Prise en charge chirurgicale des tumeurs du hile

Au niveau du hile hépatique, il existe 4 types de lésions tumorales ictérigènes :

• bourgeonnement endo-biliaire, type papillome (rare) ;

• envahissement de voisinage par une masse primitive ou secondaire (très fréquent) ;

• bourgeon endobiliaire venant d'un territoire intra-hépatique plus haut situé (rare) ;

• tumeur de la paroi biliaire elle-même, type tumeur de Klastkin (sujet traité ici).

Quel que soit le mécanisme tumoral, toutes ces atteintes biliaires sont précédées d'une période de cholestase anictérique, toujours indolore ; c'est le moment le plus propice à un diagnostic précoce augmentant les chances d'un traitement chirurgical curateur. L'apparition de l'ictère signe l'atteinte de la convergence biliaire ; c'est le moment le plus habituel du diagnostic mais la lésion est généralement plus avancée.
Sur le plan thérapeutique, la chirurgie est aujourd'hui encore la seule modalité curatrice .
La médiane de survie se situe sans résection, entre 3 et 6 mois ; avec résection et marge positive à 24 mois ; avec résection et marge négative, entre 36 et 48 mois. Dans la plupart des publications concernant les résections biliaires associées à une hépatectomie, la survie à 5 ans se situe entre 15 et 20 %. Dans notre série de 58 patients, 44 % sont vivants à 5 ans, et seulement 22 % sans récidive.
La transplantation hépatique a été proposée : dans le registre européen, sur 190 transplantations réalisées, 20 % des patients sont vivants à 10 ans (il s'agit probablement de patients dont la tumeur était plus étendue en intra-hépatique, non résécable par une hépatectomie classique).
Toutes les survies publiées concernent les seuls patients réséqués. Il est difficile de connaître de façon précise le pourcentage de malades résécables sur la population générale présentant cette pathologie. En étant probablement large, on peut estimer actuellement que seulement 20 % de ces patients peuvent être réséqués de façon oncologiquement satisfaisante. En conclusion, avec 20 % de malades résécables, et 20 % de malades guéris à 5 ans, c'est seulement 4% des malades qui tirent bénéfice et guérison du geste chirurgical de résection. La difficulté majeure est de sélectionner ces patients.

Le diagnostic avec certitude histologique pré-thérapeutique est difficile . Plusieurs moyens conventionnels sont possibles :

• cytologie d'aspiration, cytologie sur prothèse, brossage endobiliaire ;

• biopsie endobiliaire ;

• biopsie percutanée s'il existe un syndrome de masse accessible au niveau de la lésion.

Pour l'ensemble de ces moyens, la sensibilité se situe entre 30 et 50 %, la spécificité est proche de 100 % ; c'est dire qu'environ 1 malade sur 3 seulement peut avoir un diagnostic de certitude histologique.
Le petscan n'est probablement pas contributif ; il n'existe pas de publication à se sujet, mais la petite taille de ce type de lésion laisse supposer que ce type d'examen ne sera jamais discriminant.
Les circonstances de découverte de cette lésion peuvent, si l'on respecte les critères rigoureux, approcher les 95 % de spécificité :

• apparition d'un ictère cholestatique de façon brutale ;

• patient d'âge supérieur à 50-60 ans ;

• aucun antécédent de chirurgie biliaire ;

• absence de lithiase vésiculaire ou hépato-cholédocienne ;

• absence de fièvre et de douleurs ;

• dilatation isolée des voies biliaires intra-hépatiques ;

• normalité de la vésicule et de la voie biliaire principale ;

• sténose isolée de la convergence ;

• aucune autre image sténotique sur l'arbre biliaire intra-hépatique.

Avec tous ces critères respectés, le diagnostic de tumeur de Klatskin est certain dans 95 % des cas.

Trois exemples pour confirmer cette attitude diagnostique, sans histologie initiale possible:

• à Beaujon, pour 332 ictères, 310 étaient malins et 22 bénins (6,6 %) ;

• sur notre série personnelle de 62 résections, 4 seulement n'étaient pas des cancers de la convergence (6 %) (2 cholangites sclérosantes – 2 papillomes bénin et malin),

• sur une série de 17 transplantations pour tumeur de Klastkin, aucune lésion bénigne.

