Tumeurs stromales – Nouveautés épidémiologiques et thérapeutiques

Le voyage fascinant de l'exploration scientifique du microcosme de la carcinogenèse jusqu'à l'application thérapeutique chez l'homme ne trouve pas de meilleur support qu'en la découverte quasi-simultanée d'une anomalie moléculaire spécifique et causale d'une tumeur maligne (GIST ou tumeur stromale digestive) et le médicament spécifique de cette anomalie moléculaire (imatinib, Glivec ® , Gleevec ® ). Cette découverte tant es­pérée a ouvert des perspectives considérables dans le domaine de l'Oncologie Médicale sur les thérapeutiques ciblées. Cinq ans environ après le traitement du premier patient par imatinib et après l'inclusion de plus de 3000 patients dans des essais thérapeutiques à travers le monde, les enseignements sur les GIST peuvent se résumer de la façon suivante :

 

GIST : Définition et origine

Les tumeurs mésenchymateuses développées à partir du tractus digestif sont désormais appelées tumeurs stromales (GIST pour Gastro-Intestinal Stromal Tumor). Elles représentent une entité nosologique particulière depuis la découverte en 1998 de l'expression à la surface des cellules tumorales fusiformes qui les composent d'un récepteur muté d'une tyrosine kinase, le c-kit . Ces tumeurs se développant, par incidence décroissante, à partir de l'estomac (60 à 70 %), intestin grêle (20 à 30 %), gros intestin (10 %), région rectale et périanale (< 5 %), oesophage, mésentère et appendice (< 1 %), et exprimant le CD117 (oncogène c-kit ) sont des tumeurs stromales, les 5 à 10 % environ restantes (CD117) devront toujours être appelées léiomyosarcome, neurosarcome ou schwannome (protéine S-100 positive), léiomyome, myofibroblastome inflammatoire ou autre tumeur desmoïde pouvant rentrer ou non dans le cadre du syndrome de Gardner.

Outre l'expression du CD117, les GIST expriment à des degrés variables et souvent en fonction de leur topographie, le CD34 (70 %), la vimentine (100 %), la SMA (10 à 60 %), la desmine (1 à 2 0%), la nestine (80 à 100 %), et la kératine (10 à 20 %).
Malgré la valeur spécifique du CD117, le diagnostic des GIST repose sur une analyse morphologique standard effectuée par un anatomo-pathologiste expérimenté dans le domaine des tumeurs mésenchymateuses. Il faut noter que 2 à 5 % environ des GIST sont de véritables tumeurs stromales malgré la négativité de l'expression de la protéine kit (attention donc de ne pas mésestimer un GIST uniquement sur cette notion !) et que d'autres tumeurs abdominales exprimant le CD117 ne sont pas forcément des GIST (angiosarcome, PNET, mastocytome, ou séminome), mais leurs caractères morphologiques les distinguent aisément des GIST.

Compte tenu des caractéristiques morphologiques et immunohistochimiques (CD117 et CD34) de ces tumeurs, les GIST se développent à partir des cellules de Cajal ou de leurs précurseurs, du nom du neurologue qui les a décrites en 1893 et qui correspondent aux cellules du système nerveux du tractus digestif responsable de sa motricité autonome. Ces cellules localisées entre les cellules musculaires lisses de la musculeuse et co-exprimant ces deux marqueurs (CD117 et CD34) pourraient représenter une origine commune aux tumeurs mésenchymateuses (GIST et leiomyosarcome) développées à partir du tractus digestif.

 

GIST et mutation de c-kit : un événement causal de ces tumeurs

Le CD117 ou c-kit est une protéine transmembranaire à activité tyrosine kinase produit du proto-oncogène KIT et dont le ligand est le Stem Cell factor (SCF). Les mutations de ce gène situé sur le bras long du chromosome 4, observées dans 50 à 90 % des GIST sont responsables d'une activation spontanée de c-kit , et ce, indépendamment de sa liaison avec son ligand spécifique. Ce récepteur appartient à la famille du PDGF récepteur, lui-même appartenant à une vingtaine de familles de récepteurs protéine-tyrosine-kinase trans-membranaire actuellement identi­fiées.

