Quand biopsier une muqueuse digestive d’aspect endoscopique normal ?

A l’heure du développement des techniques d’imagerie diagnostique sophistiquées, telles que l’endomicroscopie ou les biopsies virtuelles), l’endoscopie garde un atout irremplaçable : la possibilité de prélèvements d’échantillons de muqueuse pour étude histo-pathologique, qui reste aujourd’hui le gold standard du diagnostic des affections de la muqueuse digestive.

Les artifices techniques visant à mettre en évidence des anomalies de surface ou de coloration de la muqueuse permettent en fait, simplement de mieux diriger les biopsies qui vont autoriser la mise en œuvre d’un traitement spécifique.

L’endoscopie opto-électronique a permis des progrès considérables en terme de nosologie par rapport à l’endoscopie optique, mais les progrès les plus récents permettent le diagnostic des lésions planes, dysplasiques, à la limite de la visibilité optique.

Comment biopsier ?

Les différentes études n’ont pas montré de différence dans la qualité histologique des prélèvements selon le type de pince (forme des cuillers, mors dentelés ou non,aiguille centrale).
Pour atteindre la sous-muqueuse, on peut biopsier plusieurs fois au même endroit, voire inciser la muqueuse avant les prises biopsiques.

Pourquoi biopsier ?

L’étude histologique peut orienter le geste chirurgical et est indispensable pour engager un traitement oncologique. De plus, il s’agit d’un critère essentiel de surveillance et de recherche des lésions en dysplasie. L’étude histopathologique comportera également, en cas de nécessité, une étude immunohistochimique, voire génétique (puces à DNA).

1. Mais la muqueuse est-elle vraiment normale? (après application des artifices techniques)

L’étude de la muqueuse avec un endoscope standard ne permet pas nécessairement de percevoir les anomalies pathologiques, telles les irrégularités de surface et de coloration ou les troubles de l’angiogenèse, qui dirigent les prélèvements biopsiques. Les nouveaux procédés technologiques, tels le rehaussement de structure, la chromoendoscopie, l’étude spectrale (NBI ou FICE)ou la macro-endoscopie installés sur des appareils de haute définition sont des aides nouvelles au diagnostic des lésions superficielles de la muqueuse digestive ou néoplasiques débutantes.

La mise en évidence de ces anomalies grâce à ces nouveaux procédés redonne un nouvel élan au développement de l’endoscopie diagnostique avec des prises biopsiques orientées, mais aussi, grâce au diagnostic histologique précis, au traitement endoscopique.

Barrett

L’application de l’étude spectrale de la muqueuse dans les 420 nm permet de mettre en évidence des anomalies muqueuses non vues en endoscopie standard et d’identifier des zones dysplasiques ou de métaplasie intestinale sur lesquelles vont porter électivement les biopsies. Les premiers résultats semblent prometteurs en terme de dépistage.

Cancer épidermoïde

Les lésions débutantes sont difficiles à repérer et bénéficient des nouvelles technologies endoscopiques de diagnostic, notamment la macro-endoscopie et l’étude spectrale étroite, ou la chromoendoscopie, qui permet de diriger les biopsies.

Maladie cœliaque

A côté du diagnostic biologique et immunologique, les biopsies sont nécessaires pour mesurer le degré d’atrophie, apprécier la régénération sous régime et chercher un éventuel lymphome associé. La technique d’immersion pourra faciliter la localisation des zones d’atrophie.

MICI

L’application de l’étude spectrale ou de la chromoendoscopie en coloscopie de surveillance au cours des MICI, permet de mieux repérer les DALM et la muqueuse alentour après 10 ans d’évolution, à l’origine de la dégénérescence carcinomateuse.

 

2. La muqueuse est vraiment normale

En l’absence d’anomalies de la muqueuse, tant en endoscopie conventionnelle qu’avec les artifices techniques ci-dessus, il est parfois nécessaire d’appliquer des protocoles de biopsies systématiques dans certains cas précis.

