Anti-TNF et rectocolite hémorragique

Le traitement actuel de la rectocolite hémorragique(RCH) repose sur les aminosalicylés administrés par voie orale et/ou topique, les corticoïdes, l’azathioprine/6-mercaptopurine, la ciclosporine et lachirurgie pour les formes graves ou réfractaires. De récentes recommandations françaises et internationales ont proposédans la RCH une approche thérapeutique pyramidale basée sur l’étendueet la sévéritédela maladie [1-3]. Toutes concluent sur la nécessitédeprogrès thérapeutiques ayant pour objectifs une rémission cliniqueprolongée sans corticoïdes et une cicatrisation endoscopiqueet histologiquedes lésions.
Sur des bases immunologiques aujourd’hui remises en cause(association de la maladie à unprofil de cytokines Th2 comme l’IL-4 et l’IL-5 et rôle moindredes cytokines IL-12 et TNFa), l’introduction des anti-TNF dans le traitement de laRCH a été retardée par rapport à la maladie de Crohn. L’incertitude concernant l’intérêt de ces traitements dans laRCH a étéinitialement renforcée par les résultats contradictoires des premiers essais thérapeutiques utilisant l’infliximab (Remicade®). Deux grands essais internationaux (ACT-1 et ACT2)et unessai scandinavedans les formes graves de RCH ont depuis, établi de manièreindiscutable l’efficacitéde ce traitement qu’il restemaintenant à positionner dans la stratégie thérapeutique [4-6].

Des premiers essais aux résultats contrastés

Plusieurs séries non contrôlées ont rapportédes résultats encourageants dans le traitement de laRCH par l’infliximab [7-11]. Ainsi, les 6 malades réfractaires aux corticoïdes d’une étude autrichienne ont montré une amélioration cliniquedans la semaine suivant une perfusion d’infliximab avec une rémission prolongée (>6 mois) chez 4 sur 6 [9]. Une étude française a concerné 30 malades avecRCH ou coliteindéterminée ayant une corticorésistance, dépendanceou intolérance. Une réponse a étéobservée chez 75% à sept jours d’une perfusion unique d’infliximab et chez 50% à 28jours [8]. Le taux de rechute à 6 mois était cependant élevé(73%) et un tiers des patients ont été colectomisés dans l’année. Treizemalades italiens ayant une poussée sévère résistante aux corticoïdes intra-veineux ont également reçu une perfusion d’infliximab [10]. Dix sur 13 ont eu une réponse clinique qui s’est maintenuependant deux ans chez 8d’entreeux. Su et al. ont rapportél’expériencede centres américains universitaires et privés chez 27 malades dont 89% considérés en poussée sévèremalgréla prisede corticoïdes et/ou immunomodulateurs [1
]. La plupart des patients ont reçu 3 perfusions d’infliximab. Une réponse a étéobservée chez les 2/3 et une rémission chez 44 %. La moitié des malades ont rechutémais tous sauf un ont de nouveau répondu à une nouvelle perfusion. Des résultats très positifs ont étéégalement rapportés dans laRCH pédiatrique [12, 13]: parmi 12 enfants avec RCH traités au Johns Hopkins Children’s Center pour une poussée sévère,cortico-dépendante ourésistante, 9ont eu une réponse complète àcourt terme prolongée chez 8 sur 9 après un suivimédiande 10,4mois [12]. Plusieurs séries font par ailleurs état de cicatrisation endoscopiqueet d’amélioration nettedes paramètres histologiques d’inflammation sous infliximab. En contradiction avecces résultats globalement positifs, l’expériencedu groupe de Chicago a été cependant beaucoupmoins encourageantenemontrant aucune réponse significative chez 12 patients hospitalisés pour une RCH sévère réfractaire aux corticoïdes [14].