Lorsque le récepteur est activé par la fixation de son ligand ou induite par une mutation, des signaux intra-cellulaires sont transmis par de multiples voies métaboliques de signalisations dont la plupart sont encore peu connues. Les différentes mutations activatrices de KIT décrites à ce jour sont certainement responsables de voies de signalisations intracellulaires différentes qui mériteront d'être explorées dans un avenir proche. Des études de biologie moléculaire ont montré que les mutations sont le plus souvent situées dans l'exon 11, plus rarement dans l'exon 9 et exceptionnellement dans les exons 13 et 17. La grande majorité de ces mutations se trouvent de part et d'autre de la région transmem­branaire du récepteur et la nature de celles-ci pourrait influencer le devenir des GIST.

La mise en évidence de ces mutations dans des GIST de petite taille (< 1 cm) et dans des GIST familiales souligne la précocité voire la causa­lité de cet événement génétique dans la carcinogénèse des GIST. Bien entendu, la cause de ces événements génétiques reste à définir.

 

GIST : épidémiologie

L'incidence exacte des GIST n'est pas connue. Représentant classiquement 10 % environ de l'ensemble des sarcomes, 150 à 300 nouveaux cas devraient être attendus par an en France. Cette incidence est vraisemblablement sous-estimée si l'on tient compte de l'incidence annuelle de ces tumeurs estimées aux Etats-Unis à environ 5000, soit une incidence annuelle d'environ 300 à 500 en France. Dans une étude suédoise, les GIST ont une incidence de 15 pour 10 [6] sujets par an, soit une fréquence voisine de celle rapportée pour l'ensemble des sarcomes des tissus mous. Les GIST sont les tumeurs mésenchymateuses digestives les plus fréquentes (80 %). Le développement d'études testant l'efficacité de l'ima-tinib en situation adjuvante après l'exérèse d'une GIST localisée va certainement permettre de mieux connaître l'incidence nationale de ces tu­meurs rares.

L'âge médian de la survenue d'une GIST est de 55 ans, soit cinq ans plus élevée que les sarcomes des tissus mous développés à partir des membres.

GIST : facteurs pronostiques

La distinction entre tumeur stromale bénigne et maligne n'est pas aisée mais ne devrait plus faire l'objet de débats. Les GIST bénignes n'existent pas, toute tumeur stromale, même de très faible malignité, pouvant rechuter jusqu'à 30 ans après le diagnostic initial. Comme toute tumeur conjonctive, le pronostic de ces tumeurs est corrélé à la taille tumorale et à « l'agressivité des cellules qui la composent » (index mitotique). La localisation initiale du GIST serait également un facteur pronostique, favorable pour les GIST proximales (estomac) et défavorable pour les sites distaux (intestin grêle). Une classification histo-pronostique des GIST a été rapidement élaborée (voir tableau ci-des-sous) tenant compte de la taille et du nombre de cellules en division. Cette classification va permettre d'établir des stratégies thérapeutiques adaptées et consensuelles autour des GIST, en fonction de leur risque de récidive.

La valeur pronostique défavorable de certaines mutations du gène kit a par ailleurs été rapportée par quelques auteurs mais ces données res­tent controversées. Enfin, dans plusieurs séries rétrospectives, l'âge supérieur à 60 ans et la rupture tumorale intra abdominale étaient corrélés à un pronostic défavorable.

 

Traitement et évolution des GIST avant l'ère de l'Imatinib (GLIVEC ® )

La pierre angulaire du traitement des GIST est jusqu'à présent une chirurgie large et optimale. La nature du geste chirurgical dépend bien en­tendu de la localisation initiale du GIST, de son degré d'extension et de la présence ou non de métastases synchrones. A l'exception des petites tumeurs de découverte fortuite (examen de routine ou pour une autre cause) ou des localisations gastriques où la tumeur, souvent ulcérée à la muqueuse gastrique, est accessible à une biopsie endoscopique, le diagnostic de GIST est un diagnostic post-opératoire, d'où une chirurgie ini­tiale souvent inadaptée, minimaliste et éloignée des Standards, Options et Recommandations, appliqués aux tumeurs mésenchymateuses.