En pratique, rien n'empêche d'essayer d'obtenir une certitude histologique, par les méthodes précitées.
Il faut en revanche ne retenir que les résultats positifs, et considérer les résultats négatifs comme étant tous de faux négatifs. Le risque de se tromper est alors d'environ 6 %. De toutes façons, les patients présentant une lésion non néoplasique peuvent généralement bénéficier de la même solution chirurgicale que s'il s'agissait d'une atteinte néoplasique, et l'erreur de diagnostic initial n'est donc pas pénalisante pour l'en-semble des patients. Cette attitude permet d'être plus incisif dans la recherche des quelques malades pouvant bénéficier d'une solution chirur­gicale curatrice.

La prise en charge chirurgicale de ce type de tumeur dépend de très nombreux facteurs :

• le mécanisme de l'ictère, avec ses 4 variables, décrites en introduction,

• le niveau du pôle inférieur de la lésion sur la voie biliaire principale,

• le niveau du pôle supérieur de la lésion par rapport à l'arbre biliaire (stade I-II-III-IV),

• les modalités de développement de la lésion, à savoir si elle a débuté : a) sur la voie biliaire principale, en dessous ou au niveau de la conver­gence, b) sur le canal biliaire droit, c) sur le canal biliaire gauche ;

• des variations anatomiques de la voie biliaire principale ;

• des variations du pédicule artériel droit, et de son croisement ave la tumeur hilaire ;

• des modifications morphologiques du foie induites par la lésion : hypertrophie globale, atrophies et hypertrophies partielles, droites ou gauches ;

• de la résécabilité R0, au niveau du hile hépatique et du pied du pédicule hépatique ;

• de la qualité du foie (% résiduel et fonction), après hépatectomie unilatérale.

L'évaluation de ces différents paramètres décisionnels est avant tout radiologique, et elle peut être actuellement effectuée de façon presque totalement non invasive avec l'IRM (cholangio-IRM, angio-IRM, voluscanner).

Le traitement de l'ictère n'est pas une urgence, en l'absence de prurit, et en l'absence d'infection (rarissime sur ces ictères néoplasiques). Le drainage percutané radiologique ou endoscopique rapide, s'il présente l'avantage de lever le prurit quand celui-ci existe, a par contre l'inconvénient de rendre toute interprétation d'exérèse chirurgicale et de sa qualité oncologique, très difficile ; il augmente aussi le risque de surinfection biliaire.

Le premier temps de la prise en charge médicale de ces patients, doit être totalement non invasif :

• IRM et cholangio-IRM pour documenter la lésion et l'arborisation biliaire,

• traitement médical seul du prurit si cela est nécessaire.

Le second temps thérapeutique consiste à demander un premier avis chirurgical spécialisé dont l'objectif est de définir les patients qui ne sont pas résécables de façon oncologiquement satisfaisante (la majorité des patients). Ce premier avis chirurgical spécialisé peut être donné sur les seuls documents radiologiques (scanner, IRM, cholangio-IRM). Il a pour but de mettre en évidence les premiers critères d'irrésécabilité chirurgicale qui sont les suivants :

• importante masse hilaire à cheval sur les deux hémi-foies ;

• atteinte artérielle bilatérale ;

• pôle supérieur atteignant les convergences biliaires secondaires de façon bilatérale ;

• atteinte éventuelle des trois veines sus-hépatiques ;

• extension extra-hépatique (ganglionnaire, péritonéale, sus-diaphragmatique) ;

• atteinte vasculaire unilatérale associée à une atrophie contro-latérale.

Si les malades ne sont pas résécables de façon oncologiquement satisfaisante, on peut alors décider d'une solution palliative . Plusieurs choix
sont possibles :

• le traitement endoscopique trans-papillaire, mais les lésions de la convergence sont difficiles à traiter par cette voie d'abord et le risque in­fectieux est majeur ;

• le traitement radiologique percutané facilement réalisable, avec décision d'emblée de la mise en place d'une endoprothèse définitive ;

• il ne faut pas viser le drainage complet de tous les territoires biliaires en rétention, ce qui est difficilement réalisable et expose à des risques surajoutés d'angiocholite et/ou d'hémobilie,

• il faut viser le drainage partiel efficace (ce qui permet la disparition du prurit), et accepter un certain niveau d'ictère résiduel.

