Pourquoi et comment suivre un malade atteint de MICI quiescente ?

La rectocolite hémorragique (RCH) et la maladie de Crohn sont des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). En effet,après une durée médiane de suivi de 12 ans, 77 % de patients atteints de RCH ont une évolution par poussées entrecoupées de rémissions tandis que 23% n’ont eu qu’un seul épisode [1]. Ces proportions sont de 87% et 13% respectivement dans la maladie de Crohn [2]. Les patients atteints de MICI sont exposés à la survenue de poussées, aux effets indésirables des médicaments, à un risque augmenté de cancer, ainsi qu’à des troubles nutritionnels. Ces risques justifient un suivi médical régulier.

Quelles sont les modalités optimales de suivi chez les patients atteints de MICI quiescente?

Dans la plupart des centres, les patients en phase quiescente sont suivis en consultation par un gastroentérologue à intervalles réguliers de 6 mois. Cette pratique a pour avantages de rassurer le patient, de planifier les coloscopies de surveillance et de limiter le nombre de perdus de vue. Toutefois, la consultation ne coïncide pas toujours avec la survenue d’un événement de santé, ce qui limite son utilité. De plus, la pratique des consultations à dates fixes a l’inconvénient de les saturer. Ceci se traduit par undélai d’attente pour les nouveaux malades, et une difficulté d’accès aux consultations urgentes pour les plus anciens. Une étude a comparé le suivi par consultation programmée aux consultations en accès libre à la demande du patient ou de son omnipraticien [3]. Cent quatre-vingt malades ont été tirés au sort pour l’une des deux modalités de suivi. Les malades et les médecins généralistes avaient une préférencepour la consultation en accès libre et le coût du suivi était inférieur. Le choix d’une telle modalité de suivi suppose une réorganisation des consultations des gastroentérologues et une communication fluide avec les médecins généralistes. Le risque est d’augmenter le nombre de perdus de vue et de les voir revenir après une longue période d’absence, souvent au stade de complication. C’est pourquoi, l’idéal est à notre avis de combiner un suivi régulier à un accès libre en cas d’urgence.

La consultation de suivi d’un malade en phase quiescente consiste d’abord en un relevé des symptômes et des examens biologiques ainsi qu’un examen physique. Les examens biologiques incluent systématiquement un hémogramme (anémie, microcytose, macrocytose, leucopénie, neutropénie, lymphopénie chez les malades traités par azathioprine ou méthotrexate). Le dosage de l’ALAT, de la gamma-GT (chez les malades traités par méthotrexate ou azathioprine) et de lacréatininémie (pour les malades traités par méthotrexate ou salicylés) pourra être effectué selon les cas. A notre avis, le dosage de la CRP n’a pas, en soi, de valeur décisionnelle et n’est pas nécessaire chez un malade asymptomatique.

La consultation de suivi est aussi l’occasion d’un échange entre le médecin et le malade atteint de MICI. La relation qui se construit à long terme permet une « formation continue » du patient à la connaissance de sa maladie, de bien meilleure qualité que celle fournie par Internet et les media.

» Eduquer et soutenir le patient atteint de MICI

L’éducation thérapeutique a fait la preuve de son efficacité dans le diabète; elle diminue significativement les complications liées à la maladie. L’éducation des malades diabétiques est organisée sous forme de cycles ou de séjours d’enseignement au cours desquels des conseils diététiques, des exercices physiques et des cours interactifs sont prodigués (APenfornis et CZimmermann,communication personnelle). Les preuves de l’efficacité de l’éducation des patients atteints de MICI sont encore à faire. Mais une meilleure connaissance des mécanismes de la maladie, des symptômes de poussée, des risques à long terme et des effets indésirables des médicaments est, à l’évidence, préférable à l’ignorance. Par exemple, un malade averti, traité par azathioprine saura reconnaître une neutropénie et préviendra son médecin dans les meilleurs délais. Un patient informé des symptômes de pneumopathie au méthotrexate (dyspnée, fièvre, toux) préviendra son gastroentérologue avant de faire la prochaine injection de médicament. C’est dans cet esprit que le GETAID a élaboré des fiches d’information portant sur chacun des médicaments utilisés dans les MICI.

Il convient de rappeler que d’un point de vue juridique, le médecin est directement responsable de la surveillance du patient. Cela n’exclut pas la collaboration du malade àc ette surveillance.