Lorsqu'une petite tumeur est trouvée de façon fortuite à l'endoscopie (so-gastro-duodénale ou rectale), l'extension locale de la tumeur doit être évaluée par écho-endoscopie (indispensable pour permettre un diagnostic présomptif de GIST), voire par scanner. Il n'y a pas de consensus concernant la nécessité d'établir un diagnostic pré-opératoire par microbiopsie à l'aiguille, effectuée dans le cadre d'une écho-endoscopie ou par voie percutanée ou chirurgicale, surtout si l'indication opératoire a déjà été retenue. Les avantages et les risques potentiels (essaimage ab­dominal, hémorragie) de la biopsie doivent être pesés lors d'une réunion pluridisciplinaire. Deux situations extrêmes : pour une petite tumeur facilement résécable, la biopsie n'est utile que si une surveillance est envisagée. Pour une tumeur évoluée, un diagnostic histologique est pré­férable pour élaborer une stratégie thérapeutique adaptée.

De par leur extension initiale souvent volumineuse, l'effraction capsulaire spontanée ou en per-opératoire, la présence de métastases infra-cli-niques au moment du diagnostic, la majorité, pour ne pas dire toutes les GIST à haut risque de récidive, rechuteront dans un avenir qui dépend principalement de leur grade histopronostique et de la qualité du geste chirurgical initial.

Si 80 % environ des patients peuvent être mis en rémission complète en première intention, ce taux diminue à 30 % en cas de récidive mais 100 % d'entres eux rechuteront quelle que soit la nature de l'acte opératoire (80 dans les deux ans qui suivent la rechute) soit sous une forme purement loco-régionale (60 %), soit sous la forme de métastases hépatiques exclusives (15 %), soit de façon conjointe (25 %).

La médiane de survie sans progression en cas de rechute est alors de 18 mois environ, et la survie globale à 5 ans est de 45 % après le dia­gnostic initial. Moins de 30 % des patients ayant des GIST métastatiques sont en vie à un an. Les GIST sont des tumeurs extrêmement chi­miorésistantes avec moins de 10 % de réponses objectives rapportées avec protocoles de chimiothérapies comportant des anthracyclines en mono ou en polychimiothérapies.

GIST et Imatinib : rationnel scientifique et chance irrationnelle !

L'imatinib est un inhibiteur sélectif des tyrosine-kinases c-abl, bcr-abl, c-kit et PDGFR interagissant avec la protéine au niveau du site de fixation de l'ATP. Synthétisé en 1993, l'imatinib a acquis ses lettres de noblesses dans la leucémie myéloïde chronique (LMC), caractérisée par une translocation spécifique dont le gène de fusion bcr-abl produit une protéine à activité tyrosine kinase responsable de la leucémie. L'activité remarquable de l'Imatinib dans la LMC a rapidement fait envisager son utilisation dans d'autres tumeurs comportant une protéine à activité tyrosine kinase anormalement exprimée.

L'Imatinib ® (STI-571) a été proposé la première fois à une patiente finlandaise présentant une tumeur stromale c-kit + en mars 2000 sur une idée de George Demetri du Dana Farber Hospital de Boston. Depuis ce cas qui a fait l'objet d'une publication dans le New England Journal of Medecine en Avril 2001, les phases I, II et III sont terminées, et ce produit a obtenu l'autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis le 2 fé­vrier 2002, et en Europe en juin 2002, dans les GIST localement avancées inopérables et/ou métastatiques. La dose recommandée est de 400 mg par jour.

 

GIST et Imatinib : cinq ans après (résultats d'études contrôlées)

L'Imatinib ® a révolutionné le pronostic des GIST localement avancées inopérables et/ou métastatiques : la survie des patients est de 88 % à un an et de 75 % à deux ans. Elle est trois fois supérieure à celle observée avant l'ère de l'imatinib (26 % à 2 ans avec la chimiothérapie) et nettement supérieure à celle des patients qui développent des sarcomes abdominaux autres que les GIST (léiomyosarcome, fibrosarcome). Il s'agit de la plus grande avancée thérapeutique dans les tumeurs solides avancées inopérables depuis plus de 20 ans.

