Traitement de la douleur de la pancréatite chronique

Définition et histoire naturelle de la pancréatite chronique (PC)

La PC se définit comme une inflammation chronique du pancréas aboutissant à une fibrose progressive du parenchyme pancréatique et en­traînant à la longue une destruction plus ou moins complète de la glande pancréatique. Ce processus affecte d'abord le tissu exocrine, respon­sable de la sécrétion enzymatique pancréatique puis le tissu endocrine, essentiellement destiné au contrôle de la glycorégulation. L'atteinte du tissu exocrine se traduit par des lésions portant sur le tissu acinaire pancréatique, mais aussi sur les canaux pancréatiques, avec une sévérité dépendant à la fois de la durée d'évolution de la maladie mais aussi de la cause de la PC. Sur un plan clinique, la destruction progressive du parenchyme pancréatique est fréquemment compliquée aux stades initiaux de la maladie par des poussées de pancréatite aiguë, responsables de crises douloureuses récidivantes qui représentent la principale traduction clinique de la maladie.

La PC est une affection évoluant sur une période de 15 à 20 ans [1, 2]. Les premières années sont surtout marquées par des manifestations dou­loureuses et des complications aiguës. Au cours des 5 premières années, outre les douleurs chroniques présentes chez 80 % des patients, sur­viennent et récidivent les pancréatites aiguës (PA). Les pseudo kystes, la compression de la voie biliaire principale sont en augmentation de fré­quence. Ces deux dernières complications sont encore présentes entre 5 et 10 années d'évolution au cours desquelles les PA sont rares et la fréquence des phénomènes douloureux est décroissante. Ces derniers disparaissent au-delà de la dixième année et ce, au fur et à mesure que le pancréas se remplit de calculs calcifiés et se fibrose. De ce fait, après 15 ans d'évolution, seuls diabète et insuffisance pancréatite exocrine prédominent. Après dix ans d'évolution, la survie actuarielle est de 69 à 80 % chez les malades ayant une PC alcoolique [1, 2]. La surmortalité après 20 ans d'évolution est de 20 à 36 %. La PC alcoolique est directement responsable du décès dans 3 à 24 % des cas.

 

Manifestations cliniques de la douleur au cours de la PC

» Causes et type sémiologique

La douleur peut être due à une poussée aiguë, à des douleurs chroniques sans poussée aiguë (la distinction formelle entre ces deux entités étant parfois difficile), à une complication comme un pseudo kyste, une sténose digestive ou une compression de la voie biliaire principale [1, 2]. De ce fait, le profil clinique de la douleur est varié : douleur aiguë durant quelques heures à quelques jours, douleur post-prandiale survenant par épisodes durant de quelques jours à quelques semaines, douleur fluctuante évoluant sur plusieurs mois, douleur sourde permanente. Il a été montré que 44 % des malades ayant une PC avaient des épisodes douloureux courts, de moins de dix jours, séparés par de longues périodes de rémission durant plusieurs mois ou années. En revanche, 56 % des malades avaient des douleurs prolongées, durant au moins deux jours par semaine pendant plusieurs mois. Dans la majorité de ces cas, une complication, à type principalement de pseudo kystes (ou, plus rarement de compression de la voie biliaire principale), était présente [3].

En terme physiopathologique, deux théories principales tentent d'expliquer les mécanismes de la douleur au cours de la PC : théorie de l'hy-perpression (interstitielle et/ou canalaire) et théorie neurogénique (inflammation périnerveuse) [4] (Figure 1). La première théorie est fondée sur l'élévation de la pression interstitielle au niveau du parenchyme pancréatique. Cette augmentation de la pression interstitielle est due d'une part, à l'élévation de la pression canalaire pancréatique (sténose, calcul, hypertonie oddienne) et d'autre part, à la fibrose pancréatique inter et intralobulaire empêchant l'expansion normale de la glande pancréatique lors de la stimulation sécrétoire exocrine. Il en résulte une diminu­tion du flux sanguin pancréatique avec une ischémie tissulaire, une accumulation de métabolites toxiques et une réduction du pH [4]. La deuxième théorie « neurogénique » se base sur des modifications anatomo-pathologiques démontrées sur des pièces opératoires avec un pro­cessus fibro-inflammatoire englobant les nerfs pancréatiques.