» Faire connaître les facteurs déclenchants et les symptômes des poussées

Un patient en phase quiescente peut devenir symptomatique. Le médecin peut éduquer le malade à reconnaître la poussée et à y faire face. Par exemple, l’automédication par lavements de salicylés ou de corticoïdes peut être conseillée aux malades atteints de RCH distale ayant les symptômes d’une poussée modérée. Les facteurs d’environnement susceptibles de déclencher des poussées peuvent être communiqués : l’arrêt du tabac dans la RCH, sa consommation dans la maladie de Crohn, la prise d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens dans les deux maladies.

» Rassurer les malades

Les patients atteints de MICI, particulièrement ceux atteints de maladie de Crohn, ont une réduction de leur qualitéde vie, notamment dans les domaines psychologiques et sociaux [4]. Ces facteurs jouent un rôle important dans la perception de l’état de santé par les patients. On rencontre parfois des patients ayant une maladie bénigne et une perception exécrable de leur état de santé. A l’inverse, il y a des malades ayant une forme chronique active et une qualité de vie presque normale. Celle-ci peut être affectée par une perception erronée de la maladie, ressentie comme un mal mystérieux, diminuant l’attractivité du patient et entraînant une diminution de la fonction sexuelle. On aidera le malade à verbaliser ces préoccupations et l’on y répondra par une information simple et rassurante (« votre maladie n’est pas mystérieuse, on connaît de mieux en mieux ses mécanismes» ; «elle ne diminue pas l’insertion familiale des malades qui en sont atteints…»).

» Enseigner l’histoire naturelle de la maladie

Il faudra aussi répondre à la demande d’information des malades. Celle-ci est généralement formulée au cours de la «consultation d’annonce» mais les réponses apportées lors de cette consultation ne sont pas toujours enregistrées. Les questions les plus fréquemment posées sont les suivantes :

  • quel est le risquede stomie ? Il est actuellement de 4% pour les malades ayant une maladie de Crohn et de 1,8% pour les malades ayant une RCH (JCosnes,communication personnelle);
  • quel est le risque d’êtreopéré ? Dans la maladie de Crohn, il est de 38% à 5 ans et de 58% à 10 ans. Dans la RCH, le risque de colectomie est de 24% à 5 ans et de 36 % à 10 ans (JCosnes,communication personnelle);
  • quel est le risque de transmettre la maladie à la descendance ? Il a été estimé à 7,4% [5].

Le cancer

La question du cancer est une des plus fréquentes posées par les patients à l’annonce du diagnostic de MICI. Les informations transmises aux malades par les proches, les media ou Internet ne sont pas toujours exactes. Lorsqu’elles le sont, elles donnent parfois lieu à des contresens et souvent à une surestimation du risque de cancer. Cette question doit être abordée franchement et sans détour pendant la consultation. L’information doit être claire, complète et détaillée car l’enjeu est la prévention du cancer chez des individus à très haut risque.

Prévenir et dépister le cancer colorectal (CCR) chez les patients atteints de RCH ou de maladie de Crohn du côlon

Les malades atteints de maladie de Crohn colique et ceux atteints de RCH posent des problèmes similaires. Les questions les plus fréquemment posées sont les suivantes :

QUEL EST LE RISQUE DE CANCER COLORECTAL ?

Il est globalement de 3,7 % dans la RCH et de 5,4% dans laRCH pancolique [6]. Mais ce risque varie en fonction des facteurs qui apparaissent sur le tableau 1 [7]. Ainsi, après 10 ans de suivi, le risque cumulatif est de 2%; après 20 ans, il est de 8% et après 30 ans, de 18% [6]. Chez les malades ayant une cholangite sclérosante primitive, il est élevé dès le diagnostic; ce risque est estimé à 9% après 10 ans d’évolution, 31% après 20 ans et 50% après 25 ans de RCH [8]. Après transplantation hépatique, l’incidence est d’environ 1% par an [9]. Les malades ayant une RCH pancolique ont un risque augmenté de CCR, de l’ordre de 0,5 à 1% par an après 10 ans de maladie [10]. Ceux dont la maladie est limitée au rectosigmoïde ont un risque de CCR non significativement différent de celui de la population générale. Les patients ayant une RCH limitée au côlon gauche ont un risque augmentéde CCR, d’environ 0.5 à 1 % par an au bout de 30 à 40 ans d’évolution [10].