Le temps médian de reprise évolutive sous imatinib est de 2 ans, 50 % des patients ayant donc rechuté ou ré-évolué dans les 2 ans qui sui­vent la mise en route du traitement. A l'heure actuelle, il n'existe pas clairement de plateau dans les courbes pouvant faire penser que l'ima-tinib administré seul suffise à « guérir » les patients atteints de GIST avancées. On peut espérer des meilleurs résultats chez les patients ayant été inclus plus tardivement dans les études prospectives, avec des masse tumorales nettement moins évoluées que les premiers.

Si le taux de réponse n'est pas dose-dépendant, l'efficacité de l'imatinib étant similaire à 400 mg ou 800 mg, la survie sans progression des patients recevant la dose « faible » est significativement inférieure à celle des patient recevant 800 mg d'Imatinib ® par jour (p=0,012) dans l'étude européenne et également inférieure mais de manière non significative (p= 0,12) dans l'étude américaine. La survie sans progression à 2 ans est de 47 % pour les patients recevant 400 mg/j d'Imatinib ® versus 52 % à 800 mg. La dose recommandée d'Imatinib ® reste cependant 400 mg par jour en première intention et de 800 mg en cas de progression tumorale.

Les patients ayant développé une progression globale sous 400 mg (environ 60 % des patients à ce jour traités à cette dose) ont reçu conformément aux deux protocoles pré-cités la dose quotidienne de 800 mg (cross over). Un bénéfice clinique (réponse plus stabilisation) est observé chez 33 % des patients inclus dans l'étude européenne et 39 % dans l'étude américaine démontrant ainsi que la cible tumorale ( kit ) est encore sensible à l'imatinib en cas de résistance secondaire liée vraisemblablement dans ces cas là à une amplification de la cible et non pas à l'acquisition d'une nouvelle mutation. Les patients recevant 800 mg d'imatinib après le cross-over ont moins d'effets secondaires que les pa­tients recevant la même dose initialement (patients randomisés d'emblée dans le bras fortes doses), ces effets secondaires (principalement anémie, fatigue et neutropénie) nécessitant une réduction de dose dans seulement 25 % des cas contre 50 % lorsque les patients reçoivent 800 mg ini­tialement. La médiane de survie sans progression est de 3 à 4 mois et 20 à 30 % des patients sont toujours sous traitement un an après le cross­over.

L'arrêt de l'imatinib chez certains patients répondeurs entraîne rapidement une reprise tumorale « biologique » bien visualisée sur le PET-Scan. Un effet similaire est observé chez des patients progressant sous imatinib et chez qui un PET-Scan a été effectué dans les 30 jours qui précèdent et dans les 15 jours qui suivent son arrêt. L'arrêt de l'imatinib, même chez les patients dont la tumeur progresse, peut entraîner un « rebond biologique » tumoral défavorable (effet flare-up). La question d'arrêter l'imatinib chez les patients dont la tumeur progresse, mérite d'être posée prospectivement.

Une approche intéressante chez 20% des patients développant une résistance secondaire par an de traitement consiste à traiter sélective­ment les nodules tumoraux échappant à l'imatinib (notion de résistance partielle qui représenterait 50 % environ des progressions tumorales par acquisition de nouvelles mutations monoclonales) par des techniques de traitements loco-régionaux comme la radio-fréquence, notam­ment au niveau hépatique, tout en poursuivant l'imatinib. Une meilleure sélection des patients, notamment ceux qui développent un bourgeon charnu au sein d'une lésion nécrotique connue (notion nouvelle de « nodule dans une masse ») permettra certainement de mieux définir la place de cette approche thérapeutique intéressante.