Si le patient est résécable lors de la première évaluation, il doit être transféré en milieu chirugical spécialisé. Ce transfert concerne les quelquesmalades pouvant bénéficier d'une résection oncologiquement satisfaisante et à terme, d'une guérison qui reste possible chez eux. Pour ces malades résécables, le concours des radiologues est fondamental, il intervient à plusieurs niveaux :

1) il peut assurer un drainage biliaire du territoire qui sera conservé après le geste chirurgical, soit à droite, soit à gauche ; il évitera dans ces cas là de drainer le territoire biliaire qui doit être enlevé ; il privilégiera le drainage externe simple, plus que le drainage interne-externe, nécessitant des manuvres endo-biliaires favorisant l'essaimage tumoral ;

2) il permet d'évaluer le volume hépatique restant après l'hépatectomie prévue, par voluscanner ;

3) si ce foie restant est de trop petite taille, il peut préparer cette hépatectomie par une embolisation portale contro-latérale ; cette embolisa­tion couplée à l'absence de drainage biliaire de ce même territoire hépatique, favorise l'hypertrophie compensatrice du foie restant prévu après résection.

L'objectif chirurgical est de décider d'une intervention chirurgicale qui a toutes les chances d'être R0 lors de sa réalisation. La qualité R0 de cette résection ne peut cependant être totalement confirmée que lors de la réalisation de la résection elle-même. La résécabilité de ces tumeurs dépend de trois éléments principaux :

1) la résécabilité anatomique : c'est-à-dire la qualité du foie restant qui doit conserver une perfusion artérielle et portale, un drainage biliaire, et une évacuation sus-hépatique ;

2) la résécabilité physiologique : c'est-à-dire le volume de parenchyme hépatique résiduel compatible avec une survie postopératoire (aux en­virons de 30 %, mais probablement davantage en raison de la cholestase) ;

3) la résécabilité oncologique : c'est-à-dire qu'il ne faut pas proposer de résection chirurgicale laissant du tissu tumoral, et s'il existe des mé­tastases ganglionnaires ou péritonéales ; l'analyse des coupes inférieures et supérieures de la résection biliaire par examen extemporané, n'est justifiée que s'il existe une possibilité de recoupes plus haut ou plus bas ; en pratique, il faut couper au maximum vers le haut et vers le bas, et c'est l'examen anatomopathologique définitif qui caractérisera la résection R0.

Le traitement chirurgical proposé est lourd, complexe et ses objectifs sont les suivants :

1) Evaluation de l'atteinte péritonéale à distance de la tumeur soit premier temps du geste chirurgical, au moment de la résection prévue, soit assurée par une coelioscopie exploratrice première, quelques jours auparavant ;

2) Résection mono-bloc de la voie biliaire principale et de la vésicule ;

3) Résection dans ce même monobloc, de l'hémi-foie concerné (droit ou gauche). (Les résections biliaires isolées sans résection hépatique ne donnent pas de bons résultats) ; 4) Résection toujours associée du Spiegel, (que l'hépatectomie soit droite ou gauche), pour diminuer les risques de récidive locale, et si possible aussi en monobloc avec la totalité de la pièce opératoire.

5) Résection vasculaire éventuelle, artérielle ou portale (et réparation) ;

6) Curage pédiculaire complet squelettisant l'artère et la veine porte, dans le pédicule ;

7) Résection complète de la voie biliaire principale au plus bas jusqu'à la papille (l'extension par duodéno-pancréatectomie céphalique n'est pas justifiée) ;

La mortalité de ce type d'exérèse est située entre 6 % et 10 %, pour les équipes entraînées (la mortalité générale des hépatectomies pour ces mêmes équipes est de 2 %).
En pratique, les trois solutions chirurgicales sont possibles :

1) pour les tumeurs ayant commencé au niveau médian ou au niveau gauche :

• hépatectomie gauche + Spiegel ;

• résection hépato-cholédocienne et vésiculaire ;

• anse en Y sur le canal droit.