» Evaluation de la douleur

La douleur est difficile à évaluer en raison de sa variabilité périodique dans le temps, dans sa durée, dans son intensité. Sa variabilité pério­dique dans le temps doit être définie : a) permanente ou non ; b) par période : jours, semaines ou mois ; c) dans la journée : diurne, post-pran-diale, réveil nocturne. La durée des épisodes douloureux doit être définie : moins d'une heure, quelques heures, plus de 24 heures. L'intensité des épisodes douloureux doit être mesurée par une échelle visuelle analogique (EVA) entre 0 et 10. Cette mesure doit être effectuée à chaque consultation car elle permet une comparaison chiffrée de la douleur et donc une appréciation objective de l'impact thérapeutique. Il peut être également utile d'avoir un index global d'évaluation de l'impact thérapeutique en demandant au patient un pourcentage de la douleur rési­duelle par rapport à la douleur initiale : 0 % : disparition complète de la douleur ; 100% : persistance d'une douleur identique. Ce pourcen­tage, certes subjectif, permet une évaluation globale, rapide et informative de l'évolution de la douleur sous traitement. Certaines équipes pré­fèrent une évaluation simplifiée en trois points de la réponse clinique : réponse complète (absence de douleur), réponse partielle (diminution de la douleur), absence de réponse (douleur identique) [5].

» Fréquence

La fréquence de la douleur au cours de l'histoire naturelle de la PC est variée. Cette variabilité dépend du temps mais aussi du type de recrute­ment. Les séries chirurgicales qui prennent en charge les formes les plus compliquées de PC ont nécessairement un pourcentage élevé de formes douloureuses. Les formes totalement indolores sont souvent découvertes à l'occasion d'un diabète ou d'une stéatorrhée [6, 7]. Les séries mé-dico-chirurgicales permettent d'appréhender le pourcentage de ces formes indolores au plus près de la réalité clinique de cette maladie [8, 9]. On note que les PC alcooliques sont en général plus souvent associées à des douleurs que les formes non alcooliques sauf dans la série de la Mayo Clinic [10].

» Evolution de la douleur dans le temps et sévérité

La fréquence et la sévérité des douleurs évoluent tout au long de l'histoire naturelle de la PC. La réalisation d'interventions chirurgicales mo­tivées ou non par les douleurs chroniques, la continuation ou non de l'intoxication alcoolique, une consommation parfois toxicomaniaque d'an-talgiques viennent interférer avec l'histoire naturelle de la PC.

Cinq ans après le début clinique de la PC, 85 % des malades ne ressentent plus de douleurs. Après 15 à 20 ans d'évolution de la PC, la quasi totalité des malades n'a plus de douleurs pancréatiques, qu'ils aient été opérés ou non [3]. Il existe une corrélation dans le temps entre la dis­parition des douleurs et l'apparition des calculs pancréatiques, de l'insuffisance pancréatique exocrine (IPE) et du diabète [3, 11]. Parmi les ma­lades n'ayant plus de douleurs, 70 à 93 % avaient une IPE, 75 à 80 % avaient un diabète et tous finissaient par avoir une PC calcifiée [2, 7]. En revanche, la présence d'une IPE, d'un diabète ou de calculs pancréatiques n'est pas toujours synonyme de sédation. En effet, dans une étude allemande de 311 malades, 57 % de ceux ayant une IPE sévère, 59 % de ceux ayant un diabète et 56 % des ceux ayant une PC calcifiée avaient encore des douleurs [8].

L'intensité de la douleur était considérée au début de la maladie comme sévère (nécessité d'antalgiques par voie veineuse) chez 59 % des ma­lades ayant une PC alcoolique et sourdes chez 26 % [12]. Parmi ces malades, au bout de trois ans d'évolution, l'absence d'amélioration de la douleur était notée chez 20 %, une amélioration partielle chez 33 % et une disparition chez 32 % [12]. Le rôle de l'abstinence alcoolique est souligné par le pourcentage d'abstinents plus important parmi les malades sans douleur (86 % d'abstinents) par rapport à ceux ayant toujours des douleurs (28 %) [12]. La présence ou non d'anomalies canalaires estimée par une Wirsungographie Rétrograde Endoscopique (WRE) n'est pas corrélée à la persistance des douleurs. Ainsi, 71 % des malades n'ayant pas d'anomalie canalaire et 67 % de ceux ayant des anomalies ca­nalaires majeures avaient des douleurs [8].