Le statut mutationnel des gènes KIT / PDGFRa influence la réponse, les résistances primitives et secondaires à l'imatinib et donc la survie des patients. Plus de 80 % de réponses objectives sont observés chez les patients présentant une mutation de l'exon 11 (70 % des patients), contre 46 % chez les patients présentant une mutation de l'exon 9 (17 % des patients) et 8 % chez les patients chez qui aucune mutation du gène n'a été détectée. Trente pour cent des GIST ne présentant pas de mutations de c-kit présente une mutation du gène PDGFRa soit 4 % des patients environ. Certaines mutations du PDGFRa rendent le GIST sensible à l'imatinib, d'autres comme la mutation D842V les rendent totalement ré­sistants. Le nombre de patients présentant donc une mutation de c-kit et de PDGFRa représente 92 % des patients un GIST localement avancé et/ou métastatique. Le statut mutationnel influence donc également la survie sans progression de ces mêmes patients, significativement plus longue chez les patients ayant une mutation de l'exon 11du gène c-kit (médiane 687 jours) par rapport aux patients ayant une mutation de l'exon 9 (médiane 187 jours) et à ceux n'ayant aucune mutation de c-kit et de PDGFRa (médiane 82 jours).

Les mécanismes moléculaires pouvant expliquer ces résistances sont en voie d'être élucidés : des biopsies tumorales effectuées chez des pa­tients ayant progressé sous imatinib ont révélé 4 grand types de mécanismes : 1) l'acquisition en cours de traitement d'une nouvelle mutation de c-kit (souvent l'exon 17) ou de PDGFRa ; 2) une amplification du gène c-kit et donc une hyper expression du récepteur ; 3) une perte du récepteur avec acquisition d'un autre récepteur tyrosine kinase ; 4) une réactivation du récepteur c-kit sans cause apparente.

A la question faut-il arrêter l'imatinib chez les patients répondeurs après un an de traitement (80 % des patients) ? La réponse est claire­ment non au vu des résultats de l'étude BFR14 française qui posait cette question (240 patients inclus en janvier 2005, 56 patients randomisés à un an). Deux reprises évolutives ont été observées dans le bras thérapeutique poursuite de l'imatinib versus 19 dans le bras arrêt. L'obtention d'une réponse complète après un an d'imatinib (environ 5 % des patients inclus dans toutes les études) ne garantit pas une non reprogression à l'arrêt de l'imatinib. Tous les patients randomisés dans le bras arrêt et n'ayant pas reprogressé ont été informés des résultats sans toutefois avoir repris de l'imatinib pour la majorité d'entre eux. La réintroduction de l'imatinib en cas de reprise de la progression permet en effet de nouveau d'obtenir une nouvelle rémission. Ces derniers résultats ainsi que la survie de ces patients seront présentés à l'ASCO, en Mai 2005.

A la question faut-il opérer les patients répondeurs sous imatinib malgré la présentation clinique initiale souvent défavorable (métastases hépatiques, sarcomatose ou les deux) ? La réponse est vraisemblablement oui même s'il existe encore trop peu de données exploitables. Seuls 10 % des patients pourraient bénéficier de ce genre d'approche. Ce qui est certain, c'est qu'il faille opérer les patients en situation de réponse et non pas de re-progression (88 % de résection complète avec marges saines versus 20 % dans le cas contraire) et après un minimum de 6 mois d'imatinib (réponse maximale entre le 6 e et le 12 e mois de traitement). La majorité des patients ont des masses résiduelles encore actives même si la « cellularité » tumorale se réduit. La reprise de l'imatinib semble donc être utile en post-opératoire mais la durée optimale reste à définir. La question de l'intérêt de la chirurgie « adjuvante » va être posée en prospectif dans le cadre d'une étude randomisée coordonnée par le Groupe Sarcome Français.