TABLEAU I
FACTEURS DE RISQUE DE CANCER
COLORECTAL DANS LA RCH

Longue durée d’évolution de la maladie
Etendue de la maladie
Histoire familiale de cancer colorectal
Cholangite sclérosante primitive
Iléite de reflux (une étude)
Sévérité de l’inflammation (une étude)

 

COMMENT RÉDUIRE CE RISQUE [6, 7, 11, 12] ?

  • par la prise quotidienne de salicylés à une dose au moins égale à 2 g/j;
  • par un suivi régulier en consultation de gastroentérologie deux fois par an. Une étude cas-témoin récente a montré une diminution de l’incidencede CCR chez les malades qui ont eu au moins deux consultations spécialisées par an [11];
  • par la réalisation de coloscopies de surveillance (avec chromoendoscopie) tous les deux ans après 8 ans d’évolution après les premiers symptômes (et non à partir de la date de diagnostic) ou dès le diagnostic si une cholangite sclérosante est associée [10, 12]. Les patients ayant une atteinte limitée au recto-sigmoïde ont un risque de cancer identique à celui de la population générale. Il faut prendre en compte la localisation cumulée maximum. Par exemple, un malade ayant une rectite mais ayant eu une atteinte colique gauche régressive doit être considéré comme ayant une colite gauche. Un programme de surveillance par coloscopie a été émis par la « British Society of Gastroenterology» en 2002 [10], et par l’« American College of Gastroenterology» en 2004 [12]. Les recommandations de ces sociétés savantes pour la coloscopie de surveillance sont résumées dans le tableau II;
  • par la réalisation d’une coloproctectomie avec anastomose iléo-anale si une dysplasie est diagnostiquée par deux anatomopathologistes indépendants.

TABLEAU II
RECOMMANDATIONS DE SURVEILLANCE COLOSCOPIQUE CHEZ LES MALADES
ATTEINTS DE MICI

 
British Society of Gastroenterology (reference)
American College of Gastroenterology (reference)

Date de la 1re coloscopie de surveillance

Pancolite
Colitegauche

8-10 ans
15-20 ans
8-10 ans idem

Rythme des coloscopies

Pancolite
Colitegauche
Après 10 ans
Après 20 ans
Après 30 ans

Tous les 3 ans
Tous les 2 ans
Tous les ans

Tous les 2 ans
Tous les 2 ans
Tous les 2 ans

 

Conduite à tenir en cas de cholangite sclérosante associée

Date de la première coloscopie
Rythme des coloscopies
Après transplantation

Au diagnostic
Tous les ans
Tous les ans
Au diagnostic
NP
NP

 

Les autres cancers

Le risque d’adénocarcinome de l’intestin grêle est significativement plus élevé dans la maladie de Crohn iléale [13], celui de cholangiocarcinome est plus élevé dans la RCH [14]. Les risques d’hémopathie maligne [15] et de cancer de la peau [16] sont augmentés dans les deux maladies. Les risques de ces tumeurs sont faibles à l’échelon individuel et il n’y a pas, à l’heure actuelle, de moyen d’en éviter l’apparition. Le bénéfice d’informer les patients est douteux et le risque de les inquiéter, réel.

Il est probable que l’azathioprine (et le méthotrexate) augmentent le risque de lymphome lié à l’EBV. Le risque relatif est de 4 à 5 mais le risque individuel est faible [17]. Il a été estimé qu’il fallait traiter plus de 4300 patients âgés de 20 à 29 ans pour observer un seul lymphome EBV induit par l’azathioprine [17].Ce nombre est de 1126 entre 50 et 59 ans et de 355 entre 70 et 79 ans. D’autre part, une analyse décisionnelle a estimé quele bénéfice de l’azathioprine était supérieur au risque, dès lors que le rapport des cotes de lymphome EBV était inférieur à 9, ce qui paraît être le cas [18]. Ces données vont être actualisées par l’étude Césame, actuellement en cours. A notre avis, ces informations doivent être apportées à la majorité des patients, avec tact et empathie.