 

Traitement

» Traitement médical

Le traitement médical est au carrefour des traitements de la pancréatite chronique (PC), qu'ils soient endoscopiques ou chirurgicaux. Le traite­ment médical comprend le sevrage alcoolo-tabagique, le traitement médicamenteux de la douleur, le traitement endoscopique ou échoendo­scopique et le traitement chirurgical en dernier recours (Figure 1). Le traitement est choisi en fonction de bases physiopathologiques et de lé­sions anatomiques précédemment exposées (Figure 1). Il n'est pas possible d'envisager de traiter un patient atteint de pancréatite chronique sans débuter par une prise en charge médicale, qui dans la moitié des cas, permettra de stabiliser l'évolution de la maladie et de contrôler les symptômes.

SEVRAGE ALCOOLIQUE

Il s'agit de la première étape du traitement médical qui concerne 80 à 90 % de l'ensemble des pancréatites chronique, d'origine éthylique. En raison de la difficulté de suivi des patients, de la difficulté de l'arrêt de l'intempérance chez ces patients et de la difficulté d'obtention d'un chif­frage précis de la consommation d'alcool et de sa réduction éventuelle, le sevrage alcoolique est souvent négligé. Pourtant, le sevrage est pos­sible, est efficace sur la disparition de la douleur et influence les résultats des traitements associés endoscopiques ou chirurgicaux.

La faisabilité du sevrage alcoolique au cours des PC a été étudiée dans des travaux d'origine médicale ou chirurgicale. L'abstinence alcoolique est obtenue chez 64 % des patients atteints de PC après un an de suivi [13]. Cette abstinence semble plus précoce et plus fréquente que chez les patients atteints d'hépatopathie alcoolique, probablement en raison de l'intensité des symptômes douloureux associés à la PC. Le problème du sevrage alcoolique en cas de PC s'inscrit donc plus dans sa durabilité que dans son obtention immédiate. Une série chirurgicale a montré qu'un sevrage définitif était obtenu à 10 ans chez 50 % des patients opérés et seulement 25 % des patients dont la prise en charge était médi­cale [14]. L'efficacité du suivi et également la sévérité des symptômes initiaux semblent donc influencer considérablement la prévalence du se­vrage, ce qui doit constituer un facteur de motivation pour les médecins traitant des patients atteints de PC.

Le sevrage alcoolique est utile pour ralentir la progression de la maladie, pour faire disparaître les symptômes douloureux et améliorer le ré­sultat des traitements associés [15]. Certes, l'arrêt de l'alcool ne supprime pas l'évolution de la maladie. Mais dans une étude rétrospective ita­lienne, la progression de la maladie, évaluée sur le plan de la fonction exocrine, était moins sévère chez le groupe abstinent, avec un suivi moyen de 7 ans, alors que le taux de calcifications pancréatiques n'était pas différent [15]. Chez ces mêmes patients, les fréquences de la dou­leur et du diabète étaient moindres en cas d'abstinence. L'arrêt de l'alcool diminue également la prévalence de la douleur. Dans 4 études éva­luant la douleur chez des patients abstinents, la proportion de patients asymptomatiques dépassait la moitié des cas. Dans deux de ces études qui étaient comparatives, la proportion de patients asymptomatiques était significativement supérieure en cas d'abstinence (60-52 % vs 26­37 % respectivement). La relation entre le sevrage alcoolique et l'efficacité des traitements associés est plus controversée. Dans trois études éva­luant l'efficacité du traitement endoscopique, l'arrêt de l'alcool semblait sans influence sur les résultats thérapeutiques. Sur le plan chirurgical, la poursuite de la consommation d'alcool détériorait les résultats dans 3 études non contrôlées. La mortalité était nettement inférieure chez les patients sevrés.

SEVRAGE TABAGIQUE

Le tabac est un facteur de risque discuté dans la PC, puisqu'il est présent dans trois études mais non retrouvé dans deux autres [1, 2]. Pourtant, la consommation d'alcool et de tabac sont étroitement liées en cas de PC, l'association étant observée dans plus de 80 % des cas. Il n'existe pas à ce jour d'étude ayant évalué l'impact du sevrage tabagique sur l'histoire naturelle de la PC. En revanche, l'influence du sevrage alcoolo-ta-bagique sur le pronostic de la PC est essentielle [1].