Quels traitements systémiques peut-on proposer aux patients ayant progressé sous imatinib (progression sous 400 mg puis sous 600/800 mg) ? La chimiothérapie ne semble pas plus efficace après l'utilisation de l'imatinib qu'avant et les associations chimiothérapie/imatinib ne sont encore que très peu explorées même si elles s'avèrent toxiques. Le seul agent ayant démontré une efficacité certaine est le SU11248 de Pfizer (anciennement Sugen). Le SU11248 est un inhibiteur de tyrosines kinases inhibant non seulement c-kit mais également PDGFR , VEGFR et FTL3 . Sur 97 patients, tous progressants (96 %) ou intolérants à l'imatinib (4 %), 66 % des patients ont bénéficié du produit en terme de ré­ponse objective (8 %) et de stabilisation (58 %). Le temps médian de progression tumorale est de 34 semaines. De façon intéressante, cette ef­ficacité est observée quel que soit le mécanisme de résistance (acquisition d'une nouvelle mutation, deux mutations, PDGFR ) à l'imatinib (pa­tients ayant été biopsiés avant la mise en route du SU11248). Une étude de phase III (SU11248 versus placebo) est actuellement en cours aux Etats-Unis et en Europe. Si elle s'avère positive sur la survie sans progression, ce produit aura certainement l'AMM courant 2005. Le RAD001 inhibant la voie AKT/mTOR activée par c-kit est en cours d'exploration associé de façon séquentielle ou concomitante à l'imatinib. Enfin, de très nombreux nouveaux anti-tyrosine kinases sont en cours de développement dans cette indication à des stades plus ou moins avancés.

Le PET-Scan reste un outil « scientifique » et non pas un examen de routine. Cette imagerie sophistiquée pourrait être « détrônée » par des techniques radiologiques moins coûteuses, plus faciles et tout aussi informatives comme l'écho-doppler avec injection de produit de contraste (Sonovue) couplé à un logiciel de perfusion et permettant de prédire rapidement, comme le PET-Scan, les patients sensibles ou résistant à l'ima-tinib. La diminution significative de la prise de contraste une semaine après (parfois 24 heures après) la mise en route du traitement par ima­tinib est hautement corrélée à une bonne réponse tumorale. Cette technique pourrait également précocement dépister des lésions tumorales inauguratrices d'une résistance secondaire qui pourraient alors faire l'objet de traitements loco-régionaux développés dans le paragraphe pré­cédent. Quels que soient les outils radiologiques mis à notre disposition, les critères de réponses classiques sont totalement à revoir dans les GIST sous imatinib et vraisemblablement dans les autres modèles tumoraux testant des thérapeutiques ciblées. Les patients qui ont une réponse complète, partielle, mineure et ceux ayant une maladie stabilisée ont en effet la même survie sans récidive et la même survie globale.

L'étude européenne (N=946 patients) est la première à avoir établi des facteurs pronostiques de réponse, de survie sans progression et de toxicité à l'imatinib . Ceux-ci vont faire l'objet d'une publication prochaine.

L'imatinib va être testé en situation adjuvante dans les GIST de risque intermédiaire et de haut risque de récidive. L'étude coordonnée par l'EORTC et relayée par le groupe sarcomes nationaux, va inclure 400 patients, la moitié recevant l'imatinib à la dose de 400 mg/j pendant 2 ans et l'autre moitié ne bénéficiant que d'une simple surveillance. Seule une étude de ce type pourra valider l'impact éventuel de l'imatinib dans les GIST localisées réséquées (exérèse de type R0 et R1). Résultats dans quelques années.

L'imatinib est totalement dépourvu d'activité dans les sarcomes non GIST CD117 négatifs même si certains sous-types de sarcomes peuvent exprimer kit comme les léiomyosarcomes (environ 50 %). Cent soixante-dix patients pré-traités porteurs de véritables sarcomes des tissus mous ont reçu de l'imatinib en situation métastatique. Seuls deux patients ont eu une réponse objective de bonne qualité (réponse complète). S'agissait-il réellement de léiomyosarcomes CD117 négatifs ou de réelles GIST c-kit négatives ? L'expression/mutation de kit et/ou de PDGFR n'est pas synonyme de réponse (stabilisation tumorale versus progression) à l'imatinib dans ces 170 sarcomes non-GIST. Seul le dermatofibrosarcome protuberans (DFSP) est connu pour être sensible à l'imatinib de par sa translocation chromosomique spécifique t(17 ; 22)(q22 ; q13) impliquant le gène codant pour la chaîne béta du PDGF (ligand de l'autre récepteur kinase inhibé par l'imatinib, le PDGFR ). Des réponses isolées sont ré­gulièrement rapportées et une étude européenne va être activée prochainement dans cette indication. Autre tumeur rare potentiellement sen­sible à l'imatinib ( c-kit et/ou PDGF parfois hyperexprimés), les tumeurs desmoïdes ou fibromatose agressive. Une étude de phase II est actuel­lement en cours aux Etats-Unis et une autre vient de débuter en France (Groupe Sarcome Français).