2) Pour les tumeurs ayant commencé à droite, la solution chirurgicale est :

• une hépatectomie droite enlevant les segments V-VI-VII-VIII + le Spiegel ;

• résection hépato-cholédocienne et vésiculaire ;

• anse en Y sur le canal gauche ;
Il faut généralement faire précéder ce type d'exérèse d'une embolisation portale droite pour générer une hypertrophique du foie gauche.

3) La place de la transplantation hépatique reste encore discutée ; elle a permis de guérir quelques malades ; elle peut être réalisée à partir d'un donneur cadavérique, ou d'un donneur vivant adulte apparenté, modalité qui ne doit pas en faire élargir les indications ; elle pourrait être proposée pour les tumeurs remontant haut sur l'arbre biliaire intra-hépatique; Pour les traitement adjuvants, ou néo-adjuvants (radiothérapie et/ou chimiothérapie), la démonstration de leur efficacité n'est pas faite.

 

CONCLUSION

Les pathologies tumorales de la convergence biliaire sont des situations complexes, généralement inguérissables, mais certains patients peuvent bénéficier d'un geste chirurgical étendu et curateur. Ces lésions sont complexes, leur évaluation est difficile, et le choix thérapeutique dépend de très nombreux paramètres. La décision d'un traitement palliatif, généralement le plus fréquent, ne peut être pris qu'au sein d'une Unité de Concertation Pluridisciplinaire avec un chirurgien hépato-biliaire spécialisé.

C'est le moment aussi où il faut prendre la décision de résécabilité pour quelques malades. Pour ces quelques malades, une nouvelle évaluation plus précise de la qualité de la résection oncologique doit être faite.
Si la résection chirurgicale est décidée, le drainage (généralement percutané) de la voie biliaire principale doit être fait en fonction des décisions chirurgicales à venir.

Il n'est pas nécessaire pour ce type de patients de bénéficier d'un examen clinique ; la seule transmission de données morphologiques (scanner, IRM, Cholangio-IRM) permet avec une première lecture simple, de porter la contre-indication d'une exérèse oncologiquement insatisfaisante, et de décider du traitement palliatif le plus simple. On peut ainsi sélectionner les quelques patients potentiellement résécables, qui peuvent être réévalués de façon plus précise secondairement en centre spécialisé.

Trop de patients ne bénéficient pas aujourd'hui de cette évaluation oncologique, et sont d'emblée traités de façon palliative, ce qui interdit toute réévaluation secondaire. Il faut déployer beaucoup de volonté, évaluer de très nombreux patients présumés non curables, pour arriver à proposer une solution chirurgicale curative à un petit nombre d'entre eux. Cette mise en commun de l'évaluation du traitement doit être faite avant que chacun des spécialistes qui reçoivent initialement ce type de patient (radiologue, endoscopiste, chirurgien), ne décident du choix thérapeutique en fonction de leurs seules compétences.

Arbre décisionnel diagnostic et thérapeutique

1 – ictère rétentionnel nu sans douleur, sans température

• cause néoplasique probable, 2 – réalisation d'une ECHOGRAPHIE simple :

vésicule normale ;

hépato-cholédoque normal ;

dilatation des seules voies biliaires intra-hépatiques.

• forte suspicion de tumeur de Klastkin. 3 – Traitement médical du prurit (s'il existe), pas de traitement de l'ictère. 4 – Première évaluation radiologique simple, avec deux examens :

IRM ou TDM : masse hilaire, atteinte ganglionnaire ou péritonéale ;

cholangio-IRM : niveau obstacle, pôle supérieur, pôle inférieur. 5 – Demande d'avis spécialisé chirurgical sur ces seuls documents :

• Patient non résécable : traitement palliatif (radio ou endo) ;

• Patient a priori résécable : transfert en milieu spécialisé. 6 – Prise en charge en milieu spécialisé :

résécable d'emblée :

drainage percutané de l'hémi-foie à conserver ;

résection chirurgicale au décours ;

non-résécable d'emblée :

drainage biliaire unilatéral, adapté à la résection prévue ;

coelioscopie première éventuelle ;

embolisation portale ;

résection chirurgicale au décours.