» Traitement médicamenteux de la douleur

La prise en charge de la douleur vise à diminuer la pression canalaire pancréatique et à traiter non spécifiquement l'inflammation et la dou­leur. Les composantes de la douleur au cours de la PC sont nombreuses (Figure 1) [4, 16]. L'hyperpression canalaire et tissulaire est responsable d'une partie seulement des phénomènes douloureux de la PC [3]. Elle peut se compliquer de kystes rétentionnels qui peuvent aggraver la dou­leur de façon considérable. Cette composante est la cible principale des traitements inhibiteurs de la sécrétion pancréatique exocrine, soit di­rectement par la somatostatine ou ses dérivés (octréotide), soit indirectement par les extraits pancréatiques (Figure 1). L'inflammation pancréatique et péripancréatique est responsable d'un infiltrat nerveux péripancréatique entraînant des douleurs permanentes dont la prise en charge est dif­ficile. Les anti-inflammatoires et les antalgiques sont utilisés pour traiter de façon non spécifique cette composante.

Le contrôle de l'hyperpression canalaire par les dérivés de la somatostatine (octréotide) n'a pas fait la preuve de son efficacité. La prescription d'octréotide n'est pas efficace dans trois études qui ont essayé des posologies et des durées d'administration variables : 300 à 600 µg/j pendant 3 jours à semaines [16, 17]. Deux de ces études étaient randomisées. Son efficacité à titre de test thérapeutique avant traitement endoscopique a été suggérée mais jamais démontrée. Il n'y donc pas de place pour ce type de traitement inhibiteur de la sécrétion exocrine pancréatique dans la prise en charge de la douleur liée à la PC. L'utilisation des extraits pancréatiques est plus controversée [16, 18]. Le principe de l'administra-tion des extraits pancréatiques dans le contrôle est fondé sur l'obtention d'un rétrocontrôle sur la sécrétion exocrine pancréatique (Figure 2). Un peptide d'activation des cellules endocrines I de la paroi duodénale est présent dans la lumière duodénale. Ce peptide va entraîner la libé­ration de cholécystokinine (CCK) par ces cellules, qui va activer la sécrétion enzymatique pancréatique. Les hydrolases pancréatiques, en par­ticulier la trypsine, sécrétées par le pancréas dans la lumière duodénale, vont cliver ce peptide en fragments inactifs, permettant un arrêt de la stimulation des cellules I, une diminution de la libération de la CCK et donc une diminution de la stimulation du débit enzymatique pancréa­tique. Six études randomisées ont été réalisées pour évaluer l'efficacité des extraits pancréatique dans le traitement de la douleur pancréatique. Les 4 études utilisant des microsphères ont eu des résultats négatifs. Deux études, utilisant une forme de type comprimé (tablets), ont eu des résultats positifs. Curieusement, ces résultats étaient plus favorables dans le groupe des pancréatites idiopathiques et celui des femmes, ce qui restreint considérablement le champ de prescription des extraits pancréatiques dans cette indication. Une méta-analyse a donné des résultats négatifs et a souligné la grande hétérogénéité des études réalisées. La controverse existe donc même si le niveau de preuve en faveur de l'effi-cacité des extraits pancréatiques dans la prise en charge de la douleur des PC est faible [16, 18]. Ce type de prise en charge ne peut donc pas constituer un traitement de première ligne. Enfin, une étude basée sur l'utilisation d'inhibiteur des récepteurs de la CCK (loxiglumide) a été ré­cemment effectuée [19]. Il s'agissait d'une étude dose-réponse contrôlée, placebo versus 300, 600, 1200 mg/j. L'amélioration de la douleur était significative chez tous les patients traités par rapport au placebo. Ce travail demande bien sûr confirmation avant d'être suivi par une éven­tuelle application thérapeutique.

L'utilisation d'anti-inflammatoires non-stéroïdiens est assez répandue mais n'a jamais fait l'objet d'études contrôlée [16]. En pratique quoti­dienne, chez des patients n'ayant aucune cause curable (kyste, dilatation canalaire) et résistants aux traitements classiques, ces médicaments peuvent être efficaces. Leur potentiel ulcérogène ne doit cependant pas être négligé chez des patients souvent fumeurs, qui ont souvent une sécrétion hydrobicarbonatée pancréatique faible. Les traitements antalgiques n'ont fait l'objet d'aucune étude randomisée dans la PC. La pre­mière règle doit consister à éviter la toxicomanie, chez des patients qui ont souvent un comportement addictif, et qui souffrent souvent de façon chronique. La douleur doit être soigneusement évaluée dans le temps mais aussi dans son intensité, grâce à une échelle visuelle analo­gique qui constitue le moyen le plus simple et le plus reproductible pour prendre en charge et suivre ces patients. La gradation des traitements doit constituer la deuxième règle. Des paliers progressifs doivent être employés : paracétamol, paracétamol/codéine, tramadol, buprénorphine, et enfin morphine et dérivés. Enfin, l'effet antalgique de ces médicaments peut être potentialisé par l'emploi d'antidépresseur.