» Diagnostic de GIST : quand y penser ?

Compte tenu des résultats remarquables obtenus avec l'imatinib dans des situations tumorales défavorables (GIST localement avancées inopé­rables et/ou métastatiques) et de l'incidence élevée des récidives, même après une rémission complète obtenue chirurgicalement, la prise en charge des GIST doit être radicalement modifiée. Par analogie avec les sarcomes des tissus mous des membres, il semble désormais impératif d'envisager une biopsie chirurgicale ou radiologique, un geste endoscopique, voire une laparotomie, afin de porter le diagnostic de GIST avant une chirurgie forcément marginale compte tenu de la présentation clinique, souvent fonctionnellement mutilante, et inutile de par leur profil évolutif connu.

Toujours par similitude avec les sarcomes non GIST, l'acte chirurgical doit désormais s'intégrer dans une approche thérapeutique multidisci­plinaire où les traitements néo-adjuvants, lorsqu'ils sont particulièrement actifs, doivent prendre naturellement leur place. L'importance même du geste chirurgical peut être remis en question devant l'efficacité des traitements complémentaires. Tous les acteurs du corps médical, du mé­decin généraliste, radiologue, endoscopiste, gastro-entérologue, chirurgien, anatomopathologiste à l'oncologue, doivent ainsi être alertés afin d'optimiser la prise en charge des GIST en France et dans le reste du monde où l'imatinib peut être distribué.

Le diagnostic de GIST peut être évoqué en préopératoire devant :

La présence d'une volumineuse masse manifestement tumorale, hétérogène à contours bien limités, polylobée, contenant des zones nécro­tiques en son centre ;

Une masse tumorale abdominale refoulant les organes adjacents sans les envahir ;

Une masse tumorale avec parfois une base d'implantation sur une structure digestive visible au scanner ;

De multiples tuméfactions abdominales de tailles différentes évoquant une sarcomatose ;

Une lame d'ascite associée à des tuméfactions abdominales chez un homme évoquant une rupture spontanée de la coque péri-tumorale (hé­morragie ou nécrose tumorale) ;

Des hypodensités hépatiques ou images en cocardes évoquant des métastases hépatiques synchrones ;

Une ulcération gastrique ou un bombement exogène de la paroi gastrique permettant une biopsie endoscopique sous-muqueuse ;

Chez quelqu'un, homme ou femme, d'âge moyen, encore en excellent état général et ne rapportant que des troubles digestifs mineurs (épi­sodes sub-occlusifs répétés, pesanteur épi ou hypogastrique) sans perte de poids significative ;

Toute tumeur de plus de 10 cm dans son plus grand axe, déformant l'abdomen, indolore sans retentissement sur l'état général est une GIST

ou autre sarcome jusqu'à la preuve du contraire ! Devant ces situations tumorales non urgentes (les GIST évoluent sur de nombreux mois ou années), en dehors des découvertes accidentelles de GIST de petite taille lors d'interventions chirurgicales pour d'autres causes et des interventions urgentes sur occlusion intestinale, hémorragie digestive basse ou hémopéritoine, le diagnostic de GIST pourrait être porté en pré-opératoire, ces tumeurs peuvent toutes être accessibles à un prélèvement biopsique, qu'il soit radiologique, endoscopique ou chirurgical.

