. Malgré les écueils re­présentés par l'élaboration d'une recommandation (jusqu'où aller avec de réelles bases scientifiques dans une recommandation qui pourrait être opposable ?), on peut penser que l'importance du sujet justifie sa rédaction par nos sociétés savantes.

 

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