» Traitement endoscopique et échoendoscopique

Il s'adresse soit à la prise en charge des lésions canalaires pancréatiques (hyperpression), soit au traitement des complications potentiellement responsables de douleur : pseudo kyste, sténose biliaire. La variabilité dans le temps des symptômes douloureux et entre différents individus rend difficile l'évaluation stricte du traitement endoscopique dans cette indication [20]. Le traitement de la douleur est la principale indication du traitement endoscopique des lésions canalaires. Sept cent quarante patients au total ont été inclus [21]. Le succès technique du traitement endoscopique a été obtenu dans 85 % des cas en moyenne (58-96 %). La durée d'intubation n'était pas souvent précisée, et variait de 2 mois à l'intubation définitive. L'amélioration immédiate de la douleur était obtenue dans 81 % des cas en moyenne (62-100 %). Avec un recul moyen de 30 mois (14-64 mois), l'amélioration de la douleur chutait à 61 % (24-95 %) avec une grande disparité d'appréciation. Il n'y avait pas de facteur clinique prédictif du succès thérapeutique en dehors d'une plus faible durée d'évolution de la PC dans trois études [21]. Les indications du traitement endoscopique canalaire semblent donc d'autant plus affirmées qu'il s'agit d'une PC récente, qu'il existe une sténose proximale ou des kystes associés. De façon surprenante, la qualité du sevrage alcoolique ne semble pas influencer les résultats du traitement endosco­pique dans 3 études [21]. Le sevrage reste néanmoins bien évidemment nécessaire, la mortalité associée à la PC étant due aux habitudes épi­démiologiques associées (alcool-tabac) et non pas au cours évolutif de la PC [21].

Un des facteurs physiopathologiques de la douleur au cours de la PC est l'infiltrat inflammatoire des gaines nerveuses péripancréatiques [4, 16]. Depuis longtemps, des infiltrations coeliaques sous contrôle tomodensitométrique ou échographique avaient été proposées. Une étude pros­pective randomisée a comparé les résultats de la neurolyse coeliaque sous contrôle écho-endoscopique et sous contrôle tomodensitométrique [22]. L'amélioration était observée chez 50 % des patients traités sous contrôle échoendoscopique avec un bénéfice persistant chez 30 % des patients seulement après 24 semaines d'évolution. L'efficacité paraissait significativement plus prolongée en cas de guidage écho-endoscopique et le rapport coût-efficacité était meilleur. Une étude prospective plus récente de la même équipe, incluant 90 patients confirmait ces résultats avec 55 % d'amélioration initiale et seulement 10 % à 24 semaines [23]. Les patients jeunes ou déjà opérés répondaient le moins bien à ce trai­tement. La place de la neurolyse coeliaque est donc limitée dans la PC en raison d'une efficacité immédiate relative et surtout de l'absence de résultat à moyen terme (6 mois).

Les kystes et pseudo kystes pancréatiques peuvent être responsables de douleurs souvent continues et sont accessibles au traitement endosco­pique ou échoendoscopique. Les résultats du drainage transmural ont été évalués dans 6 séries publiées entre 1989 et 1992 comprenant un total de 191 kystes traités par kysto-entérostomie [21]. Le taux moyen d'échec était de 5,5 % (0-16 %) et le taux de récidive de 6,5 % (3-13 %). 14,9 % des patients ont nécessité une chirurgie ultérieure (12-30 %). La morbidité était de 15,5 %, comprenant par ordre de fréquence : hémorragie, perforation, infection. La mortalité était de 1 cas (un patient qui avait une cirrhose avec hypertension portale) et le taux de guérison était de 78 % (51-82 %). Les résultats du drainage transpapillaire ont également été présentés dans 6 séries publiées entre 1991 et 1995 comprenant 121 cas [21]. La disparition des symptômes a été obtenue dans 87,2 % des cas (76-87 %), la guérison du kyste dans 84,3 % des cas (76-94 %). Le kyste a récidivé dans 9,2 % des cas et la morbidité était de 10 % avec essentiellement des complications infectieuses et des pancréatites ai­guës. 10,8 % des patients (9-50 %) ont subi une chirurgie ultérieure. Dans tous les cas, une évaluation écho-endoscopique pré-thérapeutique est recommandée afin de minimiser la morbidité endoscopique ou au mieux un drainage sous écho-endoscopie par voie transmurale. Plusieurs séries rapportant le drainage de pseudo-kyste sous contrôle échoendoscopique ont été rapportées [21] avec un taux de succès supérieur ou équi­valent à celui des séries purement endoscopiques.