Les troubles nutritionnels

La carence en vitamine B12 doit être prévenue ou corrigée chez les patients atteints de maladie de Crohn iléale. Les patients traités par sulfasalazine ou méthotrexate sont à risque de carence en folates. Une supplémentation orale par 5mg d’acide folique par semaine est recommandée. Les malades atteints de RCH ou de maladie de Crohn sont exposés au risque de carence martiale, celle ci doit être recherchée, et le cas échéant, corrigée.

Conclusion

Le suivi des patients atteints de MICI s’intègre dans une relation de longue durée entre médecin et malade. Il inclut, outre le suivi médical proprement dit, des éléments d’éducation du patient, la prévention du cancer et des carences nutritionnelles et un rôle de soutien psychologique.

RÉFÉRENCES

1. Langholz E, Munkholm P, Davidsen M, Binder V. Courseof ulcerative colitis:analysis of changes in disease activity over years. Gastroenterology 1994; 107: 3-11.

2. Munkholm P, Binder V. Clinical course and naturalhistory of Crohn’s disease. In Kirsner’s Inflammatory bowel disease. 6th Edition. WB Saunders; 2004; 289-301.

3. Williams JG, Cheung WY,Russell IT, Cohen DR, Longo M, Lervy B. Open access follow upfor inflammatory bowel disease: pragmatic randomised trial and cost effectiveness study. BMJ 2000; 320: 544-8.

4. Drossman DA,Ringel Y. Psychosocial factors in ulcerative colitis and Crohn’s disease. In Kirsner’s Inflammatory bowel disease. 6th Edition. WB Saunders; 2004: 340-57.

5. Peeters M, Nevens H, Baert F, et al. Familial agregation in Crohn’s disease increased age-adjusted risk and concordancein clinical characteristics. Gastroenterology 1996; 111: 597603.

6. Eaden JA, Abrams KR, Mayberry JF. The riskof colorectal cancer in ulcerative colitis :a metaanalysis. Gut 2001; 48; 526-35.

7. Itzkowitz SH, Harpaz N. Diagnosis and Management of Dysplasia in Patients With Inflammatory Bowel Diseases. Gastroenterology 2004; 126: 1634-48.

8. Broome U, Lofberg R, Veress B, et al. Primary sclerosing cholangitis and ulcerative colitis. Evidencefor increased neoplastic potential. Hepatology 1995; 22: 1404-8.

9. Loftus EV,Aguilar HI, Sandborn WJ, et al. Riskof colorectalneoplasia in patients withprimary sclerosing cholangitis and ulcerative colitis following orthotopic liver transplantation. Hepatology 1998; 27: 685-90.

10. Eaden JA, Mayberry JF. Guidelines for screening and surveillanceof asymptomaticcolorectal cancer in patients withinflammatory bowel disease. Gut 2002; 51(SupplV): 10-12.

11. Eaden J, Abrams K, Ekbom A, et al. Colorectal cancer prevention:acasecontrol study. Alim Pharmacol Ther 2000; 14:145-53.

12. Kornbluth A, Sachar DB. Ulcerative colitis practiceguidelines in adults (update). American college of Gastroenterology, practiceparameters committee. Am JGastroenterol 2004;99: 1371-85.

13. Palascak-Juif V, Bouvier AM, Cosnes J, et al. Small bowel adenocarcinoma in patients with Crohn’s disease compared with small bowel adenocarcinoma de novo. Inflamm Bowel Dis 2005; 11: 828-32.

14. Olsson R, Danielsson A, Järnerot G, et al. Prevalenceofprimary sclerosing cholangitis in patients with ulcerative colitis. Gastroenterology 1991; 100: 1319-23.

15. Askling J, Brandt L, Lapidus A, et al. Riskofhaematopoieticcancer in patients withinflammatory bowel disease. Gut 2005; 54: 617-22.

16. Ekbom A, Helmick C, Zack M, Adami HO. Extracolonic malignancies in inflammatory bowel disease. Cancer 1991; 67(7): 2015-9.

17. Kandiel A, Fraser AG,Korelitz BI, Brensinger C, Lewis JD. Increased risk of lymphomaamong inflammatory bowel diseasepatients treated with azathioprine and 6-mercaptopurine. Gut 2005; 54: 1121-25.

18. Lewis JD, Sanford Schwartz J, Lichtenstein GR. Azathioprine for maintenanceof remission in Crohn’s Disease. Benefits outweigh the riskof lymphoma. Gastroenterology 2000;118: 1018-24.