 

GIST et imatinib: recommandations et stratégies thérapeutiques pour une bonne prise en charge des GIST (avis d'expert)

L'avènement de l'imatinib dans les GIST permet désormais d'établir des recommandations afin d'optimiser la prise en charge des patients at­teints de GIST. Compte tenu de nos connaissances actuelles sur l'imatinib, des données disponibles ou non encore publiées, basées sur l'expé-rience des investigateurs dans ce domaine, et de la grande variété des présentations cliniques des GIST, ces recommandations peuvent être les suivantes :

1) GIST localisée opérable : chirurgie exclusive, pas de traitement complémentaire ;

2) GIST localisée opérée : résection de type R0/R1 : pas de traitement complémentaire ;

3) Inclusion des patients 1) et 2) dans les essais randomisés posant la question de l'intérêt de l'imatinib administré en situation adjuvante. Pas

d'administration systématique d'imatinib en situation adjuvante en dehors d'essais thérapeutiques prospectifs ;

4) GIST localisée localement avancée nécessitant un geste fonctionnellement mutilant : imatinib jusqu'à l'obtention d'une réponse optimale (6 et 9 mois d'imatinib à 400 mg/j) et chirurgie de la lésion résiduelle. Poursuite de l'imatinib en post-opératoire pendant au moins un an ;

5 ) GIST gastrique localisée avec ulcération muqueuse hémorragique : chirurgie exclusive et 3). Les complications hémorragiques parfois sévères, voire létales, observées dans les études précitées chez des patients présentant ces formes tumorales, imposent la plus grande prudence quant à l'administration de l'imatinib en situation néoadjuvante ;

6) GIST d'emblée étendue à toute la cavité péritonéale (effraction tumorale, ascite, multiples nodules tumoraux) soit un tableau de sarcoma­tose : imatinib. Inclusion éventuelle des patients dans les études posant la double question de l'intérêt d'un geste chirurgical secondaire sur la maladie résiduelle et sur la durée optimale du traitement (randomisation à trois ans chez les patients non progressifs entre arrêt versus poursuite de l'imatinib)

7) GIST d'emblée métastatique opérée : il s'agit d'une indication de l'AMM de l'imatinib, même si celui-ci ne peut être proposé qu'au moment de la rechute qui peut être tardive même dans ces situations tumorales défavorables ;

8) GIST métastatique avec résidus macroscopiques (exérèse R2) : Imatinib jusqu'à l'obtention d'une réponse maximale et discussion au cas par cas d'un éventuel traitement loco-régional (chirurgie, radiofréquence sur lésions métastatiques hépatiques résiduelles). Inclusion éven­tuelle des patients dans l'étude citée en 6) ;

9) GIST de l'estomac ulcérée et d'emblée métastatique : chirurgie de la lésion primitive suivie d' imatinib; Puis voir en 6) 10) GIST en rechute : même cas de figure qu'en 8). Tout GIST en rechute, quelle que soit la présentation clinique, quelle que soit la taille tu­morale et le nombre de sites tumoraux rechutera quelle que soit la qualité du geste chirurgical. D'où l'attitude proposée en 8) ; 11) Léiomyosarcome abdomino-pelvien en rechute opéré initialement avant 2000 : tout léiomyosarcome ou sarcome apparenté développé ini­tialement dans la sphère abdomino-pelvienne (y compris chez des patientes présentant une masse pelvienne volumineuse attribuée à tort à un léiomyosarcome utérin) et rechutant est une GIST jusqu'à la preuve du contraire. Il faut demander un dosage immunohistochimique du CD117 soit sur la tumeur primitive, soit sur une métastase opérée ou soit à l'occasion d'une rechute, et ce avant un quelconque nouveau geste opératoire.

 

Conclusions

L'imatinib constitue le premier médicament intelligent en Oncologie Médicale dans les tumeurs avancées inopérables, en agissant sur l'événe-ment causal d'une tumeur solide, les GIST. Cette avancée ouvre des perspectives considérables dans ce domaine. Il s'agit d'un traitement « à la carte » où l'expression tumorale d'une anomalie moléculaire, « la serrure » ne peut être modulée que par « une clef spécifique ». Le démembre­ment et la re-classification des tumeurs grâce à la Biologie Moléculaire et à la Cytogénétique couplé à la découverte de nouvelles molécules spécifiques inaugurent la pharmacogénomique de demain où chaque tumeur pourra être traitée en fonction de ses caractéristiques génétiques.