Les résultats des trois essais contrôlés disponibles avant 2005n’ont pas contribué à lever le doute concernant l’efficacitédel’infliximab dans la RCH. Dans un premier essai contrôlé interrompu faute de recrutement, 11 malades avec poussée sévère résistante aux corticoïdes ont reçu une perfusion unique de placebo ou d’infliximab (5 mg/kg ou 10 mg/kg ou 20 mg/kg) [15]. Aucun malade du groupe placebo, 2/3 du groupe 5mg/kg, 1/3 du groupe 10mg/kg et 2/2 du groupe 20 mg/kg ont atteint le critère principal de jugement qui était l’absence de colectomie ou de recours à un traitement par ciclosporine au bout de 2 semaines. Dans l’étude de Oschenkun et al., 13 malades en poussée ont été randomisés entre infliximab (3 perfusions à 5 mg/kg) ou forte dose de prednisolone (1,5mg/kg pendant 2 semaines) suivie d’une décroissance progressive [16]. Cinq des 6 malades du bras infliximab se sont améliorés vs. 6 sur 7 du bras corticoïdes. Enfin, un autre essai contrôlé plus important contre placebo n’a montré aucune efficacité de l’infliximab [17]. Quarante-trois malades ayant une RCH corticorésistante ont reçu deux perfusions de placebo ou d’infliximab 5mg/kg aux semaines 0 et 2. A la sixième semaine, 39% des malades traités par infliximab étaient en rémission vs. 30% dans le groupe placebo (NS).

Une efficacité démontrée dans la RCH : essais ACT-1 et ACT-2

Deux larges essais contrôlés réunis dans une seule publication [6] et comportant au total 728 malades (ACT-1 et ACT-2) ont établi l’efficacité de l’infliximab dans le traitement de la RCH. Les critères d’inclusion étaient une RCH active modérée à sévère définie par un score Mayo (Tableau I) entre 6 et 12 avec un sous score endoscopique>2 malgré un traitement par corticoïdes et / ou azathioprine/ 6-mercaptopurine (ACT-1 et ACT-2)et/ou 5-aminosalicylés (ACT2 uniquement). Les malades ont été randomisés en trois bras : perfusion d’infliximab 5mg/kg ou 10 mg/kg ou de placebo aux semaines 0, 2 et 6 puis toutes les 8 semaines jusqu’à la 22e semaine (ACT-2)ou la 46e semaine (ACT-1). Un sevrage progressif en corticoïdes était possible à partir de la 8e semaine. La réponse clinique a été définie par une diminution du score Mayo d’au moins 3 points et d’au moins 30% par rapport au score initial avec une diminution du sous-score de saignement (Tableau I) d’au moins un point.

TABLEAU I
SCORE MAYO D’ACTIVITÉ DE LA RCH

Nombre de selles par jour (en plus du nombre habituel)
0 = 0
1 = 1-2
2 = 3-4
3 = 5 ou plus
Sous-score = 0 à 3

Saignement rectal
0 = absent
1 = stries de sang dans les selles < 50 %du temps
2 = sang dans les selles > 50 %du temps
3 = évacuations purement sanglantes
Sous-score = 0 à 3

Aspect en rectosigmoïdoscopie souple
0 = normal ou maladie inactive
1 = anomalies légères (érythème, diminution de la vascularisation, légère fragilité)
2 = anomalies modérées (érythème franc, vascularisation non visible, fragilité, érosions)
3 = anomalies sévères (saignement spontané, ulcérations)
Sous score = 0 à 3

Évaluation globale par le médecin
0 = normale
1= maladie légère
2 = maladie modérée
3 = maladie sévère
Sous score = 0 à 3

La rémission clinique a été définie par un score Mayo inférieur à 2 points sans aucun sous-score supérieur à 1. La cicatrisation endoscopique a été définie par un sous-score endoscopiquede 0 ou 1. Le critère principal des deux essais était la réponse clinique à la 8e semaine. Les critères secondaires étaient la réponse clinique à la 30e et 54e semaine (ACT-1 seulement), la rémission clinique et la cicatrisation endoscopique aux 8e , 30e et 54e semaine (ACT-1 seulement) et la rémission clinique sans corticoïdes à la 30e semaine.