» Traitement chirurgical

Jusqu'à présent, une seule étude randomisée a comparé les indications respectives du traitement endoscopique et chirurgical [5]. Cette étude semblait montrer une supériorité à long terme (5 ans) de la chirurgie chez des patients ayant une PC hyperalgique avec une disparition com­plète de la douleur chez 37 % des patients vs 14 % et partielle 52 % vs 46 %. Cette étude ne précisait pas la réalité du sevrage alcoolique et mélangeait le traitement chirurgical par résection à celui par dérivation (Dite). La stratégie thérapeutique ne peut donc s'appuyer que sur l'ex-périence des équipes soignantes et sur des comparaisons historiques. On peut cependant remarquer qu'au moins trois études randomisées chi­rurgicales ont été réalisées alors qu'aucune n'a pu être effectuée dans le domaine de l'endoscopie [21]. Ces études ont comparé des procédés chirurgicaux entre eux. Toutefois, le traitement endoscopique n'exclut pas une intervention chirurgicale ultérieure.

L'intervention chirurgicale la plus comparable au traitement canalaire de la pancréatite chronique est la dérivation Wirsungo-jéjunale [21]. Ces deux traitements ont pour objectif principal la décompression canalaire. Ces études ont une durée de suivi nettement plus longue que celles évaluant le traitement endoscopique (47-96 mois vs 12-64 mois). L'efficacité moyenne semble supérieure dans les séries chirurgicales (79 % ; 66-85 %) par rapport à celle des séries endoscopiques (61 % ; 24-95 %) au terme d'un suivi chirurgical plus long. La morbidité est souvent dif­ficile à apprécier dans les différentes séries. Elle varie entre 7,2 et 28 % dans les séries chirurgicales mais peut être importante au cours du trai­tement endoscopique (5-39 %). La mortalité post-opératoire est faible (0 à 4 %) mais la mortalité tardive peut aller jusqu'à 36 % à 10 ans d'évo-lution [21].

La place de la chirurgie de résection au cours de la PC reste l'objet de vives controverses [4, 21, 24]. H. Sarles, en 1981, avait montré, en re­prenant les résultats d'intervention chirurgicale, que l'espérance de vie semblait réduite par les interventions de résection pancréatique [24], ce qui semble moins certain sur des données récentes. Plusieurs types d'intervention de résection de la tête du pancréas ont été décrites, la pre­mière (intervention de Whipple) ayant été suivi par d'autres interventions censées être plus fonctionnelles comme l'intervention de Whipple avec conservation pylorique, ou bien les interventions de Beger ou de Frey qui permettent de conserver le cadre duodénal et donc de diminuer théoriquement les séquelles fonctionnelles [21]. Ces interventions s'adressent à des patients qui n'ont pas de dilatation du canal de Wirsung suffisante (6 à 8 mm) pour permettre une dérivation, ou bien à ceux pour lesquels une greffe néoplasique est suspectée. Certaines séries font état d'un contrôle de la douleur dans 85 à 90 % des cas avec une reprise pondérale dans 90 % des cas dans les cinq premières années [21]. Il n'existe pas d'équivalent endoscopique mais le bon sens consiste à réserver ce type d'intervention aux échecs des interventions conservatrices, qu'elles soient endoscopiques ou chirurgicales.

 

Conclusion

La douleur pancréatique est causée par une hyperpression interstitielle d'origine canalaire ou non et/ou par un mécanisme neurogénique d'in-flammation périnerveuse. A ces éléments physiopathologiques, peuvent s'associer la présence de pseudo kyste pancréatique, de sténose biliaire ou duodénale. Le choix du traitement, médical endoscopique, écho-endoscopique ou chirurgical devra être décidé en fonction de l'association de ces différents éléments entre eux, ce qui suppose un bilan anatomique précis mais aussi une évaluation chiffrée de la douleur. Dans tous les cas, la première étape du traitement sera le sevrage alcoolique qui permet d'obtenir la sédation de la douleur chez environ la moitié des patients.

 

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