Technique des biopsies

  • Dans l’œsophage, on applique le protocole de Seattle (biopsies étagées par quadrant)pour le Barrett ou après coloration au lugol sur les zones négatives pour le dépistage du carcinome épidermoïde;
  • Dans l’estomac, deux prélèvements antraux et fundiques doivent être réalisés;
  • Dans le duodénum, les biopsies doivent de préférence être orthogonales et sous immersion;
  • Dans le côlon, les biopsies étagées doivent être référencées dans des pots différents.

Quand biopsier une muqueuse normale?

Devant un RGO ou des signes œsophagiens

  • au cours du Barrett la recherche systématique de dysplasie passe par l’examen histo-pathologique de biopsies effectuées selon un protocole de prise ascendante par quadrants horaires permettant une localisation exacte des lésions. Ce protocole, de pratique difficile est en fait peu réalisé couramment et pourrait être remplacé par l’étude spectrale.
  • en cas d’infection à papilloma virus à l’origine de dysplasie sévère et de dégénérescence épidermoïde;
  • recherche de dysplasie après ingestion de caustique (au-delà de15 ans).

Devant un syndrome dyspeptique

La recherche de lésions de gastrite passe par une définition histologique et donc par des prises biopsiques pour affirmer une gastrite à éosinophiles ou une atrophie ou une dysplasie sévère, dans le cadre d’une maladie de Biermer, d’une carence en folates ou d’un gastrectomisé de longue date.

Devant une diarrhée ou une anémie isolée

La recherche d’une maladie cœliaque inclura des biopsies du deuxième duodénum qui pourront également évaluer la réponse au régime sans gluten.
Des biopsies seront réalisées devant des signes biologiques carentiels évoquant une malabsorption (biopsies duodénales et jéjunales).
Une giardiase pourra faire sa preuve microscopique.
Le bilan d’extension d’une MICI doit comporter des prises biopsiques duodénales.

Dans le cadre d’une pathologie générale

  • Bilan d’extension avec pan-endoscopie en cas de cancer ORL à la recherche d’une lésion œsophagienne synchrone;
  • Ingestion de caustique de plus de 15 ans;
  • Recherche de Helicobacter pylori systématique en cas de cancer gastrique du premier degré dans la fratrie;
  • Recherche de dysplasie sévère au cours de la maladie de Biermer;
  • Après 10 ans d’évolution d’une MICI, recherche de dysplasie sévère ou de DALM est systématique au niveau du côlon;
  • Biopsies iléales systématiques au cours des MICI :au cours de la maladie Crohn pour mesurer une éventuelle atteinte iléale; au cours de la RCH pour éliminer une maladie de Crohn;
  • Colite microscopique ou mégacôlon congénital dont le diagnostic est histologique.

En pratique

  • Devant des signes œsophagiens, les biopsies porteront sur la jonction œso-gastrique et sur la muqueuse cardiale;
  • Devant une dyspepsie, on réalisera des biopsies gastriques antrales et fundiques;
  • Devant une diarrhée ou une anémie, il faut éliminer une maladie cœliaque ou une giardiase avec des biopsies duodénales orthogonales et des biopsies coliques étagées à la recherche d’une colite microscopique.

Conclusion

A côté des prises biopsiques systématiques dans certains cas bien réglés, les artifices technologiques modernes permettent de diriger les prélèvements biopsiques vers des zones apparemment normales qui révèlent en fait des modifications muqueuses infimes mais en rapport avec des perturbations réelles de l’architecture muqueuse ou de la vascularisation en étude microscopique. Ces progrès techniques associés au développement des endoscopes de haute définition vont permettre de développer une nouvelle sémiologie endoscopique des altérations muqueuses confirmée par l’étude histo-pathologique.

 

RÉFÉRENCES

– Recommandations de la SFED : de la pratique des biopsies œsogastro-duodénales (F. Prat).

– Friedman S.et al. Screening and surveillance colonoscopy in chronicCrohn’s disease. Gastroenterology 2001; 120:820-6.

– Kiesslich R.et al. Methylene blue-aided chromoendoscopy for the detection of intraepithelialneoplasia and colon cancer in ulcerative colitis. Gastroenterology 2003; 124: 880-8.