Dans l’essai ACT-1 à la 8e semaine, 69,4% des malades avaient une réponse clinique dans le groupe infliximab 5mg/kg, 61,5% dans le groupe infliximab 10mg/kg et 37,2% dans le groupe placebo (p< 0.001 versus placebo). Les pourcentages de malades en rémission clinique émission clinique étaient de 38,8%, 32% et 14,9% respectivement (p<0.001et p= 0.002 versus placebo). Les pourcentages de malades ayant une cicatrisation endoscopiqueétaient de 62%, 59%et 34% respectivement (p<0.001). Des résultats similaires étaient observés dans l’essai ACT-2. L’infliximab à la dose de 5 et 10mg/kg toutes les 8 semaines permettait le maintien sans rechute de la réponse et/ou de la rémission jusqu’à 30 semaines (ACT 1 & 2) et jusqu’à 54 semaines (ACT-1) chez unnombredepatients statistiquement supérieur dans les groupes infliximab versus le groupe placebo. Soixante et un pour cent des malades de l’essai ACT-1 étaient sous corticoïdes à l’inclusion avec une dose médiane de 20mg/j. Dans ce sous-groupe, 25,7% des malades du groupe infliximab 5mg/kg étaient en rémission clinique sans corticoïdes à la 54e semaine vs. 16,4% dans le groupe infliximab 10mg/kg et 8,9% dans le groupe placebo(p= 0,006 et p= 0,149). Des résultats similaires ont été observés
dans ACT-2. Le traitement par infliximab a permis dans les deux essais une amélioration significative de la qualitéde vie et une diminution du nombre des hospitalisations par rapport au placebo.

Les pourcentages de malades ayant des effets secondaires et des effets secondaires graves étaient similaires dans les groupes infliximab combinés et placebo. Dans l’essai ACT-1, 4,1% des malades du groupe placebo et 2,5% et 6,6 % des malades des groupes infliximab 5 et 10 mg/kg ont eu des complications infectieuses jugées sévères. Un cas de tuberculose (infliximab 10 mg/kg) et une histoplasmosemortelle (infliximab 5mg/kg) ont étéobservés. Parmi les autres effets secondaires significatifs chez des malades ayant reçu l’infliximab, on notait un cancer de la prostate, une dysplasie colique, un cancer du rectum, un carcinome baso-cellulaire, une névriteoptiqueet une neuropathie multifocale. Six pour cent des malades des deux essais ACT-1 et ACT-2 ont développé des anticorps antiinfliximab (ATI) à au moins unmoment de l’étude. Du fait du faible nombre de sujets, la relation entre la présencedes anticorps et la réponse clinique n’a pu être évaluée. Dans l’essai ACT-1, 36% des malades avec ATI ont présenté une réaction à la perfusion vs.10% des malades sans ATI ou indéterminés.

Infliximab et colite sévère

Une étude scandinave acomparé l’efficacitéd’une perfusion d’infliximab 4 à 5mg/kg ou de placebo chez des malades avec poussée sévèrede RCH résistante à une corticothérapie par voie intraveineuse [5]. Les malades étaient randomisés àJ4 s’ils avaient à cettedate une colitegrave(«fulminant colitis index» = 8) ou entre J6 et J8 s’ils présentaient une colite sévèreou modérément sévèredéfinie par le score de Seo. Le critèreprincipald’évaluation était le pourcentage de colectomie ou le décès à 3 mois. Quarante-cinq malades ont étéinclus (24dans le groupe infliximab et 21dans le groupe placebo). Aucundécès n’a étéobservé. Sept malades (29%)dans le groupe infliximab et 14 (66%) dans le groupe placeboont été colectomisés dans les 3 mois dont la plupart dans le premier mois (P = 0,017; risque relatif, 4,9). Ces pourcentages étaient respectivement de 47%et 69% chez les malades aveccolitegraveet de 0%et de 62,5% chez les malades aveccolite sévère. Trois malades dans le groupe placebo ont étéopérés pour des complications septiques. Aucune donnée de suivi à plus long terme n’était disponible mais on peut conclurede cet essaique l’infliximab est efficacedans les formes sévères de RCH particulièrement les formes non fulminantes mais résistantes aux corticoïdes.

Infliximab et RCH en pratique

L’efficacitédel’infliximab est établie dans la RCH. Les conditions de prescription en Francen’ont pas étéétablies en l’absence actuelle d’AMM. Ilest vraisemblable que,comme dans laMC, l’infliximab sera indiquédans le traitement de laRCH réfractaireou intolérante aux corticoïdes et à l’azathioprine. L’infliximab doit être utilisée dans une stratégie thérapeutique incluant un traitement immunomodulateur associé (azathioprine, 6-mercaptopurine). Le traitement d’induction doit comporter 3 perfusions de 5mg/kg aux semaines 0, 2 et 6 suivies d’un traitement d’entretien toutes les 8 semaines dont la durée reste à préciser. Si aucune réponsen’est observée après le traitement d’induction, l’infliximab doit être stoppé. L’infliximab est également efficacedans les colite sévères cortico-résistantes et constitue dans ce cas, une alternative à laciclosporine.

RÉFÉRENCES

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